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26/12/2015

Hollande ne veut que des "Français de souche"

L'extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés français continue à agiter l'internet francophone, autant qu'elle suscite de critiques de la presse étrangère. Parmi les critiques adressées à cette mesure : le fait qu'elle conforte la notion de "Français de souche".

Selon la Constitution de 1958, l'État, ni la loi, ne peuvent faire de distinction entre les Français, ni en fonction de leur origine, ni en fonction de leur race (notion alors rétrospective et destinée à repousser les théories hitlériennes), ni en fonction de leur religion. C'est en raison de cette disposition qui figure dans l'article 1 de la Constitution de 1958, donc parmi les principes les plus généraux et les plus forts, que le gouvernement souhaite donc introduire dans la constitution, à force égale, l'ouverture du cas de déchéance de nationalité aux binationaux se dégradant dans le terrorisme contre la France.

La déchéance de nationalité pour actes de trahison contre la France a été instaurée le 12 novembre 1938 par un décret-loi du gouvernement Daladier, quelques jours à peine après les fâcheux accords de Munich par lesquels les dirigeants français et anglais ont abdiqué tout honneur en cédant aux prétentions hitlériennes qui annonçaient pourtant la guerre sans merci. La déchéance de nationalité n'a pas été appliquée par ce gouvernement Daladier, mais par le régime de fait du maréchal Pétain, en particulier contre le général de Gaulle, dès juin 1940. On s'en est servi aussi pour annuler la naturalisation des très nombreux juifs allemands que l'Allemagne avait rendus apatrides et qui avaient cru pouvoir se ranger sous la protection de la France. Pétain avait promis de protéger les juifs français contre les nazis. Sa prétendue protection ne s'étendait pas aux naturalisés, dont beaucoup, rendus à l'Allemagne, finirent dans les Camps de la Mort. On comprend que, depuis cette époque, la déchéance de nationalité ait fait figure de spectre dans le droit français et, compte-tenu de ce précédent épouvantable, c'était bien le moins.

Le général de Gaulle, lorsqu'il fut confronté au terrorisme de l'OAS, ne procéda à aucune déchéance de nationalité, mais fit prononcer des peines de "bannissement", en pratique une interdiction de séjour sur le territoire français, qui fut levée au bout de quelques années par la loi d'amnistie et que le droit international prohibe désormais.

La déchéance, toujours pour actes contre l'État et contre la France, est réapparue beaucoup plus tard, dans les années 1990. Elle a été réservée aux naturalisés par une loi de 1996. La logique était alors qu'en accomplissant un acte de terrorisme contre la France, le naturalisé récent (moins de dix ou quinze ans) prouvait qu'il avait fait une fausse demande de naturalisation et qu'il ne souhaitait pas réellement devenir français. La déchéance de nationalité revenait alors à l'annulation de la naturalisation. En près de vingt ans, il existe très peu de cas où cette loi ait été appliquée.

Le nouveau principe consisterait à permettre la déchéance de nationalité de personnes nées françaises, de parents français, ayant étudié en France et en français, et n'ayant jamais vécu qu'en France. Ces personnes n'encourraient cette peine que par la circonstance particulière de disposer d'une deuxième nationalité, ce qui, de fait, les placerait en situation d'inégalité avec les Français n'en ayant qu'une.

En soi, on peut considérer que cette ouverture nouvelle n'est qu'une peine supplémentaire, une parmi d'autres, et même, selon des auteurs d'habitude mieux inspirés, qu'elle rétablit une égalité en ouvrant à une nouvelle catégorie la déchéance. Mais Laurent de Boissieu se trompe sur un point qui est crucial : la réforme voulue par Hollande ne rend pas tous les Français égaux devant la déchéance, celle-ci n'est pas encourue, comme il l'affirme "quel que soit le mode d'acquisition de la nationalité", puisque 95% de Français, qui n'ont qu'une nationalité, n'y sont pas exposés et que eux aussi ont acquis la nationalité française par la naissance, tout comme les binationaux désormais menacés. Il y a donc un sophisme dans le raisonnement de l'ami Laurent, excusable, mais qu'il faut souligner.

En réalité, il faut relire ce qui a été écrit en 2010 par l'excellent Robert Badinter (où l'on retrouve un Bayrou plus offensif qu'aujourd'hui) qui est que la loi doit être la même pour tous. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 dit explicitement : "La loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse". Or en soumettant deux Français ayant acquis la nationalité française de la même façon (par la naissance) à un régime différent, il est évident que le projet Hollande, comme naguère le projet Sarkozy, crée une inégalité, une discrimination, incompatible avec le principe énoncé par la Déclaration de 1789. C'est pourquoi Jack Lang avait noté dès 2010 qu'il faudrait modifier la Constitution pour appliquer la réforme voulue par Sarkozy et aujourd'hui reprise par Hollande. À n'en pas douter, la réforme constitutionnelle annoncée pour introduire l'état d'urgence dans la Constitution n'est que le rideau de fumée de cette infamie fondamentale qui consiste à constitutionnaliser la plus choquante des infractions aux principes fondateurs de notre République. C'est à pleurer et à crier. Or ce n'est pas tout.

Car si nous trouvons dans le jeune arbre vénéneux porté par Hollande la trace de la mauvaise graine de Sarkozy, il faut ajouter aussitôt que ce n'est pas par hasard. Car dès le mois de février, Hollande a donné le signal de ce choix qui va faire mourir la Ve République : il l'a donné lorsque, devant le CRIF, il a employé les mots "Français de souche", devenus si chargés de sens haineux, menaçants et discriminatoires depuis quelques années. Le fait qu'il l'ait prononcé devant le CRIF, et tout le contexte que nous connaissons, finissent par faire naître un affreux soupçon : qu'il y ait, dans la mesure voulue par Hollande, une intention de brimade contre les musulmans français, désormais tous suspects, même si la loi ne permet de jeter dans la déchéance (quel mot) que ceux qui disposent d'une seconde nationalité et que ceux qui seront condamnés pour terrorisme. Faut-il rappeler qu'un ancien Premier ministre israélien, Itzhak Shamir, dans sa jeunesse, avait été parmi les "terroristes" de l'hôtel King David ? Ah ce mot de terrorisme... Et souvenons-nous de l'émir Abd-el-Kader et de sa seconde vie. Qu'aurions-nous fait si nous nous étions privés de lui après la première ?

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Enfin, une fois que la brèche sera ouverte, nos dirigeants pourront se vautrer tout à fait dans la fange, et étendre à leur guise la "déchéance" pour pouvoir en faire ce qu'ils veulent. Oui, désormais, nous n'en doutons plus : ce qu'ils veulent, Sarkozy, Hollande, et quelques autres, c'est réserver la France au seul bon Français, celui qu'aiment aussi les Le Pen, le "Français de souche".

Salauds.

24/12/2015

Déchéance de moralité

Le président Hollande avait annoncé au Congrès, assemblé pour l'occasion au château de Versailles, qu'il souhaitait inscrire le principe de l'état d'urgence dans la Constitution. Il s'agissait de compléter le dispositif des pouvoirs exceptionnels constitué par l'article 16 et par la transmission des pouvoirs constitués à l'autorité militaire. Étant donné qu'il n'existait en réalité aucun péril imminent contre l'État, l'opportunisme de François Hollande le conduisait à reprendre peu ou prou une proposition du comité Balladur assemblé par son prédécesseur le président Sarkozy, qu'il plaquait sur une situation à laquelle elle ne correspondait pourtant pas, et d'en faire proclamation. Tout ceci sentait la combinazione à plein nez et le calcul tactique pervers de bas étage. Sur le fond, la loi de 1955, qui avait créé l'état d'urgence, suffisait grandement. Mais puisqu'il y avait crise, il fallait faire quelque chose, fût-ce un moulinet de bras, et, tant qu'à faire, autant que ce moulinet de bras se transforme en volée de gifles contre ses éventuels adversaires de la prochaine présidentielle. Voici donc l'affaire résumée. Un texte inutile et redondant, étendant l'impuissance de la loi jusqu'à la sphère constitutionnelle. Il n'y a pas de raison de se vautrer petitement quand on peut le faire colossalement.

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Tout ceci prêterait à agacement et à sourire acerbe si, dans le même discours, le président de ce que l'on ose à peine encore nommer la république n'avait introduit l'idée d'infliger la déchéance de nationalité aux personnes condamnées pour terrorisme qui jouiraient d'une binationalité. Cette proposition, avancée en son temps par l'ex-président Sarkozy, avait alors suscité le tollé général, en particulier celui de l'actuel président, de son premier ministre et de sa garde des sceaux qui, tous trois, associés dans le forfait et dans la forfaiture, s'apprêtent cependant à la soutenir devant le parlement.

Une semaine à peine après que le candidat Bartolone a fait état de la prétendue "race blanche", voici toute la preuve de la déchéance morale d'une gauche qui, désormais, n'a plus rien à envier à celle qui, en 1940, vota les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Pourquoi se gêner ? Pousser le Front National lui a permis de conserver plus de régions que prévu aux dernières élections régionales.

La tactique du PS est donc claire comme de l'eau de roche : souffler sur la braise, jeter de l'huile sur le feu, installer les thèses de l'extrême droite au centre de tous les débats politiques pour se poser en recours.

Or la gauche devrait désormais prendre garde : si elle veut vraiment une victoire du Front National, elle l'aura. Mais ensuite, il lui faudra rendre des comptes au tribunal de l'Histoire.

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08/12/2015

Bretagne : pourquoi Marc Le Fur ?

Pour le second tour des élections régionales, il ne reste plus que trois possibilités : le Front National, qui veut tout ce que je refuse, et les partis dominants de droite et de gauche, incarnés l'un par Marc Le Fur, l'autre par Jean-Yves Le Drian. Voici pourquoi j'ai choisi de voter pour Marc Le Fur.

Jean-Yves Le Drian, je l'ai écrit, a longtemps personnifié le mouvement breton qui, par lui, s'identifiait largement à la gauche. Il était maire de Lorient pendant l'extraordinaire essor du Festival Interceltique de Lorient (FIL), qu'il accompagnait avec une manifeste ferveur. Je me souviens d'avoir dormi sur la plage avec une amie, pendant le FIL 1984, il émanait de cette fête une effervescence puissante, qui a fait de ces jours d'août le porte-drapeau de la culture bretonne ressuscitée.

De ce succès éclatant, je me suis réjoui. Mais je dois dire qu'il y a un revers de cette belle médaille : la musique et la danse plus ou moins folkloriques ont prospéré dans son ombre, ce qui est bien, mais il semble que cette floraison de culture populaire ait eu pour contrepoint la dévalorisation de ce que l'on nomme la "haute culture". Il suffit de consulter les fichiers d'adhérents des sociétés savantes bretonnes pour mesurer la dévitalisation de la plupart d'entre elles, et le manque d'une génération nouvelle.

On ne peut pas reprocher entièrement à la Bretagne l'abandon par l'État du principe de la double thèse (thèse d'université, thèse d'État), qui a eu pour effet un amenuisement de la profondeur de la recherche, mais le fait est là : alors qu'il reste des pans considérables et fondamentaux de l'histoire économique, humaine, et même politique, de la Bretagne à étudier, les publications fondatrices se font de plus en plus rares qui sortent des sentiers battus. Il suffit de consulter le catalogue des Presses Universitaires de Rennes pour s'en rendre compte.

C'est formidable d'accompagner la culture populaire, même si elle ressemble d'un peu trop près à la société des loisirs. C'est bien aussi de promouvoir la langue bretonne, même s'il a fallu que l'État (notamment à travers le ministre Bayrou dans les années 1990) intervienne activement. Mais si l'on laisse la recherche fondamentale stagner, et si l'on ne prête pas attention à un constant élargissement et approfondissement de la connaissance, notamment historique, on manque à un devoir, historique aussi.

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Et il semble qu'un outil institutionnel manque dans ce domaine. En tant que chercheur, certes indépendant, je suis surpris de n'être jamais consulté, même de loin, alors que la réflexion historique devrait habiter les décideurs politiques de la Bretagne. Sans doute n'ai-je pas, pour cela, la bonne carte politique. Le fait que mes travaux et ouvrages soient achetés par la plupart des meilleures universités occidentales, en Europe comme aux États-Unis, ne leur suscite pas plus d'intérêt de la part de nos décideurs. Il est vrai que, n'ayant jamais sollicité ni a fortiori obtenu de subventions publiques, je n'existe pas à leurs yeux, ce qui en dit long sur la mentalité de ce joli monde.

Je suis aussi forcé de constater que mes livres les plus épais et les plus denses, que je vends à des lecteurs privés et à des bibliothèques de partout, se vendaient deux fois plus aux particuliers en Bretagne à l'époque où la droite gouvernait la région. Ce n'est pas un plaidoyer pro domo, mais je crois voir dans ce fait le signe que la région ne donne pas le signal d'un intérêt pour ces grandes recherches, leur préférant la superficialité des danses et de la musique, contre lesquelles je n'ai rien, au contraire, mais qui ne peuvent servir de cache-misère à la vacance d'une ambition plus intellectuelle.

Tout cela mérite le reproche, mais, il faut le dire, c'est d'abord les nécessités de l'économie qui motivent mon vote pour la droite. Si faible soit-elle elle-même dans ce domaine, elle l'est tout de même un peu moins que la gauche, qui n'y comprend décidément rien.

Enfin, comme je l'ai dit la semaine dernière, certains noms sur cette liste LR-UDI-MoDem achèvent de me convaincre de voter pour un renouveau de la Bretagne avec Marc Le Fur.

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07/12/2015

Une seule réponse : la fraternité

La fracture qui ne cesse de s'ouvrir depuis des années dans les flancs de la France, dans sa cage thoracique, vient encore de s'agrandir. Le Front National a remporté l'adhésion de plus d'un quart des électeurs qui se sont déplacés pour voter lors des élections régionales. Il y a trente ans, c'était un aboiement ; aujourd'hui, c'est un rugissement. Le roquet facétieux et pervers est devenu une bête fauve. Élevé dans l'obscurité glaciale d'un couloir de catacombe, le monstre féroce se révèle au jour. Or ce fauve, ce sont nos frères, nos cousins, nos amis, nos voisins, nos compagnons de route, nos clients, nos fournisseurs. Et ce monstre, c'est le peuple français.

Le peuple, le nôtre, las de la blessure que nous ne cessons d'aggraver dans ses entrailles parce que nous ne savons plus être fraternels. Parce que nous ne savons plus dire la vérité. Parce que nous avons peur de lui. Parce que nous avons peur de nous-mêmes. Parce que nous avons peur de tout. Parce que nous avons peur de notre ombre et de l'ombre de notre ombre sur notre reflet sur notre miroir. Peur de ce visage que nous dévisageons sans cesse et que nous ne reconnaissons jamais, blême de ses blessures inavouées.

Le peuple, le nôtre, celui qui ramassa le drapeau tricolore à Valmy, celui qui répondit toujours présent quand la patrie eut besoin de lui, celui qui marcha toujours sans avancer jamais, dévoué, poussant la générosité jusqu'à l'abnégation s'il en sentait la nécessité, fier de porter la liberté quand il la portait, préférant la paix à la guerre, mais debout lorsqu'il le fallait. Ce peuple fort et grand, que nous aimons et dont chacun de nous est partie, vient de voter à plus d'un quart pour des candidats qui incarnent l'envers de la fraternité. Et c'est chacun de nous qui, pour un quart de lui-même, a dit "Je te hais" à la cantonade, en secouant un flacon de vitriol dans une main sanglante.

Il serait trop facile d'accuser les récents attentats. Bien sûr, ils ont dû jouer leur rôle. Il serait trop facile aussi d'accuser le président de la République, qui semble n'avoir pas cessé d'envoyer des messages subliminaux de vote pour ce Front National qu'il réprouvait officiellement. Bien sûr, la duplicité du chef de l'État n'est pas étrangère à la forte poussée de colère électorale du peuple français. Mais tout ceci ne serait rien si les causes du vote frontiste ne s'enracinaient pas profondément dans les désagrégations de la France d'aujourd'hui.

Il y a déjà plusieurs années que les sociologues ont décrit la France de la périphérie qui se sent marginalisée par le fonctionnement de notre société politique. Là est la racine vraie du vote frontiste : dans la France des plats-pays et des arrières-pays où la vie est rude et où il semble que la France soit en train de s'éteindre purement et simplement, éveillant le spectre d'un nouveau pays habité par de nouveaux habitants dotés d'un nouveau mode de vie et d'une religion suspecte, comme si l'on devait devenir bientôt non seulement abandonné des siens, mais étranger chez soi.

La cause première, donc, c'est l'embolie de l'État : ankylosé par ses complications et par ses contradictions, alourdi par un fardeau d'habitudes et de mauvaises manies, l'État français est comme un corps dont le réseau artériel ne serait plus capable de nourrir les extrémités, mais seulement des organes de moins en moins nombreux et de plus en plus proches de son centre. C'est ainsi qu'il faut entendre l'abandon dont souffrent les arrière-pays, non seulement là où l'on vote FN, mais aussi là où l'on résiste à cette tentation. L'État chancelant, amenuisé, se retire des campagnes, puis des petites villes, bientôt des villes moyennes, puis sans doute plus grandes encore, jusqu'au moment où, vaincu, il s'effondrera.

Dans ce processus, nous en sommes au stade où l'on essaie encore de sauver des centres-villes de cités moyennes qui, partout, se dépeuplent. Tâche impossible à laquelle les édiles de la meilleure volonté possible s'attachent et qui ne peut les mener nulle part, car pour qu'une ville-centre vive, il faut que son arrière-pays la nourrisse. Nous sommes obsédés par l'exportation, par l'image, par l'apparence, alors que c'est dans la substance que la vie se joue. C'est dans la petite entreprise implantée dans une petite commune, que se joue le sort d'une grande ville non loin de là. Ce n'est pas la ville qui nourrit sa campagne, mais l'inverse.

Il ne peut y avoir Brest et le désert finistérien, ni Rennes, Nantes et le désert breton, ni Bordeaux et le désert aquitain. D'ailleurs, à Bordeaux, c'est impossible, puisque justement, c'est le terroir qui nourrit la métropole, ce qui fait que la ville vit bien. Pas de ville sans terroir, sans arrière-pays, sans liens noueux tissés entre les hommes des villes et les hommes des champs, même si les hommes des champs ne sont pas laboureurs. Sans la fierté d'un travail bien fait, l'artisan se meurt. Sans la fierté d'occuper une place absolument singulière dans un monde tangible, l'homme de la petite ville (qui a un droit imprescriptible, en France comme au Mali ou en Syrie, de vivre là où vivaient ses aïeux) erre et se lamente.

Oui, il faut que la petite commune ne soit pas un déversoir pour la grande, mais qu'elle ait son propre mot à dire, son propre rôle à jouer, qu'elle ait son propre rêve à incarner. De même, la ville moyenne ne peut être enchaînée à la métropole sans se sentir assujettie, bafouée, piétinée, humiliée. Elle a droit aussi à sa part de liberté. Elle n'est pas qu'un assemblage précaire d'êtres humains conglomérés par hasard. Elle a aussi son histoire, son chemin, son expérience, sa vie, qui n'est pas moins légitime que celle de sa grande voisine. Du moins, tant que l'agglomération enflant ne l'a pas absorbée.

Or l'embolie de l'État fait que lorsque s'éteint une activité économique périmée, un nombre croissant de petites localités se voient privées d'activités nourricières en emplois, on ne remplace pas une usine qui ferme par un nouveau genre d'entités économiques capables de donner un sens à la vie en ville et capable de donner une nouvelle tranche de destin à cet endroit dont l'histoire est ainsi mise en péril avec la vie de ses habitants.

Pourquoi ? Parce que nous ne sommes plus capables de laisser naître les PME qui font le tissu humain des arrière-pays. Cherchez un financement pour reprendre un bateau pêcheur bigouden ou concarnois, vous verrez la tête des banquiers. Cherchez un financement pour lancer une idée qui n'ira pas jusqu'à la lune mais qui, avec une marge faible, serait suffisante pour vous faire vivre. Bien sûr, il y a l'autoentrepreneur, mais est-ce que l'existence de ce statut ne sert pas d'alibi pour ne pas s'atteler à la vraie nécessité qui est d'ouvrir du financement aux projets légèrement plus ambitieux ? Libéraliser c'est bien, ouvrir des droits, c'est bien, mais prendre des risques, et favoriser la prise de risques, c'est mieux.

Faisons-le, réveillons la France des profondeurs, et nous aurons résolu la moitié des problèmes qui meurtrissent le peuple de France.

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L'autre moitié, il faut le dire, tient à un doute qui, désormais, s'est installé. Il y a trente ou quarante ans, on pouvait penser que l'importation de travailleurs immigrés visait à faire baisser les salaires par effet de concurrence, et il y avait sans doute un peu de vrai. Il y a vingt ou trente ans, on pouvait penser que les immigrés semaient le désordre et la délinquance, et cette question ne fut pas ouvertement débattue, autrement (nous en avons tous notre part) que sous forme d'anathème, alors qu'il y avait moyen d'un vrai débat pour faire la part des choses. Il y a dix ou vingt ans, on pouvait penser que les musulmans immigrés allaient s'en prendre à la laïcité, et nous avons encore une fois refoulé le débat préférant l'anathème à la nuance. Oui,  il y avait des mouvements politico-religieux qui visaient à cela, mais ce n'était pas la majorité. Aujourd'hui, à force de refoulement, nous en sommes au stade de la névrose et, si nous continuons à refouler le débat, nous atteindrons celui de la psychose, qui sera la prise de pouvoir du clan Le Pen. Il faut débattre, montrer, enquêter, rassurer. Et il faut aussi calmer les pétromonarchies dont les pratiques en France ne sont pas acceptables. Cela sera l'ouverture d'un deuxième chemin utile pour rendre la sérénité au peuple, le troisième chemin passerait par une meilleure défense de nos intérêts en Europe et dans le monde, et je crois qu'il n'est aucun besoin de le détailler, tant il est évident.

Mais en attendant ces hypothétiques efforts politiques que notre personnel, politique aussi, semble incapable d'assumer, nous, simples citoyens, ne disposons que d'une arme pour transmettre notre conviction de paix à ceux que torture la colère. Cette arme, c'est la fraternité. Non pas la fraternité envers les étrangers (ou supposés tels) qu'il faudrait asséner sur le front de nos concitoyens comme un inutile gourdin, mais la simple fraternité d'aller vers eux et de leur parler, pour témoigner que nous sommes tous citoyens du même pays et que nous sommes tous animés, les uns envers les autres, par cette irrépressible fraternité.

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01/12/2015

Premier tour des Régionales : les "petites listes" ?

Contrairement à plusieurs autres régions concernées par les élections des 6 et 13 décembre prochains, la Bretagne n'est pas menacée par une victoire du Front National. Cette particularité ôte de son importance au scrutin. Voyons ce qu'il en reste.

Il y a en Bretagne onze listes qui se disputent les suffrages des électeurs (telles que les présente Le Télégramme) :

- « Bretagne en luttes », Gaël Roblin ;

- « La Bretagne avec Jean-Yves Le Drian » (PS et divers gauche), Jean-Yves Le Drian;

- « Notre chance l’indépendance », Bertrand Deléon ;

- « Oui la Bretagne » (gauche régionaliste), Christian Troadec ;

- L’Union populaire et républicaine (divers), Jean-François Gourvenec

- « Debout la France » (droite souverainiste), Jean-François Foucher ;

- Front national, Gilles Pennelle ;

- « Le choix de la Bretagne » (Droite et centre), Marc Le Fur ;

- « Une autre voie pour la Bretagne » (EELV), René Louail ;

- « L’humain d’abord » (Front de gauche), Xavier Compain ;

- « Faire entendre le camp des travailleurs » (Lutte ouvrière), Valérie Hamon ;

"Bretagne en luttes", comme son nom l'indique, penche vers l'extrême gauche. de même que la liste de Lutte Ouvrière, et dans une moindre mesure le Front de Gauche. Ces trois listes se disputent les voix de l'ultragauche. "Notre chance l'indépendance" affiche la couleur et adopte le slogan le plus entier et le plus farouche, il s'agit de conduire la Bretagne à l'indépendance selon un schéma qui semble près de réussir en Catalogne, mais qui a échoué pour le moment en Écosse. La liste UPR de Gourvennec aura pour principal effet (et peut-être pour but) de réduire de quelques fractions celle de la droite "classique" ou celle du FN. Debout La France, en revanche, est un mouvement souverainiste dont la ligne est connue, celle de Dupont-Aignan. Le Front National, également, est connu.
 
Autant le dire tout de suite, aucun des mouvements cités plus hauts n'aura ma voix. Il en reste quatre.
 
La liste écologiste d'EELV est donnée à peine au-dessus de 5% selon les instituts de sondage. Les écolos bretons, qui ont longtemps opté pour le ni-droite ni gauche, et qui ont dû opter pour la gauche, semblent y perdre des plumes. Ils ont les défauts et les qualités que leur parti a partout ailleurs : des préoccupations vitales, des solutions innovantes, mais des arrière-pensées trop collectivistes qui nuisent à leur message vital, sans cependant enrayer l'heureux développement de l'agriculture biologique et, plus récemment, d'autres courants de l'économie verte. Enfin, Jadot est un type sérieux, mais la ligne de Louail me paraît plus trouble.
 
La liste de Christian Troadec, maire de Carhaix, est certainement celle qui incarne le mieux la Société historique bretonne, vouée aux campagnes et aux villes moyennes. Son combat pour la survie du petit hôpital de sa ville a fait de lui un héros aux yeux de tous les habitants de petites localités dont la vitalité, déjà vacillante, est encore menacée par la perspective de fermeture d'unités administratives nourricières en emplois comme des hôpitaux ou autres. Dans la foulée, il s'est montré très proche du mouvement des "Bonnets Rouges" bretons, qui ont obtenu la suppression de l'écotaxe et des portiques de surveillance routière. Leur mot d'ordre "Vivre, travailler et décider en Bretagne" rejoignait une aspiration réelle de la population qui s'y est identifiée pendant plusieurs mois. Mais les "Bonnets Rouges" ont publiquement refusé de se démarquer du mouvement national des Bonnets Rouges, dont la proximité avec le FN est connue, et, plus encore, beaucoup de patrons bretons proches des Bonnets Rouges, dans des enceintes plus ou moins closes, ne cachaient pas leur envie de "renverser la table" en portant la famille Le Pen au pouvoir. L'ambiguïté mal assumée, jointe aux idées de quelques-uns, semblent discréditer désormais le mouvement de Troadec, dont l'intégrité intellectuelle ne me semble pas devoir être cependant mise en cause. Malgré leur côté sulfureux, je pourrais voter pour les colistiers de Troadec, juste pour assurer leur maintien au-delà de la barre fatidique des 5%. Ce qui finira peut-être par m'en retenir, c'est leur aversion compulsive et viscérale contre tout ce qui touche de près ou de loin à l'écologie, car comme les agriculteurs les plus frustes, ils tiennent les écolos pour responsables de tous leurs maux et même de tous ceux de l'espèce humaine, ce qui me paraît au moins excessif. Le fait que Troadec ait annoncé qu'il ne fusionnerait avec personne entre les deux tours ne lui bénéficie pas, les lendemains du Bataclan l'éloignent de la perspective de siéger au Conseil Régional, ce qui ôte un peu de l'inconvénient de voter pour lui, tout en augmentant l'avantage d'exprimer à travers lui une vision historique de la Bretagne.
 
Il reste donc les deux dernières listes, les deux qui, selon les intentions de vote, peuvent gagner au second tour.
 
Il est probable que je voterai pour la liste de Marc Le Fur, au second tour. Je n'ai pas beaucoup d'estime pour l'homme politique, et je pense que sa qualité d'énarque devrait le discréditer de vouloir occuper la présidence d'une institution dont l'objet est avant tout économique. C'est dans la liberté et dans l'initiative que la Bretagne surmontera ses difficultés et la fin de son modèle économique actuel. La droite gagnerait beaucoup en se réenracinant dans les milieux consulaires et dans le monde entrepreneurial. Il faut des hommes et femmes à poigne et à forte valeur ajoutée économique pour remonter la Bretagne, pas des grenouilles d'appareil, ni des tentacules de réseaux. Mais il y a, sur la liste Le Fur, des amis du sénateur Canevet, que j'estime, et surtout, en troisième position dans le Finistère, Isabelle Le Bal, qui est à la fois une amie de très longue date et une excellente élue de terrain. En fin de compte, c'est probablement par cette fidélité que je me déterminerai au second tour pour la liste Le Fur, alors que le sarkozysme de celui-ci est, pour moi, rédhibitoire.
 
La liste de Jean-Yves Le Drian a toutes les chances de gagner au second tour, ce qui est une raison suffisante pour que je ne vote pas pour elle. Le Drian, ancien maire emblématique de Lorient, incarne à lui seul toute une époque de la culture bretonne, qui fait figure de temps héroïques, pour ne pas dire homériques, l'époque où la culture bretonne eut l'impression de relever la tête après des décennies ou des siècles de marginalisation et de culpabilisation. Cela se fit dans l'élan de la performance du modèle économique bâti dans les années 1960, et précisément dans les années 1980. L'absence de rénovation de la pensée de droite et l'effacement progressif du centrisme breton ont permis à cet élan culturel de s'emparer des leviers politiques de la Bretagne voici plus de dix ans. La réélection de Le Drian ne serait pas son troisième mandat complet, puisqu'il a été un temps remplacé par le fade Massiot. Mais elle signifierait un troisième mandat de suite pour la gauche, sans doute un mandat acquis, mais sans doute le mandat de trop. La gauche bretonne a su accompagner la transformation sociologique de la Bretagne, où les agriculteurs et anciens agriculteurs étaient encore majoritaires il y a peu, mais où les employés, fonctionnaires et retraités forment désormais les gros bataillons. Bâtir un accompagnement social de cette nouvelle population, organiser la redistribution de la richesse produite par le modèle économique conquérant, c'était dans leurs compétences. Aujourd'hui, nous n'en sommes plus là. Le dynamisme des PME montées en graine des Doux et autres est rompu, l'élevage de porcs est au bord de l'implosion, bref, l'agroalimentaire frise l'embolie et un autre modèle doit être élaboré et installé, pour lequel la méthode coopérative a fait ses preuves, une méthode qui s'oppose à mon avis frontalement au modèle étatique voulu par le PS. De la même façon, la métropolisation et la concentration économique, politique et humaine à l'intérieur même de la Bretagne, qui contredisent toute notre tradition commune, ne peuvent pencher qu'en faveur de la dévitalisation du territoire et de sa glissade vers la même embolie que celle qui menace l'État à Paris : un appareil d'État au coût croissant mais à l'efficacité décroissante. Pour Le Drian, pour ce qu'il a apporté, pour ce qu'il signifie, la victoire est sans doute acquise d'avance, mais ce sera une fin d'époque, un mandat de bilan et de transmission, peut-être des années perdues, qui seraient perdues en tout cas, si la droite se ressourçait plus dans une compétence économique active que dans des vulgates idéologiques à relents xénophobes qui ne favorisent que l'extrême droite. Et parmi les grands échecs de Le Drian, il faut compter l'occasion historique manquée de réunification de la Bretagne.
 
Voici donc où j'en suis de mes réflexions personnelles. J'hésite entre trois options : la première consiste à voter pour l'une des deux listes que les sondages situent juste au-dessus de 5%, de façon à leur garantir ces 5% et le remboursement de leurs frais, tout en exprimant des nécessités fortes : avec Troadec, l'égalité des territoires et l'enracinement des politiques publiques dans notre Histoire bretonne ; avec Louail, le respect de l'environnement, car si l'on en fait un peu trop (par exemple, l'idée de démolir des installations parfois millénaires sur les cours d'eau pour laisser passer les poissons me paraît absolument et irrémédiablement crétine), j'ai quand même l'impression que nous risquons de passer d'un extrême à l'autre et de jeter le bébé avec l'eau du bain. Je signale au passage que, tout en s'opposant sur à peu près tout, Troadec et Louail sont d'accord sur un point où je les rejoins entièrement : l'indispensable abandon du funeste projet dit Notre-Dame-des-Landes.
 
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La deuxième consiste à voter dès le premier tour pour Le Fur.
 
La troisième consiste à voter blanc pour sanctionner une classe politique qui me semble inadaptée aux nécessités de l'époque, en Bretagne comme ailleurs.
 
Je n'ai pas tranché entre ces trois options et je vais donc encore écouter jusqu'à dimanche.

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