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29/01/2009

"VILLIER LE BEL ET TARNAC, SOUTIEN AUX EMBASTILLÉES DE LA GUERRE SOCIALE".

La banderole était tendue dans le flanc ouvert d'un camion blanc et portait ces mots (fautes d'orthographe comprises) : "VILLIER LE BEL ET TARNAC, SOUTIEN AUX EMBASTILLÉES DE LA GUERRE SOCIALE", des mots que l'on pourrait croire écrits (fautes d'orthographe en moins) par Qui vous savez.

Tout autour de la place de la Bastille, des réchauds balançaient des rideaux d'effluves de merguez sur une foule qui ne cessait de croître autour des véhicules balisés des syndicats : CGT, CFDT, FSU, et plus loin CFTC, syndicats d'enseignants et autres. L'un des camions de la CGT gueulait à pleins bafles des classiques, "les canuts" ou "le Déserteur" de Vian (dont on ne voit pas bien le rapport avec la choucroute, pour dire la vérité).

Chaque corporation avait sa pancarte ou ses emblèmes. On voyait passer de petits groupes qui semblaient tirés d'un dessin de Sempé, car il y avait parfois juste quatre personnes qui portaient une seule petite pancarte écrite à la main : "Psychologues de l'hôpital N. de Villejuif", presque en ajoutant l'adresse du service, l'étage et le numéro de téléphone. Ceux-là n'étaient pas des manifestants professionnels.

Peu à peu, la place de la Bastille devenait entièrement occupée, comme le boulevard Richard Lenoir qui, de là, va vers la République.

Il n'était pas encore deux heures. Voyant que Quitterie Delmas ne viendrait pas, je m'en retournais et, en refluant par la rue de Rivoli, je croisais encore des groupes, des étudiants d'IUFM, plus loin une centaine de lycéens, des syndicalistes à brassière fluo en retard, des citoyens fermes dans le soleil généreux qui ne faisait pourtant pas encore frémir les prémices du printemps. Ca venait, flot dense de gens issus de tous les horizons. Mais beaucoup de gens dontla gauche est la seconde nature.

J'en ai croisé encore très loin de la Bastille. Des quantités.

17/11/2007

Ouvriers non-délocalisables.

Les ouvriers n'en finissent pas de choquer notre société policée, citadine, bureaucratisée. Ils semblent les vestiges d'un temps ancien, celui des "ouvriers et paysans" du "chant des partisans".
 
Eh oui, il n'y a pas si longtemps, le peuple de l'Europe, c'étaient les ouvriers et les paysans.
 
Les paysans, il en allait ainsi depuis huit mille ans, depuis la révolution néolithique (enfin, ce que les historiens actuels ont laissé de cette théorie). Les ouvriers, depuis le Moyen Âge peut-être, depuis la révolution industrielle à coup sûr.
 
Le point commun des deux branches de ce peuple-là ? La rudesse, la combattivité, un mélange d'individualisme et de solidarité féroces.
 
L'exode rural, à la fin des années 1950, a sonné le glas du peuple campagnard. La mondialisation, la robotisation et les délocalisations ont enterré le peuple ouvrier. Tout le peuple est donc envahi et occupé par une nouvelle Rome : les employés. Toute ? Non. Car un village armoricain résiste victorieusement à l'envahisseur.
 
Armoricain ?
 
Eh oui : Le Reste, l'homme de la CGT, et Morvan, celui de la CFDT, ne sont-ils pas des descendants de ces Bretons qui, par cohortes entières, ont quitté leur patrie au XIXe siècle pour venir bâtir le train à Paris ? Patrick Braouézec, le maire de Saint-Denis, n'a-t-il pas préfacé, voici quelques années, l'album intitulé "Bretons de Paris" ? C'est bien dans cette banlieue nord-est qu'ils se sont installés, les Bretons du train et leurs descendants.
 
Et ils restent, les derniers ouvriers.
 
On pourrait tout délocaliser, jusqu'aux fabriques de charentaises, eux resteraient, les cheminots : sauf dans une histoire de Raymond Devos, il est rare que le train de Paris à Caen passe par Sète et que celui de Lyon à Nantes passe par Changhaï.
 
Ils le savent bien, ils savent que leurs parents ou leurs arrière-grands-parents ont joué un rôle fort dans l'affaiblissement de l'occupation nazie dans les années 1940. Ils savent la blessure qu'inflige à un pays l'arrêt de ses trains. Ils en profitent. D'autant plus qu'ils n'ont pas l'impression d'être les agresseurs : on veut leur infliger trente mois de travail en plus dans une carrière de quatre cent cinquante mois, et ils se rebiffent.
 
Comment leur donner tort si l'on écoute l'argument que, alors que la retraite peut s'élever à 75% du salaire, elle culmine à 65% pour eux ? Faudra-t-il donc compenser l'allongement de la durée de cotisation par une amélioration du taux de pension ? Mais alors où sera l'économie recherchée par les pouvoirs publics ?
 
Pis encore : on dit qu'au mieux, l'économie procurée par le dispositif initial du gouvernement (en fait déjà abandonné) donnait 200 millions d'Euros d'économie ; on dit aussi qu'un jour de grève coûte 7 milliards d'Euros (soit trente-cinq années d'économie). Alors, si l'on comprend bien, la façon dont le gouvernement s'y est pris a déjà coûté (4x35 années d'économie =) cent quarante années de l'économie initialement envisagée. Putain, quels cons, comme dirait l'autre.
 
Tout ça est de la mauvaise politique. On ne réforme pas les retraites segment par segment : il faut remettre tout à plat, sauf à susciter l'impression d'injustice et, aussitôt, la réaction violente des intéressés. En vérité, s'il y a des privilèges, s'il existe des injustices réelles (et il y en a, j'en connais, chacun en connaît), il faut faire ce que Jean-François Kahn a nommé une "nuit du 4 août" par référence à la nuit du 4 au 5 août 1789 où fut décidée l'abolition des privilèges.
 
On croit souvent que ces privilèges n'étaient qu'à la noblesse, mais c'est faux : privilèges des "corporations" de métiers (aujourd'hui ordres des avocats, des médecins, des architectes et autres, on trouvait des métiers fleuris comme "mireurs d'oeufs", et la "nouvelle vague" en 1958 s'est faite contre une logique strictement corporatiste du métier cinématographique où, pour devenir réalisateur, il fallait être coopté, je connais un cinéaste renommé dont le premier film a pour cette raison été signé par un autre, bref...), privilèges des corps de villes, privilèges de juridiction de toutes natures, privilèges fiscaux des institutions d'église, monopoles marchands, vénalité des offices, tout était lié dans un filet d'entraves jeté sur la société. Tout cela, en deux cent dix-huit ans, a repoussé. Il faut donc moissonner l'ivraie.
 
Et si on pouvait en profiter pour rendre un peu de liberté à la Bretagne, ce ne serait pas une mauvaise idée. 

16:15 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : politique, MoDem, Bayrou, Sarkozy, retraites, grèves | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

12/11/2007

Régimes de retraite : la retraite ou le retrait ?

Revigoré par le passage de Jean-François Kahn ce soir chez Denisot (il est bien moins séduisant que Quitterie Delmas qui a été reçue là plusieurs fois, mais tout de même, c'est un sacré spectacle, un plaisir d'intelligence et d'engagement), je trouve de nouvelles forces pour affronter la chronique des désertions annoncées. Cavada veut partir ? Qu'il parte. Bayrou avait cent députés en 2002, il a "fait" 6,5% ; il lui en restait trente en 2007, il a "fait" 18,6%. S'il n'en a plus aucun, jousqu'où ira-t-il ? Quo non ascendet ?
 
Comme disait Victor Hugo : ad augusta per angusta.
 
Exit donc la vieille UDF. J'en ferai demain une première épitaphe. Pour dire la vérité, je voulais le faire ce soir, mais il m'a paru plus juste de m'exprimer sur la grève et surtout sur la réforme des retraites.
 
Rappelons tout d'abord que le système préconisé par Bayrou lors de la dernière campagne présidentielle était à la fois le plus efficace et le plus équitable : l'idée de retraite "à points" offrait à la fois flexibilité et équité.
 
Équité, car elle permettait d'avantager les métiers ou les professions pénibles et dangereux. Je trouve par exemple injuste que rien ne vienne plus reconnaître que le métier des marins-pêcheurs est à la fois très dangereux et extrêmement pénible.
 
Flexibilité, car elle permettait aux salariés de partir à la retraite à l'âge qu'ils désiraient.
 
(Je note au passage le mot "salarié" : n'oublions pas qu'il existe des quantités de professions non salariées pour qui la retraite est un mot douloureux.)
 
Pour en revenir à l'équité, je note aussi que la première iniquité de la solution choisie par Sarkozy est de maintenir le principe d'une durée uniforme de cotisation. Car l'éventail de l'espérance de vie est très ouvert et soumis à une grande variation d'un métier ou d'une profession à une autre. Maintenir une durée uniforme revient à décréter qu'il est juste que ceux qui ont travaillé le plus dur soient aussi ceux qui profitent le moins de leur retraite.
 
Il se trouve que cet argument est celui qui permet le moins de soutenir le mouvement de grève des cheminots. Car leur espérance de vie est au-dessus de la moyenne, assez nettement. Et si le fait de partir jeune à la retraite permettait de vivre plus vieux ? Alors, en supprimant leur régime spécial de retraite, le gouvernement les ramènerait vers la moyenne à la fois en raccourcissant leur période de jouissance de leur pension de retraite et en raccourcissant leur vie tout court...
 
Mais je doute que la réforme aille très loin. Car Sarkozy n'aime guère résister. On l'a vu avec les pêcheurs : l'un d'entre eux l'a traité d'"enculé" ; alors, obligeant, il s'est déculotté. Il a donné tout ce qu'on lui demandait, très au-delà du raisonnable.
 
Cette stratégie de la carpette a commencé à être suivie avec les cheminots : les conducteurs de trains ne seront pas concernés par la suppression de leur régime spécial. Ah bon ? Mais alors... en fait, cette décision, annoncée en catimini, est passée inaperçue de tout le monde. De tout le monde... sauf de ceux qu'elle concerne. C'est ainsi que l'on voit un syndicat spécialisé dans les conducteurs de train ne pas participer au mouvement de demain. Lâchement, ces conducteurs se sont désolidarisés des autres métiers de cheminots. Ceux-ci ont donc leur Cavada, qui se nomme GAAC. 
 
Cette réserve permet à la SNCF souriante d'expliquer que la grève de demain sera (un tout petit peu) moins suivie que celle d'octobre. Et pour cause.
 
À qui le prochain tour ? À qui va-t-on céder pour séparer les travailleurs les uns des autres, voire pour les opposer les uns aux autres ?
 
Quoiqu'il en soit de cette pauvre stratégie, Sarkozy pourra bien se poser en père la victoire, aller parader parmi les cheminots, comme il aura cédé tout l'essentiel, la réforme ne sera qu'une coquille vide, les problèmes perdureront et, comme cela commence à être l'habitude, on s'en sera tenu à l'incantation.
 
Dommage, car l'opinion était prête à une réforme sérieuse.
 
Sérieuse, pourvu qu'elle fût équitable. 

21:55 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : politique, MoDem, Bayrou, Sarkozy, retraites, grèves | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook