27/05/2015
1945 : après l'épreuve, l'espérance
Quatre nouvelles figures de la Résistance rejoignent Jean Moulin au Panthéon. On se souvient de l'extraordinaire et inégalable discours de Malraux, saluant l'entrée de Moulin et de son cortège d'ombres dans le caveau d'honneur de la patrie reconnaissante. D'autres dépouilles mortelles y étaient déjà conservées, on en a mis d'autres encore depuis, comme un symptôme de la fièvre mémorielle qui tient la France alitée depuis quelques décennies.
Mais ne boudons pas l'événement : fièvre mémorielle peut-être. Personnages quand même. Figures, même. Deux martyrs : Pierre Brossolette et Jean Zay ; deux survivantes flamboyantes : Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle. Deux hommes, deux femmes, un juif, une forcément gaulliste, les différents visages de la Résistance.
Le nom de Pierre Brossolette m'est familier. J'ai fait mes études secondaires dans un vieux lycée un peu décrépit mais alors plein de prestige, le lycée Janson, dans le XVIe arrondissement de Paris. Juste en face, rue de la Pompe, il y avait une librairie tenue par un homme aux cheveux gris, où j'achetais en général mes livres de classe. On ne faisait pas là la queue comme à la grande librairie Lamartine, qui faisait le coin de la rue suivante. Le libraire, costume gris, teint gris, tout à l'avenant, attendait la retraite. Sur sa petite librairie, on avait apposé une plaque officielle à la mémoire de Pierre Brossolette. Celui-ci nourrissait donc les conversations des élèves. Dans ces années 1970 finissantes, la Seconde Guerre Mondiale appartenait encore au passé récent. On disait que Brossolette, pour échapper à ses tortionnaires, s'était défenestré. Image impressionnante pour des gamins de douze ou treize ans.
Jean Zay fut l'un des grands ministres de l'Éducation et des Beaux-Arts, comme l'on disait à l'époque. Et j'écume à l'avance de l'odieuse récupération que Hollande ne pourra s'empêcher de faire de sa mémoire au soutien de la déshonorante et néfaste réforme du collège qu'il tente de faire ingurgiter par notre pauvre France fatiguée.
Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle me fournissent l'occasion de dire un mot sur cet après-guerre dont nous célébrons en ce moment le soixante-dixième anniversaire. On a rarement connu femmes plus lumineuses que ces deux-là, plus engagées dans leur époque, plus sereines devant les énigmes du monde. Elles n'étaient pas seules, en 1945. L'essentiel de la Résistance était de ce bois-là. Le principe même de la résistance intérieure reposait sur un idéalisme forcené, et c'est une génération entière qui est sortie de la guerre comme forgée par l'épreuve du feu.
Il y avait longtemps que les grands mots de l'idéal n'avaient plus résonné dans les couloirs de la République. Avec cette génération de résistants, ils fusaient partout. Idéalisme que rien ne pouvait retenir, même pas les vilaines manies accumulées pendant la longue et lente agonie de la IIIe République. Idéalisme, l'appropriation des groupes de presse par leurs journalistes, et l'interdiction de la propriété des journaux faite aux marchands d'armes et aux maîtres de forges. Idéalisme, les ordonnances de 1945. Idéalisme peut-être au point de ne pas comprendre ce qui se passait en Algérie et en Indochine. Idéalisme dans une France interrogée par elle-même.
Il est un peu effrayant d'entendre une dernière fois ces voix éteintes, ces voix de femmes qui ont connu les camps de concentration nazis, qui en sont revenues, et dont on a l'impression que le témoignage nous a prémunis pendant des décennies de sombrer de nouveau dans l'épouvante. Ce chemin de sept décennies, la fin de l'erreur coloniale, la construction hésitante de l'ensemble européen, la reconstruction de la France, puis l'érosion de ses idéaux, rongés par la cupidité et par l'instinct de destruction, tout cela semblait protégé par leur témoignage.
Et maintenant ? Maintenant qu'il n'y a plus, dans les sphères du pouvoir, personne pour porter l'idéal, que va-t-il se passer ? Vers quel brouillard nous laisserons-nous conduire ? Et maintenant ? Maintenant que des forces historiques d'envergure tellurique réclament leur poids de sang, maintenant que la folie barbare de la guerre totale campe de nouveau sous nos portes, avec son lot farouche de massacres et d'ignominies, l'éruption de la haine ne trouvera plus ces voix claires, échappées du charnier, pour repousser l'abjection et pour retenir les cris de mort. En trouverons-nous d'autres ?
C'est plus que des martyrs et des héroïnes, qui entrent au Panthéon aujourd'hui. C'est toute une époque que l'on ensevelit avec eux et avec elles. Toute une page qui se referme, ne laissant devant nous que, selon l'expression de Georges Bidault, "l'avenir, où l'espérance et l'effroi se rencontrent au miroir des énigmes".
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27/01/2015
À toi, Marie-Anne, qui sauvas un juif
Le jour de la commémoration de la libération des camps de la mort nazis, je n'ai pas envie de reparler de mon grand-père, Édouard Torchet, résistant dans le réseau Libération Vengeur dès 1940, réseau qui se fondit dans Ceux de la Libération au bout d'un an ou deux, je n'ai pas envie non plus d'évoquer mon autre grand-père, Jean Chauvel, qui, dans la clandestinité, condamné à mort par contumace par les occupants allemands, dirigea le groupe d'études des Affaires Étrangères qui préparait l'après-guerre. Non, il me semble qu'il faut parler de quelqu'un qui a fait plus directement pour sauver un juif : Marie-Anne.
La photo que je reproduis ici a été prise par le célèbre photographe Brassaï. Voici pourquoi.
Marie-Anne, née Derrien, fille d'un haut fonctionnaire du Second Empire reconverti dans l'industrie, naquit dans le Finistère, sans doute à Pont-l'Abbé, en 1877. Elle venait après sa sœur aînée, qui était la mère de Jean Chauvel cité plus haut, et après leur frère Marcel, croix de guerre 14-18 et maire de Loctudy (Finistère). Elle avait seize ans lorsque ses parents moururent, quelques mois l'un après l'autre. Vers la vingtaine, elle épousa l'un des représentants d'une famille qui construisait des voitures automobiles, l'industriel Pierre Delaunay-Belleville. Elle lui donna quatre enfants : Yves et Yvonne, Jacques et Jacqueline. Au choix des prénoms, on mesure le caractère déjà fantasque de cette jeune mère.
Après ces quatre couches en huit ans, il apparut vite qu'elle n'était guère douée pour la vie bourgeoise. Quelques années plus tard, elle se sépara de son époux qui lui laissa les biens fonciers achetés ensemble, un confort suffisant. Livrée à elle-même, elle s'abandonna aux talents artistiques qui étaient sa vraie vocation comme ils furent celle de son frère cadet Georges.
Mélomane comme toute sa famille, mais réellement douée pour le piano, Marie-Anne se fit pianiste. Après l'Armistice de 1918, elle partit en tournée dans toute l'Europe, en Roumanie en particulier. C'est là, au cours d'une tournée, qu'elle découvrit le futur Brassaï. Elle lui conseilla de venir à Paris. Il vint. Elle l'hébergea et, pour lui donner quelque chose à faire, le chargea de remuer l'épais désordre qu'elle entretenait chez elle. Il déménagea son fourbi. Elle le surnomma "Fourbi".
À cette époque, à Paris, elle fut l'un des piliers de la Coupole. Elle y passait ses journées au milieu de l'effervescence exceptionnelle que cette brasserie devenue mythique connaissait à cette époque.
Elle n'eut pas que des bonheurs : dans ces années 1920, elle perdit trois de ses quatre enfants, qui moururent dans des accidents d'avion ou de voiture. Sa dernière fille survivante, Jacqueline, se maria en 1929, mais perdit son mari six mois à peine après la naissance de leur fils unique. Quelques années plus tard, Jacqueline se remaria au général Pechkoff, fils probable du poète russe Gorki, et diplomate français.
Lorsque l'armée française s'effondra, en 1940, Marie-Anne vivait en bourgeoise excentrique dans le XVIe arrondissement de Paris. Elle se fournissait régulièrement chez un épicier oriental de quartier, un juif russe. L'employé de ce juif russe tranchait le saumon fumé comme personne. Il obtenait des tranches fines comme du papier à cigarette, le sommet du raffinement. On le connaissait (et je l'ai connu quarante ans plus tard) sous le nom de "Monsieur Victor". Monsieur Victor était juif, lui aussi.
Marie-Anne, qui avait voyagé en Europe et qui savait ce qui s'y passait, prit Monsieur Victor chez elle, tout au fond de son appartement qui, je crois, se situait rue de la Pompe, près de l'école Gerson. Elle cacha Monsieur Victor dans une pièce du fond de son appartement pendant toute la guerre, sans hésiter. Elle le sauva.
Je ne suis pas sûr que ses voisins aient aimé apprendre ces faits à la Libération, car elle quitta la rue de la Pompe dans les mois qui suivirent la Libération, pour s'installer à Montmartre dans un atelier perché en haut d'un invraisemblable colimaçon escarpé et bancal. Elle se fit évidemment remarquer, car il fallut faire des trous dans les murs pour faire passer son piano qui ne la quittait jamais.
Un soir de 1946, elle mit du lait sur le feu puis, fatiguée, s'allongea un moment. Le lait déborda, éteignit le feu, le gaz se répandit, et elle ne se réveilla jamais. La mort de cette extraordinaire personne fut aussi surréaliste que les instants les plus forts de sa vie : le cercueil ne passait pas dans le colimaçon, le tragique tournait au grotesque. Il fallut mettre la caisse debout pour lui faire descendre l'étage crucial, et je passe sur certains détails macabres. Car le plus terrible suivit. Il y avait une fête foraine en bas de Montmartre, près de chez elle. Le corbillard n'avait pu se garer que de l'autre côté des manèges et des boutiques à frites. Le cortège funèbre traversa la foule, les rires, les lumières, les flammes, à la manière de ces enterrements de pacotille qu'elle avait vus cent fois à Montparnasse et au Quartier Latin, dans les années 1920, à la manière d'un bal des Gad'z'Arts. Mais là, aucune femme nue ne se dressa subitement du cercueil en jouant de la trompette.
Je crois que Marie-Anne est enterrée à Loctudy, dans sa tombe familiale, près de son père et de ses enfants. Elle n'a pas sauvé des millions de juifs, mais au moins elle en a sauvé un. Il en aurait fallu près de six millions comme elle.
08:03 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : juif, résistance, brassaï, pechkoff, gorki | | del.icio.us | | Digg | Facebook
30/10/2009
Affaires de "suicides" et autres fantômes judiciaires surgis du passé.
EDIT : vous pouvez aller prolonger le débat sur cet article sur AgoraVox.
Le renvoi de Jacques Chirac en correctionnelle, hier, n'est pas un événement mineur, c'est peut-être le deuxième grand moment de la carrière de l'ancien président de la république. Comme cela a très justement été noté, seuls deux autres chefs de l'État français ont été jugés avant lui (les deux ont d'ailleurs été condamnés) : Louis XVI et le maréchal Pétain. Louis XVI, en aidant les États-Unis d'Amérique à s'affranchir de la tutelle coloniale britannique, avait pourtant donné un coup de pouce décisif à la libération du monde (avant que les États-Unis n'inversent le miroir). Pétain, lui, était le symbole de ce que la IIIe répubique avait fait de mieux : la dissolution des empires germaniques et la victoire de 1918, le maréchal lui-même ayant eu la solide réputation de prêter une attention maniaque et humaniste au sort de ses soldats.
Le procès de Louis XVI signifia la mort de la monarchie absolue, celui de Pétain emporta la fin de la IIIe république, il n'y aurait pas de retour au statu quo ante 1940, la Libération se voulait révolution. Fins de régime, procès des chefs, le renvoi de Chirac en correctionnelle sonne donc comme le glas de la Ve république.
Comment naissent et meurent les républiques
La IIIe république est née en plusieurs temps, après 1870, sur un ciment : reprendre l'Alsace et la Moselle à l'Allemagne, effacer la tache de la défaite de 1870, laver la France de l'échec militaire en prouvant qu'il appartenait au régime et non à la Nation. Après la victoire de 1918 (une victoire française, puisque la France avait conduit les alliés à la victoire, grâce aux généralissimes français et à la stratégie française), la IIIe république aurait pu s'arrêter, mission accomplie, et passer la main à une suivante. Mais sa victoire elle-même ne rendait pas sa fin logique, alors que sa victoire était en fait sa fin dans tous les sens de ce terme. Après 1918, la IIIe république s'est donc survécu, jusqu'à sa fin tragique en 1940, il faut savoir partir au bon moment, sinon...
