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04/12/2009

Assemblée générale du collectif Jean Bouin : la vidéo.

En principe, les cossus du 16e et les prolos du 18e ont des intérêts antagonistes du point de vue des décisions politiques : les travaux qui sont faits ici ne le sont pas là, les équipements qui profitent au 16e manquent évidemment au 18e et réciproquement (euh, plus rarement). Le projet de nouveau stade Jean Bouin accomplit l'exploit rare de nuire autant aux habitants du 16e qu'à ceux du 18e.

L'argent que la Ville de Paris veut dépenser pour la démolition du stade Jean Bouin et sa reconstruction sur de nouveaux plans (ce qui révolte les habitants du 16e) est celui qui permettrait de prolonger le tramway jusqu'à la porte d'Asnières (que les habitants du 18e attendent comme le Messie). Non seulement ces travaux sont superfétatoires dans le 16e, mais ils créent un manque terrible dans le 18e.

Rarement, on aura pu dire à ce point qu'épargner un inconvénient aux beaux quartiers peut avoir un tel avantage pour les quartiers plus pauvres. Delanoë a réussi à inventer la convergence des classes.

C'est pourquoi il est juste que la mobilisation contre ce projet soit transversale, qu'elle joigne des élus verts à ceux de l'oppositon municipale. Cependant, je ne partage pas l'opinion de Sylvain Garel, élu vert qui incarne ce rapprochement, (opinion qu'il développe sur la vidéo que je joins ici) quant à l'effet du premier tour des élections régionales. Il vante sa boutique, c'est normal, l'argument est de bonne guerre, mais je crois que les choses sont plus compliquées. Mais si je ne partage pas son opinion sur le calcul politique, je souhaite vivement que l'argent prévu pour Jean Bouin soit finalement affecté au prolongement du tramway jusqu'à la porte d'Asnières.

Pour le reste de cette assemblée générale, je crois que les images parlent d'elles-mêmes.

Sport 2.0, année zéro.

Le remarquable cours magistral donné par Claude Goasguen sur le thème "le sport et l'argent" en surprendra plus d'un, notamment parmi ceux de mes lecteurs qui voient en lui surtout un ancien du réseau Occident accoutumé des positions plus "libérales" au sens droitier de ce terme. Que Goasguen prenne le temps d'expliquer que le déferlement de l'argent dans le sport pose des problèmes à "notre conception des choses" , comme il dit (c'est-à-dire à notre éthique), en surprendra plus d'un, et son exposé mérite d'être vu, car la prophétie qu'il fait est aussi redoutable que réaliste.

Le sport, en France, passe à un stade 2.0. On renonce enfin à la tartufferie du sport à la fois associatif et professionnel, pour reconnaître enfin que le sport professionnel n'est qu'une activité commerciale parmi d'autres. C'est une révolution éthique dans le statut juridique, qui rejoint une réalité déjà très consolidée.

Et bien entendu, le bail emphythéotique de 60 ans que Delanoë prépare actuellement pour Colony Capital au Parc des Princes sera impossible, grossièrement illégal. J'ai même l'impression qu'un arrêt du Conseil d'État interdit les concessions supérieures à quinze ou vingt ans. En tout cas, il faudra une procédure de mise en concurrence et un appel d'offres en bonne et due forme.

Cette victoire éthique n'est pas sans revers : quand on verra un milliardaire russe soumissionner pour la concession du Parc des Princes, on mesurera évidemment toutes les conséquences de la reconnaissance du caractère purement commercial du sport professionnel. Personnellement, je suis d'opinion que, puisque cette activité est commerciale, on ne lui concède plus le domaine public, qu'elle s'adresse à l'immobilier privé, et que le domaine public serve à l'accès public et aux structures associatives. Ce serait de meilleure méthode. Et pour un équipement comme le Parc des Princes, de façon à éviter de se retrouver envahis par la mafia russe, je crois qu'il serait sage qu'il fût désormais géré en régie et loué palier par palier en fonction des activités, ce qui permettrait d'y jouer à la fois le football et le rugby.

Parmi les deux ou trois autres réflexions qui me viennent au sujet de cette vidéo, il y a celle que la défense de Lagardère, qui s'étonne d'être appelé en responsabilité pénale par la justice, n'étant pas lui-même le concessionnaire de Jean Bouin, ressemble fort à une tartufferie, vu que le nom de Lagardère figure bien partout dans le stade dont il est le sponsor de référence, ayant succédé dans ce titre à la Société Générale dont le CASG, club père de Paris - Jean Bouin, était une pure et simple émanation initiale.

Collusion entre Laporte et Colony Capital ?

Une dernière remarque sur ce qui me semble être le scénario de gestation du projet Jean Bouin : l'homme-clef du projet, c'est Bernard Laporte. C'est lui qui, une fois ministre, a mobilisé les services de l'État sur une dilatation du projet initial. Ce parrainage de l'État n'apparaît nulle part jusqu'ici, mais on le voit bien dans ce que révèle Sylvain Garel sur cette vidéo : quand il demande le transfert des fonds de Jean Bouin vers le tramway, on lui répond à la Ville de Paris que "l'État ne va pas dépenser de l'argent pour le tramway", ce qui siginifie clairement qu'il est prévu que l'État pèse financièrement sur le projet de Jean Bouin. Cette décision a évidemment été prise quand Laporte était ministre des sports.

Le contenu du projet suggère qu'elle a été prise en concertation avec le voisin de Jean Bouin, Colony Capital. Il y a là comme une forme d'association. Et si j'étais le Stade Français (le club omnisport père de la section rugby), je me ferais des soucis, car le stade Géo André, siège du Stade, jouxte le Parc des Princes, et une collusion de Colony Capital et de Laporte devenu maître du Stade Français rugby pourrait préluder à une OPA inamicale sur Géo André, du type de celle que Lagardère a faite à la Croix-Catelan.

Enfin, si Laporte est le personnage-clef de l'affaire, sur fond de succession de Guazzini qui se met en retrait, il serait intéressant de connaître l'opinion du rival de Laporte pour la succession de Guazzini, qui n'est autre que l'ancien international Fabien Galthier.

 

10/09/2009

Paris Jean Bouin : les soupçons de fraude et le piège.

Il y a une ou deux chose(s) que je ne vous ai pas dite(s) et qu'il faut savoir pour comprendre une partie des événements qui dramatisent l'affaire du stade Jean Bouin.

Les rivaux de Painful Gulch

Tout d'abord, il y a la rivalité profonde, traditionnelle, entre le Stade Français et le Racing Club de France (RCF). C'est un peu ce que sont Oxford et Cambridge à l'aviron britannique ou le PSG et l'OM au football français. On pourrait aussi parler des rivaux de Painful Gulch d'un certain album de Lucky Luke par Morris et Goscinny. C'est pire que des haines de clans corses.

La situation, telle que je l'ai laissée en quittant la mairie du XVIe en 2001, était que Jean Bouin était le lieu d'une véritable guerre de tranchées entre le Stade Français (qui occupait le terrain de rugby) et le RCF qui dominait plusieurs sections du CASG (alors concessionnaire de Jean Bouin), club devenu petit et balkanisé par la lutte des plus grands. Or depuis longtemps, Lagardère est proche du RCF. Et comme Arnaud Lagardère s'est beaucoup investi dans le sport de compétition professionnelle, il louchait sur Jean Bouin. On avait donc deux milliardaires face à face : d'un côté Max Guazzini et ses maillots roses, de l'autre Arnaud Lagardère et ses tennismen plaqués or.

En 2004, la concession du stade Jean Bouin vint à échéance (les concessions sont renouvelées tous les quinze ou vingt ans). Le CASG, se sentant menacé par les appétits de Guazzini et du Stade Français, avait accepté d'ajouter Paris à son nom historique, mais ce n'était pas suffisant. Il lui fallait un protecteur, ce fut Lagardère, renouvelant le système d'alliance et de bascule traditionnel du CASG entre le Stade Français et le RCF. À cette occasion, la concession du stade Jean Bouin, attribuée depuis des lustres au CASG, fut donc donnée à une nouvelle entité, Paris - Jean Bouin - Lagardère.

Tout ça dans un petit stade de quartier dont la vocation éducative est évidente. Bref...

Les avatars successifs du projet

Depuis longtemps, comme je l'ai écrit, Guazzini avait envie de développer son emprise sur le site. Nous avions toujours résisté à cet appétit dont les inconvénients étaient aussi manifestes qu'aujourd'hui. Cependant, nous n'étions pas hostiles à une rénovation du stade. C'est celle qui, je crois, a été votée notamment par l'UDF de l'époque, et avec mon approbation, en février 2007. Elle coûtait déjà officiellement 69 millions, au moins deux fois moins qu'aujourd'hui.

En décembre 2007, le projet avait changé du tout au tout (Laporte, proche de Guazzini, était alors au gouvernement et, il est vrai, la coupe du Monde venait de mettre le rugby en valeur). Il coûtait subitement 86 millions d'Euros, et aboutissait purement et simplement au projet actuellement discuté : destruction, reconstruction, disparition des scolaires et du club omnisport. On apprend par le blog que Lagardère, lui, visait à une occupation encore plus privative du stade, dédié à l'entraînement de ses chers (et coûteux) tennismen...

L'étape suivante, nécessaire aux travaux puisque Paris - Jean Bouin refusait la démolition du stade, fut la résiliation unilatérale de la concession de Jean Bouin par la Ville de Paris, au cours d'un vote où, en novembre 2008, la séance du Conseil de Paris fut particulièrement houleuse : seuls les partis de gauche votèrent pour, ce qui est tout de même assez fort s'agissant d'une mise à l'écart des scolaires : PS, PRG, PCF, MRC, ont voté pour. La plupart des Verts, et tous les autres (dont, je suppose, l'élue MoDem) votèrent contre la résiliation. Le coût du projet avait encore enflé, ayant presque doublé en vingt mois : on en était à 120 millions d'Euros.

Soupçon de fraude

Il y eut un coup de théâtre au printemps suivant : en avril 2009, le Tribunal Administratif (TA) jugea la convention de Paris - Jean Bouin illégale, observant que des conditions de publicité pourtant élémentaires n'avaient pas été respectées, comme le relate le blog d'un élu UMP dissident. Cette décision juridictionnelle mit la justice pénale en mouvement, et Max Guazzini et Bertrand Delanoë furent entendus comme témoins, en juillet, par la Brigade de Répression de la Délinquance Économique et Financière (BRDE).

Bien que fragilisés par la décision du TA, l'équipe de Paris - Jean Bouin et le collectif Jean Bouin se manifestèrent bruyamment, pétitions, dépêches de presse notamment. D'autres voix jugeaient le destin du stade scellé.

Il y eut le 3 septembre dernier la présentation houleuse à la mairie du 16e, où le maire du 16e, Claude Goasguen, se montra incisif, et j'ai croisé ce soir-là un personnage d'aspect sympathique, dont je viens d'apprendre qu'il est Sylvain Garel, un adjoint au maire de Paris, chargé d'exprimer le refus catégorique par les Verts du projet du nouveau Jean Bouin.

Un projet faramineux, des comptes douteux

Mme Hidalgo a une curieuse arithmétique. Elle a expliqué que, si le coût du projet frisait désormais 150 millions d'Euros (selon elle, d'autres disent 200 millions en incluant notamment 25 millions pour créer ... trois terrains de gazon au milieu du champ de courses d'Auteuil, ce qui met tout de même le terrain à 8 millions pièce, alors que les miens coûtaient trente fois moins...), si donc on atteignait ce chiffre, c'est qu'il fallait appliquer l'indice du coût de la construction au chiffre précédent. Cet indice, selon elle, étant à 4,5 %, l'appliquer à 120 millions donnerait une majoration de ... (120Mx0,045=) 5,4 millions. Le montant, avec ce simple indice, aurait dû être 125,4 millions. À l'inverse, le coût de 150 millions représenterait une hausse de 25 % (et non 5,4 %). Or les travaux sont appelés à commencer dans six mois (donc + 12,5 %) et à durer trois ans (donc + (3x25 %=) 75 %). Le tout fait + 87,5 % d'augmentation de l'indice de la construction selon Mme Hidalgo. Son projet digne de l'empereur Bokassa ou du Roumain Ceaucescu s'élèverait en définitive à (150M + (150M x 0,875 = 131,25) =) 281,25 millions d'Euros. Allez, avec les faux-frais, disons 300 millions d'Euros. Une paille.

Je relève dans l'un des articles du Parisien que j'ai mis en lien le descriptif de ce que devrait être, dans l'esprit de la municipalité, le nouveau Jean Bouin (précisions tirées des explications données par Mme Hidalgo) :

"1000 m2 de bureaux, 7400 m2 de commerces et un parking de 500 places (dont 100 à un tarif résidentiel) sont prévues."

1000 m2 de bureaux, et ... 7400 m2 de commerces !!!

Franchement, ça vaut le coup que la municipalité dépense 200 ou 300 millions d'Euros pour construire une brasserie de luxe et plus de 7000 m2 de commerces de luxe dans le 16e, on ne sait tellement plus où fourrer le pognon, tellement qu'on en a, alors bien sûr, les investissements de tramway, de santé, d'éducation, peuvent attendre : l'urgence, c'est de construire des commerces de luxe dans le 16e. Et toute la gauche a voté pour, communistes y compris. Lénine, relève-toi, etc.

Si les socialistes continuent, ils finiront par s'aliéner définitivement les électorats de bonne volonté, centristes et écologistes. Un instinct suicidaire ? L'envie de tomber dans un piège ?

En terminant cette seconde note de synthèse, j'avoue que j'ai honte de notre personnel politique, et je remercie ceux des élus qui ont le courage de ne pas capituler devant ce que François Mitterrand nommait les "forces de l'argent". Je regrette véritablement le temps où la gauche savait se battre contre l'appétit des promoteurs, merci encore à Jack Lang d'avoir classé la piscine Molitor.

Résister, c'est créer, créer c'est résister.

09/09/2009

Paris - Jean Bouin : non à la dernière séance !

04/09/2009

"No pasaran" et le stade Jean Bouin.

Soirée thénatique, c'et imparable : de 7 à 9 à la mairie du XVIe arrondissement pour débattre de l'avenir du stade Jean Bouin (et accessoirement de l'hippodrome d'Auteuil, dans le Bois de Boulogne). De 10 heures à minuit aux Champs-Élysées devant le film "No pasaran". Deux points communs pour cette soirée thématique : le rugby, et l'apparition d'un supposé progrès dans un paysage calme.

L'histoire du stade Jean Bouin

Je ne vous infligerai pas le calvaire d'un historique remontant aux calendes celtiques, mais tout de même : la paroisse primitive englobant Boulogne, le Bois, Auteuil et Passy, se nommait, au temps de Clovis et un peu après, "Nemetum". Est-ce un mot franc, un mot romain ? Non, c'est un mot gaulois : le nemeton est le bois sacré des temps druidiques. Ce Bois était tellement sacré que, deux mille ans plus tard, il en reste un grand bout, irréductibe, le Bois de Boulogne.

Dans les années 1850, Napoléon III, l'empereur bling-bling, écouta l'idée de génie d'un de ses conseillers qui voulut faire un nouveau quartier, ultra-snob, qui serait pris sur le Bois de Boulogne. Ce quartier s'appellerait (on se croirait dans Astérix),  non pas le Domaine des Dieux, mais le quartier des Princes. De ce quartier est né le Parc des Princes, par exemple, qui a succédé à un autre stade qui avait une vocation fort différente. Dans ce quartier des Princes, selon le décret bling-bling, on ne pouvait faire commerce, et on devait faire du sport. Là furent implantées les Serres d'Auteuil dont je vous recommande la visite florale, et progressivement une série d'équipements sportifs implantés notamment sur l'espace gagné par la démolition des anciennes fortifications de Paris. Il y eut le Parc des Princes, le stade du Fond des Princes, et puis deux fleurons : Roland Garros et Jean Bouin, dont le dispositif fut complété par une piscine d'architecture très inspirée pour son époque (les années 1920) : la piscine Molitor. Je pourrais d'ailleurs y ajouter Géo André, stade originel du Stade Français (club omnisport dont le rugby est la vitrine), et même le stade Pierre de Coubertin, qui est en fait un monument regroupant des gymnases, célèbre pour l'escrime et le judo.

Jean Bouin a encore sa tribune d'honneur datée de 1925, une rareté que les projets de la municipalité parisienne promettent aux dents d'acier des bulldozers, alors qu'on devrait la classer.

Jean Bouin a eu son heure de gloire, il y a très longtemps. Puis progressivement, au même rythme que d'un côté le vieux Parc des Princes dédié au cyclisme subissait l'éclatante métamorphose qui l'a changé et temple de béton, et que de l'autre côté Roland Garros devenait l'une des références mondiales du tennis à grand spectacle (dévorant même le stade du Fond des Princes), la piscine Molitor s'assoupissait comme une Belle au Bois (de Boulogne) Dormant, et Jean Bouin se ramollissait en stade de quartier, oublié entre les deux géants.

Dans les années 1980, il était même si assoupi qu'un promoteur eut l'idée de raser lui et la piscine, et de bâtir des immeubles de quinze étages. Les druides ont dû se retourner dans leur tombe. La démolition de la piscine Molitor était imminente lorsque Jack Lang, par pure malice, pour casser les pieds de Chirac alors maire de Paris, eut la bonne idée de faire classer une partie de la piscine par son ministère de la Culture. La piscine était sauvée, mais depuis, elle est au piquet, l'administration municipale de Paris lui en veut. L'ancien directeur des Sports de la Ville m'a dit en 1995 : "Moi vivant, jamais la piscine Molitor ne sera restaurée". Elle n'a pas bougé depuis malgré les promesses de Delanoë.

De son côté, Jean Bouin a traversé une période de turbulence au début des années 1990 : un entrepreneur voyait grand pour l'équipe de rugby du Club Athlétique des Sports Généraux (CASG), la structure associative alors résidente du stade. Il fit beaucoup, mais récolta un désastre financier, qui mit l'existence même du CASG (et donc de Jean Bouin) en péril. C'est alors qu'apparut un chevalier blanc : Max Guazzini, cofondateur de la radio NRJ et propriétaire de 5 % du groupe, ce qui alors devait faire quelques centaines de millions de Francs. Guazzini proposait d'absorber la section rugby du CASG et son gouffre financier dans une nouvelle structure, paritaire avec le Stade Français. L'équipe s'appellerait Stade Français - CASG, elle jouerait à Jean Bouin. Guazzini injectait 15 millions de son argent et apportait son savoir-faire.

L'histoire est connue : en trois saisons, l'équipe atteignit l'élite, sous l'impulsion notamment de son entraîneur Bernard Laporte (dont l'image n'était pas aussi sulfureuse alors qu'elle l'est aujourd'hui). Puis ce fut le sommet, les boucliers de Brennus (encore un Gaulois) en chapelet, puis les calendriers érotiques et le maillot rose de meilleurs grimpeurs du rugby mondial, par la face Nord.

Lorsque j'étais élu chargé des sports dans ce quartier, l'aventure de Guazzini m'était sympathique, j'allais souvent à Jean Bouin soutenir l'équipe. J'y croisais des journalistes sportifs, des gens des médias, du fric, et Pascal Nègre. Je n'ai jamais réussi à y faire venir Bayrou pour un match Paris-Pau.

Dès ce temps, Guazzini se trouvait à l'étroit dans son terrain herbeux, il rêvait de plus grands espaces, débordait sur le Parc des Princes, et louchait sur les parties du stade qui ne lui étaient pas dévolues.

Il faut dire que, comme stade de quartier, Jean Bouin est crucial : il y a un stade purement municipal (pour le moment) juste à côté, et les deux doivent suffire à environ 6000 élèves du secondaire public, plus les centaines d'adhérents des sections athlétisme, football, basket, hand, et hockey sur gazon (très nombreuse à Jean Bouin, l'un des rares stades parisiens à pratiquer encore ce sport). Cette situation incontournable a retenu longtemps la municipalité parisienne de succomber aux instances du grand Max.

Fin 2006, on m'a parlé d'un projet dit "Paris 2012", dans le cadre de la candidature de Paris aux Jeux Olypiques (JO) de 2012. Il s'agissait de construire une tribune nouvelle, ou de surélever celle qui existait du côté de Boulogne (l'une des rues qui bordent le stade est frontalière de la ville de Boulogne-Billancourt). Mouais. c'était encore du béton, mais de toutes façons, il va bien falloir moderniser un peu Jean Bouin qui, il est vrai, est vétuste. En contre-partie, on proposait d'ouvrir enfin l'espace central de l'hippodrome d'Auteuil pour y implanter des terrains de sport. La contrepartie était valable. Quand on me demanda mon opinion, j'indiquai qu'on pouvait voter le projet, ce qu'ont fait, je crois, les élus UDF (ou la plupart d'entre eux, même Bariani concerné de près) en février 2007.

Apparemment, dès la fin 2007, le loup était sorti de la bergerie, et le projet actuel commençait à circuler. Il faut dire qu'entre-temps, Laporte, proche de Guazzini, avait été nommé au gouvernement... Guazzini parvenait à mettre en synergie, à son profit, la droite et la gauche.

Sur le papier, c'est séduisant : un stade hi-tech, éclairé grâce à des panneaux solaires, utilisant l'eau de pluie pour arroser le gazon, et construit avec des matériaux peu carbonés. Seulement voilà : ce stade "fait" 20000 places. À côté du Parc des Princes, c'est comme une réplique en miniature de l'épouvante. Et surtout : exit les scolaires, place aux vrais sportis, ceux qui sont là pour éclabousser l'écran d'une gifle de paillettes et pour faire du fric, du vrai. Et bien entendu, revoilà notre promoteur, un peu plus modeste, qui veut implanter des tas de boutiques dans le nouveau stade, petit colosse.

En somme, on dépense au moins 150 millions d'Euros (trois fois le montant nécessaire à la restauration de la piscine Molitor, 150 ou 200 fois de quoi construire une crèche dans le XIIIe ou dans le XIXe) pour évacuer du sport scolaire et associatif et le remplacer par du sport bling-bling.

Et tout ça, par une municipalité de gauche.

Un cauchemar.

Anne Hidalgo et son adjoint aux sports ont mal défendu, ce soir, un dossier qui n'est pas défendable autrement qu'en exprimant ce qu'ils ont fait : la haine des gens du XVIe, une haine stupide et aveugle, qui ignore complètement la réalité sociologique de l'arrondissement, notamment du sud. Certes, je ne dirai pas que le XVIe soit un quartier déshérité, mais si l'on y voit une population d'environ 150000 habitants, dont environ 20 % votent à gauche, on ne sera pas loin de considérer que les 6000 gamins du secondaire public sont ceux dont les parents votent pour Delanoë, et qui n'ont pas de solution de rechange à la disparition d'un équipement de quartier comme Jean Bouin.

Et d'ailleurs, les prof d'EPS (j'ai cru d'abord qu'ils étaient prof de PS et je ne comprenais pas) étaient là, ce soir, fous de rage, véhéments : personne ne les a consultés, ni eux ni les chefs d'établissements. "Nous travaillons avec  le rectorat, seul compétent, puisque c'est lui qui attribue les créneaux horaires dans les stades", plaidait Hidalgo. "C'est faux ! hurlaient les prof d'EPS, personne n'est consulté ! Il n'y a rien au rectorat !"

La seule compensation proposée est gorgée d'arrière-pensées politiques honteuses : si les terrains de sport (qui doivent accueillir les activités devenues impossibles à Jean Bouin) ne se font pas à l'hippodrome d'Auteuil, ce sera la-faute-à-la-droite, puisque c'est la droite qui gouverne et que l'hippodrome est à l'État. Certes, c'est politiquement satisfaisant, de pouvoir dire c'est-la-faute-à-l'autre, mais en attendant, qu'est-ce qu'on fait des 6000 gamins qui n'ont pas de stade ?

6000 gamins qu'on va promener en autocar, pendant au moins 3 ans, dans des stades du XVe (l'arrondissement qu'Hidalgo n'a pas gagné en refusant de s'allier avec le MoDem) ou peut-être du XVIIe. À raison de 35 jeunes par autocar, ça fait environ 170 rotations par semaine, 170 allers et 170 retours, dans les embouteillages, dans la pollution, et produisant de la pollution. Une réussite. Et si le champ de courses traîne, ce sera pour des années, des années, des années... des années... des années... 170 allers, 170 retours par semaine, 700 par mois.

Depuis vingt ans que la piscine Molitor a fermé, les enfants des écoles primaires publiques du XVIe n'ont plus que 40 % des créneaux horaires de piscine nécessaires. Des générations entières ne sont jamais allées à la piscine de toute leur scolarité primaire. Tout ça parce que des connards de politique trouvent ça marrant de pouvoir dire c'est-la-faute-à-l'autre. Et j'invite ceux qui croient que les écoles publiques du XVIe sont des annexes du Jockey-Club à faire la sortie des écoles, pour comprendre la sottise de leurs préjugés.

Or concernant le champ de course supposé servir d'espace sportif de rechange, on a des raisons d'être sceptique : les procédures de décision sont infiniment lourdes le concernant, parce qu'il appartient à l'État, qu'il implique quatre ministères différents (chacun avec son esprit de clocher), que la Ville de Paris en est en partie concessionnaire (ou l'était jusqu'en 1999), que le concessionnaire (France Galop) ne pense qu'au fric, et que tout cela a fait que, de 1999 à 2006, l'exploitation des champs de course du Bois de Boulogne n'avait plus aucun support juridique : de 1999 à 2001, le gouvernement de gauche ne voulait pas s'entendre avec la Ville de Paris de droite. De 2001 à 2002, c'était trop court, et de 2002 à 2006, c'était le gouvernement de droite qui ne voulait plus s'entendre avec la Ville de Paris de gauche, la roue avait tourné. Ubu roi. Kafka. Enfin, il a fallu toute la savante diplomatie de Rothschild, nouveau patron de France Galop, pour parvenir à faire sortir les champs de courses de la gestion de fait dans laquelle ils traînaient depuis des années parce que nanana la droite ne travaille jamais avec la gauche et réciproquement, car c'est beaucoup plus satisfaisant de pouvoir dire que c'est-la-faute-à-l'autre.

Donc, en résumé, on a un stade un peu vétuste qui mériterait un toilettage (pour pas cher), on a un président de club sportif qui veut faire dépenser au moins 150 millions d'Euros (d'aucuns disent 200 millions) à la Ville de Paris pour un stade où son équipe jouera ... huit ou dix fois par an ... Hein ? 200 millions d'Euros, les scolaires à la rue, pour un stade où on va jouer huit ou dix fois par an ?????

Pincez-moi. On a une municipalité de gauche, à Paris ?

Et qu'ont-ils de génial à dire pour leur défense, les politiques promoteurs de ce projet génial ? C'est que dans tout le XIXe arrondissement, il y a en tout et pour tout 3 grands terrains de sport. Trois. Diable, c'est vrai, ce n'est pas beaucoup, c'est un chiffre honteux, on voit qu'ils sont au pouvoir depuis huit ans et qu'ils ont massivement investi pour que l'Est parisien rattrape son retard sur l'Ouest... Hum. Donc, pan dans la gueule, vilains petits bourgeois du XVIe (je crois avoir assez démontré que ce n'étaient pas les bourgeois du XVIe qui allaient trinquer, mais les autres), vous qui avez plus de terrains que les autres, on vous les sucre et on les donne à n'importe qui qui va y faire du pognon. En somme, il ne s'agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul, mais de déshabiller Pierre pour n'habiller personne. De déshabiller Pierre pour déshabiller Pierre.

Du temps où je m'en occupais, la création d'un terrain de football coûtait environ 1,5 million de Francs, soit 230000 Euros. J'ai cessé en 2001, mettons que les prix aient fortement augmenté depuis, allez, disons 400000 Euros. 200 millions d'Euros, ce sont 500 terrains de football que la municipalité pourrait créer dans les quartiers qui en manquent. 500 terrains de football. Mais non, il est plus urgent de punir les nantis du XVIe (qui votent si mal) en leur ôtant les terrains qu'ils ont. Na.

C'est bête à pleurer, à manger du foin.

Enfin, cerise sur le gâteau, Mme Hidalgo a failli nous faire pleurer (d'émotion et d'attendrissement, cette fois-là), en nous expliquant que la construction de ce nouveau stade allait créer des centaines d'emplois dans le bâtiment.

C'est là qu'on rejoint la seconde partie de notre soirée thématique :

"No pasaran"

L'histoire de "No pasaran", vous la connaissez, nous la connaissons, nous l'avons vue à la télé, lue dans la presse, quand nous regardions encore la télé et lisions encore la presse. C'est celle des Pyrénées, de la Vallée d'Aspe, des constructions d'autoroutes et de la réintroduction des ours.

Voici un paysan pyrénéen, 40 ans, toujours puceau (comme dit un autre film), mais un artiste du jambon (mmh j'ai eu une furieuse envie de dévorer un jambon de montagne en sortant du cinéma). Son député-maire est tout fier d'annoncer que sa belle vallée va accueillir le progrès, une autoroute, l'axe européen E38. Fini le bon air. Mais il ne va pas se laisser faire, notre jambonneur, il va faire appel à une éco-terroriste (Rossy de Palma échappée de la grande époque d'Almodovar, une virtuose du coup de poing au service de l'environnement, fort critique contre les écologistes qu'elle accuse d'être plus attachés à leurs éco qu'à autre chose) et, bref, le film est très drôle, quelques clichés, beaucoup d'idées tout à fait idiotes et délectables.

Et l'argument est connu : l'autoroute, c'est le progrès. Mais est-ce le seul progrès possible ?

Et en apparence, la construction du nouveau stade, ce sont des emplois, c'est le progrès, le sport de haut niveau, à Jean Bouin, c'est le progrès, ce beau stade tout bardé de certificats de développement durable, c'est le progrès. Ouais, sauf que, en fait, on pourrait s'en passer, on n'en a pas besoin, il y a déjà deux grands stades sous-utilisés en Île de France : le Stade de France et Charléty (à Paris XIIIe). Pourquoi construire un stade de plus quand on n'utilise pas ceux qu'on a ?

Et pourquoi cette autoroute saloperait-elle la Vallée d'Aspe quand on pourrait faire autrement, développer d'autres moyens de transport ? Alors, "no pasaran", le cri des communistes espagnols d'autrefois, traduction du fin mot des poilus de Verdun : "Ils ne passeront pas".