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30/08/2010

Ni dupe, ni neutre

C'est la rentrée, on dirait même c'est la rentrée des blogs et des blogueurs. Apparemment, les socialistes sont toujours les plus nombreux parmi les blogueurs politiques et, d'une manière ou d'une autre, le PS conserve la haute main sur la façon dont Internet réagit à l'actualité politique, d'autant plus que les blogueurs de droite sont dans l'ensemble assez décontenancés par les propos outranciers et scandaleux du président de la République et par le projet de retrait de la nationalité à certains délinquants, une mesure qui, au XXe siècle, a été appliquée par les régimes très glorieux et démocratiques qu'ont été l'Espagne de Franco, l'Union Soviétique (grande productrice d'apatrides), l'Allemagne nazie et ... le régime de fait du maréchal Pétain.

La réaction de l'Église catholique sur les mesures ostracisantes et collectives qui concernent les soi-disant Roms a permis à Benoît XVI de retrouver grâce aux yeux d'Internet et, en fait, a beaucoup surpris en France. Surprise ? Pourquoi avons-nous été à ce point surpris de la réaction de l'Église ? C'est qu'elle est venue d'en haut, du pape lui-même, s'exprimant en français d'une façon particulièrement explicite. Voilà qui a bougé toutes les lignes et estompé les dernières affaires de pédophilie qui secouent la Belgique.

Sur ce dernier point de la pédophilie, je crois que, comme beaucoup, il faut quand même que je dise quelque chose : j'ai été inscrit au catéchisme lorsque j'avais sept ans, je l'ai suivi durant toute l'école primaire (j'étais dans le public et cela se faisait dans une salle paroissiale), et même une bonne part du secondaire, et pendant toutes ces années, il n'y a pas eu une seule fois où un prêtre (ni d'ailleurs un laïc) ait eu à mon encontre un mot, un geste, un regard, ni même un sous-entendu déplacé. Je suis presque surpris que ce genre de mises au point ne soit pas faite, car l'amalgame d'une Église qui serait noyautée et gangrenée par la pédophilie me paraît injuste. Qu'il y ait eu des erreurs et des errants, c'est en effet une terrible honte, et l'Église aurait dû se montrer plus intraitable et moins faible avec ses cadres. J'observe cependant deux choses : la première, c'est qu'en revanche, un de mes instituteurs de l'école publique a, lui, été privé de sa fin d'année scolaire parce que, pendant la classe de mer, il avait tendance à faire le tour de certains dortoirs (pas le mien, d'ailleurs). Là encore, il a été muté, sans plus, l'Église n'a pas été la seule à se taire. L'autre chose que j'observe, c'est que des scandales équivalents touchent d'autres obédiences cultuelles que le catholicisme, mais que, curieusement, on n'en parle jamais.

On l'a compris, j'ai décidé de défendre l'Église catholique en cette rentrée. Non pas que j'abandonne le principe laïque (inscrit par le Christ lui-même dans ses préceptes, abandonnant la jurisprudence Melchi Sedech, si j'ose dire) mais parce qu'il me semble que l'Église se trouve dans le bon camp, peut-être par la force des choses, et ce sont encore une fois les propos du président de la République qui m'amènent à cette conclusion.

Histoire de Hongrois, de Roumains et de fascistes

Le président français s'en est pris, en fait, non pas seulement aux Roms, mais plus intensément encore aux Roumains. Il faut reconnaître que, ce faisant, il a, dans un mécanisme psychanalytique assez transparent, trahi (c'est-à-dire révélé) ses propres origines, non pas tellement comme rom lui-même, ou comme tzigane, mais comme hongrois.

Son père, en effet, qui a quitté jeune la Hongrie, ne l'a pas fait en démocrate fuyant le communisme. La Hongrie de 1944 est un régime lié au nazisme, l'extermination des juifs hongrois a été implacable, et les Tziganes, qui sont les autres victimes des camps, ont été à peine mieux traité par le pouvoir communiste hongrois que par le pouvoir fasciste hongrois : on les a sédentarisés de force, notamment. Je suis allé à Budapest en 1990 pour les premières élections après la chute du Rideau de Fer et je me souviens parfaitement des quartiers tziganes où mes hôtes hongrois répugnaient à se rendre.

Donc une sourde animosité contre les Tziganes, mais bien pire contre les Roumains. Pourquoi ? À cause des suites de la Première Guerre Mondiale. À cette époque, en 1919-20, les puissances victorieuses avaient démantelé l'empire austro-hongrois. Et la Hongrie avait été amputée d'une grande partie de son territoire et de sa population. La Transylvanie, province d'histoire et de langue hongroises, avait été rattachée à la Roumanie. N'oublions pas qu'entre-deux-guerres, on disait, en Roumanie, que la bourgeoisie roumaine parlait français en société, roumain en famille, et hongrois avec les domestiques. Il y a donc un contentieux historique terrible entre les Hongrois et les Roumains et on passerait à côté de l'essentiel de ce que notre président a dit si nous oubliions qu'il est, dans ses préjugés les plus intimes, hongrois.

Ce n'est pas tout.

Le modèle berlusconien

Depuis l'installation du président actuel de la France, chacun a pu constater que son modèle, son seul, vrai et unique modèle, c'est le président du conseil italien, Silvio Berlusconi.

Je ne ferai pas ici le détail des accusations de collusions mafieuses qui courent très solides contre Berlusconi, non, je vais me contenter de ce qui devrait nous sauter aux yeux : le pays qui, dans les derniers mois, a pris des mesures très sévères et violentes contre les Tziganes, c'est l'Italie. L'Italie qui les fiche, l'Italie qui les parque, l'Italie qui les prive d'école, l'Italie qui leur crache au visage.

Et c'est là que l'intervention du pape prend tout son sens et toute sa force : c'est que Benoît XVI a déjà eu l'occasion de s'opposer très fermement à des ratonnades organisées en Italie par des milieux mafieux, et que, au fond, reconnaissant dans le pouvoir français le clone de ce qu'elle combat en Italie, l'Église catholique avait toutes les raisons de montrer très précocement son inquiétude, toutes les raisons de réagir avec une fermeté exemplaire, car ce sont nos principes éthiques les plus essentiels qui sont brutalisés par les pratiques de nos deux pays. Plus que jamais, le dérapage de nos dirigeants nous rend frères de part et d'autre de la frontière alpine.

On a d'ailleurs entendu l'extrême droite italienne très satisfaite des propos de notre président. Et si notre gouvernement se clone sur son modèle italien pour les principe éthiques, on tremble qu'il ne se clone aussi sur lui  pour son implication mafieuse.

En tout cas, on aimerait que l'information soit mieux construite et que les journalistes jettent la lumière sur l'obédience politique du pouvoir actuel, sur ses liens idéologiques avec le régime berlusconien, et qu'on en sache un peu plus sur cette Italie de Berlusconi. Et je dois dire qu'Internet, qui se gargarise tellement d'être tellement mieux informant que la presse dite classique, ne fait pas mieux dans ce domaine. On lit à longueurs de colonnes et d'écrans les mêmes glapissements, on cherche en vain dans les journaux comme sur internet les bonnes informations.

Et ne parlons pas des partis politiques.

Le piège bipolaire

Alors que l'exceptionnelle gravité de la dérive idéologique des gouvernants français mériterait un sursaut d'esprit républicain, un sursaut de vérité, la gauche partisane française, elle, en reste aux habituelles fadaises sur un monde meilleur, tellement juste, tellement beau, rideaux à fleurs aux fenêtres, fontaines de miel à tous les carrefours, robinets en or, palais de cristal dans des villes de guimauve. C'est si beau, snif, que j'en écrase une larme. Comment ces gens peuvent-ils encore feindre de croire à ce qu'ils disent ?

Alors qu'il serait si simple de dire la vérité.

Mais évidemment, le Parti Socialiste, qui s'apprête à organiser l'amnistie de l'ancien président Chirac, ne peut pas dire la vérité sur la droite actuelle, car il lui faudrait aussi dire la vérité sur lui-même, sur ses magouilles, ressortir Urba-Gracco, Péchiney, et d'autres plus récentes. Entendre Delanoë dire que, du moment que l'ancien président Chirac avoue, il est pardonné, c'est certes très catholique, mais c'est un peu fort, quand même. À la fin du film L'Appât de Bertrand Tavernier, le personnage interprété par Marie Gillain finit par avouer avoir participé aux horribles meurtres qui lui sont reprochés. Et, très ingénue, dans une scène d'une puissance vertigineuse qui révèle toute son effrayante et monstrueuse inconscience, elle dit "Bon, maintenant que j'ai avoué, je peux rentrer chez moi ?" Alors Chirac, maintenant qu'il a avoué, il peut rentrer chez lui ?

Entendons-nous bien : je ne regrette pas d'avoir fait campagne pour Chirac contre Balladur (et contre Sarkozy) en 1995, il a plusieurs fois été un moindre mal lorsqu'il a fallu choisir, et sa modernisation de la gestion municipale parisienne (merci Juppé) a été remarquable, mais enfin ce type a volé des élections en piochant dans les caisses de la Ville de Paris pendant vingt ans. Et il suffirait qu'il avoue pour rentrer tranquillement chez lui ? Ah non, c'est un peu fort. Et que le PS, coutumier des autoamnisties, lui donne le viatique avec une telle facilité me révolte profondément.

Aujourd'hui, de toutes mes forces, je crois que l'État devrait reprendre l'hippodrome de Compiègne scandaleusement bradé par le ministre indigne Woerth, et je crois que le PS ne devrait pas faire de cadeau à l'ancien président Chirac, dont cependant je salue certains choix positifs.

Plus que jamais, j'ai donc l'impression d'être pris à un piège politique, celui de la bipolarisation, celui du système partisan verrouillé.

Hiérarchiser ses détestations

Que pour échapper aux griffes fascisantes, il faille se jeter dans les bras d'un PS (et satellites) qui révèle en ce moment même qu'il ne vaut guère mieux que son adversaire, c'est le vrai désespoir politique qui gagne ceux qui s'intéressent un peu aux choses de la cité.

À cela s'ajoute l'évidence que c'est le même pouvoir économique qui tire les ficelles de la gauche et de la droite. Mme Bettencourt a longtemps reçu Mmes Mitterrand et Pompidou à sa table, esprit de rassemblement républicain autour des fameuses enveloppes kraft remises en fin de visite, au moment de se quitter, en signe d'allégeance, quelques billets de banque en gage d'amitié. Allégeance des politiques à l'immense puissance d'argent de l'entreprise L'Oréal, mêlée autrefois à la Cagoule, collaborationniste, puis prudemment reconvertie et proche de tous les régimes pourvu qu'ils fissent ce qu'elle voulait.

L'affaire Bettencourt n'en finit pas de révéler ce qu'est devenue la République française, baignée dans un perpétuel torrent de fange. On y voit une nuée de gitons, d'éphèbes, de gigolos, gravitant autour d'un couple qui aime être courtisé et qui, pendant quarante ans, distribue ses enveloppes kraft avec générosité aux étoiles politiques, L'hôtel des Bettencourt à Neuilly fait figure de Parc aux Biches et aux Cerfs, et ses élus deviennent en effet des élus, ils gravissent après avoir gravité.

Ainsi des caprices de boudoir font-ils des carrières ministérielles. Maître Kiejmann était-il déjà l'avocat des Bettencourt lorsque l'ancien cagoulard Mitterrand fit de lui un (bref) ministre ? Luc Chatel a-t-il beaucoup travaillé lorsqu'il émargeait chez L'Oréal avant de devenir ministre ?

Et donc, ce que révèle cette affaire Bettencourt, c'est le réel asservissement de notre classe politique aux puissances économiques qui sont, elles, subjuguées par les mirages de la spéculation financière mondiale. C'est ce qui rend la démarche de Quitterie de Villepin (que nous aimons au moins autant que quand elle se nommait Quitterie Delmas) particulièrement pertinente : si la scène politique n'est qu'un théâtre d'ombres, si en fait les politiques ne sont que des marionnettes, c'est dans la sphère des tireurs de ficelles qu'il faut agir, donc dans la sphère économique, en usant de notre marge de manœuvre personnelle pour, autant que possible, ôter de l'argent (donc du pouvoir) aux tireurs de ficelles actuels et en donner à d'autres qui nous paraissent meilleurs. C'est juste, et je suis fier d'avoir désormais pour banque le Crédit Coopératif, une banque qui ne joue pas en bourse et qui contribue à des projets sociaux et environnementaux.

En complément de cet engagement, Quitterie a fait un long développement dans un commentaire sur le blog d'Arnaud Dassier pour expliquer que les politiques ne la prendraient plus dans leurs filets. C'est juste aussi, et ma lecture de ces phrases de Quitterie n'est pas que je renvoie désormais tous les politiques dos à dos sans nuance, mais que je dirai publiquement ce que je pensais depuis longtemps : je ne suis pas dupe. Ils peuvent dire et faire dire ce qu'ils veulent, je ne serai pas dupe. Je savais les turpitudes chiraquiennes lorsque j'ai fait sa campagne en 1995, je n'étais dupe de rien, mais il fallait faire obstacle au trio infernal Balladur-Pasqua-Sarkozy. Je n'étais pas dupe de Bayrou ensuite, car je savais de près sa gestion méprisante des adhérents des partis qu'il a successivement dirigés. Je n'étais pas dupe, mais je ne le disais pas, je laissais croire qu'un miracle était possible, je participais à l'effort d'illusion, parce que j'avais la conviction que, de tout le personnel politique disponible, Bayrou était le moindre mal, ce que je continue à croire.

Désormais, je ne me contenterai plus de penser que je ne suis pas dupe : je le dirai aussi. Je dirai par exemple qu'il n'y aura pas de miracle en 2012, mais que dans cette élection, il faudra choisir le moindre mal.

Et je continuerai à choisir parmi les candidats, je continuerai à me prononcer.

La vérité et le courage, centrisme historique

Je crois que mon blog, ensommeillé depuis des mois, va retrouver un peu d'activité. C'est qu'il me semble que sa voix (et mon expérience) manque à la blogosphère. Non pas que je me considère meilleur, mais simplement que, parmi les blogueurs politiques, mon chemin est singulier, mon regard n'est certainement pas le plus important, mais il n'exprime pas seulement ma pensée ni ma sensibilité, il témoigne de ce qu'un centriste au sens banal et presque historique du terme peut penser de l'actualité politique.

Il y a des quantités de blogueurs de gauche, des blogueurs libéraux, des blogueurs indépendants, mais d'authentiques blogueurs formés à la politique par le milieu centriste, il n'y en a pas foule. Pour participer équitablement au débat, je tenterai donc d'apporter désormais ce regard d'un ancien adhérent des JDS, du CDS, de Force Démocrate, de l'UDF, d'un ancien barriste, plus que du MoDem lui-même dont je reste cependant adhérent.

Cette filiation et ce parcours politiques se sont beaucoup enrichis dans les dernières années, mais je m'aperçois que c'est le substrat qui l'emporte dans le choix politique, dans le choix entre un mal et un moindre mal. Puisque je suis en mesure d'être ce témoin, je m'y efforcerai.

L'utilité de ce point de vue exprimé est par exemple que, lorsque j'entends la gauche reprocher à Bayrou de n'avoir pas appelé à voter Royal au deuxième tour en 2007, je suis en mesure de dire que ça n'aurait pas marché, parce que la révélation des tares du candidat de droite n'avait pas fonctionné, et que la particularité la plus forte de l'électorat centriste est que, comme disait Hugo, "à la consigne je préfère la conscience", c'est-à-dire qu'il écoute poliment ce que disent les candidats, y compris les candidats centristes, mais qu'il se détermine par l'effort de son propre cerveau. Il n'y a pas de discipline électorale centriste, chacun est libre de ses idées et de ses choix. C'est pour que ce point de vue soit compris que je tiendrai ce blog, en relayant aussi, par affection, les éventuelles initiatives de Quitterie.

J'invite enfin mes lecteurs à lire le beau texte de Jean-Pierre Rioux paru à la une d'Ouest-France ce week-end : il dit des choses très justes sur le courage. À très vite.

24/11/2008

Comment je suis devenu le dernier président des JDS de Paris.

C'est une note curieusement liée à l'actualité, que je fais en particulier pour ceux de mes lecteurs qui aiment que je leur fasse les "belles histoires de l'Oncle Paul" du centrisme et de la famille démocrate française.

En 1994, le Centre des Démocrates Sociaux (CDS) vivait ses dernières heures. Il était à bout de souffle après dix-huit ans d'existence, sa dynamique avait disparu avec son fondateur, Jean Lecanuet. L'année 1994 fut émaillée de non moins de deux congrès du CDS, le premier à Rouen, ville longtemps dirigée par Lecanuet, le deuxième à Paris porte de Vincennes, sur la pelouse de Reuilly.

La décrépitude du CDS avait commencé vers 1991-92 et je me souviens d'avoir vu pour la dernière fois Lecanuet, au tout début 1993, lors des voeux annuels du président du Sénat (Monory), très amaigri, frêle, soutenu par deux personnes. Il est mort peu de mois après, on m'a dit que c'était d'un cancer de la peau dû à un excès d'UV.

Au moment de la mort de Lecanuet, Bernard Bosson, jeune maire d'Annecy et fils du sénateur Charles Bosson, centriste historique, était le seul candidat déclaré à sa succession. Il y avait eu auparavant une tentative de Dominique Baudis, alors maire de Toulouse et ancien président des Jeunes Démocrates (modèle 1965), mais sans aboutissement réel, avec plutôt une balkanisation du mouvement. J'en parle peu, parce que c'était un moment où j'avais choisi de prendre mes distances.

Quoi qu'il en soit, dans l'été 1993, François Bayrou, qui recevait l'Université d'Été des JDS sur ses terres des Pyrénées Atlantiques (à Biarritz), s'aperçut que les conditions étaient réunies pour qu'il pût se présenter à son tour à la présidence du CDS. Il le fit peu après.

Au moment où il annonça son intention, Bosson faisait la quasi-unanimité, caracolant dans toutes les enquêtes, bref, c'était gagné d'avance pour lui.

Or le congrès avait été prévu de longue date pour se tenir à Rouen, au printemps 1994. Pour une raison que j'ignore, l'idée vint qu'il serait difficile de voter pour un nouveau président lors de ce congrès, sans doute en raison des élections européennes qui devaient avoir lieu en juin suivant et où Baudis serait en définitive tête de liste commune UDF-RPR. Bosson, qui avait toutes les cartes en mains, qui pouvait tout, commit la faute d'accepter ce report qui devait le placer en positio défensive pour les six mois suivants et, en définitive, le faire perdre.

Le congrès fut évidemment une mare aux grenouillages. Son moment le plus fort, dans mon souvenir, fut la montée à la tribune de Valéry Giscard d'Estaing, parce qu'il était détesté par la salle. Il traversa celle-ci de part en part, du fond jusqu'à la tribune, au milieu du silence glacial des 1500 délégués. Puis, parce que c'est un grand orateur, en quelques phrases où il s'exprimait sur Jean Lecanuet (mort depuis peu), VGE souleva un tonnerre d'applaudissements et il parvint ainsi à ressortir encore sous les applauddissements, un véritable tour de force.

Et pourtant, à l'automne, lorsqu'il m'est arrivé de dîner à la table de Bayrou au ministère de l'Éducation Nationale où se tenait son équipe de campagne (Bosson étant mieux implanté au siège du CDS), Bayrou nous a confié à quel point l'antagonisme avait été fort entre le grand bourgeois Giscard et le méritocrate Lecanuet, un choc culturel.

Entre-temps, j'avais dirigé l'équipe qui répondait au courrier de la liste conduite par Baudis pour la campagne européenne de juin 1994. Là, nous avions gagné, avec d'ailleurs difficulté, et j'avais pu constater la constitution d'une ligue des gérontes de l'UDF (VGE, Monory et Barre) autour de la candidature de Chirac pour l'élection présidentielle qui devait avoir lieu l'année suivante.

Bosson, lui, était très engagé auprès de Balladur, ainsi que le président de la fédération CDS de Paris, le conseiller de Paris et neveu de Jacques Barrot, Jean-Charles de Vincenti. Les balladuriens se groupaient donc autour de Bosson, c'était logique. cela avait la conséquence de fournir à l'adversaire de Bosson le réseau de ceux qui penchaient plutôt pour Chirac.

L'Université d'Été des JDS eut lieu au Pradet, dans les hauts du Var, cette année-là. L'équipe sortante des JDS, conduite par Jean-Luc Moudenc, ne s'en occupa guère et l'équipe entrante n'avait pas encore été élue. Comme j'avais organisé plusieurs universités d'été quelques énnées plus tôt, je pris (sans mandat) la chose en mains et je me revois, en juillet 1994, tout seul (la secrétaire Chantal Renaud était en vacances), il faisait très chaud, portant des cartons entiers de lettres à l'Assemblée Nationale, d'où elles étaient expédiées sous le timbre de plusieurs députés (il me semble que c'est Jean-Christophe Lagarde qui, comme numéro 2 de l'équipe sortante et encore je crois assistant parlementaire, finit par organiser cette expédition).

De ce fait, après la campagne européenne, je me retrouvais au milieu des événements. C'est à l'Université d'Été que nous avons élu Christian Bartholmé (qui vient de se manifester à moi sur Facebook) dernier président des JDS. Il était pour Bosson et pour Balladur, comme d'ailleurs Lagarde et la plupart des présents.

C'est le moment où j'ai scellé mon deal avec Claude Goasguen, par l'entremise d'un jeune du XIIe qui se nommait Pierre-Alexandre Kropp. Goasguen soutenait Chirac (dont il était proche) et Bayrou avec lequel il avait fait ses premières armes comme JDS (lui aussi) quinze ans plus tôt. Retrouvant mon président des JDS Éric Azière, je me suis ainsi retrouvé intégré à l'équipe de campagne de Bayrou et je venais plusieurs fois par semaine prendre le courrier reçu par Bayrou (émanant de militants), auquel je répondais en utilisant les textes et discours de Bayrou. J'avais fait ça pour Baudis aux Européennes (avec trois collaboratrices) et je continuais seul pour Bayrou.

Cette campagne dura près de trois mois et j'en garde une foule de souvenirs chaleureux.

Parmi eux, cette réunion avec Bayrou dans la grande salle du rez-de-chaussée qui donne sur le jardin intérieur du ministère, où Bayrou rencontrait les vingt ou trente cadres JDS qui le soutenaient.

- Alors, pour la présidentielle, vous allez voter pour qui ?

- Pour Balladur.

- Pour Balladur.

(Le CDS avait choisi de soutenir officiellement Balladur et les jeunes, très anti-chiraquiens, étaient presque tous sur cette ligne, Bayrou lui-même soutenait officiellement Balladur qui était son chef de gouvernement).

- Pour Balladur.

- Pour Balladur.

La parole vint à moi, le dernier :

- Pour Chirac.

Silence.

- Eh bien, vois-tu, me dit-il, si j'ai choisi de soutenir Balladur, c'est pour éviter que la porte se referme sur la candidature unique.

Au passage, on voit la clairvoyance de Bayrou pour qui Chirac (qui était pourtant au fond du trou dans les sondages) restait le favori de l'élection et Balladur celui qui permettait d'éviter la candidature unique et stalinienne d'un monolithe de la droite et du centre droit.

Or c'était paradoxal car, dans le même temps, Balladur annonçait que, s'il était élu, il rassemblerait l'UDF et le RPR dans un seul parti (ce que Chirac fera plus tard sous le nom d'UMP avec ceux de l'UDF qui le rejoindront, la majorité des élus), cependant que Chirac garantissait que, s'il était élu, il laisserait existence et pleine autonomie à l'UDF, ce qu'il a d'ailleurs fait.

On voit à quel point les choses étaient confuses et on se battait à front renversé.

Ce débat de structure soulignait la péremption du format CDS. Et, lors du congrès qui eut lieu en terre chiraquienne , à Paris, à la fin de l'année 1994, l'avenir se formulait à travers lui : Bosson voulait un grand parti de droite et du centre droit (voter pour lui revenait à créer une CDU à la française, ancrée à droite) sous la houlette de Balladur ; Bayrou voulait un grand parti occupant l'espace central, qui aille de Balladur à Jacques Delors. Dans les deux cas, le CDS, comme tel, était appelé à se fondre dans un mouvement plus large.

Ce congrès rassemblait des délégués des fédérations départementales (à la manière de ce qu'on vient de voir au congrès socialiste de Reims). La veille du vote, les deux maîtres ès réseaux, Yves Pozzo di Borgo et Éric Azière, avaient pronostiqué l'un que Bayrou aurait 667 voix, l'autre qu'il en aurait 664, il en eut, si ma mémoire est bonne, 661, qui représentèrent 57 % des délégués, nous avions gagné.

Vint l'élection municipale. Suivant mon deal avec Goasguen, je fus élu adjoint au maire du XVIe arrondissement et celui qui m'avait permis d'arriver là, Kropp, devint conseiller du XIIe arrondissement.

Puis il fallut préparer le congrès par lequel le CDS devait se fondre dans une entité (à peine) plus grande, Force Démocrate.

La situation des bossono-balladuriens à Paris devenait très inconfortable par la double pression des chiraquiens et des bayrouistes. Ils finirent par jeter l'éponge et par quitter le CDS, vers septembre 1995 si ma mémoire est bonne.

Jean-Manuel Hue s'en alla donc, quittant la présidence des JDS de Paris, et emmenant la quasi-totalité des cadres et le plus grand nombre des adhérents de la fédération. De ce bureau fédéral décimé, il restait deux vices-présidents et moi, qui en étais devenu membre de droit par le fait de l'élection, et quatre autres, dont Kropp.

Il y eut une réunion pour pourvoir à l'intérim en attendant le congrès. Elle eut lieu dans un très petit bureau du rez-de-chaussée de l'aile du ministère de l'intérieur que Goasguen avait prise pour son éphémère ministère de la Réforme de l'État. Hervé Bénessiano, aujourd'hui premier adjoint au maire du XVIIe arrondissement et depuis toujours bras droit de Goasguen (et accessoirement mon premier président des JDS de Paris quand j'ai adhéré en 1981), présidait la séance.

Les deux vices-présidents revendiquaient la présidence intérimaire et se chamaillèrent un certain temps. le premier, Vincent C, était le jeune de service du VIIe arrondissement (sous la houlette de Pozzo), le deuxième, Philippe Chaumont, était du XIVe que Goasguen venait de quitter pour rallier le XVIe arrondissement en vue de prendre une circonscription législative (ce qu'il fit en 1997).

Comme il était impossible de mettre les deux vice-présidents d'accord l'un avec l'autre et comme il n'existait aucune disposition permettant de trancher entre eux, j'ai fini par proposer que, puisque j'étais le plus ancien dans le grade le plus élevé (comme on dit dans l'armée), j'assumerais l'intérim, le temps de participer au congrès fondateur du nouveau parti, après quoi j'organiserais sous trois mois une AG où serait élue l'équipe dirigeante du nouveau mouvement de jeunes à Paris.

Je sentis que Kropp et les trois autres membres de base du bureau étaient soulagés par cette proposition. Les deux vice- restèrent cois un instant, puis commencèrent à mettre mon intégrité en cause.

Là, c'était trop, je tapai du poing sur la table, j'indiquai que j'assumerais l'intérim avec le titre de coordinateur , que l'un des membres non-titrés serait secrétaire, l'autre trésorier (fonctions statutaires) et que tous les autres seraient vice-présidents. Quelqu'un avait une objection ?

Non. Ils n'osèrent pas.

Le nouveau secrétaire émit l'idée qu'il vaudrait mieux que je prenne quand même le titre de président et ne fut pas contredit.

Tout le monde signa le PV que nous allâmes aussitôt déposer à la préfecture.

Voilà comment je suis devenu le dernier président des JDS de Paris, en un temps lointain, l'automne 1995, dont je me souviens avec plaisir maintenant que je suis entièrement tourné vers l'avenir avec Quitterie Delmas.