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10/06/2010

Notre république.

Le débat a été ouvert par Marianne reprenant un commentaire de François Bayrou sur un article de Jean-François Kahn sur son blog.

J'ai écrit moi-même que depuis bientôt trente ans que je vote, j'ai toujours voté le plus au centre possible. Il n'a jamais été question pour moi de voter pour la droite en tant que telle et la gauche ... m'a toujours donné envie de voter au centre, du moins le plus au centre possible, car il y avait toujours quelque chose qui me chagrinait dans la gauche, dans cette gauche dont beaucoup d'idéaux sont les miens.

En mars 1983, j'ai voté aux municipales à Combrit, mon port d'attache breton, un vote avec préférence et panachage, disons que ça ne compte pas. J'avais dix-huit ans et quatre mois.

Passons aux présidentielles de 1988 : au premier tour, j'ai voté pour Raymond Barre, l'État impartial et la sagesse budgétaire. Au deuxième tour, j'ai voté Mitterrand, Chirac restant engoncé dans les principes du tandem Pasqua-Madelin.

En 1995, j'ai fait la campagne de Jacques Chirac dès le premier tour. De toute évidence, il était plus autoritaire mais moins réactionnaire que Balladur, et Jospin était trop américanophile, ce qui s'est d'ailleurs vu dans sa politique à partir de 1997.

En 2002, Bayrou au premier et Chirac au deuxième.

En 2007, Bayrou au premier et Royal au deuxième.

Je fais partie de cet électorat qui n'a pas de parti pris, qui est capable de voter pour ce qui lui semble le plus proche de l'intérêt général, se résignant à un choix éventuel, qui reste en somme à convaincre pour la droite ou la gauche ou qui, mieux encore, espère ce que Kahn a nommé, d'un mot heureux, une politique qui soit devant.

Liberté, égalité, fraternité

Bayrou, dans son commentaire devenu article, évoque l'identité démocrate représentée par le Parti Démocrate américain (souvenir d'une stratégie élaborée avec Clinton et Prodi voici plus de quinze ans), son équivalent indien (je suppose qu'il s'agit du Parti du Congrès, les héritiers de Gandhi et de Nehru, mais je ne vois pas le mot démocrate) et son homologue japonais. Selon Bayrou, la référence française de ce courant mondiale est ... républicaine. Hum. Bon, disons que l'ancrage dans une vision mondiale est une idée constructive et laissons l'approfondissement de l'exégèse à ceux qu'elle intéressera.

Pour nous Français (il faut bien que nous fassions avec ce que nous sommes et nous manquerions à notre devoir dans le concert mondial si nous l'oubliions), la question remonte à Clovis. Lorsque Clovis devient le patron d'une partie des maîtres de la Gaule, l'essentiel des monarques européens pratique une sorte très anticipatrice de calvinisme qu'on appelle l'arianisme qui a l'avantage ou l'inconvénient de justifier le pouvoir monarchique au détriment de l'égalité des citoyens.

Clovis est soutenu par deux archevêques seulement : celui de Tours et celui de Reims, qui sont dans le camp de l'évêque de Rome qui deviendra le pape. Clovis élimine les Ariens (à ne pas confondre avec les Aryens) et installe la primauté de Rome en Occident, y compris un certain nombre de principes fondateurs de l'idéologie occidentale, dont le libre-arbitre. Pendant des siècles, y compris du temps de Charlemagne, la France sera liée à Rome par ces actes fondateurs.

Au passage, je signale à mes amis bretons qu'il est plus que vraisemblable que, du temps de Clovis, la Bretagne armoricaine n'y était pas, qu'elle s'épanouissait dans un autre monde chrétien avec les Gallois et les Corniques, et peut-être les Irlandais.

Lorsque la monarchie espagnole devient cumularde au point de se lier avec les Habsbourg d'Autriche, vers 1500, la France, dont les relations avec le Saint-Siège n'ont pas toujours été de tout repos, mais qui a assumé la primauté aux Croisades, se retrouve reléguée au second rang, pour un peu plus d'un siècle.

Elle inaugure alors ses relations avec ce qu'on nomme la Sublime Porte, l'empire turc.

François Ier, qui invente cette politique, inaugure aussi la monarchie absolue et nationalise le clergé : il soumet l'état-civil aux lois de l'État, et s'il en confie la tenue aux gens d'Église, c'est par délégation de service public, les clercs d'Église sont agents de l'État, la majorité de leur chiffre d'affaires provient de jurislations étatiques. La théorie dite du gallicanisme (antérieure) trouverait son plein sens si les guerres de religion, peu après François Ier, ne la reléguaient pas au second plan jusqu'au XVIIe siècle.

Le rôle de France "fille aînée de l'Église" dure finalement, cahin-caha, jusqu'à la Révolution française.

Il faut être conscient que le rôle historique de la France pendant près de mille trois cents ans est intimement lié à cette notion de "fille aînée". La France est celle par qui l'Église de Rome est accouchée d'elle-même.

En y renonçant en 1789, la France a donc fait un acte historique d'importance millénaire, qui a d'ailleurs réjoui  notamment les protestants parce qu'il affaiblissait Rome.

Les principes refondateurs, liberté, égalité, propriété, sont devenus en 1848 liberté, égalité, fraternité. Ce sont les principes de notre république.

Des polémiques

C'est écrit dans la belle langue française du XVIIIe siècle : la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Tout, ce n'est pas rien. Tout, c'est ce qu'en termes classiques nous nommerions la licence. Dans une certaine sphère, la liberté est un absolu : tout. Sa seule limite, mais quelle limite, est "ce qui ne nuit pas à autrui". Or ce qui nuit à autrui est ce qu'on nomme en droit ce qui "fait grief" à autrui. Ce qui fait grief est ce qui engage la responsabilité juridique. La liberté a pour limite la responsabilité. La dialectique liberté/responsabilité est la première composante de notre identié républicaine.

L'égalité est une notion beaucoup plus ambiguë, dont la traduction textuelle est quasi-sybilline : égaux en droits. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. L'égalité juridique, le principe d'égalité de naissance, l'égalité de condition, c'est un principe d'émancipation, dont la limite est recherchée par d'autres conceptions répiublicaines. Liberté formelle ou liberté réelle est ainsi un thème central de la pensée marxiste au XXe siècle. Et plus récemment, l'idée de la discrimination positive comme moyen d'atteindre à une égalité moins formelle et plus réelle nous a prouvé que les conceptions américaine et soviétique étaient moins opposées qu'elles ne le prétendaient. En fait, le complément de la défintion du principe d'égalité se trouve dans un passage de la déclaration des droits de l'homme de 1789 : les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. Voilà une source inépuisable de réflexion sur la dialectique qui unit et oppose l'individu à la Société.

Sans la fraternité, la liberté et l'égalité sont deux tyrannies symétriques. La liberté qu'on impose est une tyrannie ("on n'enseigne pas la liberté à la pointe des baïonnettes", écrivait quelqu'un sous la Révolution française, quelqu'un que Bush aurait dû lire). L'égalité qu'on impose, tovaritch, est une autre tyrannie. La fraternité est l'élan de conscience, basé sur la sincérité, sans lequel la liberté et l'égalité sont vouées l'une au néolibéralisme, l'autre au goulag.

Le lien de ces trois valeurs entre elles est le ciment de notre conception de la vie en Société.

Deux autres notions se sont agglomrées à la devise républicaine : la laïcité et l'unité.

La laïcité est devenue la valeur la plus polémique de toutes, pour la double raison que le modèle dominant anglo-saxon n'est pas laïque et que l'interprétation de la laïcité a longtemps été une hostilité viscérale à l'encontre de l'Église catholique romaine.

En fait, les choses sont moins simples qu'il n'y paraît. La laïcité est un principe plus général de neutralité de l'État, de distinction du public et du privé, qui a des conséquences sur la séparation des vies privée et publique de nos dirigeants, et sur la répartition des rôles entre Société civile et État. Si on l'exprime d'une façon contemporaine, nous dirons que la laïcité est l'indépendance des décisions politiques à l'endroit des lobbys, l'Église catholique, directement concernée, est ici un lobby comme un autre, une conception particulière qui voudrait imposer ses vues aux décisions publiques de même que les producteurs de maïs voudraient que l'État ne mange que du maïs.

En pratique, la laïcité française, organisée par la loi de 1905, a permis à l'Église de France de s'extraire du gallicanisme et d'éviter que le clergé ne soit nommé par le pouvoir politique au lieu de l'être par Rome, cependant que l'entretien et l'usage des édifices de cultes étaient garantis par l'État.

Aujourd'hui, la laöcité est encore plus polémique, parce qu'elle est vue par certains musulmans pratiquants comme un moyen de brimer leur culte.

L'unité ("La France est une république indivisible") est la dernière valeur polémique, mes amis bretons pourront en témoigner, et de fait, si j'admire et revendique l'esprit républicain comme étant le mien, je suis amené à reconnaître que la Bretagne a subi de nombreuses injustices qio n'ont pas encore été réparées.

La république est une construction éthique et humaine fondée sur le trio indissoluble de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Au fond, le reste est inutile bavardage.

15/02/2008

Les lignes bougent.

L'appel à la vigilance lancé dans le numéro de Marianne qui sort demain est un moment important, sans doute une borne de refondation.
 
C'est en tous cas un acte de résistance et il n'est pas indifférent que le premier de ses cosignataires soit l'ancien chef de cabinet du général de Gaulle.
 
Les choix sociétaux annoncés par Nicolas Sarkozy sont désormais connus, sans fard. Ils renversent toutes les valeurs qui fondent le pacte républicain français.
 
Je suis heureux que François Bayrou, Corinne Lepage et beaucoup d'autres figurent parmi les cosignataires de ce texte qui résonne comme un appel à la réunion d'une sorte de Conseil National de la Résistance de temps de paix. Il serait chargé de définir les principes de "notre temps" (selon l'expression de 1946), ceux de 1944, adaptés au siècle nouveau. Il le ferait dans l'inspiration qui a guidé les hommes qui, dans l'ombre ou dans la France Libre, résistaient à la barbarie.
 
C'est ainsi que j'interprète ce texte.
 
De toutes façons, il signifie qu'entre ceux qui l'ont signé, il est nécessaire de baisser les armes, quels que soient les différences de conceptions que nous puissions avoir sur certains aspects, même importants, de la politique. On voit donc bien quelles en sont les conséquences politiques.
 
La République est en danger. Honneur à ceux qui se lèvent pour la sauver.

02/02/2008

Laïc.

La France, république laïque, "ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte". Telle est la position d'équilibre sur laquelle notre pays s'est fixé depuis plus d'un siècle et qui a été ratifiée à une très large majorité par le peuple français, par référendum, avec la constitution de la Ve république.

On doit comprendre qu'il ne s'agit pas là d'une position de principe antireligieuse, mais d'une neutralité fondamentale. La chose publique et le fait religieux sont étrangers l'un à l'autre.

Ainsi était-il alors mis fin au régime concordataire qui, durant le siècle précédent, avait régi les relations des Églises et de l'État. Selon ce précédent dispositif, les clergés des différentes confessions étaient rémunérés par l'État mais, de ce fait, soumis à approbation des autorités politiques. Ils étaient en quelque sorte fonctionnarisés. La loi de 1905 est une privatisation des religions.

L'Église catholique se rallia à ce compromis qui lui rendait sa liberté d'organisation (désormais le clergé et lui seul préside aux désignations des desservants) tout en lui garantissant l'usage de lieux de culte dont l'entretien ne lui incombait pas.

Seul, depuis lors, le régime de Vichy a tenté de remettre en cause le compromis historique. Seul, jusqu'à l'arrivée de Nicolas Sarkozy, petit-fils de Pétain de ce point de vue-là.

En vérité, le débat sur la laïcité et son avenir au XXIe siècle a commencé avec les travaux de la commission Giscard d'Estaing pour l'élaboration d'un nouveau traité européen, que nous rêvions de voir s'élever jusqu'à l'ambition constitutionnelle. La France de Chirac, fidèle à elle-même de ce point de vue-là, fit obstacle à l'inscription des racines chrétiennes de l'Europe dans le texte. Les rédacteurs du traité de LIsbonne ont enfoncé un coin dans ce succès en réintroduisant non pas les racines chrétiennes, mais les racines religieuses, qui n'ont rien à faire dans une constitution.

Et il y avait plusieurs dispositions du traité rejeté en 2005 qui entretenaient de terribles ambiguïtés en matière de statut des religions. Parmi elles, certaines ont été levées dans le sens défavorable à la laïcité.

J'ai voté oui au traité de 2005, pour faire progresser l'Europe, pour que l'élan ne se brise pas, mais avec l'anxiété de ces doutes. Aujourd'hui, le doute n'existe plus, on entraîne la construction européenne sur un terrain dangereux. 

Pour toutes ces raisons, alors qu'on lance un appel à venir défendre la laïcité lundi à Versailles, j'irai.