Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« 2015-07 | Page d'accueil | 2015-09 »

18/08/2015

Faut-il refaire l'Europe sans l'Allemagne ?

Les griefs ont fini par s'accumuler contre la façon dont l'Allemagne mène sa politique européenne et non seulement la sienne, mais toute la politique européenne, tant il est vrai que, par la faiblesse des autres États européens, l'Allemagne a fini par faire de la construction européenne son outil de domination sur les autres États.

Dans les années 1980, lorsque Mme Thatcher refusait de jouer le jeu européen et refusait de contribuer au budget de la Commission de Bruxelles, les autres Européens, paresseux, disaient "L'Allemagne paiera". Et l'Allemagne payait. Mais, de la même façon que les gouvernements grecs empruntaient dans les années 2000 sans se soucier du jour où on leur en présenterait la facture, les Européens de 1985 évitaient de songer au jour où l'Allemagne présenterait la facture. Chacun affectait de croire que le projet mutualiste initial demeurerait intact quel que fût l'avenir. Or le pire est toujours sûr : en laissant les rênes entre le mains d'un seul pays, ces gouvernements européens ont compromis l'avenir de la construction européenne en mettant sa nature même en péril.

Dans les années 1990, la première encoche creusée par l'Allemagne au projet mutualiste fut d'imposer un déplafonnement du nombre de ses députés au Parlement Européen, lequel devait rester forfaitairement égal à celui des autres principaux États-membres de l'Union : France, Italie et Royaume-Uni. Dans le même temps, M. Schäuble, âme damnée du nationalisme allemand, imposait l'élargissement de l'union à marche forcée, au lieu de prendre d'abord le temps de l'approfondissement des institutions communes. Cet élargissement, il en avait vite vu le profit pour l'Allemagne : placer ce pays au centre de gravité de l'Union élargie, et favoriser l'emploi de travailleurs de l'ex-Est à bas coût.

Pour employer ces travailleurs low-cost, une directive fut projetée, sous la houlette de M. Bolkestein, que nous avons connue sous le nom de "directive Bolkenstein", dont le nom travesti rimait si bien avec Frankenstein et sa créature incontrôlable. L'échec de la procédure Bolkestein n'empêcha pas l'Allemagne de détourner une autre procédure européenne pour obtenir tous les effets bénéfiques qu'elle en attendait pour son économie. Nous en voyons les effets dans ce qu'il faut bien nommer une concurrence désormais déloyale (donc contraire aux traités) en particulier dans la filière agro-alimentaire. Forte de tous ces atouts et d'une stratégie de longue main, l'Allemagne de M. Schäuble a fini par transformer la construction européenne en spirale de pouvoir pour l'Allemagne et ne doutons pas que ce pays, capable de présenter un budget à l'équilibre, ne projette d'imposer aux autres nations européennes, une par une, les mêmes tourments et les mêmes cruautés que ceux qu'elle a infligés à la Grèce.

Capture d’écran 2015-08-18 à 17.57.19.png

Et l'inévitable M. Schäuble s'en prend de plus en plus ouvertement à l'autorité de la Commission de Bruxelles dont il faut bien reconnaître que le président, M. Juncker, nous déçoit chaque jour un peu plus. Le coup porté par M. Schäuble à la Commission a poussé l'ancien président Romano Prodi à protester dans Le Monde d'une façon qui suscite l'adhésion de tous les vrais amis de la construction européenne. Mais les autorités françaises demeurent silencieuses. Il faudra bien pourtant sortir du bois un jour ou l'autre, faute de quoi, à force d'obsession germanique, M. Schäuble finira par réaliser l'Europe des salauds égoïstes rêvée par feue Mme Thatcher. Il faudra décidément que l'on m'explique ce qu'il reste de chrétien dans le parti de droite allemand qui utilise ce mot sans vergogne.

