17/02/2007
Le bonheur total.
J'ai dit il y a peu à quel point mes études alors dites primaires (élémentaires, si l'on veut) avaient été facilitées par l'adéquation de ma forme d'intelligence à la façon dont on m'instruisait. Cet avantage me dispensait des inconvénients de l'autorité, que je n'aurais sans doute pas plus supporté que Quitterie Delmas, dont le blog est signalé dans ma colonne de droite et qui, au milieu de ses développements politiques, vient de faire la promotion des écoles Montessori.
À la maison, l'autorité n'existait pas ou, du moins, ne parvenait pas jusqu'à moi : tout était négociable. Si je désirais ou ne désirais pas quelque chose, on en parlait jusqu'à savoir pourquoi et, arrivé à ce stade, il devenait évident pour moi-même si j'étais dans le caprice, donc dans un déséquilibre qui ne me plaisait pas. Au bout du compte, je faisais ce qui me paraissait juste, ou adéquat, ou simplement supersympa, bref, rien ne m'était imposé manu militari.
J'ai toujours trouvé qu'il y avait là un secret d'harmonie et je ne crois pas que ça ait gâché ma vie.
Dans les couples littéraires ou artistiques (pour rester dans le cadre de ce blog-notes), cette même recherche de respect et de négociation avec la liberté de l'autre est évidente. Oh, bien sûr, tout n'est pas toujours rose, les crises existent, mais en fin de compte, elles prennent leur sens lorsqu'elles aboutissent à des solutions. Les grands écrivains ne savent pas toujours s'exprimer mieux que d'autres dans l'intimité, et leur vie affective et sensuelle traverse des périodes forcément troublées, voire débridées, où cette difficulté de dire produit les mêmes quiproquos et les mêmes refoulements que chez n'importe qui.
On pense aux couples étranges ou volcaniques, Aragon et Triolet, Sartre et Beauvoir, Dali et Gala, mais on pourrait invoquer Anatole France et sa compagne qui corrigeait ses manuscrits, ou tant d'autres.
La question la plus mystérieuse est toujours : comment ça a commencé. Y a-t-il une solidité ou une faille de départ ?
Pour Malraux et Clara, par exemple, tout débute par une extravagance d'André : il soudoie deux malfrats qui feignent de s'en prendre à Clara, il surgit alors avec un pistolet et les met en fuite. Clara tombe dans ses bras. Du roman de quai de gare. Mais c'est grâce à Clara que Malraux est sauvé des prisons coloniales au Cambodge et grâce à elle aussi qu'il est lancé dans le Paris littéraire.
De la part de Malraux, la ruse est une infraction au principe contractuel. C'est peut-être la vraie raison de l'échec final de leur couple. Peut-être une forme de bonne foi, très secrète, est-elle nécessaire à la réussite des unions.
Les écrivains sont-ils volontiers de bonne foi ? Certains, sûrement. Voilà en tout cas un sujet d'étude. Et de commentaire. Libre.
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Les écrivains et l'irrationnel.
Chacun à ses lubies. Victor Hugo faisait tourner les tables.
On apprend d'ailleurs à cette occasion avec intérêt que la langue de l'au-delà est ... le français, et que le moindre personnage illustre y est miraculeusement doué du génie de ... Victor Hugo lui-même. Car tous se mettent à proférer des vérités sépulcrales en chapelets d'alexandrins sonores et hugoliens !
Alors, ça y est, la solution est toute trouvée : Hugo est un fantôme ! Voilà la clef de l'énigme... Un fantôme... Il fallait y penser.
Voilà pourquoi, à Guernesey, on le croyait doté d'ubiquité, parce que des gens pouvaient jurer l'avoir vu en des lieux et à des heures dont la compatibilité ne s'expliquait que par l'ubiquité. Normal, pour un fantôme...
Plus sérieusement, le même travers de donner ses mots aux grandes figures mortes et vivantes se retrouve chez Malraux, dont les "Antimémoires" sont bien plus "Anti" que "mémoires" et où il ment autant que Châteaubriand dans ses "Mémoires d'Outre-tombe", qui sont bien plus des antimémoires que d'outre-tombe, puisque, après avoir fait lanterner ses créanciers pendant vingt ans en leur faisant miroiter les bénéfices faramineux prévisibles lors de la parution de cette oeuvre supposée posthume, il a dû se résoudre à la publier de son vivant, de justesse d'ailleurs. Bref...
Malraux empoigne Mao et je ne sais qui, puis il leur prête ses vues, ses idées sur le vertige du monde. C'est un texte d'ailleurs magnifique, le plus beau d'André Malraux, peut-être le seul, outre ses écrits sur l'art, qui ait "résisté au temps" (j'emploie cette expression à dessein, puisque Malraux lui-même définissait l'art comme "ce qui résiste au temps"). Mao, subitement, fait du bon Malraux et on ne s'en plaint pas. Mais, au fond, ce procédé n'a rien d'irrationnel, au contraire, et ce n'est que littérature.
Hugo, lui, agrippé à sa table tournante, fait poétiser les grands esprits. Il y croit. Chacun ses lubies.
Théodore de Banville, poète désormais mineur voire oublié, c'est tout autre chose : il a peur du vendredi 13. Quelqu'un lui a dit qu'il mourrait un vendredi 13. Alors, tous les vendredis 13, il se calfeutre, se barricade, n'ouvre à personne et ne sort surtout pas de chez lui où il se sent admirablement à l'abri.
C'est donc chez lui qu'il est mort ... un vendredi 13.
Finalement, Hugo avait peut-être raison de faire tourner les tables. Croire que tout est possible, même le plus absurde, n'est-ce pas en tout cas un signe de liberté ?
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16/02/2007
Libres, les intellos ?
On voit à la une du Nouvel-Obs une question existentielle qui ressemble à "Les intellos sont-ils passés à droite ?"
Eh bien, voilà une question fort pertinente de la part d'une publication qui, il n'y a pas si longtemps, incarnait l'intelligence de gauche.
Les intellos sont passés à droite ? On le dirait bien. Par bataillons entiers.
Pourquoi ? La faute à qui ?
Comment ça, la faute à qui ?
Comme disait Steinbeck, "ne demande pas pour qui sonne le glas : il sonne toujours pour toi". Plus prosaïquement, la réponse ressemble à celle que l'on entend quand on joue aux cartes, après la question "à qui est-ce de jouer ?" : c'est toujours "à l'imbécile qui le demande".
Et voilà. Voilà donc le temple qui se demande si ses fidèles l'ont fui. Voilà le Nouvel-Obs qui s'interroge gravement : "Les intellos sont-ils passés à droite ?" C'est toujours l'imbécile qui le demande.
Se poser la question est déjà un comble. Ne pas y évaluer sa part de responsabilité en est un plus grand.
Comment le Nouvel-Obs peut-il oser se poser cette question alors que lui-même, en soutenant la crétinisation orchestrée autour de la campagne de Ségo a prouvé l'abdication des institutions autrefois les plus exigeantes devant les oukazes de la crétinitude ?
Ils ont voulu enfermer le débat, participer au verrouillage de l'intelligence, leurs troupes les ont fuis, qu'ils s'en prennent à eux-mêmes.
En revanche, j'ai déjà dit ce que je pensais de l'agenouillement scandaleux des intellectuels, notamment devant les logiques de guerre. Qu'ils aient déposé leurs plumes au pied du trône des puissants est un scandale innommable.
C'est ce qui rend l'ingénuité du Nouvel-Obs plus que honteuse : criminelle. L'histoire jugera.
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