28/04/2007
Mon 10 mai 1981.
Il faut parler de mon père.
Il admirait Mendès depuis sa jeunesse au début des années 1950. Il adressait à PMF chacune des tribunes qu'il faisait paraître d'abord dans "Combat" puis dans "Le Monde". Mendès accusait toujours réception de ces envois et les commentait quelquefois.
Logiquement, mon père, membre du Parti Socialiste depuis le congrès d'Épinay en 1971, se retrouvait dans le courant rocardien, qui se rapprochait de son mendésisme.
Le 10 mai 1981, j'avais seize ans depuis quelques mois. Mes parents étant divorcés, j'avais gardé l'habitude de voir mon père le dimanche, quoique ce ne fût plus une obligation légale depuis justement mes seize ans.
Ce jour-là, il était aux anges. Il exultait. Il m'emmena dès mon arrivée et, courant presque, bondit dans sa R20 gris métallisé où je le suivis.
Il votait dans le quatorzième arrondissement de Paris, dont il venait de déménager. À tombeau ouvert, il y courut. Il se gara comme toujours mal, à moitié sur le trottoir, et se rua sur son bureau de vote.
Il était midi, l'endroit était vide ou presque. Mon père salua son président de bureau de vote, qu'il connaissait, et s'engagea dans l'isoloir, toujours aussi joyeux. Il en ressortit aussitôt et se présenta devant l'urne. On le fit voter.
- A voté !
Et c'est alors que sa joie redoubla.
- Viens, me dit-il.
Il me conduisit vers un autre bureau de vote, toujours dans le quatorzième. Là, il sortit d'autres papiers de sa poche : ceux de son frère, Jean Torchet, mort en 1956. Ce Jean Torchet était sorti en petit rang de l'ÉNA, dans la même promotion qu'Édouard Balladur, Jacques Calvet (longtemps président de Peugeot), Jérôme Monod (le dernier homme de réseau du chiraquisme) et quelques autres. Bref, depuis 1956 et la mort (à vingt-six ans) de ce frère fauché par un cancer du fumeur (tabagie passive), mon père n'avait jamais manqué une occasion de voter à sa place.
Au fond, c'était très malsain.
Mais là, je le vis présenter, pouffant et jubilant comme un gosse, la carte d'élève de Sciences-Po de son frère, à qui il ressemblait suffisamment pour la vraisemblance. Le président le connaissait pour l'un de ses électeurs habituels. Il ne fit aucune difficulté.
Et je vis mon père entrer pour la seconde fois dans l'isoloir.
Et pour la seconde fois, il vota Mitterrand.
Je ne l'ai jamais vu plus heureux que ce jour-là.
Mais bien entendu, dès l'élection acquise, comme tant de rocardiens, il passa à la trappe.
Cette phase-là, je l'ai sue mais il ne me l'a jamais racontée : je ne l'ai revu que deux fois après le 10 mai 1981.
Les voici.
Au début de l'automne de cette même année, toujours âgé de seize ans, élève du lycée Janson, une boîte prestigieuse d'un quartier bourgeois de l'ouest parisien, j'avais décidé qu'il devenait impossible de rester neutre. Je m'étais engagé.
Intéressé par la modération et par le talent verbal de Lecanuet, j'avais adhéré au centre, une étiquette que jamais aucun membre de ma famille n'avait portée avant moi (j'avais pourtant le choix, car du radicalisme au nationalisme en passant par le socialisme, l'éclectisme régnait dans mon entourage familial). J'ai donc complété le panel en entrant en centrisme, secte bizarre et peu nombreuse dont il faudra bien que je dise quelques souvenirs cocasses à un moment ou un autre.
Quoiqu'il en soit, j'adhérai début octobre 1981 et à la fin de ce même mois, mon grand-père paternel mourut, certain d'avoir été assassiné par les sbires de Jacques Médecin : officier de marine retraité, grand résistant, il s'était présenté sous une étiquette "poujadiste" aux législatives de 1981 dans les Alpes Maritimes et y avait obtenu un peu plus de cinq pour cent. Un cyclomotoriste l'avait ensuite renversé, lui causant des blessures mortelles et mon grand-père, il est vrai parano de nature, avait conclu à l'assassinat dans une lettre qu'il m'avait adressée. Il mourut donc fin octobre.
Ce fut alors l'avant-dernière fois que je vis mon père, aux obsèques de son propre père.
Moins de deux mois plus tard, entre Noël et le Nouvel An de cette année 1981, il m'appela et me proposa de passer la soirée avec lui, ce que je n'avais jamais fait.
J'acceptai.
Il me donna le choix de son cadeau de Noël : m'offrir "une pute" ou une place au spectacle de Montand à l'Olympia.
Je choisis Montand à son grand désarroi : sûr de ma réponse, il n'avait pas acheté un billet pour le concert.
Nous nous rendîmes donc au plus célèbre music-hall de Paris. La salle était archi-comble. Il fallut parlementer un long moment avec la guichetière pour obtenir de pénétrer dans cet endroit devenu déjà mythique.
Montand était étonnant. Je ne connaissais de la chanson sur scène qu'Anne Sylvestre, amie de ma mère, dont je fréquentais ponctuellement les concerts, et le music-hall, le spectacle insensé fourni par Montand, tout cela fut pour moi un très grand choc artistique. Nous étions assis sur les marches : les sièges regorgeaient de gens assis les uns sur les autres, les strapontins fléchissaient sous la masse, il ne restait que les gradins, au mépris de toutes les lois de sécurité.
Nous n'avions pas peur. J'étais subjugué.
À l'entr'acte, une banderole fut déroulée sur tout le long de la scène. Elle portait un seul mot, inscrit en rouge sang sur fond blanc : Solidarnosc (avec des accents sur le s et le c), le nom du syndicat Solidarité en polonais. On était quinze jours après le 13 décembre 1981.
Voilà ce qu'était la gauche à cette époque-là.
Puis mon père, en sortant de l'Olympia, comme on était dans le bon quartier, réitéra sa proposition de m'offrir "une pute". J'avais dix-sept ans.
Je refusai de nouveau, un peu déstabilisé.
Il haussa les épaules et me sourit, puis il poursuivit sa route.
Je ne l'ai jamais revu : il est mort deux mois plus tard, âgé de quarante-huit ans.
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27/04/2007
Albert Camus, la patrie du verbe.
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25/04/2007
Littérature de pouvoir.
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16/04/2007
Vite, le livre d'Azouz Begag.
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13/04/2007
Victor Hugo, la conscience et le social.
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11/04/2007
François Villon d'un galop.
Évidemment, on ne peut plus dissocier Villon de Brassens depuis la somptueuse adaptation par le second de la "Ballade des dame du temps jadis" du premier.
Il faut dire que François de Moncorbier, alias des Loges alias Villon, a de quoi réjouir le maître sétois : existence sulfureuse, goût de la luxure et de la mauvaise vie, menus larcins (voire banditisme pur et simple), tout cela égaie le palais anar de Brassens.
Le XVe siècle, époque que je connais un peu par ailleurs, est particulièrement secoué et les carrières doivent y être difficiles. Les petits clercs vivotent et souffrent. Ils se laissent gagner par les idées noires, tout cela est chez Villon.
Ce qui reste évidemment énigmatique, c'est sa double nature d'ami de quelques puissants et d'associé de personnages très obscurs, voire sombres. On croit toucher du doigt certaines vérités de toutes époques sur le goût des relations troubles, sur le rôle ambigu des intermédiaires, peut-être sur des réseaux douteux.
Et si l'on ne savait pas encore l'essentiel sur Villon ?
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10/04/2007
Un mot de Mauriac.
Il y a des écrivains militants, un peu cerbères, j'en fais partie de temps à autre et Mauriac en son temps aussi.
Pourtant, je n'ai pas envie de parler ce soir, dans cette courte note, de cette partie de son oeuvre.
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09/04/2007
L'arrivée spectaculaire de Victor Hugo en Espagne.
Le général Hugo dirigeait une province de l'Espagne occupée. Il dirigeait moins sa femme.
Ce couple était en vérité aussi mal assorti que celui du colonel Chabert. La "mère vendéenne", le "père vieux soldat", l'une de l'ouest, l'autre de l'est, l'une attachée aux idées d'Ancien Régime et à un certain Faneau de Lahorie et l'autre à une certaine idée de la République.
De temps à autre, ce couple volcanique se rabibochait. La femme rejoignait son mari.
Ainsi en fut-il en cette année (1805 ou 1806, je ne sais plus). Une garde de plusieurs milliers d'hommes se présenta à la frontière franco-espagnole, côté espagnol, non loin du col de Roncevaux et je crois près d'un poste frontière nommé Torrequemada dont Hugo retrouva le nom pour son inquisiteur.
Les deux fils Hugo (Victor avait un frère, qui périt fou dans un asile) furent déposés dans une immense calèche tirée par huit ou dix chevaux. Puis l'attelage somptueux, digne d'un prince, se mit en branle, au milieu de son armée d'escorte. Déjà dans l'enfance, tout ce qui concernait Victor Hugo virait instantanément au gigantisme.
Évidemment, après ça, on ne peut pas s'étonner...
20:40 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, littérature, poésie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
08/04/2007
Pourquoi Monte-Christo est-il mon Dumas préféré ?
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07/04/2007
Victor Hugo et les mots de la mort.
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L'épopée des Rois Maudits.
À l'âge de sept ans, j'adorais déjà l'Histoire. C'est pourquoi on m'a laissé veiller tard pour regarder "Les Rois maudits" à la télévision.
Je n'avouerai pas ici que j'étais déjà excité par les douceurs féminines entrevues ici ou là dans la série de téléfilms. On en voyait moins alors qu'aujourd'hui, surtout pour un petit garçon comme moi, et le parfum de l'interdit augmentait le vif plaisir que je prenais au spectacle théâtral et emphatique que nous livraient des comédiens déchaînés revêtus de couleurs presque fluo et faisant cliqueter toute la bimbeloterie de l'imagerie médiévale.
On sait que le flamboyant Robert d'Artois, incarné par un Jean Piat empanaché d'écarlate, tirait toute la couverture à lui, mais on se souvient aussi du mielleux Louis Seigner, de l'âpre et altière Hélène Duc, du marmoréen Georges Marchal, bref de toute une troupe qui déambulait dans des décors à peine ébauchés, faute de moyens, dont le dépouillement aboutissait à l'épure, au rythme de la voix impérieuse d'un narrateur glacé.
Réussite telle que les Anglais, peu de temps plus tard, firent le pendant Plantagenêt de cette épopée, en conservant tous les codes visuels.
Quelques années plus tard, comme décidément j'aimais le Moyen Âge, on m'offrit les sept tomes signés (on dit qu'il ne les a pas écrits seul, info qu'il dément plus ou moins) par l'inusable Maurice Druon, neveu du grand Joseph Kessel.
Les livres ont une grande qualité: la clarté. Ils sont moins grandiloquents que les films (mais la grandiloquence est un des plaisirs du spectacle télévisuel) et exposent avec énergie et autorité des faits, parfois supposés, toujours impressionnants. Les personnages sont taillés dans le granit. On y croit.
Rappelons-nous qu'il s'agit de la confiscation des biens des Templiers par le roi de France Philippe le Bel, et de tous les événements qui s'ensuivent jusqu'un peu après le déclenchement de la guerre de Cent Ans.
Les rivalités politiques sont à vif, on joue avec l'idée de personnages authentiques, on savoure l'idée qu'ils pourraient avoir ressemblé à leur double de papier.
Et il faut reconnaître que l'intrigue est forte et les sentiments violents. On traverse un monde brutal, à vif. On s'y croit. Vraiment une bonne lecture de vacances.
On n'est pas sûr que ne se glisse pas dans le texte, ici ou là, des messages pour initiés, mais tant pis, on fait ce qu'on peut et on lit, au premier degré, simplement libre.
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06/04/2007
Ah, "Notre-Dame de Paris" !
J'ai lu le premier roman réussi de Victor Hugo en Allemagne. Je me trouvais en Bade-Wurtemberg, tout près de la frontière française. L'atmosphère y était curieuse : on nous y envoyait pour une immersion linguistique, mais... c'était une ville de garnison de l'occupation française et tous les commerçants, lorsque je m'adressais à eux avec mon allemand de quatorze ans, me répondaient aussitôt en français. On a vu immersion plus efficace... Cela dit, l'année suivante, on m'a envoyé en Souabe, dont le langage ressemble au bavarrois, c'est-à-dire à quelque chose d'incompréhensible. J'y étais hébergé par un vieux juge dont le nom sonnait juif, mais qui récitait le benedicite avant de passer à table ; pour pouvoir se comprendre, on se parlait en latin. Bref...
Dans cet été 1979, j'ai lu "Notre-Dame de Paris".
Rien ne peut ressembler à ce roman.
La première phrase est un coup de canon qui se termine par les mots : "la triple enceinte de la cité, de la ville et de l'université". En quelques syllabes, Hugo fait la synthèse de Paris médiéval. Trois morceaux : la Cité, qui comprend les palais royaux et l'embryon du gouvernement, la chancellerie royale, les cours de justice, superposées aux installations gallo-romaines ; la ville, rive droite, toute l'industrie, le négoce, la part laborieuse et marchande ; l'université, rive gauche, les intellectuels, ce qu'on nomme encore le Quartier latin. Tout est dit.
Puis tout le début est un mouvement vers un événement improbable, l'élection du Pape des Fous, un mélange de fêtes réellement médiévales et parisiennes, l'élection du Pape des Rois et celle du Roi des Fous.
On se promène dans une foule qui marche dans le froid vers le palais royal (la Conciergerie à Paris, dans l'île de la Cité).
On croit les voir. Comme on connaît le cinéma, on pense à un incroyable plan-séquence, digne d'Orson Welles, ou à un travelling géant.
Puis apparaît Quasimodo et on sait que le roman ira très loin. À ce propos, il faut citer une anecdote qui concerne le comédien Jean Saudray, un quatrième couteau très répandu dans le cinéma français des années 1970. Lorsqu'il était sur scène, quand on le rencontrait pour la première fois, tout le monde, d'après les témoignages, lui disait : "oh, quel formidable maquillage tu t'es fait faire" ; or ce maquillage horrible, c'était son visage.
Et semblable aventure arrive à Quasimodo : on le présente comme candidat pour l'élection du Pape des Fous. Moyen du concours : faire la plus belle grimace. D'extraordinaires compétiteurs s'y emploient, tous plus ou moins applaudis. Et voilà que soudain apparaît à travers la lucarne une grimace épouvantable, inimaginable, au point que, d'avis commun, il n'est plus besoin de poursuivre le concours : il a gagné. Or la grimace répugnante que Quasimodo présente, c'est son visage.
Là encore, tout est dit.
La scène la plus incroyable du livre est celle du jugement de Quasimodo. On dit souvent que la justice est aveugle, phrase qu'on prendra avec précaution, mais il se trouve que le juge qui préside est sourd, absolument sourd, et par une coquetterie compréhensible, qu'il cache cette infirmité.
Or Quasimodo, sonneur de cloches de la cathédrale Notre-Dame, a été rendu tout aussi sourd par l'effrayant vacarme du bourdon de bronze qu'il côtoie jour après jour.
Voici donc au sens propre un dialogue de sourds.
Le juge interroge Quasimodo. Celui-ci ne voit pas qu'on lui parle et n'entend pas, forcément. Il ne répond rien.
Mais le juge ignore qu'il n'a rien répondu. Il pose donc une deuxième question, tout aussi inefficace.
Le public commence à s'amuser de la scène et le juge finit par s'apercevoir qu'on se moque de lui. Il s'imagine que Quasimodo le raille. Il le tance.
Or Quasimodo, comprenant finalement où l'on est et ce qu'on y fait probablement, se décide à décliner son identité, réponse à la toute première question du juge, qu'on ne lui pose plus.
Redoublement d'hilarité. La scène est une délectation. Il est heureux que les juges soient meilleurs aujourd'hui qu'en ces temps.
L'autre morceau de bravoure est un tunnel d'une soixantaine de pages intitulé "Paris à vol d'oiseau au XVe siècle". C'est une vision. On se retrouve posé sur le dos de l'oiseau comme dans un dessin animé et on survole Paris, ses toits pentus, ses cheminées fumantes, ses mâchicoulis gothiques. Absolument hallucinant.
Là encore, une synthèse prodigieuse : Paris est enceint d'une chaîne de couvents et dans cette chaîne, un seul maillon sombre : la cour des miracles. Et tout à l'avenant. En lisant, on a envie de se lever pour applaudir.
Et puis, bien sûr, l'histoire est belle, Esmeralda, le tortueux archidiacre Frollo, le lâche poète Phébus, les ruelles sombres, les ponts de bois. On en aurait presque envie de vivre au Moyen Âge. Et pourtant, ça ne devait pas être bien confortable.
Allons, je vous quitte : je cours le relire.
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05/04/2007
Mlle de Scudéry déborde de sa carte du tendre.
On connaît Clélie. Enfin, on connaît parfois Clélie : la langue du Grand Siècle est devenue obscure au plus grand nombre. Ce qu'on en retient au mieux, c'est la Carte du Tendre, supposée guider le coeur épris vers les délices et lui éviter de s'enliser dans les sables mouvants de l'amitié.
Et pourtant, la Scudéry vaut mieux que cette oeuvre d'ailleurs curieuse.
Tout d'abord, parce qu'elle et ses amies ont inspiré Molière et ses "Précieuses ridicules". Mais aussi, parce que ces femmes ont incarné un véritable mouvement intellectuel, non dénué de défauts et de ... ridicules, mais capable aussi de modernité.
Le milieu du XVIIe siècle est un temps d'effervescence politique qui permet quelques libertés. Le grand roman de la Scudéry qui paraît à cette époque-là (Artamène ou le Grand Cyrus) est marqué par ce relâchement de la censure et on y découvre des allusions claires à l'actualité.
Du reste, les romans de cette auteure sont en général inspirés de personnages alors connus de tous, ce qu'on nomme des romans à clef.
Elle en produit plusieurs, tous longs, quelquefois très longs, et dont certains demeurent lisibles sans effort. Leur style est élégant et clair.
Il faut signaler que la psychologie et les émotions apparaissent avec une grande modernité dans ces textes qui forment l'un des premiers maillons de la chaîne du roman réaliste français.
Rien que pour ce fait d'armes (à quoi s'ajoute un prix d'éloquence de l'Académie française, si rare pour une femme...), il faut tirer son chapeau à Magdeleine de Scudéry. Sans oublier que sa vie interminable traverse tout le siècle : née en 1607, elle meurt en 1701. Et, septuagénaire déjà bien avancée, elle écrit encore.
Et enfin, c'est une femme de conviction : on la surnomme Sappho, elle milite contre le mariage qu'elle vilipende avec un grand engagement, et elle-même reste célibataire jusqu'au bout.
Dommage sans aucun doute pour nous, les hommes, mais chapeau bas, et il nous en reste heureusement d'autres.
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Parution de ma réédition de l'Histoire de Bretagne de Bertrand d'Argentré (1582).
Demain, je raconterai la vie de Bertrand d'Argentré dans la rubrique "l'histoire de la semaine" que je n'ai pas eu le temps d'alimenter en mars.
Cette Histoire de Bretagne a la particularité d'avoir été censurée en 1582 et jamais rééditée dans cette version depuis ce temps, jusqu'à aujourd'hui.
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04/04/2007
Alexandre Dumas fils, sa dame et ses camélias.
Dumas le général était un colosse, une force de la nature. Son fils, Dumas père, gardait une grande part de son énergie. Dumas fils, en revanche, incarne la transparence du romantisme doloriste.
C'est un écrivain engagé (avec des éclipses, notamment au début du Second Empire) et toujours à l'affût d'une cause à défendre. Son style souffre d'ailleurs de cet esprit militant. Tout le monde le lui reproche. Tout le monde, sauf la postérité : en vérité, aujourd'hui, on ne le lit plus.
C'est qu'en plus de bouillonner constamment pour les drames criants de son époque, il a eu le nez de sélectionner parmi ceux-ci les plus représentatifs et les plus odieux. Résultat : il a gagné tous les combats qu'il a menés, ce qui prive le contenu de son oeuvre d'intérêt ; il n'en demeure donc que l'envergure littéraire, c'est-à-dire peu de chose.
Voilà pourquoi, d'Alexandre Dumas fils, on ne lit plus guère que l'archétypale "Dame aux camélias", son texte le moins engagé et partant le plus universel.
Démonstration que même pour avoir raison, il ne faut jamais perdre sa liberté.
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03/04/2007
La grande période de Lamartine.
Voici le précurseur, celui dont Victor Hugo dit qu'il est "le plus classique des romantiques".
Lamartine donne le coup d'envoi de la génération de 1830 en 1820. Son premier recueil, les "Méditations poétiques", dont est extrait le célèbre "Lac", est alors un triomphe de librairie.
Pendant une décennie, le poète règne sur Paris, suscitant la jalousie de Victor Hugo, empreinte d'amitié. Logiquement, il est le premier élu à l'Académie française, dès 1829.
Il s'apprête à entrer en politique.
C'est là que les choses changent pour lui : son activité à la Chambre des Députés (où il est élu pendant quinze ans grâce au suffrage censitaire) révèle sa générosité et son idéalisme, ainsi que la hauteur de ses vues.
Finalement, il se lance dans un brûlot, l'"Histoire des Girondins", en 1846. Cette oeuvre ample, magnifiquement écrite, de ce style fluide et aérien qui enchante en deux lignes, donne le coup d'envoi de la Révolution de 1848. Là, il est à sa main. Victor Hugo narre quelques-uns des moments qu'il passe avec lui à cette époque, l'effervescence de l'inconnu, le trouble de la foule et du faubourg Saint-Antoine en particulier.
Lamartine devient ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire après les journées de février. Il a ses cent jours.
L'important n'est pas là, au fond.
Car autour de cette époque sont les trois oeuvres de lui que je préfère. J'avoue que sa prose me plaît mieux que ses vers.
Premier, donc, l'"Histoire des Girondins", 1846. Puis "Les Confidences" (1849), une mélodie bouleversante sur la vie, la nature, la beauté, le ciel, la terre, un véritable enchantement. Et enfin "Graziella" (1852) qui clôt son cycle merveilleux. On n'a jamais décrit plus joliment une jeune fille que Lamartine le fait de Graziella. Émotions inexprimables.
Rien que pour ces six années, la vie de Lamartine mériterait d'être vécue.
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02/04/2007
J'ai envie de parler d'Arsène Lupin.
Voilà un lundi soir récréatif. Entre deux Victor Hugo, pourquoi pas un Lupin ?
Bon, on doit reconnaître que le style n'est pas le même, l'ambition non plus, ni l'époque, d'ailleurs : Lupin court les toits parisiens de la Belle Époque à l'Entre-deux-guerres. Hugo est mort depuis longtemps.
La première oeuvre de Leblanc paraît même huit ans après la mort du génie.
Né en 1874, normand comme Corneille, Flaubert et Maupassant, Leblanc s'identifie à la IIIe République : il meurt avec elle en 1941 et toute sa vie est placée sous le signe de la libre-pensée et des idées alors dominantes du radical-socialisme.
Lupin est l'être plus amoral qu'immoral qu'affectionnent ses contemporains. Il n'a pas, pour combattre la Société, l'énergie farouche de Fantômas. C'est un anar, mais qui ne verse jamais une goutte de sang, qui se promène de bal en réception mondaine, fréquente les puissants, les conseille à l'occasion, les dépouille sans vulgarité et choisit ses victimes avec soin.
Ses ennemis, les châtelains, les beaux messieurs du faubourg Saint-Germain, sont aussi ceux des petits propriétaires terriens et des modestes industriels (ingénieurs enrichis) qui forment les gros bataillons du radicalisme.
Il les piétine avec délicatesse mais sans aménité. Il les griffe, il les mordille, les entortille, joue avec eux et finalement, il les amenuise. C'est tout l'objet de sa révolution silencieuse. Sa subversion est insidieuse, car gouailleuse et il finit toujours par mettre les rieurs de son côté, ce qui devient forcément délectable.
Et bien sûr, ce qui le fait résister au temps, c'est la profusion de jeux de piste dont l'auteur émaille ses oeuvres. Quoiqu'il puisse arriver, je me demanderai jusqu'à ma mort si, au fond, l'Aiguille d'Étretat ne serait pas un peu creuse.
Le mélange d'une forme de merveilleux et d'une forte dose de rationnalité résume en fin de compte la carrière littéraire de Lupin : merveilleux habillé de raison, rationnalité tendant au merveilleux. Le rêve éveillé. Quoi de mieux quand on s'ennuie ?
Il m'arrive donc de relire Arsène Lupin en vacances, l'esprit libre.
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01/04/2007
Victor Hugo à sa table de travail.
J'ai déjà dit comme Victor Hugo, à quinze ans, traduisait Virgile en alexandrins vertigineux. Voici donc le génie de toutes les facilités ? Mais non.
Certes, il restera capable d'écrire "Napoléon le Petit" d'un éclat de colère. Certes, on le devine jetant l'"Année Terrible" sur ses pages comme Jupiter la foudre. Et pourtant ...
Toute sa vie, Victor Hugo est un raboteur, un menuisier comme son grand-père, qui sans cesse ajuste, lisse, polit, son texte, le fait luire, en révèle les plus belles veinures, en respecte l'axe, en développe les contrastes. C'est un artisan infatigable.
Oh, il y a bien sa période mondaine, dans les années 1830, où il court de bal en bal, mais sa maîtresse, Juliette Drouet, le rappelle à l'ordre et, plus que tout, les événements politiques lui interdisent de s'assoupir sur ses lauriers : après la prodigieuse période 1829-1843, vient l'extraordinaire ère 1851-1863.
Dès la première phase, on voit le poète rivé à son bureau, celui-ci envahi de coupons de papiers où il a griffonné des mots, des bribes de vers, parfois un peu plus. Il relate la disparition d'un de ces trésors par la main de ses enfants dans la cheminée dans les Contemplations, je crois, et tout le théâtre de son labeur quotidien y apparaît.
Dans la seconde période, à Guernesey, il se voue encore plus à son activité minutieuse : on voit sa table de travail, dans sa verrière, en haut de la maison et là, contre la paroi, une banquette où il dort souvent. Rien ne vient plus le déranger. Il trime.
Le côté progressif de sa façon de procéder est aussi révélé par des détails plus étonnants : pendant quinze ou vingt ans, les "Misérables" se sont seulements intitulés "Les Misères". L'ampleur finale donne un double sens au titre et une majesté épique à l'oeuvre.
De la même façon, "La Légende des Siècles" a longtemps gardé le titre "Les petites épopées". Mais quoi que ce soit qui sorte de l'esprit d'Hugo pouvait-il être petit ? Va pour la tonitruante Légende des Siècles. Quel bonheur.
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Victor Hugo, le paradoxe de l'exil.
Issu par sa mère d'une famille chouanne, Victor Hugo avait une vocation naturelle à entrer un jour ou l'autre dans la clandestinité.
C'est l'avènement de Louis-Napoléon Bonaparte et la perspective de la chute de la République qui l'y conduisent.
Or Hugo, à cette époque-là, est un grand notable, un homme très assis, il approche de la cinquantaine, il habite un grand appartement place des Vosges, il siège à l'Académie française, il porte la Légion d'Honneur, il était encore voici peu pair de France. En somme, pour lui, 1851 est un peu ce qu'a été 1790 pour d'autres : le trône tombe.
On le retrouve proscrit, errant, chassé de Bruxelles, tourmenté à Luxembourg, chassé de nouveau de Jersey et découvrant la solution de tous ses problèmes d'exil en achetant une maison avec rang de fief à Guernesey.
C'est le paradoxe de l'exil : ce républicain intraitable qu'il devient et deviendra de plus en plus, cet adversaire des couronnes devra sa tranquillité et son salut ... à son rang de féodal de la couronne d'Angleterre.
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31/03/2007
Mon tiercé de tête chez Balzac.
La Comédie humaine est un océan.
On a énuméré ses personnages, ses péripéties. Comme pour Hugo ou Hergé, on a concocté une incroyable panoplie de statistiques.
Il y a une chose pourtant qui échappe à la statistique : le plaisir. Aucune règle à calcul ne pourra dire mon plaisir à ma place.
Mes trois romans préférés, sur cette étagère, sont "Le cousin Pons", "Le père Goriot" et "Eugénie Grandet".
Oh, je vous vois d'ici froncer les sourcils : tout ça est bien classique. On dirait une feuille de travaux à la maison rédigée par un prof de français.
Or il se trouve que j'ai lu ces oeuvres bien après la fin de mes études. J'ajoute d'ailleurs que je les trouve un peu trop complexes pour des esprits si jeunes. Mais ce n'est que mon opinion.
L'un des points communs de ces trois textes, c'est leur style : on est là chez le Balzac dense, épuré, structuré, le Balzac qui cherche à bâtir une intrigue en plus d'une étude psychologique, loin des digressions qui se multiplieront plus tard sous sa plume dans des romans comme "Le lys dans la vallée" ou "Modeste Mignon".
"Le cousin Pons" est d'une noirceur totale, que ne vient éclairer aucune lueur humaine : les rares personnages sympathiques y sont forcément victimes jusqu'au dépouillement et à la mort. C'est donc avec un serrement de coeur qu'on le referme. Mais on le lit avec fièvre.
"Le père Goriot" est plus contrasté, les silhouettes y mêlent ombre et lumière. Et le père Goriot lui-même devient aussi touchant que ses filles semblent jolies. On a fort envie de rencontrer ces jeunes femmes, un peu futiles, un peu cruelles, mais bien charmantes, et on imagine que si on les avait près de soi, on les traiterait avec une humanité contagieuse.
"Eugénie Grandet" est archétypal. L'histoire, tirée au cordeau. La narration, entraînante. Les personnages, criants. On comprend tout le XIXe siècle bourgeois rien qu'en lisant ce texte.
Voilà donc mon tiercé de tête. Et le vôtre ?
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