17:58 | Lien permanent | Commentaires (2) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

08/08/2015

La Bretagne en mal de souffle neuf

Le Festival Interceltique de Lorient n'est pas la plus ancienne institution culturelle d'été en Bretagne (je crois que c'est le Festival de Cornouaille à Quimper), mais son ampleur et son retentissement lui confèrent une place plus que singulière, et alors que son édition 2015 va commencer, voilà une bonne occasion de réfléchir sur la prochaine étape de l'Histoire de la Bretagne, d'autant plus que l'emblématique ex-maire de Lorient et ex-président de la région administrative Bretagne, Jean-Yves Le Drian, fait durer le suspens sur son éventuel retour aux manettes de la région, qui serait, de toutes façons, le dernier souffle d'une époque déjà révolue.

Prisonnière des logiques partisanes, la Bretagne n'a pas réussi à profiter de la récente réforme territoriale pour retrouver son cinquième département. Les camps politiques ont rapidement déchiré l'unité qui s'était manifestée dans la région administrative et le Parti Socialiste de Loire-Atlantique, sous la férule du regrettable Ayrault, a pu enterrer sans difficulté le projet historique de réunification auquel de fortes majorités de Bretons des cinq départements exprimaient leur attachement dans toutes les enquêtes d'opinion. Il va de soi que, si j'habitais dans ce département, j'examinerais de très près le moyen de sanctionner ce forfait à sa mesure.

Ce qui était dramatique et qui soulevait l'indignation était que, dans cette négociation autour des frontières de la région, il n'était question que de batailles d'antichambres et de manœuvres picrocholines d'appareil, voire d'entourage présidentiel, voire d'alcôve, et que, à aucun moment, l'on n'entendait que le bien public entrât dans les préoccupations du pouvoir à l'œuvre. Ce spectacle navrant aboutit à un statu quo où M. Le Drian crut pouvoir tirer son épingle de jeu en proclamant avoir évité le pire, ce qui passa à cause de la bonne image qu'il a su donner de son travail de ministre de la Défense.

Mais voilà : rien n'a bougé, et dans le même temps, tout un modèle économique s'effondrait sans plus de réaction de la part des autorités politiques qui se contentaient d'appliquer des cautères sur une forêt croissante de jambes de bois. Remplacer des emplois productifs par des pseudo-emplois improductifs ne mène nulle part.

Malgré un effort (si timide !) sur l'énergie, hydrolienne en particulier, un autre (si bureaucratique !) sur les nouvelles technologies, aucune force vitale ne semble faire monter de la sève dans l'arbre économique breton, et la valse hésitation sur les transports en commun est le symptôme d'un égarement qui tenaille les esprits des responsables de tous les bords engoncés dans le confort d'un "miracle breton" dont leurs oracles avaient oublié de leur prédire la fin imminente. Avec pour seules armes des idéologies stériles, ils n'ont pas l'air de grand chose.

1750px-Drapeau_de_la_province_de_Bretagne_(1532).svg.png

Pour remettre un peu de souffle dans tout cela, il semble qu'une équipe crédible, à fort profil socio-pro, ne serait pas malvenue et pourrait offrir l'espoir de décisions enfin enracinées à la fois dans la réalité et dans l'avenir. Mais d'où pourrait-elle naître ?

06/08/2015

Les privilégiés, comptez-vous !

Au matin du 5 août 1789, tous les privilèges étaient abolis en France. La Révolution Française venait de commencer et, depuis ce temps, cette fameuse "nuit du 4 août" exerce une grande fascination sur l'imaginaire collectif des Français. Pourtant, cette fascination repose sur un malentendu et ce malentendu est tel qu'il explique à lui seul tous les débats qui ne cessent de renaître sur la véritable nature de la Révolution. Voyons-le.

Un privilège est une loi privée. L'étymologie l'indique sans ambiguïté. Le mot, à lui seul, divise le corps légal en deux mondes antagonistes : d'un côté la loi publique, de l'autre les lois privées. La "nuit du 4 août" se définit donc comme une nationalisation de la loi privée, nationalisation d'ailleurs sans contrepartie. Et cette nationalisation se traduit par l'abolition de la loi privée, son annihilation.

