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28/04/2007

Mon 10 mai 1981.

Il faut parler de mon père.

Il admirait Mendès depuis sa jeunesse au début des années 1950. Il adressait à PMF chacune des tribunes qu'il faisait paraître d'abord dans "Combat" puis dans "Le Monde". Mendès accusait toujours réception de ces envois et les commentait quelquefois.

Logiquement, mon père, membre du Parti Socialiste depuis le congrès d'Épinay en 1971, se retrouvait dans le courant rocardien, qui se rapprochait de son mendésisme.

Le 10 mai 1981, j'avais seize ans depuis quelques mois. Mes parents étant divorcés, j'avais gardé l'habitude de voir mon père le dimanche, quoique ce ne fût plus une obligation légale depuis justement mes seize ans.

Ce jour-là, il était aux anges. Il exultait. Il m'emmena dès mon arrivée et, courant presque, bondit dans sa R20 gris métallisé où je le suivis.

Il votait dans le quatorzième arrondissement de Paris, dont il venait de déménager. À tombeau ouvert, il y courut. Il se gara comme toujours mal, à moitié sur le trottoir, et se rua sur son bureau de vote.

Il était midi, l'endroit était vide ou presque. Mon père salua son président de bureau de vote, qu'il connaissait, et s'engagea dans l'isoloir, toujours aussi joyeux. Il en ressortit aussitôt et se présenta devant l'urne. On le fit voter.

- A voté !

Et c'est alors que sa joie redoubla.

- Viens, me dit-il.

Il me conduisit vers un autre bureau de vote, toujours dans le quatorzième. Là, il sortit d'autres papiers de sa poche : ceux de son frère, Jean Torchet, mort en 1956. Ce Jean Torchet était sorti en petit rang de l'ÉNA, dans la même promotion qu'Édouard Balladur, Jacques Calvet (longtemps président de Peugeot), Jérôme Monod (le dernier homme de réseau du chiraquisme) et quelques autres. Bref, depuis 1956 et la mort (à vingt-six ans) de ce frère fauché par un cancer du fumeur (tabagie passive), mon père n'avait jamais manqué une occasion de voter à sa place.

Au fond, c'était très malsain.

Mais là, je le vis présenter, pouffant et jubilant comme un gosse, la carte d'élève de Sciences-Po de son frère, à qui il ressemblait suffisamment pour la vraisemblance. Le président le connaissait pour l'un de ses électeurs habituels. Il ne fit aucune difficulté.

Et je vis mon père entrer pour la seconde fois dans l'isoloir.

Et pour la seconde fois, il vota Mitterrand.

Je ne l'ai jamais vu plus heureux que ce jour-là.

Mais bien entendu, dès l'élection acquise, comme tant de rocardiens, il passa à la trappe.

Cette phase-là, je l'ai sue mais il ne me l'a jamais racontée : je ne l'ai revu que deux fois après le 10 mai 1981.

Les voici.

Au début de l'automne de cette même année, toujours âgé de seize ans, élève du lycée Janson, une boîte prestigieuse d'un quartier bourgeois de l'ouest parisien, j'avais décidé qu'il devenait impossible de rester neutre. Je m'étais engagé.

Intéressé par la modération et par le talent verbal de Lecanuet, j'avais adhéré au centre, une étiquette que jamais aucun membre de ma famille n'avait portée avant moi (j'avais pourtant le choix, car du radicalisme au nationalisme en passant par le socialisme, l'éclectisme régnait dans mon entourage familial). J'ai donc complété le panel en entrant en centrisme, secte bizarre et peu nombreuse dont il faudra bien que je dise quelques souvenirs cocasses à un moment ou un autre.

Quoiqu'il en soit, j'adhérai début octobre 1981 et à la fin de ce même mois, mon grand-père paternel mourut, certain d'avoir été assassiné par les sbires de Jacques Médecin : officier de marine retraité, grand résistant, il s'était présenté sous une étiquette "poujadiste" aux législatives de 1981 dans les Alpes Maritimes et y avait obtenu un peu plus de cinq pour cent. Un cyclomotoriste l'avait ensuite renversé, lui causant des blessures mortelles et mon grand-père, il est vrai parano de nature, avait conclu à l'assassinat dans une lettre qu'il m'avait adressée. Il mourut donc fin octobre.

Ce fut alors l'avant-dernière fois que je vis mon père, aux obsèques de son propre père.

Moins de deux mois plus tard, entre Noël et le Nouvel An de cette année 1981, il m'appela et me proposa de passer la soirée avec lui, ce que je n'avais jamais fait.

J'acceptai.

Il me donna le choix de son cadeau de Noël : m'offrir "une pute" ou une place au spectacle de Montand à l'Olympia.

Je choisis Montand à son grand désarroi : sûr de ma réponse, il n'avait pas acheté un billet pour le concert.

Nous nous rendîmes donc au plus célèbre music-hall de Paris. La salle était archi-comble. Il fallut parlementer un long moment avec la guichetière pour obtenir de pénétrer dans cet endroit devenu déjà mythique.

Montand était étonnant. Je ne connaissais de la chanson sur scène qu'Anne Sylvestre, amie de ma mère, dont je fréquentais ponctuellement les concerts, et le music-hall, le spectacle insensé fourni par Montand, tout cela fut pour moi un très grand choc artistique. Nous étions assis sur les marches : les sièges regorgeaient de gens assis les uns sur les autres, les strapontins fléchissaient sous la masse, il ne restait que les gradins, au mépris de toutes les lois de sécurité.

Nous n'avions pas peur. J'étais subjugué.

À l'entr'acte, une banderole fut déroulée sur tout le long de la scène. Elle portait un seul mot, inscrit en rouge sang sur fond blanc : Solidarnosc (avec des accents sur le s et le c), le nom du syndicat Solidarité en polonais. On était quinze jours après le 13 décembre 1981.

Voilà ce qu'était la gauche à cette époque-là.

Puis mon père, en sortant de l'Olympia, comme on était dans le bon quartier, réitéra sa proposition de m'offrir "une pute". J'avais dix-sept ans.

Je refusai de nouveau, un peu déstabilisé.

Il haussa les épaules et me sourit, puis il poursuivit sa route.

Je ne l'ai jamais revu : il est mort deux mois plus tard, âgé de quarante-huit ans. 

27/04/2007

Albert Camus, la patrie du verbe.

"Ma patrie, c'est la langue française", écrivait Camus. On devrait le relire ces jours-ci, ce serait un repos. Il faisait dire aussi à Napoléon dans "Les amandiers" : "Il n'y a que deux forces au monde, le sabre et l'esprit . À la longue, l'esprit l'emportera toujours sur le sabre". Que certains en prennent donc de la graine.
 
Camus, le pessimiste, le pacifiste, le résistant, le directeur de "Combat" clandestin sous l'occupation, l'enfant français de l'Algérie opposé à la guerre, ennemi de ses amis, toujours tourné vers l'exigeance de l'intelligence, est l'un des hommes indomptables qui manquent à notre époque.
 
Jamais dupe, jamais emporté par une autre idée que la sienne, repoussant également toutes les opinions faciles, montrant son long visage et son regard incisif, il ne se laissait pas dominer. Pas assez pour la tranquillité de ses contemporains.
 
Ami des Gallimard, il a représenté pour une génération l'aune de toutes les indépendances d'esprit.
 
Tout le monde a lu "L'étranger" ou "La peste" au lycée. Je préfère "L'étranger", bien qu'il faille le lire un jour où le soleil brille fort et où on vient de gagner un milliard au Loto pour éviter de sombrer aussitôt dans la plus affreuse déprime. Son théâtre ne vaut pas celui de Sartre mais le relatif oubli ou, pour mieux dire, la trop grande négligence dans laquelle il est tenu relève de l'injustice.
 
Huster a repris son "Caligula" voici quelques années, à peu près avec la même idée étrange que Lawrence Olivier interprétant Hamlet à l'âge de cinquante ans. Ce Caligula nous rappelle de quoi est faite l'âme des dictateurs.
 
À méditer donc ces jours-ci. Libre. 

25/04/2007

Littérature de pouvoir.

18,5. Ce n'est pas une si mauvaise note...
 
Reste qu'une fois de plus, la politique des moyens triomphe contre celle des fins. Une fois de plus, l'énergie de la conquête a dévasté l'ordre de la raison.
 
On voudrait croire à une dimension romanesque des personnages qui sont apparus dans le récent scrutin. Or à l'examen, on aura du mal à échapper au stéréotype.
 
Bien entendu, l'idée immédiate, l'homme de pouvoir par excellence, en littérature, c'est Rastignac. Ou si l'on en veut un modèle plus politique (sinon plus républicain), on songera à ce journaliste qui est le personnage central des "Grandes familles" de Druon et dont le nom m'échappe au moment où j'écris.
 
À ces archétypes du cynisme ambitieux s'oppose le roc du Jacques Thibault de Martin du Gard, l'antipouvoir type, le sacrifié de nature, le juste à qui la pulsion mortelle et destructrice donnera toujours tort. Autant dire tout de suite que je n'identifie Bayrou ni à l'un ni à l'autre types. C'est mon ni-ni à moi. Bayrou est un juste sans sacrifice, ou plutôt de sacrifice modéré, un centriste du sacrifice : ni trop, ni trop peu. Toujours le ni-ni.
 
Et s'il est difficile de s'extraire des clichés, c'est parce que la littérature n'a guère traité la matière politique. On y voit peu les rouages de l'autorité, peu les mécanismes de la décision. "Germinal" décrit le militantisme dans sa genèse. "Les Thibault" dans son effervescence. On trouvera des auteurs engagés. On trouvera aussi des fictions documentaires du type "meurtre à l'Élysée" ou "à l'ÉNA". Mais ces livres ont un rapport lointain avec la littérature.
 
Sur le pouvoir et sa conquête, outre les classiques de Machiavel ou de Sun-Tzu, qui ne sont que des traités de tactique, on devra se rabattre sur les excellents "Mémoires" de Louis-Philippe, ou sur ceux, finalement, d'une quantité de grands hommes quand ils ont eu l'honnêteté de s'exprimer sans langue de bois. Un recensement qui reste à faire.
 
Et toi, lectrice, lecteur, qu'as-tu à ajouter à cette liste de littérature de pouvoir ?
 
Moi, je n'ai qu'une phrase que, sans surprise, j'emprunterai à Victor Hugo. Il s'agit là du seul vrai espace de vie où le pouvoir puisse être corrigé par un engagement de tous les instants : le couple. La phrase d'Hugo (je cite de mémoire) est : "Sois ma reine et mon esclave, je serai ton roi et ton esclave".
 
Je connais une jolie môme qui l'incarne bien. 
 
Libre. 

16/04/2007

Vite, le livre d'Azouz Begag.

On ne prend pas toujours facilement un écrivain au vol. Il vaut parfois mieux l'avoir suivi dès ses débuts, l'avoir accompagné, avoir pris le train dès son départ.
 
Je n'avais jamais rien lu d'Azouz Begag jusqu'ici et c'est la seule réticence (modeste, on en convient) que j'éprouve en refermant son livre. Car il parle de lui, de certains événements de son parcours et de sa vie, et on se doute qu'il ne prend pas la peine de s'y attarder parce qu'il l'a déjà fait ailleurs, alors qu'on aurait vraiment voulu les mettre en perspective de ce qu'il raconte : ils y auraient trouvé un écho, neuf pour le lecteur novice, et peut-être neuf aussi pour le lecteur chevronné, qui en aurait découvert un nouvel aspect.
 
Quoiqu'il en soit, et toujours avant de parler du livre en tant que tel, il faut tout de même noter l'extraordinaire portrait de calvaire qui sert de toile de fond à ce compte-rendu de ministère : celui de Dominique de Villepin, que l'on voit transformé peu à peu en ectoplasme douloureux, décharné, desséché, l'oeil qui se vide progressivement, à peu près tel qu'on l'a vu à la télévision, mais sous l'angle d'un proche qui, certes, ne le voit pas beaucoup, mais a sur lui un regard bienveillant, sincère et libre.
 
Il faut tout de même faire cet aparté, car Villepin a honoré la France par son courage devant l'ONU en se cabrant dans un beau texte contre l'oukaze du mensonge, ce qui lui vaut une reconnaissance éclairée.
 
Ces préliminaires achevés, venons-en au fait : Azouz Begag (c'est là qu'on aimerait en avoir lu un peu plus sur lui, j'avoue ne pas le connaître bien), au fond, fait un portrait naïf de lui-même qui peut rappeler les romans ou les films qui, il n'y a pas si longtemps, narraient la "montée à Paris" d'un petit provincial, tout ébahi, tout benêt, tout gentil, au milieu du vrombissement de la grande ville.
 
Oui, il y a quelque chose du "Fauteuil d'orchestre" de Danièle Thompson, dans le livre d'Azouz Begag, et quelque chose de Cécile de France dans le personnage qu'il met en scène sous l'identité de lui-même.
 
Mais bien sûr, la comparaison s'arrête là, car le film est un bon divertissement, alors que le livre est un puissant témoignage.
 
L'aventure débute d'une façon étrange : il rencontre Villepin à la foire du livre de Brives, Villepin n'est encore que ministre des Affaires Étrangères, et quelques mois plus tard, le même DDV (selon ses initiales) le propulse ministre. Un faux ministre, ou plutôt un vrai, mais un qu'on ne respecte pas dans le milieu politique : un ministre sans administration ni budget.
 
Or chacun sait que ce sont les deux nerfs de la bataille politique, les deux enjeux majeurs des disputes âpres que se livrent les ministres dans les coulisses.
 
J'ai personnellement le souvenir d'un sous-ministre qui, en 1995, se réjouissait d'avoir arraché deux directions d'administration centrale cruciales du ministère de l'Intérieur pour composer son sous-ministère. Résultat : il n'est pas resté six mois, la structure s'est vengée.
 
Là encore, la bonne volonté de Villepin n'est pas, à mon avis, en cause : il avait dû rêver d'une autre vie à Matignon. J'écris ces mots avec le souvenir de confidences faites par Raymond Barre au groupe de jeunes centristes dont je faisais partie, à la fin de l'été 1987 : il expliquait la vie harassante d'un premier-ministre, trois journées de travail en une, celle de l'inaugurateur de chrysanthèmes (disons la journée protocolaire), celle du chef de l'administration de l'État et celle du chef de la majorité politique. Barre avait tordu le cou au protocole pour pouvoir s'en sortir.
 
Le voici donc nanti d'un bureau, c'est un bon début. Le récit de la composition de son cabinet est un poème tragique.
 
Puis vient ce que j'évoquais hier : l'indélicatesse du milieu, un affreux panier de crabes. Donnedieu de Vabres l'invite pour une réunion et le fait poireauter pendant une demi-heure dans l'antichambre. Douste le reçoit au bout d'une heure d'attente après lui avoir bien montré qu'il recevait entre-temps un homme qui était son candidat à lui, Douste, pour le ministère ectoplasmique que lui, Begag, occupait. Et ainsi de suite.
 
Ce qu'on lui reproche ? Être un affidé de Villepin.
 
Car toute la politique en France n'est faite que de coteries, de clans, de féodalités, de bandes, de gangs, et, comme chantait Renaud autrefois, "casse-toi tu pues, t'es pas d'ma bande" dès qu'on déborde du cadre.
 
Or Azouz Begag, je ne crois vraiment pas que ce soit une posture, toujours, partout, déborde du cadre. Pas comme Tapie par sa vulgarité encombrante, mais par sa liberté modeste. Begag est quelqu'un qui se laisse longtemps marcher sur les pieds avant de se venger.
 
Seulement, le jour où il décide de se braquer, il ne change pas d'idée.
 
Le portrait qu'il brosse de Sarko est un flacon de vitriol, on l'a déjà lu dans la presse, mais dans son contexte, c'est encore plus fort.
 
Le goût et le talent de l'écrivain font le reste d'un récit, celui d'un naufrage où le surmenage finit par vaincre l'insurmontable angoisse qui l'étreint dès le début de la période. Naufrage ? Pas sûr.
 
Azouz Begag a beaucoup fait pour la République et pour ses petits frères des banlieues lyonnaises. Il a écrit et il a milité dans les milieux associatifs. Son passage parmi les requins gouvernementaux l'a mis en situation de défi : il veut relever le gant qu'on lui a jeté en l'insultant et en le méprisant. Ses deux vies vont donc coïncider dans un engagement électif, si ce que j'ai entendu est vrai.
 
On dit que l'UDF (ou le parti démocrate) pourrait l'investir pour une circonscription lyonnaise lors des prochaines élections législatives. S'il entre à l'Assemblée, il y aura de quoi se régaler du récit qu'il en tirera. Libre.
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13/04/2007

Victor Hugo, la conscience et le social.

Le XIXe siècle est habité par la double réflexion sur les causes de la Révolution française et de la souffrance du peuple, les deux étant d'ailleurs finalement liées.
 
Plusieurs opinions se confrontent et donnent naissance à des courants politiques.
 
Un premier groupe de courants politiques considère, avec Rousseau, que le mal vient de l'organisation de la société. On peut parler, pour schématiser, d'une explication sociale des misères. Logiquement, ces penseurs jugent qu'il faut modifier l'organisation de la société pour remédier aux maux du peuple.
 
Disons qu'il s'agit des socialismes. Parmi eux, les courants fouriériste, saint-simonien et autres, jusqu'à l'invention marxiste qui bouleverse la donne en proposant une doctrine plus structurée, dont les effrayantes limites sont apparues à l'épreuve des faits.
 
Pour d'autres, l'organisation de la société est en cause, mais pas seulement : il faut y ajouter la dynamique particulière de l'esprit humain.
 
Dans cette seconde catégorie se rangent d'abord les sociaux-chrétiens, disons pour faire simple encore trois noms : Lamennais, Lacordaire et Ozanam.
 
Ils croient que ce sont d'abord les travers humains (voire les fautes) qui causent les maux du peuple. Il faut donc à la fois améliorer l'organisation sociale et pousser les gens à se montrer meilleurs.
 
Il y a une phrase de Lacordaire que j'aime bien :
 
"Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit". 
 
Elle dit bien le rôle de la loi, donc de l'organisation sociale.
 
Elle met aussi l'accent sur le conflit d'intérêts qui est, dans la réalité, le moteur des maux.
 
À ce moteur, Tocqueville propose un frein : la notion d'intérêt "bien entendu" ; soit ce qu'il y a de mon intérêt dans celui de mon voisin. C'est un pas considérable.
 
Lamartine, comme toujours, glisse alors son grain de sel avec son habituel rationnalisme teinté de christianisme (mais en nette délicatesse avec la hiérarchie cléricale) et c'est finalement Victor Hugo qui, comme toujours, trouve la synthèse :
 
Il s'agit de la conscience.
 
Conscience du chef de l'entreprise, conscience aussi de l'humble lorsqu'il est éclairé. Il ajoute bien entendu que seul le savoir, seule l'éducation, fournit l'éclairage nécessaire qui permet à la conscience de trancher en bonne connaissance de cause.
 
Cet effort de la conscience garantit contre les abus et les préjugés. Il replace les malfaisants (prostituées, voleurs de pain...) en victimes et établit un nouveau paysage économique et moral où l'homme s'épanouit mieux.
 
La conscience contre la misère ? Il fallait y penser. 

11/04/2007

François Villon d'un galop.

Évidemment, on ne peut plus dissocier Villon de Brassens depuis la somptueuse adaptation par le second de la "Ballade des dame du temps jadis" du premier.

Il faut dire que François de Moncorbier, alias des Loges alias Villon, a de quoi réjouir le maître sétois : existence sulfureuse, goût de la luxure et de la mauvaise vie, menus larcins (voire banditisme pur et simple), tout cela égaie le palais anar de Brassens.

Le XVe siècle, époque que je connais un peu par ailleurs, est particulièrement secoué et les carrières doivent y être difficiles. Les petits clercs vivotent et souffrent. Ils se laissent gagner par les idées noires, tout cela est chez Villon.

Ce qui reste évidemment énigmatique, c'est sa double nature d'ami de quelques puissants et d'associé de personnages très obscurs, voire sombres. On croit toucher du doigt certaines vérités de toutes époques sur le goût des relations troubles, sur le rôle ambigu des intermédiaires, peut-être sur des réseaux douteux.

Et si l'on ne savait pas encore l'essentiel sur Villon ? 

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10/04/2007

Un mot de Mauriac.

Il y a des écrivains militants, un peu cerbères, j'en fais partie de temps à autre et Mauriac en son temps aussi.

Pourtant, je n'ai pas envie de parler ce soir, dans cette courte note, de cette partie de son oeuvre.

Je pense au "Noeud de vipères". C'est un pamphlet très violent contre les choses de la famille. J'ai eu l'occasion de le lire il y a déjà longtemps, sans d'ailleurs perdre mon propre goût de la famille.
 
J'ai entendu dire (et c'était mon court propos du soir) que Mauriac avait écrit ce texte après avoir pesté un certain nombre de matin d'affilée devant la porte de sa salle de bains encombrée des différents membres de sa maisonnée. Voilà, c'était ma petite réflexion sur les mécanismes de la création. Mais la famille, moi, j'aime. 

 

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09/04/2007

L'arrivée spectaculaire de Victor Hugo en Espagne.

Le général Hugo dirigeait une province de l'Espagne occupée. Il dirigeait moins sa femme.

Ce couple était en vérité aussi mal assorti que celui du colonel Chabert. La "mère vendéenne", le "père vieux soldat", l'une de l'ouest, l'autre de l'est, l'une attachée aux idées d'Ancien Régime et à un certain Faneau de Lahorie et l'autre à une certaine idée de la République.

De temps à autre, ce couple volcanique se rabibochait. La femme rejoignait son mari.

Ainsi en fut-il en cette année (1805 ou 1806, je ne sais plus). Une garde de plusieurs milliers d'hommes se présenta à la frontière franco-espagnole, côté espagnol, non loin du col de Roncevaux et je crois près d'un poste frontière nommé Torrequemada dont Hugo retrouva le nom pour son inquisiteur.

Les deux fils Hugo (Victor avait un frère, qui périt fou dans un asile) furent déposés dans une immense calèche tirée par huit ou dix chevaux. Puis l'attelage somptueux, digne d'un prince, se mit en branle, au milieu de son armée d'escorte. Déjà dans l'enfance, tout ce qui concernait Victor Hugo virait instantanément au gigantisme.

Évidemment, après ça, on ne peut pas s'étonner... 

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08/04/2007

Pourquoi Monte-Christo est-il mon Dumas préféré ?

Il y a des livres qui traînent sur une table pendant des années. "Le comte de Monte-Christo" m'a fait ça.
 
Il ne s'éloignait jamais, ne disparaissait pas tout à fait, ne s'ouvrait cependant pas, ne me faisait pas de l'oeil, mais il se posait toujours sur une pile ou sur une table.
 
Un soir, n'ayant rien d'autre sous la main, je l'ai ouvert.
 
"Fantomas" m'a fait le même coup.
 
Et je n'ai pas pu le refermer.
 
De l'attente du "Pharaon", ce bateau perdu qui évoque "Le marchand de Venise" de Shakespeare, jusqu'au départ du ténébreux comte de Monte-Christo vers l'Orient, des années plus tard, tout m'a emporté.
 
Comment ne pas s'émouvoir pour Mercedes ? Comment ne pas se lamenter avec le négociant modeste et honnête dont les espoirs s'envolent ? Comment ne pas s'indigner des procédés du procureur Noirtier dit de Villefort ?
 
L'action est sombre et amère, les personnages profondément humains, quelle que soit leur attitude, perfide ou chevaleresque, courageuse ou couarde, cupide ou généreuse, ils vivent car n'importe qui peut comprendre leurs qualités et leurs défauts.
 
Ils n'ont pas les débats de conscience de ceux de Victor Hugo ; ils ne sont pas contrastés comme Javert ou Phébus ou même Quasimodo. Ils sont dominés par un penchant et les actes qu'ils commettent dessinent a posteriori les contours de leur personnalité. Pas de problème cornélien, si cher à Hugo, chez Dumas : rien que la loi qui veut que l'on tombe toujours du côté où l'on penche. Plus de fatalité donc que de liberté.
 
Il n'y a que trois moments où la dimension morale soit interrogée : le premier quand le procureur de Villefort pourrait libérer Dantès et ne le fait pas après un léger (très léger) temps de réflexion ; le deuxième quand l'ancien ami de Dantès devenu aubergiste (son nom m'échappe au moment où j'écris) pourrait se contenter du diamant apporté par le faux abbé de la part de Monte-Christo (récompense de gestes d'humanité autrefois accordés par l'aubergiste au père de Dantès) et où sa femme le convainc qu'il faut au contraire le détrousser pour sortir des difficultés matérielles qui s'accumulent contre eux ; le troisième quand Mercedes devenue comtesse de Mortserf vient implorer la clémence pour son fils.
 
Trois doutes en mille pages de vilenies et de vengeances, c'est peu. Et pourtant, Monte-Christo n'est pas un roman manichéen. Comme toujours, la complexité, chez Dumas, s'immisce là où on ne l'attend pas, par le simple fait que les personnages sont humains et que leur humanité les rend fragiles devant la vengeance et la punition.
 
Et finalement, Monte-Christo ne savoure pas sa revanche. Il l'accomplit dans une idée de jugement qui est la vraie problématique morale du livre : justice immanente et vengeance ? Quel mélange.
 
Puis il s'éloigne, enfin deux fois libre.
 
Libre ? vraiment ? après toute cette vie gâchée ?
 
Comme "Le Cousin Pons" est le plus noir des Balzac, "Monte-Christo" est le plus noir et le plus pessimiste des Dumas. On croit déjà y lire les phrases désabusées du capitaine Némo, personnage central de Jules Verne, disciple de Dumas.
 
C'est la force du propos du livre, qui libère certaines des tensions que nous subissons devant les duretés de la vie. Un peu comme la BD et le film "V pour Vendetta". Les salauds ne l'emporteront pas en paradis. D'autant moins qu'il n'y a pas de paradis, d'ailleurs.

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07/04/2007

Victor Hugo et les mots de la mort.

Plusieurs idées hantent Victor Hugo : la virginité, la fatalité, les puissances invisibles, la liberté, l'aliénation religieuse, d'autres, et enfin la dernière : la mort.
 
Il ne l'évoque pas toujours d'une façon frontale. On songe par exemple au squelette de Quasimodo retrouvé cramponné à celui d'Esmeralda : lorsqu'on le touche, il tombe en poussière, sorte de mort après la mort.
 
La fin tragique de sa fille lui fait écrire des poèmes déchirants, des espoirs de consolation, des rêveries désolantes.
 
On pense aussi à ses tables tournantes qui, fait curieux, font aussi parler des vivants...
 
Mais en fin de compte, c'est la mise en scène poétique du trépas qui l'habite. On en trouve des versions sublimes dans la Légende des Siècles. On est aussi ému par le quatrain qui termine en épitaphe "Les Misérables" et qui commence, je crois, par "La chose simplement arriva" et se conclut par un très bel alexandrin :
 
"Comme la nuit se fait lorsque le jour s'en va".
 
Y a-t-il trace d'une angoisse de la façon dont lui-même mourra ? Ce roman paraît alors qu'il atteint la soixantaine.
 
Qui sait ?
 
Quant à son tout dernier vers, ses douze derniers pieds de poésie, il est probable qu'il l'a composé très en amont pour qu'on le lui attribue sur son lit de mort : depuis plusieurs années, il est amoindri.
 
Et cependant, les automatismes du génie sont tels...
 
Alors, info ou intox ? Le voici, ce dernier vers somptueux, dernière étoile de la myriade :
 
"C'est ici le combat du jour et de la nuit".
 
De quoi donner presque envie de mourir, juste pour voir si c'est vrai, et qui gagne...

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L'épopée des Rois Maudits.

À l'âge de sept ans, j'adorais déjà l'Histoire. C'est pourquoi on m'a laissé veiller tard pour regarder "Les Rois maudits" à la télévision.

 

Je n'avouerai pas ici que j'étais déjà excité par les douceurs féminines entrevues ici ou là dans la série de téléfilms. On en voyait moins alors qu'aujourd'hui, surtout pour un petit garçon comme moi, et le parfum de l'interdit augmentait le vif plaisir que je prenais au spectacle théâtral et emphatique que nous livraient des comédiens déchaînés revêtus de couleurs presque fluo et faisant cliqueter toute la bimbeloterie de l'imagerie médiévale. 

 

On sait que le flamboyant Robert d'Artois, incarné par un Jean Piat empanaché d'écarlate, tirait toute la couverture à lui, mais on se souvient aussi du mielleux Louis Seigner, de l'âpre et altière Hélène Duc, du marmoréen Georges Marchal, bref de toute une troupe qui déambulait dans des décors à peine ébauchés, faute de moyens, dont le dépouillement aboutissait à l'épure, au rythme de la voix impérieuse d'un narrateur glacé.

 

Réussite telle que les Anglais, peu de temps plus tard, firent le pendant Plantagenêt de cette épopée, en conservant tous les codes visuels.

 

Quelques années plus tard, comme décidément j'aimais le Moyen Âge, on m'offrit les sept tomes signés (on dit qu'il ne les a pas écrits seul, info qu'il dément plus ou moins) par l'inusable Maurice Druon, neveu du grand Joseph Kessel.

 

Les livres ont une grande qualité: la clarté. Ils sont moins grandiloquents que les films (mais la grandiloquence est un des plaisirs du spectacle télévisuel) et exposent avec énergie et autorité des faits, parfois supposés, toujours impressionnants. Les personnages sont taillés dans le granit. On y croit.

 

Rappelons-nous qu'il s'agit de la confiscation des biens des Templiers par le roi de France Philippe le Bel, et de tous les événements qui s'ensuivent jusqu'un peu après le déclenchement de la guerre de Cent Ans.

 

Les rivalités politiques sont à vif, on joue avec l'idée de personnages authentiques, on savoure l'idée qu'ils pourraient avoir ressemblé à leur double de papier.

 

Et il faut reconnaître que l'intrigue est forte et les sentiments violents. On traverse un monde brutal, à vif. On s'y croit. Vraiment une bonne lecture de vacances.

 

On n'est pas sûr que ne se glisse pas dans le texte, ici ou là, des messages pour initiés, mais tant pis, on fait ce qu'on peut et on lit, au premier degré, simplement libre. 

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06/04/2007

Ah, "Notre-Dame de Paris" !

J'ai lu le premier roman réussi de Victor Hugo en Allemagne. Je me trouvais en Bade-Wurtemberg, tout près de la frontière française. L'atmosphère y était curieuse : on nous y envoyait pour une immersion linguistique, mais... c'était une ville de garnison de l'occupation française et tous les commerçants, lorsque je m'adressais à eux avec mon allemand de quatorze ans, me répondaient aussitôt en français. On a vu immersion plus efficace... Cela dit, l'année suivante, on m'a envoyé en Souabe, dont le langage ressemble au bavarrois, c'est-à-dire à quelque chose d'incompréhensible. J'y étais hébergé par un vieux juge dont le nom sonnait juif, mais qui récitait le benedicite avant de passer à table ; pour pouvoir se comprendre, on se parlait en latin. Bref...

Dans cet été 1979, j'ai lu "Notre-Dame de Paris".

Rien ne peut ressembler à ce roman.

La première phrase est un coup de canon qui se termine par les mots : "la triple enceinte de la cité, de la ville et de l'université". En quelques syllabes, Hugo fait la synthèse de Paris médiéval. Trois morceaux : la Cité, qui comprend les palais royaux et l'embryon du gouvernement, la chancellerie royale, les cours de justice, superposées aux installations gallo-romaines ; la ville, rive droite, toute l'industrie, le négoce, la part laborieuse et marchande ; l'université, rive gauche, les intellectuels, ce qu'on nomme encore le Quartier latin. Tout est dit.

Puis tout le début est un mouvement vers un événement improbable, l'élection du Pape des Fous, un mélange de fêtes réellement médiévales et parisiennes, l'élection du Pape des Rois et celle du Roi des Fous.

On se promène dans une foule qui marche dans le froid vers le palais royal (la Conciergerie à Paris, dans l'île de la Cité).

On croit les voir. Comme on connaît le cinéma, on pense à un incroyable plan-séquence, digne d'Orson Welles, ou à un travelling géant.

Puis apparaît Quasimodo et on sait que le roman ira très loin. À ce propos, il faut citer une anecdote qui concerne le comédien Jean Saudray, un quatrième couteau très répandu dans le cinéma français des années 1970. Lorsqu'il était sur scène, quand on le rencontrait pour la première fois, tout le monde, d'après les témoignages, lui disait : "oh, quel formidable maquillage tu t'es fait faire" ; or ce maquillage horrible, c'était son visage.

Et semblable aventure arrive à Quasimodo : on le présente comme candidat pour l'élection du Pape des Fous. Moyen du concours : faire la plus belle grimace. D'extraordinaires compétiteurs s'y emploient, tous plus ou moins applaudis. Et voilà que soudain apparaît à travers la lucarne une grimace épouvantable, inimaginable, au point que, d'avis commun, il n'est plus besoin de poursuivre le concours : il a gagné. Or la grimace répugnante que Quasimodo présente, c'est son visage.

Là encore, tout est dit.

La scène la plus incroyable du livre est celle du jugement de Quasimodo. On dit souvent que la justice est aveugle, phrase qu'on prendra avec précaution, mais il se trouve que le juge qui préside est sourd, absolument sourd, et par une coquetterie compréhensible, qu'il cache cette infirmité.

Or Quasimodo, sonneur de cloches de la cathédrale Notre-Dame, a été rendu tout aussi sourd par l'effrayant vacarme du bourdon de bronze qu'il côtoie jour après jour.

Voici donc au sens propre un dialogue de sourds.

Le juge interroge Quasimodo. Celui-ci ne voit pas qu'on lui parle et n'entend pas, forcément. Il ne répond rien.

Mais le juge ignore qu'il n'a rien répondu. Il pose donc une deuxième question, tout aussi inefficace.

Le public commence à s'amuser de la scène et le juge finit par s'apercevoir qu'on se moque de lui. Il s'imagine que Quasimodo le raille. Il le tance.

Or Quasimodo, comprenant finalement où l'on est et ce qu'on y fait probablement, se décide à décliner son identité, réponse à la toute première question du juge, qu'on ne lui pose plus.

Redoublement d'hilarité. La scène est une délectation. Il est heureux que les juges soient meilleurs aujourd'hui qu'en ces temps.

L'autre morceau de bravoure est un tunnel d'une soixantaine de pages intitulé "Paris à vol d'oiseau au XVe siècle". C'est une vision. On se retrouve posé sur le dos de l'oiseau comme dans un dessin animé et on survole Paris, ses toits pentus, ses cheminées fumantes, ses mâchicoulis gothiques. Absolument hallucinant.

Là encore, une synthèse prodigieuse : Paris est enceint d'une chaîne de couvents et dans cette chaîne, un seul maillon sombre : la cour des miracles. Et tout à l'avenant. En lisant, on a envie de se lever pour applaudir.

Et puis, bien sûr, l'histoire est belle, Esmeralda, le tortueux archidiacre Frollo, le lâche poète Phébus, les ruelles sombres, les ponts de bois. On en aurait presque envie de vivre au Moyen Âge. Et pourtant, ça ne devait pas être bien confortable.

Allons, je vous quitte : je cours le relire.

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05/04/2007

Mlle de Scudéry déborde de sa carte du tendre.

On connaît Clélie. Enfin, on connaît parfois Clélie : la langue du Grand Siècle est devenue obscure au plus grand nombre. Ce qu'on en retient au mieux, c'est la Carte du Tendre, supposée guider le coeur épris vers les délices et lui éviter de s'enliser dans les sables mouvants de l'amitié.

Et pourtant, la Scudéry vaut mieux que cette oeuvre d'ailleurs curieuse.

Tout d'abord, parce qu'elle et ses amies ont inspiré Molière et ses "Précieuses ridicules". Mais aussi, parce que ces femmes ont incarné un véritable mouvement intellectuel, non dénué de défauts et de ... ridicules, mais capable aussi de modernité.

Le milieu du XVIIe siècle est un temps d'effervescence politique qui permet quelques libertés. Le grand roman de la Scudéry qui paraît à cette époque-là (Artamène ou le Grand Cyrus) est marqué par ce relâchement de la censure et on y découvre des allusions claires à l'actualité.

Du reste, les romans de cette auteure sont en général inspirés de personnages alors connus de tous, ce qu'on nomme des romans à clef.

Elle en produit plusieurs, tous longs, quelquefois très longs, et dont certains demeurent lisibles sans effort. Leur style est élégant et clair.

Il faut signaler que la psychologie et les émotions apparaissent avec une grande modernité dans ces textes qui forment l'un des premiers maillons de la chaîne du roman réaliste français.

Rien que pour ce fait d'armes (à quoi s'ajoute un prix d'éloquence de l'Académie française, si rare pour une femme...), il faut tirer son chapeau à Magdeleine de Scudéry. Sans oublier que sa vie interminable traverse tout le siècle : née en 1607, elle meurt en 1701. Et, septuagénaire déjà bien avancée, elle écrit encore.

Et enfin, c'est une femme de conviction : on la surnomme Sappho, elle milite contre le mariage qu'elle vilipende avec un grand engagement, et elle-même reste célibataire jusqu'au bout.

Dommage sans aucun doute pour nous, les hommes, mais chapeau bas, et il nous en reste heureusement d'autres.

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Parution de ma réédition de l'Histoire de Bretagne de Bertrand d'Argentré (1582).

Demain, je raconterai la vie de Bertrand d'Argentré dans la rubrique "l'histoire de la semaine" que je n'ai pas eu le temps d'alimenter en mars.

Cette Histoire de Bretagne a la particularité d'avoir été censurée en 1582 et jamais rééditée dans cette version depuis ce temps, jusqu'à aujourd'hui.

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04/04/2007

Alexandre Dumas fils, sa dame et ses camélias.

Dumas le général était un colosse, une force de la nature. Son fils, Dumas père, gardait une grande part de son énergie. Dumas fils, en revanche, incarne la transparence du romantisme doloriste.

C'est un écrivain engagé (avec des éclipses, notamment au début du Second Empire) et toujours à l'affût d'une cause à défendre. Son style souffre d'ailleurs de cet esprit militant. Tout le monde le lui reproche. Tout le monde, sauf la postérité : en vérité, aujourd'hui, on ne le lit plus.

C'est qu'en plus de bouillonner constamment pour les drames criants de son époque, il a eu le nez de sélectionner parmi ceux-ci les plus représentatifs et les plus odieux. Résultat : il a gagné tous les combats qu'il a menés, ce qui prive le contenu de son oeuvre d'intérêt ; il n'en demeure donc que l'envergure littéraire, c'est-à-dire peu de chose.

Voilà pourquoi, d'Alexandre Dumas fils, on ne lit plus guère que l'archétypale "Dame aux camélias", son texte le moins engagé et partant le plus universel.

Démonstration que même pour avoir raison, il ne faut jamais perdre sa liberté.

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03/04/2007

La grande période de Lamartine.

Voici le précurseur, celui dont Victor Hugo dit qu'il est "le plus classique des romantiques".

Lamartine donne le coup d'envoi de la génération de 1830 en 1820. Son premier recueil, les "Méditations poétiques", dont est extrait le célèbre "Lac", est alors un triomphe de librairie.

Pendant une décennie, le poète règne sur Paris, suscitant la jalousie de Victor Hugo, empreinte d'amitié. Logiquement, il est le premier élu à l'Académie française, dès 1829.

Il s'apprête à entrer en politique.

C'est là que les choses changent pour lui : son activité à la Chambre des Députés (où il est élu pendant quinze ans grâce au suffrage censitaire) révèle sa générosité et son idéalisme, ainsi que la hauteur de ses vues.

Finalement, il se lance dans un brûlot, l'"Histoire des Girondins", en 1846. Cette oeuvre ample, magnifiquement écrite, de ce style fluide et aérien qui enchante en deux lignes, donne le coup d'envoi de la Révolution de 1848. Là, il est à sa main. Victor Hugo narre quelques-uns des moments qu'il passe avec lui à cette époque, l'effervescence de l'inconnu, le trouble de la foule et du faubourg Saint-Antoine en particulier.

Lamartine devient ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire après les journées de février. Il a ses cent jours.

L'important n'est pas là, au fond.

Car autour de cette époque sont les trois oeuvres de lui que je préfère. J'avoue que sa prose me plaît mieux que ses vers.

Premier, donc, l'"Histoire des Girondins", 1846. Puis "Les Confidences" (1849), une mélodie bouleversante sur la vie, la nature, la beauté, le ciel, la terre, un véritable enchantement. Et enfin "Graziella" (1852) qui clôt son cycle merveilleux. On n'a jamais décrit plus joliment une jeune fille que Lamartine le fait de Graziella. Émotions inexprimables.

Rien que pour ces six années, la vie de Lamartine mériterait d'être vécue.

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02/04/2007

J'ai envie de parler d'Arsène Lupin.

Voilà un lundi soir récréatif. Entre deux Victor Hugo, pourquoi pas un Lupin ?

Bon, on doit reconnaître que le style n'est pas le même, l'ambition non plus, ni l'époque, d'ailleurs : Lupin court les toits parisiens de la Belle Époque à l'Entre-deux-guerres. Hugo est mort depuis longtemps.

La première oeuvre de Leblanc paraît même huit ans après la mort du génie.

Né en 1874, normand comme Corneille, Flaubert et Maupassant, Leblanc s'identifie à la IIIe République : il meurt avec elle en 1941 et toute sa vie est placée sous le signe de la libre-pensée et des idées alors dominantes du radical-socialisme.

Lupin est l'être plus amoral qu'immoral qu'affectionnent ses contemporains. Il n'a pas, pour combattre la Société, l'énergie farouche de Fantômas. C'est un anar, mais qui ne verse jamais une goutte de sang, qui se promène de bal en réception mondaine, fréquente les puissants, les conseille à l'occasion, les dépouille sans vulgarité et choisit ses victimes avec soin.

Ses ennemis, les châtelains, les beaux messieurs du faubourg Saint-Germain, sont aussi ceux des petits propriétaires terriens et des modestes industriels (ingénieurs enrichis) qui forment les gros bataillons du radicalisme.

Il les piétine avec délicatesse mais sans aménité. Il les griffe, il les mordille, les entortille, joue avec eux et finalement, il les amenuise. C'est tout l'objet de sa révolution silencieuse. Sa subversion est insidieuse, car gouailleuse et il finit toujours par mettre les rieurs de son côté, ce qui devient forcément délectable.

Et bien sûr, ce qui le fait résister au temps, c'est la profusion de jeux de piste dont l'auteur émaille ses oeuvres. Quoiqu'il puisse arriver, je me demanderai jusqu'à ma mort si, au fond, l'Aiguille d'Étretat ne serait pas un peu creuse.

Le mélange d'une forme de merveilleux et d'une forte dose de rationnalité résume en fin de compte la carrière littéraire de Lupin : merveilleux habillé de raison, rationnalité tendant au merveilleux. Le rêve éveillé. Quoi de mieux quand on s'ennuie ?

Il m'arrive donc de relire Arsène Lupin en vacances, l'esprit libre.

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01/04/2007

Victor Hugo à sa table de travail.

J'ai déjà dit comme Victor Hugo, à quinze ans, traduisait Virgile en alexandrins vertigineux. Voici donc le génie de toutes les facilités ? Mais non.

Certes, il restera capable d'écrire "Napoléon le Petit" d'un éclat de colère. Certes, on le devine jetant l'"Année Terrible" sur ses pages comme Jupiter la foudre. Et pourtant ...

Toute sa vie, Victor Hugo est un raboteur, un menuisier comme son grand-père, qui sans cesse ajuste, lisse, polit, son texte, le fait luire, en révèle les plus belles veinures, en respecte l'axe, en développe les contrastes. C'est un artisan infatigable.

Oh, il y a bien sa période mondaine, dans les années 1830, où il court de bal en bal, mais sa maîtresse, Juliette Drouet, le rappelle à l'ordre et, plus que tout, les événements politiques lui interdisent de s'assoupir sur ses lauriers : après la prodigieuse période 1829-1843, vient l'extraordinaire ère 1851-1863.

Dès la première phase, on voit le poète rivé à son bureau, celui-ci envahi de coupons de papiers où il a griffonné des mots, des bribes de vers, parfois un peu plus. Il relate la disparition d'un de ces trésors par la main de ses enfants dans la cheminée dans les Contemplations, je crois, et tout le théâtre de son labeur quotidien y apparaît.

Dans la seconde période, à Guernesey, il se voue encore plus à son activité minutieuse : on voit sa table de travail, dans sa verrière, en haut de la maison et là, contre la paroi, une banquette où il dort souvent. Rien ne vient plus le déranger. Il trime.

Le côté progressif de sa façon de procéder est aussi révélé par des détails plus étonnants : pendant quinze ou vingt ans, les "Misérables" se sont seulements intitulés "Les Misères". L'ampleur finale donne un double sens au titre et une majesté épique à l'oeuvre.

De la même façon, "La Légende des Siècles" a longtemps gardé le titre "Les petites épopées". Mais quoi que ce soit qui sorte de l'esprit d'Hugo pouvait-il être petit ? Va pour la tonitruante Légende des Siècles. Quel bonheur.

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Victor Hugo, le paradoxe de l'exil.

Issu par sa mère d'une famille chouanne, Victor Hugo avait une vocation naturelle à entrer un jour ou l'autre dans la clandestinité.

C'est l'avènement de Louis-Napoléon Bonaparte et la perspective de la chute de la République qui l'y conduisent.

Or Hugo, à cette époque-là, est un grand notable, un homme très assis, il approche de la cinquantaine, il habite un grand appartement place des Vosges, il siège à l'Académie française, il porte la Légion d'Honneur, il était encore voici peu pair de France. En somme, pour lui, 1851 est un peu ce qu'a été 1790 pour d'autres : le trône tombe.

On le retrouve proscrit, errant, chassé de Bruxelles, tourmenté à Luxembourg, chassé de nouveau de Jersey et découvrant la solution de tous ses problèmes d'exil en achetant une maison avec rang de fief à Guernesey.

C'est le paradoxe de l'exil : ce républicain intraitable qu'il devient et deviendra de plus en plus, cet adversaire des couronnes devra sa tranquillité et son salut ... à son rang de féodal de la couronne d'Angleterre.

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31/03/2007

Mon tiercé de tête chez Balzac.

La Comédie humaine est un océan.

On a énuméré ses personnages, ses péripéties. Comme pour Hugo ou Hergé, on a concocté une incroyable panoplie de statistiques.

Il y a une chose pourtant qui échappe à la statistique : le plaisir. Aucune règle à calcul ne pourra dire mon plaisir à ma place.

Mes trois romans préférés, sur cette étagère, sont "Le cousin Pons", "Le père Goriot" et "Eugénie Grandet".

Oh, je vous vois d'ici froncer les sourcils : tout ça est bien classique. On dirait une feuille de travaux à la maison rédigée par un prof de français.

Or il se trouve que j'ai lu ces oeuvres bien après la fin de mes études. J'ajoute d'ailleurs que je les trouve un peu trop complexes pour des esprits si jeunes. Mais ce n'est que mon opinion.

L'un des points communs de ces trois textes, c'est leur style : on est là chez le Balzac dense, épuré, structuré, le Balzac qui cherche à bâtir une intrigue en plus d'une étude psychologique, loin des digressions qui se multiplieront plus tard sous sa plume dans des romans comme "Le lys dans la vallée" ou "Modeste Mignon".

"Le cousin Pons" est d'une noirceur totale, que ne vient éclairer aucune lueur humaine : les rares personnages sympathiques y sont forcément victimes jusqu'au dépouillement et à la mort. C'est donc avec un serrement de coeur qu'on le referme. Mais on le lit avec fièvre.

"Le père Goriot" est plus contrasté, les silhouettes y mêlent ombre et lumière. Et le père Goriot lui-même devient aussi touchant que ses filles semblent jolies. On a fort envie de rencontrer ces jeunes femmes, un peu futiles, un peu cruelles, mais bien charmantes, et on imagine que si on les avait près de soi, on les traiterait avec une humanité contagieuse.

"Eugénie Grandet" est archétypal. L'histoire, tirée au cordeau. La narration, entraînante. Les personnages, criants. On comprend tout le XIXe siècle bourgeois rien qu'en lisant ce texte.

Voilà donc mon tiercé de tête. Et le vôtre ?

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