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24/06/2010

Retraites, dette publique, justice et temps futurs.

La question des retraites concerne la grande majorité des résidents français (qui ne sont pas tous français). Disposer d'un revenu décent après la fin de sa carrière est un souhait évident. Le tout n'est pas seulement d'avoir du temps libre, encore faut-il pouvoir en profiter.

Pour financer les retraites des anciens actifs, la France a fait le choix déjà ancien du système dit "par répartition", où ce sont les actifs qui, par leurs cotisations, assument directement la retraite des anciens salariés. Ce système est bon dans deux cas en particulier : d'abord, si la croissance du revenu disponible moyen permet de limiter le poids proportionnel des cotisations sur les revenus salariés, si le fils gagne plus que le père, il lui est plus facile de payer une retraite assise sur un salaire qui était moindre. Ensuite, si les générations nouvelles sont suffisamment nombreuses pour que, là encore, le poids marginal des cotisations ne soit pas excessif.

Dans la période que nous connaissons, les problèmes récurrents du système de retraite français devrait être compensé par le fait que le départ des classes nombreuses de l'après-guerre (les "baby-boomers") en retraite, s'il alourdit la charge du versement des pensions, doit permettre en revanche d'augmenter la masse des cotisations en réduisant le chômage des classes plus jeunes, qui sont moins nombreuses. Un effet de vases communicant devrait créer un ensemble de cercles vertueux.

Il se trouve que tel n'est pas le cas. Un ensemble de circonstances bloque la baisse du chômage, alors que le poids des pensions croît. Un effet de ciseau accélère les déséquilibres comptables.

Une partie des analystes, à gauche notamment, chiffre tous ces déséquilibres et propose une solution simple pour y remédier : la hausse des cotisations. Une hausse assez modique suffirait à financer les désquilibres constatés. Mais évidemment, la réponse patronale est connue : qui dit hausse des cotisations dit augmentation des délocalisations, on perd donc en cotisants ce qu'on gagne en cotisations. Cette hypothèse de hausse des cotisations ne serait donc viable que si d'autres mesures fiscales pénalisaient (notamment pour leur impact environnemental) les transports de marchandises au long-cours. Toute la question de la mondialisation et de la libéralisation du commerce international est là, puisque l'introduction d'une clause environnementale dans les règlements de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est un vœu encore très lointain, et la taxation du commerce au long-cours est encore considérée comme une mesure simplement protectionniste, donc prohibée.

Voilà un des enjeux de l'affaire, assez sous-jacent.

La question démographique

Noua avons la chance, en France, de vivre de plus en plus vieux. On ne mélangera pas les statistiques d'espérance de vie et de durée moyenne de vie, mais quel que soit le bout par lequel on prenne ce sujet, on trouvera la même réalité : notre vie s'allonge. Disons pour schématiser que, lorsque l'âge de la retraite a été fixé à soixante ans, voici trente ans, nous vivions en moyenne soixante-dix ans. Aujourd'hui, nous vivons dix ans de plus. Ce sont donc dix ans de pension supplémentaire qu'il faut financer.

De surcroît, dans les générations qui partaient alors en retraite, les salariés n'étaient pas aussi nombreux qu'aujourd'hui : il y avait encore beaucoup de paysans et de commerçants de la France des villages, des gens qui n'émargeaient pas au régime général (et qui avaient d'ailleurs souvent de très petites pensions, compensées par un taux d'épargne considérable). La France d'aujourd'hui est une France des salariés, retraités par excellence du système général.

C'est pourquoi le déficit du régime général de retraite est présenté comme ayant des causes structurelles, auxquelles il faut apporter des remèdes structurels. De là l'idée d'allonger à la fois la durée de cotisation nécessaire pour prétendre à une pension à taux plein et la durée moyenne de cotisation. L'argument démographique est d'ailleurs le plus difficile à réfuter.

Au vu du fonctionnement actuel de notre système de retraite, c'est en fait à une refondation qu'il faudrait procéder, reprendre les principes qui ont guidé les fondateurs de 1945 et les confronter aux statistiques actuelles. Combien de salariés ont actuellement les annuités suffisantes pour prétendre à une retraite dans un avenir proche ? Quelle sera la masse des pensions dans cinq, dix, quinze, vingt ans, au regard des droits déjà constitués et de la projection démographique ? Toutes ces statistiques sont très faciles à calculer, Gérard Filoche, l'un des spécialistes (socialiste) de ces questions, avance par exemple le chiffre que la durée moyenne des cotisations au moment de la retraite est aujourd'hui de trente-six annuités et demie. Donc des estimations très précises sont possibles.

On pourrait donc établir le système pour une génération entière, les trente ans qui viennent, par exemple en recourant au système innovant de la retraite "à points", qui permet de prendre en compte les différents aspects d'une carrière (notamment la justement célèbre "pénibilité").

Ce n'est pas le choix fait actuellement par la majorité. À sa décharge, il faut dire que les enjeux comptables prennent des allures redoutables, qu'on pourrait qualifier de "double peine" pour les salariés âgés de moins de cinquante ans.

Générations en conflit

La génération d'aujourd'hui, les jeunes actifs, et les un peu moins jeunes, sera celle qui devra payer à la fois les retraites des plus âgés et la dette que les mêmes plus âgés auront creusée pendant leur vie active. Si l'on voulait être juste, il faudrait défalquer du montant des pensions une part du remboursement de la dette, puisque celle-ci a été creusée pour maintenir le revenu de ces plus âgés durant leur vie active, et que non seulement ils en ont mieux vécu qu'ils n'auraient dû, mais en outre, ils se sont artificiellement octroyés des revenus supérieurs à ce qu'ils aurait dû être et c'est sur la base de ces revenus gonflés de dette qu'est calculée leur pension. S'ils avaient fait moins de dette collective, leur revenu aurait été moindre, et leur pension moins lourde à leurs successeurs.

Cependant, on voit bien que, si cette idée est juste, on ne peut pas l'appliquer comme ça. Personne ne le tolérerait. D'autant moins d'ailleurs, que d'autres injustices bien plus grandes encore ont grevé à la fois la vie des salariés et les comptes publics, amenant la quasi-totalité des pays développés (et des autres) au bord de la faillite.

La dette

Il faudrait trancher le nœud gordien et effacer les dettes des états envers le système financier privé. Du même coup, on dégonflerait la bulle spéculative qui ruine les états par les deux bouts. C'est en partie l'idée de ceux qui prônent de laisser filer l'inflation, puisque l'inflation est bonne pour le débiteur et néfaste au créancier. Seulement, les créanciers sont aussi les petits pensionnés, et on sait que les plus faibles sont toujours les premières victimes des poussées inflationnistes.

On devra donc faire face à la dette, collectivement.

Il est évident que les gens seraient prêts à faire des concessions pour cela. Mais on voit bien qu'un concept a fait irruption dans le débat qui mêle la dette et les retraites : justice, la justice. La droite affirme que son projet de réforme est juste, la gauche le taxe d'injuste.

Le fait de déplacer mécaniquement le double curseur de durée de cotisation et d'âge de départ à la retraite, réforme la plus paresseuse et la moins imaginative qui puisse être, est-il juste ou injuste ? Et de quel curseur parle-t-on ? Voilà l'enjeu du débat.

Il est improbable que, aujourd'hui, en ce jour de manifestation, des foules immenses arpentent le bitume : les syndicats s'y présentent en ordre dispersé et ne font acte de présence que pour éviter de se voir doublés par leur base. Savoir tuer un mouvement social est le premier talent d'un syndicat français qui se respecte.

Et la résignation, sans doute, a fort gagné les esprits. Depuis vingts ans, la droite et la gauche ne cessent de développer le même projet, par touches successives, qui restreint les espoirs des travailleurs. Ce n'est qu'une étape supplémentaire. Une fois de plus, on recule, on s'abandonne à ded logiques comptables illusoires. Une note d'espoir cependant : même si le projet actuel est injuste (ce qui se révélera progressivement par le débat, car à l'heure actuelle, les choses ne sont pas claires, on manque d'éléments précis), il n'empêchera pas, dans un avenir aussi proche que possible, une véritable refondation, durable.

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19/06/2010

Crise : jusqu'où ira la chute ?

Voici un peu plus de vingt ans, nous avons assisté à l'effondrement progressif de l'Union soviétique. Les prémices de cette première chute se lisaient dans la multiplication d'incidents plus ou moins anodins, plus ou moins spectaculaires. L'incapacité de l'État soviétique à faire face à certaines vétustés, à remédier à certaines désagrégations de ses outils collectifs les plus élémentaires, prenait le nom savant de "décapitalisation", tout se passait comme si le fonctionnement de la société soviétique était devenu un tonneau des Danaïdes dans lequel l'argent et l'énergie se perdaient comme dans un puits sans fond. Voilà ce qui arrive à son tour à l'occident : l'argent s'y autodétruit, toute force positive devient un trou noir. La piètre réponse des structures publiques au défi de l'ouragan Katrina, et aujourd'hui plus encore à une bête fuite de pétrole, dans la première puissance mondiale, prouvent que désormais, il faut qualifier les États-Unis de première impuissance mondiale, hélas d'une façon trop contagieuse pour que même les plus américanophobes aient des raisons de s'en réjouir. Voyons pourquoi comment on en est là, et devinons quand on va en sortir. La Russie est sortie des difficultés qui ont tué l'Union soviétique.

Le poids de la guerre

La guerre, ce n'est pas seulement un nombre tant de soldats, de chars, d'avions : c'est un état, une situation dans laquelle une société entière peut se trouver plongée. Pas une petite guerre, bien entendu, mais dès lors qu'elle dépasse une certaine masse critique dans le jeu social.

L'Union soviétique était un État qui se vivait en guerre permanente contre tous ceux qui ne lui étaient pas soumis. Elle finançait des révolutions dans un but plus stratégique que politique, elle entretenait des bases militaires un peu partout, elle accumulait des armements de plus en plus onéreux et consacrait une proportion sans cesse croissante de son intelligence à l'armée, le budget d'espionnage notamment industriel devenant aussi faramineux.

Pour tenir son rang dans un jeu complexe et terrible, elle donnait de plus en plus de ses forces vives à l'armée et de moins en moins à la vie civile. Dans le premier temps de la guerre froide, jusqu'en 1975, elle progressa beaucoup, gagna du terrain, parce que les États-Unis, en Corée d'abord, au Vietnam ensuite, engageaient leurs propres troupes, donc leurs forces vitales dans le combat, pendant que les Soviétiques s'abritaient derrière des armées vassales. La doctrine de Kissinger inversa les rôles, les États-Unis pratiquèrent l'endiguement et laissèrent les Soviétiques s'implanter dans beaucoup d'endroits sans coup férir, mais parvinrent à les fixer dans une guerre qui fut leur Vietnam, le Vietnam russe : l'Afghanistan, où l'armée soviétique s'enlisa à combattre des Afghans armés par l'occident, d'une façon exactement symétrique à ce qui s'était passé au Vietnam pour les États-Unis.

C'est cette stratégie, conçue par Kissinger, qui permit aux États-Unis de gagner la guerre froide.

Mais il y avait dans l'équipe du président américain Gerald Ford (1974-76), lorsque cette stratégie fut élaborée, un personnage hargneux qui pensait que tout ça était bullshit et que, comme on dit, un foie, deux reins, trois raisons d'utiliser la baïonnette. Ce personnage n'était autre que Dick Cheyney. Lorsqu'il eut à sa main un outil malléable nommé George W Bush, vingt-cinq ans pus tard, celui-ci commit l'erreur qui fit perdre aux États-Unis l'avantage qu'ils avaient acquis en gagnant la guerre froide : l'occupation de l'Afghanistan d'abord, l'invasion de l'Irak ensuite. De nouveau, la première puissance intervenait directement, en personne, sur le terrain par ses énormes moyens guerriers.

On peut discuter de la stratégie d'encerclement de l'Iran qui se mettait en place : l'Afghanistan au nord, l'Irak à l'ouest, supposés complèter le Pakistan à l'est, surtout au vu des positions réelles des Pakistanais et de leur jeu trouble, mais ce qui est indéniable, c'est qu'en plaçant les États-Unis en état de guerre, les responsables américains de l'époque ont signé la dégringolade de leur pays.

L'Amérique consacre aujourd'hui une part infiniment trop grande de ses forces à faire la guerre et à affirmer sa puissance. Comme jadis pour l'Union soviétique, le siphonnage des forces vives du pays aboutit à la décapitalisation et à l'impuissance publique.

L'Europe suit le chemin américain, les intérêts des deux entités étant très imbriqués, puisque ce sont les deux parties d'un même monde désormais, il n'y a plus l'ancien monde et le nouveau monde, les deux font partie de l'ancien monde, solidarité mécanique qui d'ailleurs va probablement trouver son terme avec celui de la crise.

Quand ? Impossible de le dire, nous n'en sommes qu'au début. Et hélas, il ne suffit plus de retirer nos troupes d'Afghanistan pour revenir à l'étale : un engrenage s'est enclenché, qui ira à son terme.

Une crise de réalité

Ce qui a tué l'Union soviétique, outre la guerre, était une forme particulière de mensonge qui détachait la réalité de la valeur de la réalité de la production. Il existait une valeur théorique, une production théorique, les deux ne se rencontraient jamais. Techniquement, la planification et la corruption ont été les moteurs de ce mensonge collectif et institutionnel.

Or ce qui sape aujourd'hui la société ocidentale est exactement de même nature : il existe une valeur théorique et une production théorique, mais les deux ne se rencontrent jamais.

Sans entrer dans trop de détails sur les théories de la monnaie, il faut tout de même rappeler que la monnaie est assise sur une contrepartie. Du temps de l'étalon-or, jusqu'en 1971, la contrepartie du système monétaire occidental était une quantité d'or qui garantissait la valeur de la monnaie américaine. En y renonçant pour faire face aux difficultés dans lesquelles la guerre du Vietnam plongeait leur économie, les Américains ont conduit à recourir à une définition autre de la monnaie (qui existait déjà), en l'appuyant non plus sur une contrepartie immédiate et quantifiable (tant de tonnes d'or) mais sur la production d'un pays, c'est-à-dire sur une statistique par nature sujette à caution.

Cette fiction a permis aux USA de réaliser quelques bons coups en jouant sur les fluctuations de leur monnaie. C'est ainsi que, dans les années 1980-90, ils ont plumé le miracle économique japonais pour renflouer leur trésor toujours plus gourmand.

Mais on ne peut tirer sur la corde que jusqu'à un certain point. C'est comme en amour : tôt ou tard, le mensonge vous rattrape.

Pour les États-Unis, le mensonge de la fiction de l'assiette de la monnaie sur la production s'est démultiplié par le fait qu'il existe bien plus encore de faux dollars circulant dans le monde que de vrais.

Le mensonge, et maintenant la corruption. Curieusement, les mêmes mauvai génies soufflent sur les mêmes braises.

Renoncer à certaines injustices

La décapitalisation, l'impuissance publique, n'ont pas fini de croître dans nos pays.

La Russie, elle, a fini par sortir de sa mauvaise passe, elle peut de nouveau verser les retraites de ses fonctionnaires et faire fonctionner ses administrations d'une façon adaptée à sa situation immense et particulière, selon un standard dont il ne s'agit pas ici d'évaluer la qualité en termes humanistes. Qu'a-t-elle fait pour cela ?

Elle a renoncé à certaines injustices. Elle a libéré l'Europe centrale et orientale qu'elle opprimait, l'Ukraine, une partie du Caucase. Elle a renoncé à certains moyens d'affirmation de la puissance qui ne correspondaient plus à l'époque nouvelle.

Ainsi devra faire aussi l'Amérique, ainsi devra faire à un moindre degré l'Europe, qui bénéficiera d'un pan de liberté retrouvée.

L'omnipotence apparente des financiers prendra alors fin, comme le pouvoir monétaire retombera en mains publiques. Ceux qui aujourd'hui, revendiquent la création de monnaies alternatives devraient d'ailleurs méditer cette réflexion, car ils se font les idiots utiles (expression décodément bien commode) du pouvoir des trusts financiers. Et ce dont notre économie a le plus besoin, c'est de la simple vérité que les différentes masses monétaires thésaurisées et circulantes conservent certaines proportions quant aux productions réelles. C'est cette vertu-là qui chassera les corbeaux et ramènera les beaux jours.

Ce qu'il est difficile de prévoir, c'est jusqu'où il faudra descendre pour pouvoiir commencer à remonter, jusqu'où la chute, jusqu'où la purge, pour que le rebond puisse commencer.

Le symptôme humain est en tout cas pour le moment le même partout, et il a un visage historique, assez laid.

La France pétainiste

Si vous en avez encore le temps, allez donc voir le spectacle "La Ronde', d'Arthur Schnitzler, au théâtre de Poche, à Montparnasse (donc à Paris),, qui méraphorise la société autrichienne d'avant le déluge de feu de 1914, puis voyez ou revoyez "La règle du jeu" de Jean Renoir, le film qui décrit ce qu'était la société française à la veille de la guerre de 1940.