Qu'était cette loi privée ? Elle était l'ensemble des législations qui n'émanaient pas du roi. On les connaît : décisions des cours féodales, principes qui régissaient les corporations de métiers, droits de l'Église, en bref, tout ce qui subsistait de la société féodale, tout ce qui faisait écran entre la loi du roi et le citoyen.

Ces droits privés n'avaient pas toujours joué un rôle mauvais : aux temps féodaux, ils encadraient strictement le pouvoir du puissant sur le faible, ils empêchaient l'abus de pouvoir du fort et garantissaient le quidam contre les sautes d'humeur des politiques ombrageux qu'étaient les féodaux. La féodalité était un monde entièrement juridique, le citoyen ou sujet ou vassal s'y définissait par un ensemble de droits et devoirs qui formaient un cocon autour de lui. Violer une loi privée, même petite, mettait toute la pyramide en péril. L'équilibre global se bâtissait ainsi.

La centralisation croissante de la monarchie absolue avait mis cet édifice en péril et le privait d'une grande part de son efficacité. En Angleterre, de nouveaux outils, plus modernes, offraient l'exemple d'une meilleure garantie de l'individu qui achevait de périmer le vieux système féodal. Il s'agissait de l'habeas corpus (1679) et du "bill of rights" (1689). En place depuis un siècle, ils avaient eu le temps de prouver leur efficacité. Logiquement, en 1789, l'abolition des privilèges aboutit aussitôt à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, qui formalisait les droits et devoirs de l'individu désormais proclamé citoyen. La Révolution avait commencé.

Un principe se dégageait dès les premiers articles de la DDHC, qui consacrait à lui seul l'abolition des privilèges et l'universalité de la loi publique : "La loi est la même pour tous". Le texte est, précisément, "La loi est la même pout tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse". Il n'existait donc plus, en France, que la loi générale, appliquée généralement, sans exception possible, uniformément. C'est là que se glisse le malentendu.

Car ce dispositif crée un principe d'égalité, formalisé lui aussi par la DDHC : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits". Or il est apparu au bout d'un siècle de pratique post-révolutionnaire que l'universalité de la loi ne procurait pas une égalité aussi forte qu'elle le prétendait : les citoyens ne se voyaient pas égaux devant une justice souvent perçue comme gouvernée par les principes de la bourgeoisie et les inégalités de patrimoine et de revenu ne semblaient pas apaisées par l'ordre social. La majorité du corps social commença à aspirer à une législation qui ne se contente pas de constater l'égalité de principe, mais qui corrige les effets les plus flagrants de l'inégalité de fait, voire qui organise des flux de revenus et de patrimoine, ce que l'on appelle la redistribution.

C'est ainsi qu'au nom de l'égalité, on a fini par connaître des lois qui, chaque jour, méconnaissent le principe de l'universalité de loi, et qui le font au nom de ce que l'on nomme l'égalité proportionnelle, qui est tout sauf de l'égalité. Nous en sommes là, au milieu d'un critère de l'égalité qui a perdu toute son objectivité et qui n'est plus gouverné que par des présupposés idéologiques qui, trop souvent, servent d'alibi à des pratiques mafieuses habillées en corporatismes, à un point tel que le mot privilégié a perdu tout lien avec son étymologie pour n'être plus que synonyme de riche, si bien que l'abolition des privilèges se résume dans l'esprit de beaucoup à la ponction des riches. Or l'on n'arrive pas à supprimer la richesse, et même, cette inégalité de fortunes ne cesse de s'aggraver malgré les dispositions multipliées que l'on prend pour la brider.

Devant l'impuissance à instaurer l'égalité, un esprit de compensation fait que chacun se crée une petite niche de droits et de revenus dont il espère être le seul bénéficiaire et qui, au fond, ne sont que les privilèges d'autrefois ressuscités, ce qui permet à toutes les catégories sociales de s'invectiver réciproquement en se traitant de privilégiées, ce qui est à la fois vrai et faux. On s'en doute, le seul vainqueur de ce glissement régressif est l'immobilisme. Il va donc falloir jeter tout cela à bas et repartir sur des bases saines.

08:30 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : révolution | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook