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19/04/2008

Connaître Haïti.

Haïti ne fait pas souvent parler de soi. C'est un petit État qui occupe un peu plus du tiers de l'iîle de Saint-Domingue (que l'on apppelle parfois Haïti aussi), l'autre partie étant occupée par la République dominicaine. Son étendue est à peu près celle de la Belgique, et sa population est à peu près celle de la Belgique aussi. Mais son PIB est l'un des cinq plus faibles du monde depuis des décennies.
 
Ce fut une colonie française de la fin du XVIIe siècle au début du XIXe, la plus riche de toutes, une fortune énorme : quand la République d'Haïti décida de dédommager les colons dépossédés, en 1825, elle versa à l'État français, chargé de répartir la somme entre les intéressés, non moins de 25 millions de Francs-or, soit un montant très supérieur à celui théoriquement fixé pour l'achat de la Louisiane par les États-Unis.
 
Ce dédommagement était d'autant plus énorme qu'en fait, depuis l'invention du sucre de betterave, la richesse d'Haïti, le sucre de canne, était condamnée. Le XIXe siècle fut d'ailleurs une véritable descente aux enfers pour ce pays. Il suffit de lire un texte assez extraordinaire de Philippe Soupault, "Le nègre", pour le comprendre.
 
En 1915, comme les Allemands devenaient un peu trop nombreux en Haïti, menaçant de faire basculer ce pays dans la Première Guerre mondiale, les États-Unis (alors neutres) intervinrent et s'assurèrent le contrôle d'Haïti jusqu'à leur entrée dans la Seconde Guerre Mondiale, en 1941, où ils lui rendirent sa liberté.
 
On l'ignore mais c'est à la République d'Haïti, toute fière de son indépendance retrouvée et toute douloureuse de vingt-cinq ans d'occupation américaine, que l'on doit le bilinguisme de travail de l'Organisation des Nations Unies. En effet, en 1944, lors de la conférence de San Francisco, il avait d'abord été admis que l'ONU parlerait anglais. Mais au moment où cette décision allait être entérinée, un homme se leva : c'était l'ambassadeur d'Haïti. Il dit :
 
- Ahem... excusez-moi, chers messieurs, mais ... voilà ... il se trouve que je ne parle pas l'anglais.
 
Il y eut un silence. Puis, par acclamation, il fut décidé que, bien entendu, le français, langue traditionnelle de la diplomatie, serait également la langue de travail des Nations Unies.
 
Mon premier séjour là-bas date de l'été 1982. Je venais d'obtenir mon bac et j'allai chez ma soeur, passer cinq semaines.
 
On habitait à flanc de montagne, au-dessus de la ville bourgeoise de Pétionville, et on descendait chaque jour travailler (enfin les autres, parce que moi, j'étais en vacances) dans les locaux de la plus ancienne librairie d'Haïti que ma soeur avait achetée : la "Caravelle" (en référence à Christophe Colomb qui a découvert l'île).
 
Les rues étaient à cette époque curieusement ornées d'immenses panneaux sur lesquels trônaient des phrases interminables et pontifiantes du jeune président à vie, Jean-Claude Duvalier. Celui-ci avait succédé à son père en 1971, à l'âge de dix-huit ans et c'était en fait sa mère qui gouvernait à sa place, solidement appuyée sur le réseau encore fort (quoique déclinant) des "Tontons Macoutes". En septembre 1982, il y aurait vingt-cinq ans que François Duvalier (surnommé "Papa Doc" parce qu'il était médecin) avait pris le pouvoir.
 
Le règne de Papa Doc s'était caractérisé par une terreur profonde. L'élite intellectuelle subit la mort ou parfois l'exil. On arrêtait les gens au petit matin, à la mode argentine (mais quinze ans avant cette pratique de la dictature), et on ne les revoyait jamais. Une ville entière, celle d'où partaient tous les mouvements culturels, Jérémie, fut décimée.
 
Parallèlement, le territoire fut mis en coupe réglée. La déforestation était très avancée dès l'époque coloniale, elle fut achevée par Papa Doc à son seul profit, notamment des forêts d'acajou très renommées qui couvraient des montagnes et dont l'abattage entraîna un ruissellement qui peu à peu, depuis, décharne et assèche les reliefs du pays.
 
Bébé Doc ayant succédé à son père, la nature du régime changea progressivement : au lieu d'une dictature populiste, il évolua vers un pouvoir autoritaire appuyé sur la bourgeoisie et sur les milieux économiques. Mais la liberté n'augmentait pas : quand on sortait chez des gens, ma soeur n'oubliait jamais de me rappeler de ne pas parler de politique. On ne savait jamais à qui l'on parlait...
 
Pour le reste, le séjour était agréable. La ville de Port-au-Prince est assez vaste, et a gardé dans son centre la trace de son plan colonial : larges avenues en plan orthogonal, beaucoup de végétation, et tout cela bien entretenu alors. Dans la rue, des gens très pauvres, mais gentils. Scandalisant un peu ma soeur, je me promenais à pied, un choix que je fais toujours depuis cette époque pour découvrir une ville et qui a failli donner une attaque à ma pauvre soeur quand je l'ai réitéré à Miami en 2002 (aux États-Unis, ça ne se fait pas du tout, c'est plus que louche). Il m'arrivait de me perdre et je demandais mon chemin à qui se trouvait là, n'oubliant jamais de remercier de l'info avec un billet d'un dollar comme on me l'avait conseillé. Un dollar permettait à une famille de vivre durant toute une semaine.
 
Car il faut le dire, dès cette époque, la pauvreté du pays était souvent insoutenable. Les gens très dignes, correctement habillés, chemises repassées, robes de coton soigneusement lavées dans le lit des cours d'eau, plis impeccables aux pantalons. Mais la misère, une misère à laquelle on ne s'habitue pas.
 
On est allé passer plusieurs week-ends en province : vers le nord, au Cap-Haïtien (l'ex-Cap-Français où se déroule une partie de mon roman), ou vers le sud à Jacmel et aux Cayes.
 
La route du nord est également un vestige de l'époque coloniale, bituminé depuis heureusement.
 
C'est là que, en traversant les petites villes, mon beau-frère préparait toujours quelques billets de 5 dollars, au cas où on aurait été "contrôlé" par la police, qui prélevait ainsi une sorte de douane occulte. Mon beau-frère (qui est haïtien) me disait aussi que, s'il arrivait qu'on écrasât un chien sur la route, il fallait surtout ne pas s'arrêter, pour ne pas risquer l'émeute, mais aller déclarer le fait au bureau de police suivant. Depuis cette époque, j'ai réfléchi à cette phrase et je pense que ce n'est pas seulement de chiens, qu'il parlait d'écraser accidentellement... Il faut dire que les gens ont tendance à marcher un peu n'importe où et n'importe comment.
 
Le Cap-Français ressemblait fort à ce qu'il avait dû être au temps de la colonie française, bien qu'il ait été incendié plusieurs fois dans les dix années qui ont précédé l'indépendance. Nous étions dans un hôtel qui évoquait les films des années 1930, avec une hélice au plafond pour brasser l'air, des fauteuils club fatigués, quatre ou cinq mètres sous plafond, un bar en acajou sombre et luisant, du whisky ordinaire, et un calme pesant. Les rues étaient désertes et poussiéreuses, le sol fait d'une matière grise et cendreuse, en fait un sable volcanique qui couvre la plupart des plages.
 
Assez vite, nous avons dû quitter le centre-ville pour monter dans la montagne (il y a des montagnes presque partout) vers un autre hôtel, beaucoup plus moderne, tout blanc, avec une piscine.
 
Sur la route du Cap se trouve LE site à visiter : la citadelle du roi Christophe et le palais de Sans-Souci...
 
La suite de ma carte postale demain... 

08:15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : international, haïti, duvalier, aristide | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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