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04/09/2009

"No pasaran" et le stade Jean Bouin.

Soirée thénatique, c'et imparable : de 7 à 9 à la mairie du XVIe arrondissement pour débattre de l'avenir du stade Jean Bouin (et accessoirement de l'hippodrome d'Auteuil, dans le Bois de Boulogne). De 10 heures à minuit aux Champs-Élysées devant le film "No pasaran". Deux points communs pour cette soirée thématique : le rugby, et l'apparition d'un supposé progrès dans un paysage calme.

L'histoire du stade Jean Bouin

Je ne vous infligerai pas le calvaire d'un historique remontant aux calendes celtiques, mais tout de même : la paroisse primitive englobant Boulogne, le Bois, Auteuil et Passy, se nommait, au temps de Clovis et un peu après, "Nemetum". Est-ce un mot franc, un mot romain ? Non, c'est un mot gaulois : le nemeton est le bois sacré des temps druidiques. Ce Bois était tellement sacré que, deux mille ans plus tard, il en reste un grand bout, irréductibe, le Bois de Boulogne.

Dans les années 1850, Napoléon III, l'empereur bling-bling, écouta l'idée de génie d'un de ses conseillers qui voulut faire un nouveau quartier, ultra-snob, qui serait pris sur le Bois de Boulogne. Ce quartier s'appellerait (on se croirait dans Astérix),  non pas le Domaine des Dieux, mais le quartier des Princes. De ce quartier est né le Parc des Princes, par exemple, qui a succédé à un autre stade qui avait une vocation fort différente. Dans ce quartier des Princes, selon le décret bling-bling, on ne pouvait faire commerce, et on devait faire du sport. Là furent implantées les Serres d'Auteuil dont je vous recommande la visite florale, et progressivement une série d'équipements sportifs implantés notamment sur l'espace gagné par la démolition des anciennes fortifications de Paris. Il y eut le Parc des Princes, le stade du Fond des Princes, et puis deux fleurons : Roland Garros et Jean Bouin, dont le dispositif fut complété par une piscine d'architecture très inspirée pour son époque (les années 1920) : la piscine Molitor. Je pourrais d'ailleurs y ajouter Géo André, stade originel du Stade Français (club omnisport dont le rugby est la vitrine), et même le stade Pierre de Coubertin, qui est en fait un monument regroupant des gymnases, célèbre pour l'escrime et le judo.

Jean Bouin a encore sa tribune d'honneur datée de 1925, une rareté que les projets de la municipalité parisienne promettent aux dents d'acier des bulldozers, alors qu'on devrait la classer.

Jean Bouin a eu son heure de gloire, il y a très longtemps. Puis progressivement, au même rythme que d'un côté le vieux Parc des Princes dédié au cyclisme subissait l'éclatante métamorphose qui l'a changé et temple de béton, et que de l'autre côté Roland Garros devenait l'une des références mondiales du tennis à grand spectacle (dévorant même le stade du Fond des Princes), la piscine Molitor s'assoupissait comme une Belle au Bois (de Boulogne) Dormant, et Jean Bouin se ramollissait en stade de quartier, oublié entre les deux géants.

Dans les années 1980, il était même si assoupi qu'un promoteur eut l'idée de raser lui et la piscine, et de bâtir des immeubles de quinze étages. Les druides ont dû se retourner dans leur tombe. La démolition de la piscine Molitor était imminente lorsque Jack Lang, par pure malice, pour casser les pieds de Chirac alors maire de Paris, eut la bonne idée de faire classer une partie de la piscine par son ministère de la Culture. La piscine était sauvée, mais depuis, elle est au piquet, l'administration municipale de Paris lui en veut. L'ancien directeur des Sports de la Ville m'a dit en 1995 : "Moi vivant, jamais la piscine Molitor ne sera restaurée". Elle n'a pas bougé depuis malgré les promesses de Delanoë.

