25/10/2009
Calculez vos agios et faites sauter la banque.
Dans mes deux articles précédents, je relatais comment ma banque, qui est pourtant supposée mutualiste, m'avait imposé des pénalités de dépassement de découvert en compte qui amenaient les intérêts perçus pour ces découverts jusqu'à plusieurs dizaines de fois le taux de l'usure, et j'évoquais une communication importante du magazine 60 sur ce sujet, réclamant la prise en compte d'une décision de la cour de Cassation de février 2008 qui indique que l'ensemble des frais relatifs aux découverts en compte doit être inclus dans ce qu'on nomme (depuis une directive européenne) le taux effectif global (TEG) du prêt personnel que constitue le découvert en compte courant.
Le groupe socialiste de l'Assemblée Nationale, à l'instigation de Didier Migaud (président de la commission des finances de l'Assemblée), a d'ailleurs tenté de faire passer une taxe sur le bénéfice des banques cette semaine, et l'on a vu deux députés de droite voter pour leur amendement, mais on a maintenant l'habitude de ces pseudo-coups de théâtre parlementaires destinés à noyer le poisson et à faire croire que les députés s'agitent vraiment pour notre intérêt. Voici comment chacun de nous peut, sans attendre les politiques, à son niveau, ramener les banques à la justice, et même peut-être, faire sauter la banque.
Le taux de l'usure, une protection du faible contestée, et donc contournée
Lorsqu'une personne prête de l'argent à une autre, elle peut pratiquer ce qu'on nomme un taux d'intérêt, qui est une majoration de la somme qu'on devra lui rendre, majoration en général proportionnelle au temps qui s'écoulera jusqu'au remboursement du prêt (il existe aussi des taux d'intérêt fixés d'avance et forfaitaires). La chose ne va d'ailleurs pas d'elle-même : au Moyen Âge, en Europe, le prêt à intérêt est interdit et il se crée des méthodes extrêmement complexes qui ont permis de contourner peu à peu cette interdiction. Dans le monde musulman, l'interdiction donne une raison d'être aux communautés juives, à qui l'interdiction ne s'applique pas.
Avec les siècles, cependant, les taux d'intérêt s'imposent en Europe, et le Code Napoléon, en 1804, n'a pas d'état d'âme à instituer un principe de "dommages et intérêts" qui les rend naturels, consubstantiels à toute somme due.
Et partout en Europe, selon des modalités diverses, l'emprunteur est protégé contre les abus du prêteur, soit qu'un taux de l'usure réglementaire soit fixé par une insitution publique, soit que la justice ait le pouvoir de corriger les excès. Le taux de l'usure est celui à partir duquel on considère que le taux d'intérêt imposé à l'emprunteur est abusif, c'est une disposition qui entre dans le cadre des principes de protection du faible contre l'abus de position dominante du fort, protection du faible contre les pratiques léonines. En France, c'est la Banque de France qui fixe le taux de l'usure, une fois par trimestre, selon des modalités assez complexes.
Ce dispositif réglementaire est d'ailleurs contesté : pour les uns, il est trop complexe et ne protège pas assez les consommateurs. Pour les autres (les banquiers), c'est un gêneur d'emprunter en rond, il bride la croissance, et doit donc être écarté, il a d'ailleurs été supprimé pour les entreprises sans dommage apparent. Et un organisme privé (l'Adie) spécialisé dans le microcrédit fait valoir que dans son domaine d'activité, le seuil de l'usure est un frein considérable, car il rend les prêts trop peu rentables pour le prêteur. C'est ainsi que, sous couvert des meilleures intentions, on risque de mettre en péril un dispositif de protection du faible, un de plus. Car si l'on laisse le marché s'autoréguler sous le contrôle du juge, on oublie que les faibles et fauchés sont aussi ceux qui ont le moins de faculté de s'adresser à la justice pour se faire rembourser des sommes, peu élevées en elles-mêmes, mais qui mettent en danger leur solvabilité personnelle.
Réagir aux abus
Comme beaucoup l'ont noté, l'un des paradoxes de la crise financière récente, c'est qu'alors que les banques se financent à des taux extrêmement avantageux, le taux d'intérêt des prêts aux particuliers, lui, a eu plutôt tendance à augmenter, les banques consument la chandelle par les deux bouts, en somme.
Et on prend conscience que les taux d'intérêt ne sont pas eux-mêmes la seule définition possible du coût réel d'un prêt : une directive européenne de février 2008 a défini le Taux Effectif Global (TEG) et aussitôt, la cour de Cassation, dans un arrêt du 5 février 2008, a décidé que l'ensemble des frais relatifs aux découverts en compte devait être intégré au TEG, ce qui justifie l'intervention récente de l'organisation 60 que j'ai déjà citée. Dans une certaine mesure, l'intiative des socialistes (pour taxer les profits des banques) peut d'ailleurs être considérée comme une diversion destinée à étouffer le vrai scandale que constitue le niveau extravagant des frais pratiqués par les banquiers. (EDIT : Je vois d'ailleurs un article de Marianne2.fr sur un sujet très proche).
Il appartient donc à chacun d'entre nous de réagir à son niveau, avec ses propres moyens. Voici comment.
Le taux de l'usure est en général entre 20 et 25 % pour les découverts en compte courant des particuliers. Calculez votre niveau moyen de découvert. Faites-le, d'abord, "à la louche" sur le dernier trimestre. Si vous avez une autorisation de découvert de 500 Euros, voyez si vous dépassez souvent le seuil des 1000 Euros, et sinon, estimez que votre découvert moyen sera plus ou moins proche de son autorisation. Rappelons que les pénalités s'appliquent à la fois pour un dépassement du seuil et si vous n'avez pas ramené votre compte à l'équilibre au moins une fois dans le mois (selon le régime général, il existe des conventions de découvert qui créent des régimes particuliers, en principe favorables à l'emprunteur).
Mettons que vous ayez 700 ou 800 Euros de découvert moyen. Le taux de l'usure, sur un trimestre, sera d'un quart (un trimestre est le quart d'une année) de 20 %, soit 5 %. 5 % de 700 Euros font 35 Euros. Recensez ensuite l'ensemble des frais afférents à votre découvert : incidents de compte, lettres de rappel, pénalités, et bien sûr les agios. Si leur total dépasse les 40 Euros, vous avez une chance raisonnable de pouvoir considérer que votre banque pratique un TEG supérieur au taux de l'usure. Et vous pouvez réclamer le remboursement de ce qu'elle a trop perçu.
Comme le souligne l'un des articles que j'ai mis en lien, la banque peut même être condamnée à une amende de 45 000 Euros si ses taux sont particulièrement abusifs. La mienne, celle que je quitte (le Crédit Agricole) avec un taux de plusleurs dizaines de fois celui de l'usure, mériterait certainement cette condamnation.
Et maintenant, si vous voyez que les surfacturations sont consistantes cette année, faites le calcul pour les deux précédentes, car vous pouvez en principe réclamer sur les trois dernières années. Imaginez que dix millions de particuliers réclament chacun 100 Euros par an (ce qui n'est pas beaucoup : une dizaine ou une quinzaine d'incidents de compte par an), cela fait un milliard par an, trois milliards en trois ans. Imaginez que les mêmes 10 millions réclament 300 Euros pas an, ce sont 9 milliards pour les trois dernières années... Imaginez aussi que 22 000 comptes aient subi des excès pénalement répréhensibles (là encore, le chiffre est faible), ce sont encore 3 milliards, un par an. Or le Crédit Agricole a des centaines de milliers de comptes en portefeuille. Imaginez des centaines de milliers d'abus, la banque saute. Vous pleurerez ?
En tout cas, vous aurez pu récupérer votre argent, ce qui sera une façon de relancer la croissance mille fois plus saine que de laisser la bride sur le cou des banquiers dont chacun connaît désormais la profonde irresponsabilité.
10:54 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : économie, finances, banques, agios, taux de l'usure, cour de cassation, banque de france, crédit agricole | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Billet très intéressant.
Juste une question, même si je sais que tu n'envisages pas sérieusement cette situation: Si le Crédit Agricole saute, qui soutient alors les entreprises soutenues financièrement par cette banque en faillite ?
Écrit par : GuillaumeD | 25/10/2009
@ GuillaumeD
L'État a garanti contre la crise et peut le faire contre la faillite.
Écrit par : Hervé Torchet | 25/10/2009
"L'État"
... augmentera donc la dette publique, pour renflouer les banques en faillite.
En somme, ce sont les citoyens qui paieront, de toute façon.
Écrit par : Net | 26/10/2009
@ Net
Il vaut mieux qu'ils paient pour renflouer leurs entreprises que pour des investissement fumeux et destructeurs dans les paradis fiscaux ou pour les bonus faramineux de traders milliardaires.
Écrit par : Hervé Torchet | 26/10/2009
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