La mission de la IVe république fut de traduire en lois et en autres dispositifs publics les principes élaborés dans et par la Résistance. L'ensemble des forces politiques résistantes, même des pétainistes repentis, avait participé à cette élaboration dans la clandestinité, long travail de régénérescence de la république française entrepris par des politiques, des philosophes, des théoriciens et des praticiens, gens de bonne volonté, venus de toutes les strates de la société. L'ensemble des principes fut mis en pratique tôt après la guerre, la IVe république fut encore chargée de la reconstruction, qu'elle fit dans un tourbillon politique qui étourdit à peu près tout le monde. Mais la Résistance n'avait pas posé la question coloniale et la question coloniale ne cessa de se poser à la IVe république, jusqu'à la tuer. L'autre question qui n'avait pas été posée par la Résistance était celle d'un monde où la France ne participerait plus au concert des puissances de premier rang, ce qui n'avait jamais été vu depuis près de mille ans. Cette question se posa en 1956, lorsque l'Union Soviétique menaça d'employer l'arme nucléaire pour interrompre l'opération franco-britannique sur le canal de Suez en Égypte, et lorsque les États-Unis refusèrent d'accorder la protection de leur "parapluie nucléaire" aux Français et aux Britanniques contre les Soviétiques. Pour la première fois depuis le traité de Verdun en 843, la France n'était plus maîtresse de son destin. Ce fut donc à la Ve république de régler le double problème des colonies et de la place de la France dans le monde nouveau.
Elle fit tout cela, dans des conditions d'ailleurs difficiles, les Américains ne considérèrent par exemple l'arme nucléaire française comme "un fait" qu'après la mort du général de Gaulle.
Et la république se survécut, puisqu'elle avait atteint ses objectifs. Et puis, soudain, sans qu'on s'en rende compte, une nuit d'octobre, en 1979, la Ve république est morte.
L'affaire Boulin et les sales manies et manières de la Ve république
Remettons-nous dans le contexte : en 1979, Valéry Giscard d'Estaing est président de la république depuis cinq ans. C'est un surdoué : député à trente ans, secrétaire d'État à trente-trois, ministre des finances à trente-cinq, d'ailleurs inamovible (ou presque) aux finances pendant plus de dix ans, fait inouï, et réel co-créateur de la gestion publique made in Ve république, et finalement président de cette république à quarante-huit ans.
VGE a été élu en 1974 avec le socle électoral des centristes réformateurs de Jean Lecanuet et Jean-Jacques Servan-Schreiber, avec aussi l'aide de Jacques Chirac (alors ministre de l'Intérieur, une position décisive puisque c'est lui qui a établi les résultats définitifs de l'élection et travaillé à celle-ci avec les Renseignements généraux), et d'une partie de l'entourage du défunt président Pompidou (Garaud et Juillet). Son adversaire à droite avait été Jacques Chaban-Delmas, l'homme de la Nouvelle Société, porteur de la part gaulliste des idéaux de la Résistance, honni par les pompidoliens les plus conservateurs. En 1976, Chirac avait rompu avec son allié devenu président, puis s'était emparé du parti gaulliste, l'UDR, qu'il avait rebaptisé RPR en référence au premier parti gaulliste, le RPF. Depuis ce temps, le RPR et l'UDF giscardienne étaient en guerre sourde mais permanente.
En juin 1979, Giscard avait remporté une éclatante victoire sur Chirac aux élections européennes. Si l'on suit la thèse développée par les proches de Robert Boulin, une partie des gaullistes historiques avait alors entrepris (sous la houlette sans doute de Chaban, président de l'Assemblée Nationale) de se rapprocher de Giscard : Robert Boulin pourrait devenir premier ministre de celui-ci, le RPR éclaterait, les gaullistes de l'idéal reprendraient leur liberté et ce serait la fin du chemin pour Chirac.
C'est alors qu'à l'initiative certainement des réseaux chiraquiens, le "Canard Enchaîné" reçut des documents qui mettaient Boulin en cause dans une sombre affaire immobilière à Ramatuelle, et les publia, ce qui était son devoir, après avoir vérifié leur contenu selon les principes journalistiques. La tempête se leva sur Boulin, qui parut y faire face, sa défense est d'ailleurs assez limpide dans la vidéo rappelée par l'excellent dossier que Bakchich a rassemblé sur cette affaire.
La mort de la Ve république... en 1979
Soudain, coup de tonnerre : Boulin était retrouvé suicidé au petit matin, le 29 octobre 1979, dans un étang. Il faut écouter l'une des vidéos rassemblées par Bakchich, celle où Chaban-Delmas réagit à la mort de Boulin devant les députés : quand il prononce le mot "ASSASSINAT", on voit bien ce qui est en filigrane, la certitude qu'il a que Robert Boulin a été assassiné.