De son côté, Jean Bouin a traversé une période de turbulence au début des années 1990 : un entrepreneur voyait grand pour l'équipe de rugby du Club Athlétique des Sports Généraux (CASG), la structure associative alors résidente du stade. Il fit beaucoup, mais récolta un désastre financier, qui mit l'existence même du CASG (et donc de Jean Bouin) en péril. C'est alors qu'apparut un chevalier blanc : Max Guazzini, cofondateur de la radio NRJ et propriétaire de 5 % du groupe, ce qui alors devait faire quelques centaines de millions de Francs. Guazzini proposait d'absorber la section rugby du CASG et son gouffre financier dans une nouvelle structure, paritaire avec le Stade Français. L'équipe s'appellerait Stade Français - CASG, elle jouerait à Jean Bouin. Guazzini injectait 15 millions de son argent et apportait son savoir-faire.

L'histoire est connue : en trois saisons, l'équipe atteignit l'élite, sous l'impulsion notamment de son entraîneur Bernard Laporte (dont l'image n'était pas aussi sulfureuse alors qu'elle l'est aujourd'hui). Puis ce fut le sommet, les boucliers de Brennus (encore un Gaulois) en chapelet, puis les calendriers érotiques et le maillot rose de meilleurs grimpeurs du rugby mondial, par la face Nord.

Lorsque j'étais élu chargé des sports dans ce quartier, l'aventure de Guazzini m'était sympathique, j'allais souvent à Jean Bouin soutenir l'équipe. J'y croisais des journalistes sportifs, des gens des médias, du fric, et Pascal Nègre. Je n'ai jamais réussi à y faire venir Bayrou pour un match Paris-Pau.

Dès ce temps, Guazzini se trouvait à l'étroit dans son terrain herbeux, il rêvait de plus grands espaces, débordait sur le Parc des Princes, et louchait sur les parties du stade qui ne lui étaient pas dévolues.

Il faut dire que, comme stade de quartier, Jean Bouin est crucial : il y a un stade purement municipal (pour le moment) juste à côté, et les deux doivent suffire à environ 6000 élèves du secondaire public, plus les centaines d'adhérents des sections athlétisme, football, basket, hand, et hockey sur gazon (très nombreuse à Jean Bouin, l'un des rares stades parisiens à pratiquer encore ce sport). Cette situation incontournable a retenu longtemps la municipalité parisienne de succomber aux instances du grand Max.

Fin 2006, on m'a parlé d'un projet dit "Paris 2012", dans le cadre de la candidature de Paris aux Jeux Olypiques (JO) de 2012. Il s'agissait de construire une tribune nouvelle, ou de surélever celle qui existait du côté de Boulogne (l'une des rues qui bordent le stade est frontalière de la ville de Boulogne-Billancourt). Mouais. c'était encore du béton, mais de toutes façons, il va bien falloir moderniser un peu Jean Bouin qui, il est vrai, est vétuste. En contre-partie, on proposait d'ouvrir enfin l'espace central de l'hippodrome d'Auteuil pour y implanter des terrains de sport. La contrepartie était valable. Quand on me demanda mon opinion, j'indiquai qu'on pouvait voter le projet, ce qu'ont fait, je crois, les élus UDF (ou la plupart d'entre eux, même Bariani concerné de près) en février 2007.

Apparemment, dès la fin 2007, le loup était sorti de la bergerie, et le projet actuel commençait à circuler. Il faut dire qu'entre-temps, Laporte, proche de Guazzini, avait été nommé au gouvernement... Guazzini parvenait à mettre en synergie, à son profit, la droite et la gauche.

Sur le papier, c'est séduisant : un stade hi-tech, éclairé grâce à des panneaux solaires, utilisant l'eau de pluie pour arroser le gazon, et construit avec des matériaux peu carbonés. Seulement voilà : ce stade "fait" 20000 places. À côté du Parc des Princes, c'est comme une réplique en miniature de l'épouvante. Et surtout : exit les scolaires, place aux vrais sportis, ceux qui sont là pour éclabousser l'écran d'une gifle de paillettes et pour faire du fric, du vrai. Et bien entendu, revoilà notre promoteur, un peu plus modeste, qui veut implanter des tas de boutiques dans le nouveau stade, petit colosse.

En somme, on dépense au moins 150 millions d'Euros (trois fois le montant nécessaire à la restauration de la piscine Molitor, 150 ou 200 fois de quoi construire une crèche dans le XIIIe ou dans le XIXe) pour évacuer du sport scolaire et associatif et le remplacer par du sport bling-bling.

Et tout ça, par une municipalité de gauche.

Un cauchemar.

Anne Hidalgo et son adjoint aux sports ont mal défendu, ce soir, un dossier qui n'est pas défendable autrement qu'en exprimant ce qu'ils ont fait : la haine des gens du XVIe, une haine stupide et aveugle, qui ignore complètement la réalité sociologique de l'arrondissement, notamment du sud. Certes, je ne dirai pas que le XVIe soit un quartier déshérité, mais si l'on y voit une population d'environ 150000 habitants, dont environ 20 % votent à gauche, on ne sera pas loin de considérer que les 6000 gamins du secondaire public sont ceux dont les parents votent pour Delanoë, et qui n'ont pas de solution de rechange à la disparition d'un équipement de quartier comme Jean Bouin.

Et d'ailleurs, les prof d'EPS (j'ai cru d'abord qu'ils étaient prof de PS et je ne comprenais pas) étaient là, ce soir, fous de rage, véhéments : personne ne les a consultés, ni eux ni les chefs d'établissements. "Nous travaillons avec  le rectorat, seul compétent, puisque c'est lui qui attribue les créneaux horaires dans les stades", plaidait Hidalgo. "C'est faux ! hurlaient les prof d'EPS, personne n'est consulté ! Il n'y a rien au rectorat !"

La seule compensation proposée est gorgée d'arrière-pensées politiques honteuses : si les terrains de sport (qui doivent accueillir les activités devenues impossibles à Jean Bouin) ne se font pas à l'hippodrome d'Auteuil, ce sera la-faute-à-la-droite, puisque c'est la droite qui gouverne et que l'hippodrome est à l'État. Certes, c'est politiquement satisfaisant, de pouvoir dire c'est-la-faute-à-l'autre, mais en attendant, qu'est-ce qu'on fait des 6000 gamins qui n'ont pas de stade ?

6000 gamins qu'on va promener en autocar, pendant au moins 3 ans, dans des stades du XVe (l'arrondissement qu'Hidalgo n'a pas gagné en refusant de s'allier avec le MoDem) ou peut-être du XVIIe. À raison de 35 jeunes par autocar, ça fait environ 170 rotations par semaine, 170 allers et 170 retours, dans les embouteillages, dans la pollution, et produisant de la pollution. Une réussite. Et si le champ de courses traîne, ce sera pour des années, des années, des années... des années... des années... 170 allers, 170 retours par semaine, 700 par mois.

Depuis vingt ans que la piscine Molitor a fermé, les enfants des écoles primaires publiques du XVIe n'ont plus que 40 % des créneaux horaires de piscine nécessaires. Des générations entières ne sont jamais allées à la piscine de toute leur scolarité primaire. Tout ça parce que des connards de politique trouvent ça marrant de pouvoir dire c'est-la-faute-à-l'autre. Et j'invite ceux qui croient que les écoles publiques du XVIe sont des annexes du Jockey-Club à faire la sortie des écoles, pour comprendre la sottise de leurs préjugés.

Or concernant le champ de course supposé servir d'espace sportif de rechange, on a des raisons d'être sceptique : les procédures de décision sont infiniment lourdes le concernant, parce qu'il appartient à l'État, qu'il implique quatre ministères différents (chacun avec son esprit de clocher), que la Ville de Paris en est en partie concessionnaire (ou l'était jusqu'en 1999), que le concessionnaire (France Galop) ne pense qu'au fric, et que tout cela a fait que, de 1999 à 2006, l'exploitation des champs de course du Bois de Boulogne n'avait plus aucun support juridique : de 1999 à 2001, le gouvernement de gauche ne voulait pas s'entendre avec la Ville de Paris de droite. De 2001 à 2002, c'était trop court, et de 2002 à 2006, c'était le gouvernement de droite qui ne voulait plus s'entendre avec la Ville de Paris de gauche, la roue avait tourné. Ubu roi. Kafka. Enfin, il a fallu toute la savante diplomatie de Rothschild, nouveau patron de France Galop, pour parvenir à faire sortir les champs de courses de la gestion de fait dans laquelle ils traînaient depuis des années parce que nanana la droite ne travaille jamais avec la gauche et réciproquement, car c'est beaucoup plus satisfaisant de pouvoir dire que c'est-la-faute-à-l'autre.

Donc, en résumé, on a un stade un peu vétuste qui mériterait un toilettage (pour pas cher), on a un président de club sportif qui veut faire dépenser au moins 150 millions d'Euros (d'aucuns disent 200 millions) à la Ville de Paris pour un stade où son équipe jouera ... huit ou dix fois par an ... Hein ? 200 millions d'Euros, les scolaires à la rue, pour un stade où on va jouer huit ou dix fois par an ?????

Pincez-moi. On a une municipalité de gauche, à Paris ?

Et qu'ont-ils de génial à dire pour leur défense, les politiques promoteurs de ce projet génial ? C'est que dans tout le XIXe arrondissement, il y a en tout et pour tout 3 grands terrains de sport. Trois. Diable, c'est vrai, ce n'est pas beaucoup, c'est un chiffre honteux, on voit qu'ils sont au pouvoir depuis huit ans et qu'ils ont massivement investi pour que l'Est parisien rattrape son retard sur l'Ouest... Hum. Donc, pan dans la gueule, vilains petits bourgeois du XVIe (je crois avoir assez démontré que ce n'étaient pas les bourgeois du XVIe qui allaient trinquer, mais les autres), vous qui avez plus de terrains que les autres, on vous les sucre et on les donne à n'importe qui qui va y faire du pognon. En somme, il ne s'agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul, mais de déshabiller Pierre pour n'habiller personne. De déshabiller Pierre pour déshabiller Pierre.

Du temps où je m'en occupais, la création d'un terrain de football coûtait environ 1,5 million de Francs, soit 230000 Euros. J'ai cessé en 2001, mettons que les prix aient fortement augmenté depuis, allez, disons 400000 Euros. 200 millions d'Euros, ce sont 500 terrains de football que la municipalité pourrait créer dans les quartiers qui en manquent. 500 terrains de football. Mais non, il est plus urgent de punir les nantis du XVIe (qui votent si mal) en leur ôtant les terrains qu'ils ont. Na.

C'est bête à pleurer, à manger du foin.

Enfin, cerise sur le gâteau, Mme Hidalgo a failli nous faire pleurer (d'émotion et d'attendrissement, cette fois-là), en nous expliquant que la construction de ce nouveau stade allait créer des centaines d'emplois dans le bâtiment.

C'est là qu'on rejoint la seconde partie de notre soirée thématique :

"No pasaran"

L'histoire de "No pasaran", vous la connaissez, nous la connaissons, nous l'avons vue à la télé, lue dans la presse, quand nous regardions encore la télé et lisions encore la presse. C'est celle des Pyrénées, de la Vallée d'Aspe, des constructions d'autoroutes et de la réintroduction des ours.

Voici un paysan pyrénéen, 40 ans, toujours puceau (comme dit un autre film), mais un artiste du jambon (mmh j'ai eu une furieuse envie de dévorer un jambon de montagne en sortant du cinéma). Son député-maire est tout fier d'annoncer que sa belle vallée va accueillir le progrès, une autoroute, l'axe européen E38. Fini le bon air. Mais il ne va pas se laisser faire, notre jambonneur, il va faire appel à une éco-terroriste (Rossy de Palma échappée de la grande époque d'Almodovar, une virtuose du coup de poing au service de l'environnement, fort critique contre les écologistes qu'elle accuse d'être plus attachés à leurs éco qu'à autre chose) et, bref, le film est très drôle, quelques clichés, beaucoup d'idées tout à fait idiotes et délectables.

Et l'argument est connu : l'autoroute, c'est le progrès. Mais est-ce le seul progrès possible ?

Et en apparence, la construction du nouveau stade, ce sont des emplois, c'est le progrès, le sport de haut niveau, à Jean Bouin, c'est le progrès, ce beau stade tout bardé de certificats de développement durable, c'est le progrès. Ouais, sauf que, en fait, on pourrait s'en passer, on n'en a pas besoin, il y a déjà deux grands stades sous-utilisés en Île de France : le Stade de France et Charléty (à Paris XIIIe). Pourquoi construire un stade de plus quand on n'utilise pas ceux qu'on a ?

Et pourquoi cette autoroute saloperait-elle la Vallée d'Aspe quand on pourrait faire autrement, développer d'autres moyens de transport ? Alors, "no pasaran", le cri des communistes espagnols d'autrefois, traduction du fin mot des poilus de Verdun : "Ils ne passeront pas".