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26/11/2009

Dorothy de Warzée, droits d'auteur, numérisation, réédition sur papier.

Le nom de Dorothy de Warzée ne vous dit sans doute rien. Cette femme a été l'auteure d'un seul livre, "Peeps into Persia", paru en 1913 chez Hurst et Blackett, un éditeur londonien. À l'époque, ce livre est passé plutôt inaperçu, tiré à peu d'exemplaires. Depuis ce temps, et jusqu'en 2008, il n'avait jamais été réédité. Mais avec le temps, et avec l'intérêt qui a grandi sur l'Iran (enconre dénommé Perse en 1913), il est devenu un document, une sorte de classique introuvable, qui a fait qu'en 2008, Kessinger publishing en a fait ce qu'on nomme un "reprint", c'est-à-dire un fac-similé. Dans le même temps, l'université de Californie à Los Angeles, mieux connue sous le sigle UCLA, l'a mis en ligne dans le projet Archive.org (j'ouvre une fenêtre de lecture en bas de cet article), très bien numérisé (bien mieux que par Google, soit dit en passant).

Pourquoi j'en parle ? Il se trouve que Dorothy de Warzée est mon arrière-grand-mère, qu'elle est morte en 1963, et que son ouvrage n'est pas dans le domaine public, ce qui ouvre évidemment des perspectives sur le fait que les ayants-droits n'aient jamais été consultés sur les opérations de réédition, ni de numérisation...

Commençons par le commencement.

Dorothy de Warzée, née Davis

Dorothy de Warzée, qui s'intitule "baroness" (baronne) d'Hermalle, est née Dorothy Davis en janvier 1880 à Marylebone, un district de Londres, fille d'un avocat, James Davis. Celui-ci, peu d'années plus tard, fit un pari avec un journaliste et devint ainsi un librettiste d'opérette très renommé, Owen Hall, et pour ceux qui ne savent pas ce qu'est un librettiste d'opérette, je précise que c'est celui qui écrit les lvrets, les textes, des opérettes. Owen Hall était l'un des librettistes les plus en vue à Londres vers 1900, et il faut comparer ce métier avec celui des scénaristes de cinéma à succès d'aujourd'hui : c'était très rémunérateur et très glorieux. Owen Hall se ruinait de temps à autre avec son écurie de courses de chevaux, mais il se refaisait aussitôt avec une nouvelle opérette.

En 1902, la famille passe ses vacances sur la Côte d'Azur, en France. On joue au tennis. Il y a là un couple de Belges. Lui est "directeur des jeux de la reine (des Belges) à Spa", c'est-à-dire qu'il dirige le casino de Spa. La couronne belge l'a nommé à ce poste parce que ça lui interdisait de jouer au casino, et qu'il avait tendance à se ruiner au casino... La femme de ce directeur, nommé Léon le Maire, est née Noémi de Warzée d'Hermalle, fills du baron de Warzée d'Hermalle.

Sans entrer dans trop de détails, disons que la famille de Warzée remonte à Païen de Warzée qui fut compagnon de Godefroi de Bouillon lors de la première croisade, en 1096. Le château de Warzée laisse de vagues ruines quelque part dans le Brabant wallon, je crois. Une branche cadette de ces Warzée s'est installée à Liège vers la fin du XIIIe siècle sous le patronyme Payen de Warzée. À la fin du XVe, elle a abandonné Payen pour ne garder que de Warzée, s'établissant à Huy, une ville alors prospère. Au XVIIIe siècle, deux branches se sont formées. L'aîné de l'aînée était bâtonnier de l'ordre des avocats de Liège en 1789. Ses descendants ont été créés barons de Warzée d'Hermalle par le roi des Pays-Bas, titre confirmé par le roi des Belges lorsque la Belgique a fait sécession en 1831. Le père de Noémie de Warzée d'Hermalle était l'avant-dernier baron, il était un peu excentrique et dilapida sa fortune, ne laissant qu'un dernier baron et Noémi. Le dernier baron fit ce qu'on nomme une adoption simple pour transmettre son patronyme aux fils de sa sœur. Les fils en question se prénommaient Léon et Willy, Willy le Maire de Warzée d'Hermalle fut souventes fois champion de Belgique de tennis (un peu plus que selon la notice wikipedia) et même finaliste en double à Wimbledon en 1918.

Femme de diplomate

Dorothy trouva Léon le Maire de Warzée d'Hermalle séduisant, il fumait le cigare, jouait au poker et pratiquait un humour assez caustique. Elle se laissa donc enlever, on ne sait pas pourquoi les parents ne voulaient pas de cette union, sans doute pour des raisons religieuses. Bref, Dorothy et Léon se marièrent rapidement, puis Léon passa un concours de la fonction publique belge du roi Léopold II et devint consul de Belgique. Le couple alla à Lima, au Pérou, où ma grand-mère est née en 1903, puis revint en Méditerranée (je crois que c'est là qu'est né leur fils Guy, père de l'acteur Michel de Warzée), puis une première fois à Téhéran, dans le pays qu'on appelait encore la Perse, où la Belgique avait obtenu de nombreux marchés publics.

De là, ils allèrent pour quelques mois à Sofia, en Bulgarie. C'est alors qu'on apprit que Léopold II était mort. Léon, Dorothy et leurs enfants revinrent précipitamment à Bruxelles : Léopold II ne voulait pas développer le corps diplomatique de son pays, il se souciait d'économie et ne travaillait que le corps consulaire. Avec sa mort, le corps diplomatique allait pouvoir reprendre de l'étoffe, et Léon tenait à y entrer. Il consacra donc six mois à Bruxelles à préparer le concours, qu'il réussit haut la main. Il repartit aussitôt pour Téhéran dans le corps diplomatique, je pense qu'il devait être premier secrétaire de la légation, à moins qu'il n'ait été directement ministre (c'est-à-dire ambassadeur) de Belgique à Téhéran.

C'est ce second voyage surtout qui a inspiré "Peeps into Persia", le livre de Dorothy.

Le couple Warzée (par commodité et pour répondre au vœu du dernier baron de Warzée d'Hermalle, on utilisait son nom, comme aujourd'hui Galouzeau de Villepin est appelé Villepin dans la vie courante) passa trois ans supplémentaires à Téhéran, de 1910 à 1913, ce qui lui en faisait cinq en tout. Lorsque parut "Peeps into Persia", en 1913, Dorothy ne put rentrer faire la promotion du livre à Londres : son mari venait d'être nommé ministre de Belgique auprès de l'empereur du Japon. Les Warzée remontèrent jusqu'à Moscou, où ils prirent le Transsibérien qui les mena jusqu'à la côte pacifique de l'Asie, en fait jusqu'à la Mer du Japon, qu'ils traversèrent en bateau.

Ils passèrent huit ans au Japon, de 1913 à 1921, notamment toute la Première Guerre Mondiale pendant laquelle Léon ne reçut plus son traitement et vécut un peu de son poker. Contemporain de ma grand-mère, le jeune Hiro Hito, qui fit plus tard trembler l'Amérique pendant la Seconde Guerre Mondiale, fut alors son camarade de jeux...

Du Japon, les Warzée allèrent à Washington pour une conférence importante, puis à Cuba où l'activité principale était le poker, ce qui réjouit Léon. Enfin, pour la première fois depuis douze ans, ils revirent l'Europe. Léon avait été fait baron le Maire de Warzée d'Hermalle par le roi Albert Ier. Signalons au passage que lorsqu'elle s'intitule baronne, en 1913, Dorothy anticipe un peu sur les événements. Licence poétique...

Le dernier poste de Léon fut Pékin. Les Warzée y arrivèrent en 1923 et y demeurèrent jusqu'à la mort de Léon, en poste, en 1931. Dorothy mena alors une vie de veuve itinérante, courant le monde, allant chez des cousins ou chez des amis. Ayant quelque ascendance juive, elle s'éloigna d'Europe autant qu'elle le put pendant la Seconde Guerre Mondiale, qu'elle passa en Afrique du Sud. Elle est morte à Nice en septembre 1963.

Les Davis

Elle avait une nombreuse famille dans les arts au Royaume Uni : l'une des sœurs de son père, Julia, était devenue romancière sous le pseudonyme de Frank Danby, de qui sont nés Gilbert Frankau, Ronald Frankau et même Pamela Frankau (fille de Ronald).

Hyman Davis, père d'Owen Hall (et donc grand-père de Dorothy, avait été circoncis sous le nom de Haim HaLevi. Il avait débuté comme peintre puis, ayant enlevé sa femme (une tradition familiale), il avait dû se trouver une occupation plus rémunératrice, s'était d'abord installé à Dublin, puis était revenu à Londres, où il avait été l'un des tout premiers photographes. La National Portrait Gallery, de Londres, conserve des portraits photographiques réalisé par lui à cette époque, parmi lesquels on remarque des chanteurs d'opéra qui, peut-être, ont contribué à l'essor d'Owen Hall.

Curieusement, Hyman et sa femme Bella avaient confié l'éducation de leurs enfants à une nurse à domicile qui n'était autre que Mme Lafargue, la fille de ... Karl Marx.

Encore plus curieusement, cette éducation n'avait pas empêché le jeune James Davis qui n'était pas encore Owen Hall de s'enrôler dans le Parti Conservateur, et d'y être même investi pour des législatives auxquelles il renonça d'ailleurs à se présenter. Par compensation, Owen Hall était ami du paria Oscar Wilde et de quelques autres artistes moins conservateurs...

La question juridique

Une directive européenne a unifié le principe de la durée de la protection des droits patrimoniaux des ayants-droits, à 70 ans après le décès de l'auteur. Comme on le sait, des tentatives récentes ont voulu porter cette durée à 100 ans, ce qui reviendrait en pratique à cantonner le domaine public aux œuvres passées dans la postérité. Il y a par exemple moins de cent ans que Proust est mort, comme Apollinaire. Dans le domaine phonographique, 100 ans reviendrait à annihiler purement et simplement tout domaine public. Dans la peinture, Monet, mort en 1926, rentrerait dans le champ de l'exploitation patrimoniale dont il est sorti depuis longtemps, ce qui ferait sortir des œuvres des années 1860 (!) du domaine public. On croit rêver. Si un lecteur a la gentillesse de placer un lien pour préciser où en est cette question de la durée, il en sera remercié.

Selon le droit actuel, l'œuvre modeste de Dorothy de Warzée est protégée jusqu'en 2033, ce qui n'est déjà pas mal, son livre étant paru en 1913.

Les ayants-droits sont ma mère, sa sœur, quelques-uns de leurs neveux et nièces, et leurs trois cousins germains belges. C'est évidemment beaucoup de monde pour de maigres droits d'auteur.

Il n'est évidemment envisageable pour personne d'interdire ni la diffusion gratuite du livre sur Internet (c'est un document en soi, un texte un peu dispersé mais charmant, oscillant entre les considérations ethnographiques, les potins mondains, le shopping minutieux, et diverses autres perspectives), ni sa réédition, au contraire, c'est merveilleux que ce texte trouve une vie si longtemps après être paru et oublié.

Au passage, je signale le projet Archive.org, qui semble être une alternative assez efficace à la numérisation par Google, non sans défaut cependant.

Alors ? que faire ? rien ? ou devons-nous, par respect pour notre aïeule, manifester notre existence ? Je le crois.

 

02/09/2009

Pourquoi la BNF doit résister à Google.

La Bibliothèque Nationale de France (BNF) annonce qu'elle est en pourparlers avec Google pour la numérisation de ses fonds. Tollé dans le monde scientifique, le ministre temporise, la commission européenne annonce qu'elle est aussi en négociation avec Google sur ce même sujet, et on se demande de quoi elle se mêle.

Je ne parlerai pas ici des autres grandes bibliothèques publiques européennes, dont je n'utilise pas les fonds numérisés. Je connais en revanche bien le fonds Gallica de la BNF, dont je suis usager régulier. Je connais aussi le service Google, car il m'arrive de le rencontrer en cherchant sur Internet.

Le premier constat est évident : la qualité du service proposé par Gallica est infiniment supérieure à celle du service Google. L'indexation des contenus, la présentation, la souplesse, la capacité de prise en charge en deux formats (tiff ou pdf), la rapidité et la simplicité du téléchargement... Et sur Gallica, on ne me propose pas de courir acheter ce volume introuvable que je consulte : la consultation et le téléchargement sur Gallica sont des outils scientifiques, pas des annexes d'une boutique.

Si j'ajoute ce qu'on dit, qui est que les numérisateurs de Google abîment fortement les ouvrages en les manipulant, qu'ils ne sont pas toujours exhaustifs (d'autant moins qu'ils ne comprennent rien à ce qu'ils photographient), que la quantité y est nettement au détriment de la qualité, j'avoue que je préfère que la BNF aille à son rythme, qui est celui d'offrir la qualité d'excellence scientifique qui est son domaine et son univers, laissant le reste au brigandage organisé qui se nomme Google.

Je ne dis pas ça parce qu'au bout de six mois, je n'ai toujours pas reçu le premier centime de Google Adsense (d'abord, on m'annonçait que je serais payé quand j'aurais atteint 10 Euros de chiffre d'affaires publicitaire, puis quand ce serait 70 Euros, j'en suis à presque 40 en six mois - il est vrai que mon blog s'est fortement ralenti - et je n'ai toujours rien reçu), car même si j'étais grassement payé par Google, je ne pourrais que constater que, s'il est vrai que Google propose des conditions en apparence très avantageuses pour ses services, il est évident que les contreparties seront exorbitantes, et qu'on parlera vite d'un épouvantable gâchis qui aura abîmé à la fois les collectiions et l'image de marque de la BNF.

Enfin, il faut le dire : le dépôt légal, qui existe depuis le XVIe siècle, est le nerf même du service public du livre, la numérisation est une étape historique pour ces ouvrages, elle entre dans la substance même du dépôt légal, elle en est le prolongement, elle doit appartenir à la BNF elle-même et être gérée au plus près du service public, la numérisation actuelle est satisfaisante, si plus de moyens peuvent l'accélérer, je vote pour plus de moyens, quitte à lever des fonds auprès du public.

Enfin, il me semble indispensable d'amender le principe du dépôt légal pour les ouvrages déposés quotidiennement : mes livres, les vôtres, ceux que les éditeurs produisent, ainsi que l'ensemble des publications sur papier (sans parler évidemment de celles qui demeurent à l'état numérique) sont numérisés. Dans quelques jours, c'est un fichier PDF que je vais fournir à mon imprimeur. Eh bien, si l'on prescrivait que ce fichier PDF, je le fournisse à la BNF avec le dépôt légal des livres imprimés, on gagnerait beaucoup de temps pour l'avenir. Voilà je crois, une vraie décision, utile, pour éloigner les marchands du temple.

07:22 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : culture, bnf, numérisation, google | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook