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16/01/2009

Doriot, Déat, Éric Besson, comment passer de la gauche internationaliste à la droite xénophobe.

Jacques Doriot et Marcel Déat ont un point commun : ils ont débuté en chantant l'Internationale. Puis, de déception en irritation, de pulsion en calcul, ils ont fini par soutenir la collaboration au nazisme, le régime le plus antinomique de leurs premiers engagements. L'un, Doriot, en est mort, l'autre, Déat, en est déchu à tout jamais.

Voici comment il faut ouvrir toute réflexion sur le fait que des gens qui se sont longtemps dits de gauche participent  désormais activement à une politique, celle de l'UMP, dont les fondements idéologiques sont purement pétainistes, jusqu'à l'abjection.

Et si l'on a pu faire semblant de croire un moment aux boniments de ceux qui affirmaient qu'eux, dans leur coin, dans leur département ministériel, sauvegardaient pleinement leurs idéaux de gauche, le passage d'Éric Besson au ministère qui incarne le nerf même de l'action de l'actuelle majorité : État policier et chasse purement démagogique à l'Immigré, ce passage, donc, fait tomber le voile fragile tendu par ces tartuffes sur la réalité de leur action dont l'Histoire leur demandera raison.

Il ne manque plus que Kouchner pour succéder à Besson et tout sera dit. Les manteaux de cuir auront changé d'emblème, pas de destin.

29/01/2008

Quand "Le Monde" était la "voix de la France".

Le journaliste Jacques Bugier a développé récemment sur France Démocrate un plaidoyer éloquent pour la survie d'une certaine ambition professionnelle du journal "Le Monde". La deuxième lettre que je puise dans le fonds de correspondance de Jacques Maritain dont j'ai entamé ici la publication, illustre pleinement le rôle quasi-institutionnel joué par le quotidien durant de nombreuses années, jusqu'au moment où ce sont des reportages aux journaux télévisés qui ont commencé à tenir la même fonction de communication diplomatique.
 
On voit le pape anxieux d'être écouté ; est-ce un peu puéril, une quête de flatterie ? Est-ce la définition d'un processus de communication indirecte ?
 
Il est question ici de la remise des lettres de créance qui est techniquement le moment où un diplomate se fait reconnaître d'un gouvernement et où ce gouvernement le reconnaît officiellement pour son rôle politique. C'est en somme la première rencontre solennelle entre les autorités et l'envoyé. On voit que cette cérémonie a lieu le 10 mai 1945, deux jours après la capitulation nazie et cinq ans jour pour jour après le déclenchement de l'offensive en 1940.
 
On voit aussi que, dès 1945, on attend des engagements précis du Vatican au sujet de la Shoah. 
 
"Ambassade de France près le Sainr-Siège, 28 mai 1945.
 
Mon cher ambassadeur,
 
Au cours de l'audience qu'il m'a accordée hier, le Saint-Père a manifesté d'une manière particulièrement vive l'intérêt qu'il porte à notre pays, et son affection paternelle pour notre peuple qui, m'a-t-il dit, a si injustement souffert. Le pape, dont on connaît la sensibilité, m'a semblé anxieux de savoir que ses sentiments étaient connus et appréciés en France, et que ses bonnes volontés pourraient apporter une aide efficace à l'effort de reconstruction de notre pays. Il m'a demandé quel effet avait produit sur l'opinion l'allocution qu'il a prononcée lors de la remise de mes lettres de créance.
 
J'ai retiré de cet entretien l'impression que le Souverain Pontife serait très sensible aux échos qui pourraient lui revenir à ce sujet de Paris et qui témoigneraient de l'accueil fait à sa parole. Il serait, je crois, désirable qu'un journal, tel que "Le Monde", notât les bonnes dispositions du Saint-Père à notre égard et commentât les passages essentiels de l'allocution du 10 mai. Il serait également bon qu'une publicité suffisante soit faite au discours que le pape, ainsi que je l'annonce par ailleurs au département (càd au ministère), prononcera le 2 juin, et où j'espère qu'il n'exprimera pas seulement sa compassion pour les souffrances des déportés en Allemagne, mais réprouvera publiquement les atrocités dont ils ont été victimes.
 
Je vous laisse le soin de donner suite à cette suggestion de la manière que vous jugerez la plus opportune.
 
Veuillez agréer, mon cher ambassadeur, les assurances de mes sentiments distingués et dévoués.
 
Jacques Maritain" 

26/01/2008

Lettre de Maritain : la suite.

Suite de la lettre du 20 mai 1945 dont j'ai commencé la publication hier.
 
"(...) Mgr Tardini a précisé à notre compatriote que le Saint-Siège ne voulait prendre en cette matière l'initiative d'aucune intervention, mais qu'il restait disposé à accepter éventuellement quelques démissions. Il considère comme une procédure normale que les archevêques donnent aux intéressés l'ordre de se démettre.
 
Mgr Tardini estime d'ailleurs qu'il appariendrait à l'Église de France de prendre des dispositions en vue d'assurer aux évêques démissionnaires une situation matérielle suffisante.
 
Mgr Tardini a cité notamment le cas de l'évêque d'Arras et celui de l'évêque de Saint-Brieuc, en ajoutant que pour celui-ci on semblait s'acheminer vers un accommodement.
 
En ce qui concerne Mgr Beaussant, Mgr Tardini a semblé soucieux d'éviter que les mesures qui pourraient être prises éventuellement à cet égard ne puissent porter atteinte au cardinal Suhard. Il a laissé entendre que Mgr Beaussant étant évêque auxiliaire et vicaire général (de Paris), on pourrait le relever simplement de ses fonctions de vicaire général.
 
L'abbé Rodhain a été chargé de faire part de ces indications au cardinal Suhard.
 
 
 
J'espère me rendre à Paris, selon ce qui a été convenu entre nous, au début de juin, afin d'examiner avec vous et le département (càd le ministère) les compléments à apporter à l'organisation du poste (diplomatique nouvellement créé au Vatican). M. Bourdeillette et le père Delos sont pour moi des collaborateurs précieux et irremplaçables, et je me félicite de les avoir tous deux pour m'assister. Mais il est essentiel de compléter les cadres. Tout d'abord il est nécessaire d'adjoindre à l'unique secrétaire-dactylographe que nous avons en ce moment, et qui est parfaitement dévouée mais travaille au-dessus de ses forces, deux autres secrétaires dont l'une sache très bien l'italien.
 
Après cela il semble indispensable d'avoir, outre un attaché d'ambassade ou un vice-consul, qui déchargerait M. Bourdeillette de la correspondance courante, un chargé de mission qui soit suffisamment cultivé pour coordonner les diverses oeuvres de documentation et d'information qu'il est de première nécessité d'établir afin que les activités catholiques françaises soient mieux connues dans les milieux romains, et que l'influence française ait sa juste place dans la formation intellectuelle des étudiants ecclésiastiques qui viennent ici de tous les pays et qui exerceront plus tard un rôle dirigeant. Je vous entretiendrai de vive voix des projets que je voudrais vous soumettre au sujet de ces oeuvres, qui à mon avis devraient être autonomes tout en étant soutenues et contrôlées par l'ambassade.
 
Veuillez agréer, Mon cher ambassadeur, l'expression de mes sentiments distingués et dévoués.
 
Jacques Maritain"
 
Deuxième lettre, demain. 

25/01/2008

Inédit : échanges épistolaires de Jacques Maritain au sujet des relations diplomatiques de la France et du Vatican.

Comme je l'avais annoncé, je commence aujourd'hui la publication d'un ensemble de lettres officieuses adressées par Jacques Maritain à l'administration centrale des Affaires Étrangères juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
 
À cette époque, ce philosophe, converti du protestantisme au catholicisme et marié à une juive, cofondateur de la revue Esprit avec Emmanuel Mounier (l'homme du personnalisme), est ambassadeur de France près le Saint-Siège, c'est-à-dire auprès du pape. Il a donc à gérer la délicate question de l'épuration du clergé qui, outrepassant son rôle strictement spirituel, s'est immiscé dans la chose politique, en l'occurrence dans la collaboration.
 
Ces courriers n'ont pas été écrits pour être publiés, ils sont destinés, à l'époque, à éclairer la correspondance officielle échangée entre le poste diplomatique et les autorités parisiennes.
 
Matériellement, ils sont adressés à Jean Chauvel, secrétaire général des Affaires Étrangères après avoir dirigé le "groupe Chauvel" qui, dans la Résistance, a reconstitué les archives sensibles du ministère qui avaient été brûlées stupidement dans le jardin du ministère sous le coup de la panique en juin 1940.
 
Je m'efforcerai de respecter l'ordre chronologique ou du moins celui des affaires en cours.
 
"Ambassade de France près le Saint-Siège, 20 mai 1945.
 
Mon cher ambassadeur,
 
Je vous remercie cordialement de votre lettre du 7 mai. Je ne l'avais pas attendue pour entretenir Monseigneur Montini (ndht grâce à un lecteur : Montini est le futur pape Paul VI) de la question du Consistoire, dans une conversation que j'ai eue avec lui le 11 mai.
 
Je ne lui ai pas caché que l'élévation à la pourpre (ndht : càd le cardinalat) de prélats dont les sympathies pour le régime du Maréchal (Pétain) s'étaient manifestées avec persistance causerait dans le pays un scandale préjudiciable aux intérêts du catholicisme et à l'union entre Français, et serait franchement déplaisante au gouvernement. J'ai cité notamment les noms de Mgr Feltin (ndht : alors archevêque de Bordeaux), de Mgr Marmottin (alors archevêque de Reims), du père Gillet ; j'ai cru devoir faire remarquer également que si Mgr Grente (archevêque du Mans depuis 1943) était moins ouvertement compromis que ces prélats, ce serait cependant une erreur de croire que cet académicien a en France un tel prestige intellectuel que son élévation serait regardée comme un geste destiné à être agréable à notre pays.
 
Mgr Montini s'est prêté de bonne grâce à cette conversation ; mais, comme je m'y attendais, il a voulu avant de s'y engager souligner le caractère purement amical de cet entretien : la création de cardinaux est en effet une matière où le Saint-Siège se montre jaloux de ses prérogatives et où nous n'avons aucun moyen d'opposer un "veto" à ses décisions. C'est seulement par des voies où la fermeté s'enveloppe de plus de nuances que nous pouvons faire valoir notre influence ; c'est à elles, me semble-t-il, qu'il faut continuer de recourir pour s'opposer efficacement à la nomination des prélats dont vous m'avez signalé les noms.
 
Dans un nouvel entretien que j'ai eu hier, 19 mai, avec Monseigneur Montini, je suis revenu encore sur cette question, en faisant mention des noms qui au contraire seraient accueillis favorablement par le pays et qui sont indiqués dans la note jointe à votre lettre du 7 mai.
 
J'ai aussi abordé la question de l'épiscopat en signalant que le gouvernement avait espéré que l'Église prendrait elle-même les mesures nécessaires, mais que, rien n'ayant été fait jusqu'à présent, il était inévitable que la loi suive son cours à l'égard des prélats qui se sont exposés, en soutenant la collaboration avec l'ennemi, à des condamnations infâmantes. Mgr Montini m'a répondu que la question était du ressort de Mgr Tardini, que j'irai voir bientôt à ce sujet. Je lui ai alors exposé longuement, en me tenant sur le terrain de la confiance personnelle qui existe entre nous et qui permet de dire bien des choses, l'ensemble du problème, sa gravité morale et spirituelle, et les répercussions politiques qu'il risque d'entraîner. Je compte en entretenir aussi personnellement le Saint-Père si j'ai une audience avec lui avant de partir pour Paris.
 
D'autre part, j'ai appris de source sûre que l'abbé Rodhain, actuellement à Rome, a été chargé par Mgr Tardini de faire parvenir à Mgr Roncalli (ndht : le futur pape Jean XXIII), sur la question des évêques, certaines indications que la secrétairerie d'État (ndht : les Affaires Étrangères du Vatican) préfère ne pas transmettre par écrit (...)"
 
La suite demain !