Vous y constaterez les mêmes égoïsmes, les mêmes indifférences, les mêmes puérilités futiles, la même petitesse. Vous constaterez que ces œuvres nous décrivent aujourd'hui. Ce n'est pas qu'elles n'aient pas vieilli, mais que nous en sommes revenus là où nous étions.

La France de l'Occupation, celle qui a continué à vivre sous la botte allemande, n'était pas celle de cette petite foule de héros qu'ont été les résistants. Une fois ceux-ci morts et disparus par l'effet du temps, ce sont les autres, les grisâtres, les pétainistes, qui retrouvent le cours naturel de leurs occupations. La France de 1960 avait deux principaux groupes de députés : les gaullistes et les indépendants du CNI, dont la figure de proue était Antoine Pinay, un homme qui avait voté la confiance à Pétain en 1940. Le CNI se prononçait pour l'Algérie française, il fut emporté avec elle. Cinquante ans plus tard, ce sont ses idées qui reviennent, toujours aussi laides : l'inégalité, la vénalité, le pragmatisme trivial et veule, l'argent pour seule patrie.

C'est notre symptôme de la désagrégation générale. Ailleurs, on voit  comme ici les réflexes identitaires, les haines et les hargnes, l'intransigeance et l'arrogance, l'égoïsme forcené et la stigmatisation de l'autre, qui sont, il faut le noter, des travers onthologiques au modèle dominant anglo-saxon.

Pour qu'une société puisse fonctionner convenablement, il faut de la fraternité. Les épreuves traversées par les Français sous l'Occupation ont ramené de l'entr'aide. La fraternisation est la triste et paradoxale vertu des guerres.

La guerre de 1914 permit à des gens que tout éloignait d'œuvrer ensemble. De même, comme dit le poète, la Résistance rapprocha-t-elle "Celui qui croyait au Ciel et celui qui n'y croyait pas", le moine et le franc-maçon, l'ouvrier communiste et le cagoulard monarchiste, le grand bourgeois et le péquenaud. Et un grand œuvre social sortit de ce rassemblement œcuménique, celui auquel les pétainistes (ou leurs héritiers) s'attaquent jour après jour à coups de pioche.

C'est d'ailleurs la seule vraie note d'espoir, dans le constat que nous faisons que nous allons traverser une longue et rude épreuve où beaucoup de ce à quoi nous croyons va être au moins remis en cause, parfois sacrifié : c'est qu'après la pluie le beau temps, c'est que l'immense horreur de la guerre de 1940 a produit l'extraordinaire floraison des Trente Glorieuses. Comme dit le (même) poète :

Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson

Ce qu'il faut de sanglot pour un air de guitare.

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13/06/2010

L'alibi centriste.

J'ai vu passer des info sur le congrès du Nouveau Centre à Tours. Dans le même temps, hier, soir Jean-Vincent Placé, dont la forte voix a pesé sur les débats récents de la mouvance écolo, expliquait que l'origine de son engagement écolo et politique était son travail avec le regretté Michel Crépeau, longtemps maire radsoc et centre gauche de La Rochelle (un qui aimait téter la dive, soit dit en passant et sauf son respect). Peu de jours plus tôt, Jean-François Kahn et François Bayrou avaient échangé sur le même thème.

Que se passe-t-il donc ? Pourquoi tant de bulles au centre ? Lors des derniers scrutins, on a plutôt vu la balle au centre, de ces balles faites pour tuer et non pour finir au fond des filets d'une coupe du monde. Pan !

Autant dire tout de suite que la stratégie des "néocentristes" n'a rien à voir avec la problématique du centre : ce peloton d'ex-UDF cherche à sauver ses meubles pour 2012. Froncer les sourcils et rouler des mécaniques est une façon de paraître jouer le rapport de forces. Mais le NC ne se donne pas d'autre horizon que l'alliance avec l'UMP, et donc se définit, jusqu'ici en tout cas, comme une fraction de la droite.

Au passage, je rappelle que pour certains vieux élus UMP et ex-UDF, l'existence d'un second parti à droite, pourvu qu'il ne soit pas trop fort, est un instrument pour conserver des positions électives. "Je rassemble", disent-ils en soutenant en sous-main un faux centre croupion, side-car de leur attelage UMP.

Bayrou, en détachant le centre de la droite, leur a ôté leur gagne-pain. Morin reprendra-t-il le rôle ? Peut-être. L'UMP a intérêt à se doter de satellites pour glaner des voix pour le second tour, on a bien vu que le manque de réserves de voix pesait sur les scrutins locaux contre la droite, mais la droite est incurable et ne supporte pas le pluralisme.

De toutes façons, à quoi servirait une candidature NC ?

En fait, c'est Kahn qui a raison : la question centriste n'est pas centrale. Ce qu'il faut, et ce dont notre pays a besoin dans la très grande épreuve que l'Histoire lui prépare, c'est un projet global : sage économiquement et budgétairement, mais pas seulement, proposant une croissance sobre mais pas seulement, valorisant les PME mais pas seulement, améliorant l'impact écologique de notre vie en société mais pas seulement, retrouvant un respect épanoui de nos droits de l'Homme mais pas seulement, ouvrant la voie très largement à la génération Y mais pas seulement, comprenant les bouleversements induits par le développement d'Internet mais pas seulement.

On me pardonnera de raisonner en historien, mais ce qui m'attirera lors de la prochaine campagne présidentielle, ce sera un projet qui repose sur une authentique vision historique de notre pays et de l'Europe, très au-delà des pitreries politiques quotidiennes.

Bayrou, qui reste mon candidat naturel, a profondément déçu une partie des écolo qui le tient pour un faussaire dans leur domaine. Il aura à leur prouver sa sincérité. Il aura, de même, à expliquer pourquoi il paraît s'être rapproché de Sarkozy.

Pour qui le connaît depuis longtemps, et c'est mon cas même si je ne suis pas son intime, je n'ai aucun doute qu'il ne s'est soumis à rien : Bayrou a la tête aussi dure que cele d'un Breton, il ne cède jamais. En revanche, la petite opé tactique qu'il mène pourrait bien lui offrir des résultats fructueux lors du congrès de l'UDF qui doit se tenir à l'automne et qui est prévu pour être le dernier.

Et d'ailleurs, la prétendue candidature de Morin, n'a-t-elle pas, elle aussi, ce congrès UDF pour unique but ? En se posant en présidentiable et en défenseur intrépide des valeurs centristes, Morin ne cherche-t-il pas à se hausser jusqu'au niveau de Bayrou ? Se hisser jusqu'à sembler être un contrepoids. La grenouille se rêve dans la peau du cheval.

J'ai fait cette note pour donner des clefs de lecture aux très nombreux observateurs qui ne comprennent rien à ce qui se passe. Eh bien, pour la dernière fois, le fantôme de l'UDF plane sur la politique française.

10/06/2010

Notre république.

Le débat a été ouvert par Marianne reprenant un commentaire de François Bayrou sur un article de Jean-François Kahn sur son blog.

J'ai écrit moi-même que depuis bientôt trente ans que je vote, j'ai toujours voté le plus au centre possible. Il n'a jamais été question pour moi de voter pour la droite en tant que telle et la gauche ... m'a toujours donné envie de voter au centre, du moins le plus au centre possible, car il y avait toujours quelque chose qui me chagrinait dans la gauche, dans cette gauche dont beaucoup d'idéaux sont les miens.

En mars 1983, j'ai voté aux municipales à Combrit, mon port d'attache breton, un vote avec préférence et panachage, disons que ça ne compte pas. J'avais dix-huit ans et quatre mois.

Passons aux présidentielles de 1988 : au premier tour, j'ai voté pour Raymond Barre, l'État impartial et la sagesse budgétaire. Au deuxième tour, j'ai voté Mitterrand, Chirac restant engoncé dans les principes du tandem Pasqua-Madelin.

En 1995, j'ai fait la campagne de Jacques Chirac dès le premier tour. De toute évidence, il était plus autoritaire mais moins réactionnaire que Balladur, et Jospin était trop américanophile, ce qui s'est d'ailleurs vu dans sa politique à partir de 1997.

En 2002, Bayrou au premier et Chirac au deuxième.

En 2007, Bayrou au premier et Royal au deuxième.

Je fais partie de cet électorat qui n'a pas de parti pris, qui est capable de voter pour ce qui lui semble le plus proche de l'intérêt général, se résignant à un choix éventuel, qui reste en somme à convaincre pour la droite ou la gauche ou qui, mieux encore, espère ce que Kahn a nommé, d'un mot heureux, une politique qui soit devant.

Liberté, égalité, fraternité

Bayrou, dans son commentaire devenu article, évoque l'identité démocrate représentée par le Parti Démocrate américain (souvenir d'une stratégie élaborée avec Clinton et Prodi voici plus de quinze ans), son équivalent indien (je suppose qu'il s'agit du Parti du Congrès, les héritiers de Gandhi et de Nehru, mais je ne vois pas le mot démocrate) et son homologue japonais. Selon Bayrou, la référence française de ce courant mondiale est ... républicaine. Hum. Bon, disons que l'ancrage dans une vision mondiale est une idée constructive et laissons l'approfondissement de l'exégèse à ceux qu'elle intéressera.

Pour nous Français (il faut bien que nous fassions avec ce que nous sommes et nous manquerions à notre devoir dans le concert mondial si nous l'oubliions), la question remonte à Clovis. Lorsque Clovis devient le patron d'une partie des maîtres de la Gaule, l'essentiel des monarques européens pratique une sorte très anticipatrice de calvinisme qu'on appelle l'arianisme qui a l'avantage ou l'inconvénient de justifier le pouvoir monarchique au détriment de l'égalité des citoyens.

Clovis est soutenu par deux archevêques seulement : celui de Tours et celui de Reims, qui sont dans le camp de l'évêque de Rome qui deviendra le pape. Clovis élimine les Ariens (à ne pas confondre avec les Aryens) et installe la primauté de Rome en Occident, y compris un certain nombre de principes fondateurs de l'idéologie occidentale, dont le libre-arbitre. Pendant des siècles, y compris du temps de Charlemagne, la France sera liée à Rome par ces actes fondateurs.

Au passage, je signale à mes amis bretons qu'il est plus que vraisemblable que, du temps de Clovis, la Bretagne armoricaine n'y était pas, qu'elle s'épanouissait dans un autre monde chrétien avec les Gallois et les Corniques, et peut-être les Irlandais.

Lorsque la monarchie espagnole devient cumularde au point de se lier avec les Habsbourg d'Autriche, vers 1500, la France, dont les relations avec le Saint-Siège n'ont pas toujours été de tout repos, mais qui a assumé la primauté aux Croisades, se retrouve reléguée au second rang, pour un peu plus d'un siècle.

Elle inaugure alors ses relations avec ce qu'on nomme la Sublime Porte, l'empire turc.

François Ier, qui invente cette politique, inaugure aussi la monarchie absolue et nationalise le clergé : il soumet l'état-civil aux lois de l'État, et s'il en confie la tenue aux gens d'Église, c'est par délégation de service public, les clercs d'Église sont agents de l'État, la majorité de leur chiffre d'affaires provient de jurislations étatiques. La théorie dite du gallicanisme (antérieure) trouverait son plein sens si les guerres de religion, peu après François Ier, ne la reléguaient pas au second plan jusqu'au XVIIe siècle.

Le rôle de France "fille aînée de l'Église" dure finalement, cahin-caha, jusqu'à la Révolution française.

Il faut être conscient que le rôle historique de la France pendant près de mille trois cents ans est intimement lié à cette notion de "fille aînée". La France est celle par qui l'Église de Rome est accouchée d'elle-même.

En y renonçant en 1789, la France a donc fait un acte historique d'importance millénaire, qui a d'ailleurs réjoui  notamment les protestants parce qu'il affaiblissait Rome.

Les principes refondateurs, liberté, égalité, propriété, sont devenus en 1848 liberté, égalité, fraternité. Ce sont les principes de notre république.

Des polémiques

C'est écrit dans la belle langue française du XVIIIe siècle : la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Tout, ce n'est pas rien. Tout, c'est ce qu'en termes classiques nous nommerions la licence. Dans une certaine sphère, la liberté est un absolu : tout. Sa seule limite, mais quelle limite, est "ce qui ne nuit pas à autrui". Or ce qui nuit à autrui est ce qu'on nomme en droit ce qui "fait grief" à autrui. Ce qui fait grief est ce qui engage la responsabilité juridique. La liberté a pour limite la responsabilité. La dialectique liberté/responsabilité est la première composante de notre identié républicaine.

L'égalité est une notion beaucoup plus ambiguë, dont la traduction textuelle est quasi-sybilline : égaux en droits. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. L'égalité juridique, le principe d'égalité de naissance, l'égalité de condition, c'est un principe d'émancipation, dont la limite est recherchée par d'autres conceptions répiublicaines. Liberté formelle ou liberté réelle est ainsi un thème central de la pensée marxiste au XXe siècle. Et plus récemment, l'idée de la discrimination positive comme moyen d'atteindre à une égalité moins formelle et plus réelle nous a prouvé que les conceptions américaine et soviétique étaient moins opposées qu'elles ne le prétendaient. En fait, le complément de la défintion du principe d'égalité se trouve dans un passage de la déclaration des droits de l'homme de 1789 : les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. Voilà une source inépuisable de réflexion sur la dialectique qui unit et oppose l'individu à la Société.

Sans la fraternité, la liberté et l'égalité sont deux tyrannies symétriques. La liberté qu'on impose est une tyrannie ("on n'enseigne pas la liberté à la pointe des baïonnettes", écrivait quelqu'un sous la Révolution française, quelqu'un que Bush aurait dû lire). L'égalité qu'on impose, tovaritch, est une autre tyrannie. La fraternité est l'élan de conscience, basé sur la sincérité, sans lequel la liberté et l'égalité sont vouées l'une au néolibéralisme, l'autre au goulag.

Le lien de ces trois valeurs entre elles est le ciment de notre conception de la vie en Société.

Deux autres notions se sont agglomrées à la devise républicaine : la laïcité et l'unité.

La laïcité est devenue la valeur la plus polémique de toutes, pour la double raison que le modèle dominant anglo-saxon n'est pas laïque et que l'interprétation de la laïcité a longtemps été une hostilité viscérale à l'encontre de l'Église catholique romaine.

En fait, les choses sont moins simples qu'il n'y paraît. La laïcité est un principe plus général de neutralité de l'État, de distinction du public et du privé, qui a des conséquences sur la séparation des vies privée et publique de nos dirigeants, et sur la répartition des rôles entre Société civile et État. Si on l'exprime d'une façon contemporaine, nous dirons que la laïcité est l'indépendance des décisions politiques à l'endroit des lobbys, l'Église catholique, directement concernée, est ici un lobby comme un autre, une conception particulière qui voudrait imposer ses vues aux décisions publiques de même que les producteurs de maïs voudraient que l'État ne mange que du maïs.

En pratique, la laïcité française, organisée par la loi de 1905, a permis à l'Église de France de s'extraire du gallicanisme et d'éviter que le clergé ne soit nommé par le pouvoir politique au lieu de l'être par Rome, cependant que l'entretien et l'usage des édifices de cultes étaient garantis par l'État.

Aujourd'hui, la laöcité est encore plus polémique, parce qu'elle est vue par certains musulmans pratiquants comme un moyen de brimer leur culte.

L'unité ("La France est une république indivisible") est la dernière valeur polémique, mes amis bretons pourront en témoigner, et de fait, si j'admire et revendique l'esprit républicain comme étant le mien, je suis amené à reconnaître que la Bretagne a subi de nombreuses injustices qio n'ont pas encore été réparées.

La république est une construction éthique et humaine fondée sur le trio indissoluble de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Au fond, le reste est inutile bavardage.

01/06/2010

Deux ou trois liens.

Comme je ne blogue plus beaucoup, je n'ai guère eu l'occasion de donner des liens depuis des mois. L'occasion m'en est donnée par trois nouvelles.

La première, c'est l'ouverture du nouveau blog d'Éric Mainville que j'ai souvent cité pour son excellent blog Crise dans les Médias. Le nouveau est intitulé plus sobrement EricMainville.com et le contenu reste de haut niveau.

La seconde, c'est que le Faucon vient de me linker, et que je lui rends son lien avec d'autant plus de plaisir que, dans un océan de blogs de gauche, nous sommes assez peu à surnager à n'être pas obsédés par les principes DE GAUCHE (na !), et qu'il écrit des choses en général bien vues.

La troisième, c'est que, sur son profil Facebook, notre Quitterie vient de reprendre son nom de jeune fille et s'intitule joliment Quitterie de Villepin. J'ai souvent eu l'occasion de dire que, dans la famille Villepin, je demandais les femmes, car presque toutes celles que je connaissais étaient de très belles ou très jolies femmes, ce qui n'enlève rien aux mérites de l'ancien ministre des Affaires Étrangères d'un vieux pays d'un vieux continent Dominique de V, mais enfin, vous voyez ce que je veux dire.

11:04 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : blogs, quitterie, falconhill, éric mainville | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook