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06/04/2007

Ah, "Notre-Dame de Paris" !

J'ai lu le premier roman réussi de Victor Hugo en Allemagne. Je me trouvais en Bade-Wurtemberg, tout près de la frontière française. L'atmosphère y était curieuse : on nous y envoyait pour une immersion linguistique, mais... c'était une ville de garnison de l'occupation française et tous les commerçants, lorsque je m'adressais à eux avec mon allemand de quatorze ans, me répondaient aussitôt en français. On a vu immersion plus efficace... Cela dit, l'année suivante, on m'a envoyé en Souabe, dont le langage ressemble au bavarrois, c'est-à-dire à quelque chose d'incompréhensible. J'y étais hébergé par un vieux juge dont le nom sonnait juif, mais qui récitait le benedicite avant de passer à table ; pour pouvoir se comprendre, on se parlait en latin. Bref...

Dans cet été 1979, j'ai lu "Notre-Dame de Paris".

Rien ne peut ressembler à ce roman.

La première phrase est un coup de canon qui se termine par les mots : "la triple enceinte de la cité, de la ville et de l'université". En quelques syllabes, Hugo fait la synthèse de Paris médiéval. Trois morceaux : la Cité, qui comprend les palais royaux et l'embryon du gouvernement, la chancellerie royale, les cours de justice, superposées aux installations gallo-romaines ; la ville, rive droite, toute l'industrie, le négoce, la part laborieuse et marchande ; l'université, rive gauche, les intellectuels, ce qu'on nomme encore le Quartier latin. Tout est dit.

Puis tout le début est un mouvement vers un événement improbable, l'élection du Pape des Fous, un mélange de fêtes réellement médiévales et parisiennes, l'élection du Pape des Rois et celle du Roi des Fous.

On se promène dans une foule qui marche dans le froid vers le palais royal (la Conciergerie à Paris, dans l'île de la Cité).

On croit les voir. Comme on connaît le cinéma, on pense à un incroyable plan-séquence, digne d'Orson Welles, ou à un travelling géant.

Puis apparaît Quasimodo et on sait que le roman ira très loin. À ce propos, il faut citer une anecdote qui concerne le comédien Jean Saudray, un quatrième couteau très répandu dans le cinéma français des années 1970. Lorsqu'il était sur scène, quand on le rencontrait pour la première fois, tout le monde, d'après les témoignages, lui disait : "oh, quel formidable maquillage tu t'es fait faire" ; or ce maquillage horrible, c'était son visage.

Et semblable aventure arrive à Quasimodo : on le présente comme candidat pour l'élection du Pape des Fous. Moyen du concours : faire la plus belle grimace. D'extraordinaires compétiteurs s'y emploient, tous plus ou moins applaudis. Et voilà que soudain apparaît à travers la lucarne une grimace épouvantable, inimaginable, au point que, d'avis commun, il n'est plus besoin de poursuivre le concours : il a gagné. Or la grimace répugnante que Quasimodo présente, c'est son visage.

Là encore, tout est dit.

La scène la plus incroyable du livre est celle du jugement de Quasimodo. On dit souvent que la justice est aveugle, phrase qu'on prendra avec précaution, mais il se trouve que le juge qui préside est sourd, absolument sourd, et par une coquetterie compréhensible, qu'il cache cette infirmité.

Or Quasimodo, sonneur de cloches de la cathédrale Notre-Dame, a été rendu tout aussi sourd par l'effrayant vacarme du bourdon de bronze qu'il côtoie jour après jour.

Voici donc au sens propre un dialogue de sourds.

Le juge interroge Quasimodo. Celui-ci ne voit pas qu'on lui parle et n'entend pas, forcément. Il ne répond rien.

Mais le juge ignore qu'il n'a rien répondu. Il pose donc une deuxième question, tout aussi inefficace.

Le public commence à s'amuser de la scène et le juge finit par s'apercevoir qu'on se moque de lui. Il s'imagine que Quasimodo le raille. Il le tance.

Or Quasimodo, comprenant finalement où l'on est et ce qu'on y fait probablement, se décide à décliner son identité, réponse à la toute première question du juge, qu'on ne lui pose plus.

Redoublement d'hilarité. La scène est une délectation. Il est heureux que les juges soient meilleurs aujourd'hui qu'en ces temps.

L'autre morceau de bravoure est un tunnel d'une soixantaine de pages intitulé "Paris à vol d'oiseau au XVe siècle". C'est une vision. On se retrouve posé sur le dos de l'oiseau comme dans un dessin animé et on survole Paris, ses toits pentus, ses cheminées fumantes, ses mâchicoulis gothiques. Absolument hallucinant.

Là encore, une synthèse prodigieuse : Paris est enceint d'une chaîne de couvents et dans cette chaîne, un seul maillon sombre : la cour des miracles. Et tout à l'avenant. En lisant, on a envie de se lever pour applaudir.

Et puis, bien sûr, l'histoire est belle, Esmeralda, le tortueux archidiacre Frollo, le lâche poète Phébus, les ruelles sombres, les ponts de bois. On en aurait presque envie de vivre au Moyen Âge. Et pourtant, ça ne devait pas être bien confortable.

Allons, je vous quitte : je cours le relire.

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05/04/2007

Mlle de Scudéry déborde de sa carte du tendre.

On connaît Clélie. Enfin, on connaît parfois Clélie : la langue du Grand Siècle est devenue obscure au plus grand nombre. Ce qu'on en retient au mieux, c'est la Carte du Tendre, supposée guider le coeur épris vers les délices et lui éviter de s'enliser dans les sables mouvants de l'amitié.

Et pourtant, la Scudéry vaut mieux que cette oeuvre d'ailleurs curieuse.

Tout d'abord, parce qu'elle et ses amies ont inspiré Molière et ses "Précieuses ridicules". Mais aussi, parce que ces femmes ont incarné un véritable mouvement intellectuel, non dénué de défauts et de ... ridicules, mais capable aussi de modernité.

Le milieu du XVIIe siècle est un temps d'effervescence politique qui permet quelques libertés. Le grand roman de la Scudéry qui paraît à cette époque-là (Artamène ou le Grand Cyrus) est marqué par ce relâchement de la censure et on y découvre des allusions claires à l'actualité.

Du reste, les romans de cette auteure sont en général inspirés de personnages alors connus de tous, ce qu'on nomme des romans à clef.

Elle en produit plusieurs, tous longs, quelquefois très longs, et dont certains demeurent lisibles sans effort. Leur style est élégant et clair.

Il faut signaler que la psychologie et les émotions apparaissent avec une grande modernité dans ces textes qui forment l'un des premiers maillons de la chaîne du roman réaliste français.

Rien que pour ce fait d'armes (à quoi s'ajoute un prix d'éloquence de l'Académie française, si rare pour une femme...), il faut tirer son chapeau à Magdeleine de Scudéry. Sans oublier que sa vie interminable traverse tout le siècle : née en 1607, elle meurt en 1701. Et, septuagénaire déjà bien avancée, elle écrit encore.

Et enfin, c'est une femme de conviction : on la surnomme Sappho, elle milite contre le mariage qu'elle vilipende avec un grand engagement, et elle-même reste célibataire jusqu'au bout.

Dommage sans aucun doute pour nous, les hommes, mais chapeau bas, et il nous en reste heureusement d'autres.

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Parution de ma réédition de l'Histoire de Bretagne de Bertrand d'Argentré (1582).

Demain, je raconterai la vie de Bertrand d'Argentré dans la rubrique "l'histoire de la semaine" que je n'ai pas eu le temps d'alimenter en mars.

Cette Histoire de Bretagne a la particularité d'avoir été censurée en 1582 et jamais rééditée dans cette version depuis ce temps, jusqu'à aujourd'hui.

19:55 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : écriture, littérature, poésie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

04/04/2007

Alexandre Dumas fils, sa dame et ses camélias.

Dumas le général était un colosse, une force de la nature. Son fils, Dumas père, gardait une grande part de son énergie. Dumas fils, en revanche, incarne la transparence du romantisme doloriste.

C'est un écrivain engagé (avec des éclipses, notamment au début du Second Empire) et toujours à l'affût d'une cause à défendre. Son style souffre d'ailleurs de cet esprit militant. Tout le monde le lui reproche. Tout le monde, sauf la postérité : en vérité, aujourd'hui, on ne le lit plus.

C'est qu'en plus de bouillonner constamment pour les drames criants de son époque, il a eu le nez de sélectionner parmi ceux-ci les plus représentatifs et les plus odieux. Résultat : il a gagné tous les combats qu'il a menés, ce qui prive le contenu de son oeuvre d'intérêt ; il n'en demeure donc que l'envergure littéraire, c'est-à-dire peu de chose.

Voilà pourquoi, d'Alexandre Dumas fils, on ne lit plus guère que l'archétypale "Dame aux camélias", son texte le moins engagé et partant le plus universel.

Démonstration que même pour avoir raison, il ne faut jamais perdre sa liberté.

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03/04/2007

La grande période de Lamartine.

Voici le précurseur, celui dont Victor Hugo dit qu'il est "le plus classique des romantiques".

Lamartine donne le coup d'envoi de la génération de 1830 en 1820. Son premier recueil, les "Méditations poétiques", dont est extrait le célèbre "Lac", est alors un triomphe de librairie.

Pendant une décennie, le poète règne sur Paris, suscitant la jalousie de Victor Hugo, empreinte d'amitié. Logiquement, il est le premier élu à l'Académie française, dès 1829.

Il s'apprête à entrer en politique.

C'est là que les choses changent pour lui : son activité à la Chambre des Députés (où il est élu pendant quinze ans grâce au suffrage censitaire) révèle sa générosité et son idéalisme, ainsi que la hauteur de ses vues.

Finalement, il se lance dans un brûlot, l'"Histoire des Girondins", en 1846. Cette oeuvre ample, magnifiquement écrite, de ce style fluide et aérien qui enchante en deux lignes, donne le coup d'envoi de la Révolution de 1848. Là, il est à sa main. Victor Hugo narre quelques-uns des moments qu'il passe avec lui à cette époque, l'effervescence de l'inconnu, le trouble de la foule et du faubourg Saint-Antoine en particulier.

Lamartine devient ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire après les journées de février. Il a ses cent jours.

L'important n'est pas là, au fond.

Car autour de cette époque sont les trois oeuvres de lui que je préfère. J'avoue que sa prose me plaît mieux que ses vers.

Premier, donc, l'"Histoire des Girondins", 1846. Puis "Les Confidences" (1849), une mélodie bouleversante sur la vie, la nature, la beauté, le ciel, la terre, un véritable enchantement. Et enfin "Graziella" (1852) qui clôt son cycle merveilleux. On n'a jamais décrit plus joliment une jeune fille que Lamartine le fait de Graziella. Émotions inexprimables.

Rien que pour ces six années, la vie de Lamartine mériterait d'être vécue.

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02/04/2007

J'ai envie de parler d'Arsène Lupin.

Voilà un lundi soir récréatif. Entre deux Victor Hugo, pourquoi pas un Lupin ?

Bon, on doit reconnaître que le style n'est pas le même, l'ambition non plus, ni l'époque, d'ailleurs : Lupin court les toits parisiens de la Belle Époque à l'Entre-deux-guerres. Hugo est mort depuis longtemps.

La première oeuvre de Leblanc paraît même huit ans après la mort du génie.

Né en 1874, normand comme Corneille, Flaubert et Maupassant, Leblanc s'identifie à la IIIe République : il meurt avec elle en 1941 et toute sa vie est placée sous le signe de la libre-pensée et des idées alors dominantes du radical-socialisme.

Lupin est l'être plus amoral qu'immoral qu'affectionnent ses contemporains. Il n'a pas, pour combattre la Société, l'énergie farouche de Fantômas. C'est un anar, mais qui ne verse jamais une goutte de sang, qui se promène de bal en réception mondaine, fréquente les puissants, les conseille à l'occasion, les dépouille sans vulgarité et choisit ses victimes avec soin.

Ses ennemis, les châtelains, les beaux messieurs du faubourg Saint-Germain, sont aussi ceux des petits propriétaires terriens et des modestes industriels (ingénieurs enrichis) qui forment les gros bataillons du radicalisme.

Il les piétine avec délicatesse mais sans aménité. Il les griffe, il les mordille, les entortille, joue avec eux et finalement, il les amenuise. C'est tout l'objet de sa révolution silencieuse. Sa subversion est insidieuse, car gouailleuse et il finit toujours par mettre les rieurs de son côté, ce qui devient forcément délectable.

Et bien sûr, ce qui le fait résister au temps, c'est la profusion de jeux de piste dont l'auteur émaille ses oeuvres. Quoiqu'il puisse arriver, je me demanderai jusqu'à ma mort si, au fond, l'Aiguille d'Étretat ne serait pas un peu creuse.

Le mélange d'une forme de merveilleux et d'une forte dose de rationnalité résume en fin de compte la carrière littéraire de Lupin : merveilleux habillé de raison, rationnalité tendant au merveilleux. Le rêve éveillé. Quoi de mieux quand on s'ennuie ?

Il m'arrive donc de relire Arsène Lupin en vacances, l'esprit libre.

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01/04/2007

Victor Hugo à sa table de travail.

J'ai déjà dit comme Victor Hugo, à quinze ans, traduisait Virgile en alexandrins vertigineux. Voici donc le génie de toutes les facilités ? Mais non.

Certes, il restera capable d'écrire "Napoléon le Petit" d'un éclat de colère. Certes, on le devine jetant l'"Année Terrible" sur ses pages comme Jupiter la foudre. Et pourtant ...

Toute sa vie, Victor Hugo est un raboteur, un menuisier comme son grand-père, qui sans cesse ajuste, lisse, polit, son texte, le fait luire, en révèle les plus belles veinures, en respecte l'axe, en développe les contrastes. C'est un artisan infatigable.

Oh, il y a bien sa période mondaine, dans les années 1830, où il court de bal en bal, mais sa maîtresse, Juliette Drouet, le rappelle à l'ordre et, plus que tout, les événements politiques lui interdisent de s'assoupir sur ses lauriers : après la prodigieuse période 1829-1843, vient l'extraordinaire ère 1851-1863.

Dès la première phase, on voit le poète rivé à son bureau, celui-ci envahi de coupons de papiers où il a griffonné des mots, des bribes de vers, parfois un peu plus. Il relate la disparition d'un de ces trésors par la main de ses enfants dans la cheminée dans les Contemplations, je crois, et tout le théâtre de son labeur quotidien y apparaît.

Dans la seconde période, à Guernesey, il se voue encore plus à son activité minutieuse : on voit sa table de travail, dans sa verrière, en haut de la maison et là, contre la paroi, une banquette où il dort souvent. Rien ne vient plus le déranger. Il trime.

Le côté progressif de sa façon de procéder est aussi révélé par des détails plus étonnants : pendant quinze ou vingt ans, les "Misérables" se sont seulements intitulés "Les Misères". L'ampleur finale donne un double sens au titre et une majesté épique à l'oeuvre.

De la même façon, "La Légende des Siècles" a longtemps gardé le titre "Les petites épopées". Mais quoi que ce soit qui sorte de l'esprit d'Hugo pouvait-il être petit ? Va pour la tonitruante Légende des Siècles. Quel bonheur.

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30/03/2007

Châteaubriand ? La voix des rêves oubliés.

Talleyrand a écrit : "M. de Châteaubriand croit qu'il devient sourd quand il n'entend plus parler de lui".

Il faut dire que le vicomte malouin est un zélateur frénétique du moi.

L'origine de ses ancêtres, il en parle au début des "Mémoires d'Outre-tombe", se perd dans la nuit des temps bretons. Il est probable qu'il faille la chercher dans le Xe siècle, voire auparavant, si l'on imagine que les Châteaubriand descendent des anciens comtes de Rennes, que l'on remonte jusqu'au IXe siècle.

Nantie de ce pesant stock d'armures, de heaumes, de gourdins, de lances et d'épées, la lignée cadette des Châteaubriand déchoit assez tôt. Elle s'étiole dans une collection douloureuse de siècles, jusqu'à ce que le père de notre auteur acquière la bosse du commerce.

Encore un qui s'est enrichi dans la traite négrière.

Redoré, il peut acheter un donjon imposant et ancien comme la Bretagne, la forteresse un peu lugubre de Combourg. Il y installe sa famille en alternance avec leur hôtel du vieux Saint-Malo.

François-René, dans cette famille restaurée, suit un cursus ordinaire qui le conduit dans l'armée juste avant la Révolution. Il ne brille guère, émigre au bon moment et là, comme d'autres (notamment, un peu plus tard que lui, le futur roi Louis-Philippe, seul de nos monarques à avoir traversé l'Atlantique), s'embarque pour l'Amérique.

Il y découvre les tribus amérindiennes, qu'il enrôle bientôt dans la cohorte littéraire française à travers un curieux ouvrage, les "Natchez", paru à Londres après son retour et sa blessure dans la triste armée de Coblentz, qui scelle la fin de sa brève carrière militaire.

L'arrivée de Bonaparte au pouvoir coïncide presque avec le deuil de sa mère. En 1800, il est en France et publie coup sur coup en trois ans Atala, René et le Génie du Christianisme. Les deux premiers plaisent au public ; le troisième au pouvoir. Il tient son passeport définitif pour la gloire.

Bien entendu, il ne tarde pas à se brouiller avec le régime. Élu à l'Académie française en 1811, il trouve le moyen d'égratigner Napoléon, qui lui défend de siéger sous la Coupole. Il se rapproche de Louis XVIII et on connaît la fameuse phrase qu'il a écrite au sujet de la soumission faite par Fouché au vieux roi sur le paillasson du retour :

"Je vis entrer le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand soutenu par M. Fouché. La vision infernale passa lentement devant moi... Le régicide venait jurer sa foi entre les mains du frère du roi défunt. L'évêque apostat était caution du serment". Un passage magnifique sur lequel on a fait toute une pièce, puis un film, voici quelques années : "Le Souper".

Il suit la valse un peu ridicule de Louis XVIII autour des Cent Jours : un pas en avant, deux pas en arrière, puis rentre dans les valises des Bourbon et prend aussitôt du galon ... qu'il perd assez vite pour s'être brouillé avec les chefs de la nouvelle majorité.

Il commence alors une longue carrière d'opposition aux régimes, entrecoupée de moments de responsabilités diverses qu'il marque de son tempérament tapageur.

À la fin des années 1810, il a la bonne idée d'accepter Victor Hugo pour une tâche de secrétaire plutôt brève mais symbolique.

Mais en 1830, il se renfrogne et se replie sur ses fabuleux "Mémoires d'Outre-Tombe" qu'il promet de ne publier qu'après sa mort et qui paraîtront ... avant. Les sujets d'argent ont toujours contrarié les projets des écrivains.

Il meurt octogénaire en 1848. Presque exact jumeau de Napoléon, il s'éteint alors que commence à paraître la silhouette de Napoléon III. Il n'aura pas eu le loisir de s'opposer à ce régime-là. C'aurait pourtant été une occasion de se rapprocher de Victor Hugo...

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29/03/2007

Rostand a du nez.

Il faut naître fils de banquier.

Edgar Degas est fils de banquier, Edmond Rostand aussi. Évidemment, l'inconvénient est que si on aime les prénoms simples, on ne sera pas servi.

Cela étant, sa situation de fortune permet à Rostand de se consacrer à l'écriture. Il faut dire qu'il dégouline de facilités et de talent, c'en est agaçant.

Il faut dire aussi qu'il a la chance de rencontrer Sarah Bernhardt. Celle-ci, actrice déjà plus que confirmée, a sans doute déjà l'habitude de dormir dans son cercueil, dans sa suite, au Ritz.

Dans ce curieux séjour, elle reçoit. De là elle sort chaque soir pour jouer sur une scène parisienne.

Elle commande deux pièces à Rostand, l'une étant je crois la "Princesse lointaine". Toutes deux connaissent un succès plus que mitigé. Mais le métier de l'interprète s'est transmis à l'auteur : l'exercice qu'il livre ensuite au public se nomme "Cyrano de Bergerac".

Ah, évidemment, les tirades abondent, les morceaux de bravoure se dégustent frais. On savoure, on se délecte. Sorte de réminiscence d'Hugo et de Dumas, truculence, idéalisme, ferveur, flot de poésie. "Pas bien haut peut-être, mais tout seul...". "Mon panache...".

Le triomphe se répand à une vitesse éclair. Il dépasse l'imagination. La France est de retour.

Deux ou trois ans plus tard, pour battre le fer du succès tant qu'il est chaud, Rostand récidive avec "L'Aiglon", autre morceau d'anthologie ("Nous, les petits, les obscurs, les sans-grade ..."), confié à Sarah Bernhardt qui reçoit la récompense de sa trouvaille.

Napoléon, la gloire française au superlatif, griserie, vertige, tout le pays debout pour applaudir la vieille actrice. "L'Aiglon". Tragédie, injustice, trépas, tout y est.

Puis la page blanche. Rostand a été domestiqué pour le succès par Sarah Bernhardt, bien dressé, mais il y a au fond de lui un autre Edmond Rostand qui cogne aux parois et qui veut sortir. Cet Edmond-là rêve de sujets ambitieux, immenses, bref, il se nomme vertige du succès.

Le résultat de ce malentendu de l'auteur avec lui-même, c'est "Chantecler". Le lancement de cette pièce, la dernière jouée de son vivant, est tel qu'elle ne peut connaître l'échec. Malgré tous ses défauts, elle est donc rentable. Mais on y va en se pinçant le nez.

La simple idée que les personnages sont tous des animaux fait pouffer. On croit revoir l'image des cinq générations de barbus alignées qui fait le ridicule des "Burgraves", la dernière pièce du grand cycle de Victor Hugo, un échec critique et public cuisant. "Chantecler", au fond, est du même acabit. Quel qu'en soit le propos, l'idée est parfaitement ridicule.

Vexé, Rostand se renfrogne. Après tout, il est riche, académicien, malheureux en ménage, pourquoi irait-il s'exposer plus ? Qu'a-t-il encore à prouver ?

Il ne lui reste plus que le patriotisme, qu'il déploie autant que possible durant la première guerre mondiale, avec un courage plutôt rare.

Il me semble d'ailleurs qu'il fait le voeu de donner sa vie pour sauver la patrie. Il tient parole d'une façon paradoxale : il meurt un mois après l'armistice de novembre 1918... de la grippe espagnole.

Il a tout juste cinquante ans.

"Un baiser, à tout prendre, qu'est-ce ?.."

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11/02/2007

Blogosphère : la liberté des formes poétiques.

La poésie est l'art majeur de la littérature.

Un grand poème vaut plusieurs grands romans. Un seul vers d'Hugo dit parfois plus de réalités que dix enquêtes documentaires.

Or la poésie est devenue (ou redevenue ?) un art confidentiel, réservé aux arrière-salles, aux petits comités militants, à l'admiration facile, au relativisme égaré.

La forme poétique a suivi la loi des autres arts. Elle a évolué vers l'abstraction, vers toutes les formes de bizarrerie et d'hypertrophie de l'originalité à tout prix, ou bien elle s'est enfoncée dans le marais de la préciosité volontiers passéiste où elle ressasse des images timides.

Les recueils poétiques n'ont qu'un public très restreint. Quelques écrivains reconnus publient parfois des textes, mais ils demeurent très minoritaires et le marché ne suit guère.

Les connaisseurs véritables, les initiés (il en reste) se taisent et réservent leur savoir à des cénacles.

Devant ce triple mur de silence, la blogosphère joue une fois de plus le rôle de déverrouillage.

Déverrouillage de la forme : pas de crainte de verdicts définitifs de critiques venimeux.

Déverrouillage de l'argent : publier sur une page de blog ne coûte pratiquement rien et peut atteindre en un instant un public plus large que six mois d'efforts auprès des médias spécialisés.

C'est pourquoi on voit refleurir les poèmes. La construction libre y domine. On ne versifie pas beaucoup sur la blogosphère : la peur du jugement commun et la hantise de l'expression "vers de mirlitons" qui sonne comme l'humiliation suprême. On prend moins de risque dans des haikus ou dans de jolis paragraphes de prose.

Alors tant pis, s'il faut provoquer, moi, j'ose l'alexandrin. Et j'aime l'acrostiche. Jeu futile ? Peut-être. Mais si le poème parle plusieurs langues en une seule, la futilité ne masquera pas longtemps sa profondeur. L'apparent humour révélera sa vérité.

Je me lance donc, sans la moindre prétention, juste pour éveiller le jeu, en ce dimanche. Voici un acrostiche, n'hésitez pas à m'envoyer les vôtres :

O mondes enroulés aux spirales lointaines,
Echarpes étoilées des lampes souveraines,
Dignes monceaux de nuit déployant des lueurs,
Inavouables cercueils des juteuses candeurs,
Pieux mensonges offerts aux coeurs nouveaux à prendre,
Effacez le tourment des enfances trop tendres !

Ca vous donne envie d'en faire ? Chic alors : c'est dimanche ! Libre.

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