Depuis cette époque, le doute n'a cessé de s'amonceler sur la version officielle, qui ne tient plus guère la route. Selon des échos que j'en ai eus ailleurs que dans la presse, la famille de Boulin est certaine de l'assassinat, propose un modus operandi et indique volontiers des noms de maîtres d'œuvre de l'affaire, qui, selon elle, auraient été "couverts" par Chirac. C'est d'ailleurs ce que suggère l'une des interviews de la fille de Boulin. L'un de ces maîtres d'œuvre aurait alors été lui-même député de la république.
Peu importe alors que le coupable s'appelle Roland ou Charles, peu importe que Boulin ait ou non reçu un coup de pelle en travers de la face, ce qui ressort, c'est que ceux qui ont su la réalité des faits ne peuvent en avoir été intacts. Quand on disait en 1986 que Chaban (de nouveau président de l'Assemblée Nationale) était "un ami personnel" de Mitterrand (qui d'ailleurs s'appuyait fort sur Delors, ancien collaborateur de Chaban), et quand en 1987, Raymond Barre, dans l'intimité du huis-clos avec le bureau national des jeunes centristes (JDS) nous glissa que la "mise en coupe réglée de l'État" était "pire" par le RPR que par le PS, on peut voir ce qu'ils suggéraient, au-delà de la simple vendetta personnelle. D'ailleurs, après le premier adjoint de Boulin, ce fut le fils de Mitterrand qui devint maire de Libourne, en 1989. Il est vrai qu'alors, ni Grossouvre ni Bérégovoy n'étaient morts, et qu'aucun doute de cette sorte ne planait sur le président Mitterrand.
D'autres hypothèses que politique courent parmi ceux qui penchent pour l'assassinat de Boulin. On a aussi parlé d'affaires plus crapuleuses, peut-être par contre-feu. De toutes façons, l'ombre du Service d'Action Civique (le SAC, barbouzage gaulliste mêlé d'histoires mafieuses et corses, né contre l'OAS) planait.
Et le fait qu'on ait pu tuer d'une manière aussi sauvage un important ministre de la république, et qu'on ait pu le faire en toute impunité, est ce qui, probablement, a emporté la fin de l'élan de la Ve république, puisque le ver s'y lovait à l'intérieur même du fruit, dans le mouvement-père de la république, parmi les gaullistes*.
C'est d'ailleurs ce qui est flagrant : la plupart des affaires judiciaires qui sont sorties, de celles qui sont allées en justice, jusqu'au prétoire, ont concerné de ces gaullistes, ou plutôt pompidoliens, de mauvaises mœurs, qu'il s'agisse de Pasqua ou de Chirac ou de leurs proches. Pourtant, on dit qu'en son temps, feu Michel Poniatowski (giscardien du premier cercle) était surnommé "le flingueur" (en raison d'un fort taux de mortalité, notamment parmi les ministres et anciens ministres de l'entourage giscardien, à son époque, les gens sont si mauvaise langue), et on ne sait pas bien quoi dire concernant des personnalités du PS comme Gaston Defferre, si longtemps maire de Marseille, avec lequel Mendès avait eu la funeste idée de s'allier pour la présidentielle de 1969.
Que dire de Chirac aujourd'hui ?
Dans notre combat pour écarter les principes politiques incarnés par Sarkozy du pouvoir, nous avons pris l'habitude de considérer que le passé de Chirac comptait moins que la victoire contre notre adversaire commun. Il faut dire que si la vérité sur l'affaire Boulin se faisait jour, on serait plus facilement enclin à fermer les yeux sur une stratégie de conquête du pouvoir qui a, selon le mot juste de Barre, mis l'État en "coupe réglée" pendant des décennies.
Du temps de Chirac, dans les années 1980 et jusqu'au début des années 1990, la Ville de Paris présentait un budget excédentaire d'un milliard de Francs par an. Un milliard. C'était un milliard d'argent de poche pour le maire Chirac, et comme celui-ci est d'un naturel empathique, il n'hésitait pas à en faire profiter des quantités de gens : électeurs de Corrèze, journalistes, réseaux divers, barbouzes de tous échelons, communautés, fils de, cadres sportifs, trouvaient des emplois pas toujours douteux auprès de la Ville.
Le tas d'or de la taxe professionnelle permettait à la Ville de jeter l'argent par les fenêtres, mais au fond, en dehors des prébendes, la Ville n'était pas mal gérée, le ratio dépenses/actions était bon, grâce à l'ingéniosité de Juppé. On peut discuter en revanche de la multiplication effarante des programmes immobiliers et regretter le très mauvais goût (ou plutôt l'absence de goût) de Chirac dans ce domaine. Il y a d'autres points faibles dans la gestion chiraquienne (le retard d'équipements en crèches, par exemple), et évidemment l'étrangeté des relations de la Ville avec de très nombreux fournisseurs et maîtres d'œuvres ne peut que frapper. Qu'on se souvienne d'ailleurs des marchés truqués d'Île de France, dont l'Hôtel de Ville de Paris était l'épicentre et qui ont éclaboussé l'ensemble des partis politiques alors actifs.
Il faudrait en fait, pour examiner le cas Chirac, faire une balance des qualités de sa gestion et des moyens qu'il a employés pour conquérir et conserver ses responsabilités publiques. C'est ainsi que raisonne Victor Hugo dans sa dernière œuvre-clef, "Quatre-Vingt-Treize", lorsqu'il fait dire à Danton, en 1793 : "c'est vrai, j'ai vendu mon ventre, mais j'ai sauvé la France".
Chirac a-t-il sauvé la France ? Il a au moins sauvé notre honneur en 2003, en commanditant ou endossant le refus opposé par Villepin aux pressions anglo-américaines pour l'invasion de l'Irak.
Et pour le reste ? Le condamner lui sans condamner les autres fait-il de lui un bouc-émissaire ? C'est vrai, mais est-ce suffisant pour l'exempter de ses responsabilités propres ?
Disons les choses carrément : il est vrai que sa relaxe prouverait définitivement qu'en politique, tout est permis, seul le résultat compte, mais condamner un ancien président rejaillit forcément sur ceux qui l'ont élu. Nous l'avons élu et réélu. Sommes-nous donc moins coupables que lui, alors que nous savions ?
Se passer des politiques
La vraie solution est simple : pour n'avoir pas à douter des politiques, faire en sorte de ne pas lier son sort au leur, suivre son chemin, prendre soi-même sa vie en charge. C'est désormais la vraie façon de résister.
* EDIT : j'ajoute ici un lien pour approfondir la compréhension de l'affaire Boulin.
22:27 | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : politique, justice, rpr, chirac, boulin, bérégovoy, grossouvre, mairie de paris, pasqua, gaullisme, résistance, chaban-delmas | | del.icio.us | | Digg | Facebook
14/04/2009
Maurice Druon, mort d'un écolo malgré lui.
Je ne vais pas faire une nécro conventionnelle de Druon. Mais il m'a marqué, au-delà même du Chant des Partisans coécrit avec son oncle Joseph Kessel et mis en musique et interprété par une femme, Anna Marly.
Mon goût pour l'histoire s'est révélé devant le feuilleton tiré de ses "Rois Maudits", quand j'avais sept ou huit ans.
Et puis, vers la même époque, on m'a offert un très joli conte écolo qu'il avait écrit : "Tistou les pouces verts", qui a enchanté mon enfance.
Mais bien entendu, sa mort est l'occasion de réécouter et de reréécouter, en boucle, le Chant des Partisans, ceux qui ont su désobéir.
"Ami, si tu tombes,
Un ami sort de l'ombre
À ta place..."
"Sifflez, compagnons,
Dans la nuit, la liberté
Nous écoute..."
22:30 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : culture, druon, kessel, chant des partisans, résistance, académie française | | del.icio.us | | Digg | Facebook
29/01/2008
Quand "Le Monde" était la "voix de la France".
11:10 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, diplomatie, Maritain, vatican, collaboration, résistance, Pie XII | | del.icio.us | | Digg | Facebook
26/01/2008
Lettre de Maritain : la suite.
16:55 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, diplomatie, Maritain, Vatican, collaboration, résistance, épuration | | del.icio.us | | Digg | Facebook
25/01/2008
Inédit : échanges épistolaires de Jacques Maritain au sujet des relations diplomatiques de la France et du Vatican.
18:35 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : histoire, diplomatie, Maritain, vatican, collaboration, résistance, épuration | | del.icio.us | | Digg | Facebook