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12/07/2010

Le sport, les pieuvres et l'argent

En 1998, dans la période qui préparait immédiatement la Coupe du Monde de football qui devait se jouer en France, j'ai pu mesurer très directement l'influence de certaines questions d'argent dans l'organisation et dans le déroulement des grandes compétitions sportives. J'étais alors adjoint au maire du XVIe arrondissement de Paris, chargé des sports, j'exerçais donc une parcelle de la tutelle municipale sur le Parc des Princes où devaient se disputer certains matchs de la compétition.

Nous avions eu dans les années précédentes des incidents graves liés aux sièges des spectateurs du stade : une partie du public de l'équipe résidente, le Paris-Saint-Germain (PSG) parvenait à arracher les sièges des tribunes et à les jeter sur d'autres spectateurs, en général (mais pas toujours) les supporters de l'équipe adverse. Des blessures graves étant résultées de ces violences, les services techniques de la Ville de Paris avaient lancé une consultation auprès des architectes et fournisseurs éventuels.

Finalement, j'avais pu rapporter devant le conseil d'arrondissement une délibération visant à approuver un marché public d'installation d'environ 46000 nouveaux sièges, des coques en résine destinées à remplacer les anciens sièges pliants dévissables.

Royalties

Lorsque la Coupe du Monde approcha, la fédération internationale de football (FIFA), organisatrice de l'événement en France, précisa progressivement ses exigences de dernière minute auprès des collectivités gestionnaires des stades. J'eus à rapporter un chapelet de marchés publics destinés à modifier des installations de presse, des accès aux vestiaires, et même des appareils dont je n'avais jamais entendu parler, les "onduleurs", qui permettent de maintenir, grâce à des groupes électrogènes, l'approvisionnement du stade et de la retransmission télé en courant électrique en cas de panne de secteur...

Enfin, dans la toute dernière ligne droite, j'eus la grande surprise de trouver dans ma pile de délibérations à présenter au conseil d'arrondissement ... un marché public d'installation d'environ 46000 nouveaux sièges dans le Parc des Princes. Encore ! Il s'agissait d'une somme très conséquente, j'exprimai ma surprise auprès des services techniques, qui ne me répondirent pas. On venait de changer les sièges, ils le savaient comme moi, ils savaient aussi ce que cela avait coûté au contribuable parisien, ils ne pouvaient m'expliquer pourquoi on les changeait de nouveau, autrement que par un vague mot de "sécurité", très fourre-tout.

Finalement, l'explication me vint par la bande, en confidence, entre deux portes (comme souvent les messages les plus importants) : les nouveaux sièges à installer avaient reçu l'homologation FIFA, ce qui signifiait que la FIFA touchait des royalties sur leur installation. Tout s'expliquait en effet. Nous avons donc doté le Parc des Princes des sièges FIFA...

Plus tard, dans le cours de la coupe du monde, peu de mois plus tard, j'ai entendu Diego Maradona persifler que la France pouvait bien gagner la coupe, car elle avait assez dépensé pour cela. Je ne crois pas que nous ayons acheté la coupe, mais je suis certain qu'en ne négligeant pas les intérêts sonnants et trébuchants de la FIFA, nous avons empêché d'autres de l'acheter contre nous.

Au passage, cette expérience que j'avais eue m'a permis de savoir très à l'avance que la candidature Paris 2012 pour l'organisation des Jeux Olympiques (JO) n'avait aucune chance d'aboutir : c'était celle qui prévoyait le moins de travaux, donc le moins de royalties pour le Comité International Olympique (CIO). Au contraire, la candidature de Londres, celle qui a gagné, prévoyait le montant de travaux le plus faramineux, donc le plus de royalties pour le CIO, plus d'argent pour l'appareil.

Pour le football, l'enjeu s'est cependant déplacé : les droits de retransmission télévisuels se sont envolés, multipliés par 25 depuis 1998. Je suppose qu'on n'en est plus à compter le nombre de sièges en résine assujettis aux royalties. Cela étant, les pauvres, qui ne sont pas rares en Afrique du Sud, pourraient regarder avec d'autant plus d'amertume leurs énormes stades tout neufs s'ils songeaient à la rémunération mirobolante qu'ont dû obtenir les experts de la FIFA pour assister les Sud-Africains dans la construction de ces stades.

La France en trompe-l'œil

Dans cette compétition 2010, l'équipe de France n'a pas brillé, c'est le moins que l'on puisse dire, mais j'ai été assez surpris de ne lire nulle part les observations qui me paraissaient, à moi, les plus directement pertinentes.

Tout d'abord, remontons à 2008, début 2008. La France, depuis moins d'un an, est présidée par le plus américanophile des présidents qu'elle ait eu depuis un demi-siècle. Il se trouve que le calendrier veut que la Fédération Française de Football (FFF) remette alors aux enchères le contrat d'équipement de l'équipe de France (ou des équipes de France) de football. Au grand plaisir du président de la république, et moyennant un montant prohibitif (presque 50 millions d'Euros par an), l'équipementier américain Nike enlève l'affaire au nez et à la barbe de l'Allemand Adidas qui avait l'équipe de France en portefeuille depuis des lustres.

Il se trouve que ces contrats d'équipement sont si bizarres que leur exécution est très différée : c'est seulement à partir de janvier 2011 que les équipes de France de football porteront la griffe Nike. Entre-temps, elles porteront et portent le maillot Adidas. On est donc dans une situation intenable où l'équipementier, à chaque fois qu'il voit son équipe faire une performance, se dit que cette performance va profiter à l'autre, au concurrent, puisque c'est lui qui va lui succéder. en d'autres termes, un championnat d'Europe gagné sous le maillot Adidas en 2008 produirait une équipe qui paraderait sous le maillot du concurrent dès 2011. Insupportable. À l'inverse, le futur équipementier ne peut pas encore soutenir sa future équipe car, jusqu'à ce qu'il l'ait effectivement en portefeuille, toutes ses victoires profitent au concurrent. Ubu, en somme.

Je n'ai donc pas été surpris que, dès le championnat d'Europe qui a suivi la victoire de Nike dans le marché public, en 2008, l'équipe de France ait immédiatement coulé à pic. 2010 n'avait rien de surprenant non plus, a fortiori.

Le sport professionnel n'est plus qu'un univers d'argent ou, pour mieux dire, de fric.

Sport amateur

Dans la tempête qui a entouré le naufrage de l'équipe de France lors du récent mondial, ce qui m'a le plus étonné, c'est d'entendre ceux qui auraient dû défendre les dirigeants actuels du football français hurler avec les loups. Car la question de la place de l'argent dans le sport était centrale dans l'affaire.

Avant de prendre la présidence de la FFF, Jean-Pierre Escalettes était président du football amateur français, il défendait les petits clubs et les nuées de mioches en short qui envahissent les pelouses le week-end en courant après un ballon rond. Disons qu'il représentait la sensibilité associative face à la gourmandise et à la cupidité du professionnalisme. Ne voyons pas un ange en lui, mais tout de même, amateurisme associatif ou professionnalisme vénal, la nuance n'est pas mince.

Et la désignation de Raymond Domenech comme sélectionneur-entraîneur de l'équipe de France faisait écho à cette philosophie associative : Domenech est payé comme les entraîneurs des petits pays, son niveau de rémunération est très bas dans sa profession, il le dit lui-même, c'est (relativement) un smicard.

On comprend que, dans un football mondial gangrené par des enjeux financiers de plus en plus élevés et de plus en plus impérieux, l'équipe de France ait été traitée comme un dangereux paria à écarter des sommets : quoi, ces gens qui ne plaçaient pas l'argent au-dessus de tout ? fi donc !

La nouvelle génération qui est en train d'échouer dans sa prise de contrôle de la FFF, c'est-à-dire les anciens de 1998, est au contraire entièrement dans le camp de l'argent, il suffit de se souvenir du montant extravagant et record du transfert de Zidane au Real de Madrid pour s'en convaincre.

Tout cela, toutes ces observations, j'aurais voulu les lire et je suis assez désolé d'avoir à les formuler moi-même.

Poulpes fictions

Le mondial 2010 a deux grands vainqueurs : le premier est Adidas, qui garde, à travers l'équipe d'Espagne, son trône dans le football mondial (rappelons au passage que les arbitres de la FIFA sont équipés eux aussi par Adidas). Le deuxième est un poulpe nommé Paul, qui a prédit une à une les victoires des matchs de ce mondial.

Curieusement, on n'a pas vu fleurir les habituels articles complotistes expliquant que Paul le Poulpe était en fait une créature de la marque Adidas destinée à montrer aux différentes instances quel devait être le chemin de la compétition. Ou bien que c'étaient les bookmakers britanniques qui organisaient les cotes.

Cet animal a avantageusement remplacé, en tout cas, les vuvuzelas (trompettes locales) dans le buzz de fin de mondial sur Internet, qui s'en est donné à cœur joie.

À vrai dire, on aurait dû rire jaune de ces histoires de pieuvres, car la pieuvre est la métaphore qui désigne la Mafia. Quand on a vu la façon dont la compétition était arbitrée, la distribution des rôles et de l'argent, avec le souvenir que j'ai des royalties de 1998, on est tenté de décrire le monde du football comme une pieuvre dans ce sens-là. Et d'ailleurs, la floraison des paris sportifs en ligne, nouveauté en France inaugurée par ce même mondial, était là pour rappeler la multiplication des matchs truqués, truqués par des mafias, qu'elles soient russe ou italienne, ou autre. Pavel le Poulpe ou Paolo le Poulpe.

Enfin, avec l'affaire Woerth Bettencourt, qui s'est déchaînée sur la fin du mondial, on est allé au bout de l'écœurement du monde des pieuvres. Un ministre du budget, chargé de réprimer la fraude fiscale et d'optimiser le recouvrement des impôts, dont l'épouse est elle, au contraire, chargée d'optimiser l'évasion (voire la fraude) fiscale, c'est un peu comme l'entraîneur d'un pur-sang, qui, en sous-main, miserait sur un autre canasson. Est-ce la façon la plus noble et la plus honnête de procéder ? Pas sûr. Il faudra demander son avis à Paul le Poulpe.

03/12/2009

Scoop : le sport pro est illégal au Parc des Princes, à Jean Bouin et à Roland Garros.

Avant de détailler le scoop annoncé dans le titre du présent article, et avant de livrer dans un prochain la vidéo de la soirée passée au stade Jean Bouin, à Paris, pour conférer des derniers développements de l'affaire de la reconstruction contestée dudit stade, un mot de la soirée et de l'after sympathique passé au clubhouse de Jean Bouin avec notamment deux des organisatrices.

De l'ensemble de cette soirée, je dois dire que je dégage une opinion un peu différente, ou plus nuancée, que celle que j'ai eue jusqu'ici. Dans cette affaire, la précipitation extrême que Bertrand Delanoë a voulu imposer au cours naturel des choses est le signe d'une anomalie. Il est possible que, comme la rumeur l'affirme, Max Guazzini, en difficulté financière, souhaite se retirer purement et simplement, et que Delanoë veuille l'aider dans ce projet de retraite. L'aide consisterait ici à accélérer les événements (à les brusquer, pour tout dire) plutôt que dans le contenu du projet nouveau pour le stade Jean Bouin.

Sur le contenu du projet, il est possible que les choses soient complexes. On dit que l'entourage de Guazzini se déchirerait sur sa succession prochaine. Il ne serait pas étonnant que cette division soit la cause de l'évolution du projet de modernisation du stade vers sa disproportion actuelle.

Le manque de savoir-vivre du projet est tel qu'il faut constater qu'il ne ressemble en rien à Delanoë, ni d'ailleurs (mais pour d'autres raisons) à Anne Hidalgo. Il y a un tel manque d'intelligence dans la grossièreté du concept de nouveau Jean Bouin, qu'il faut y voir la patte d'un esprit retors, mais sommaire. Je ne parle pas de l'architecte, mais de celui qui a rédigé la feuille de route de l'architecte et dont Delanoë a endossé les vues.

L'une des heureuses conclusions de la soirée est que la démolition, qui est censée préluder à la reconstruction, ne pourra être faite avant au mieux le début de l'été. En vérité, étant donné que les conclusions du commissaire-enquêteur contraignent l'architecte à amender sérieusement son projet, je crois que l'urgence se dilue de jour en jour, ce qui va permettre à la justice d'instrumenter sereinement dans une affaire qui prend des allures de dossier gigogne : il y a, d'un côté, la question de la validité de la concession attribuée de gré à gré en 2004 à Paris - Jean Bouin Team Lagardère, et de l'autre la question de l'avenir de Jean Bouin, aussi bien pour les travaux que pour l'attribution ultérieure du site.

Au pénal, une enquête de trois ans

Pour ce qui est du premier dossier, le favoritisme est présumé sur deux éléments, l'un de fait, l'autre de droit. De droit, l'obligation de recourir à un marché public lorsqu'il y a délégation de service public. Si l'on s'en tenait à cet aspect de la question, Delanoë pourrait plaider la bonne foi. Malheureusemement pour lui, il a un adversaire extraordinaire, qui était présent ce soir et que nous avons découvert. Cet adversaire, c'est M. Picart.

M. Picart est une forte tête avec une faconde parfaitement méditerranéenne et un acharnement de vrai teigneux. Il gère une société de tennis et, d'après ce qu'il a indiqué, il lui est arrivé de prendre des concessions de stades dans certaines localités, pour lesquelles il a recouru à la formation d'un très grand juriste, le regretté doyen Vedel. C'est lui qui a obtenu du tribunal administratif l'annulation de la convention de 2004.

Il se trouve qu'à cette époque, il avait manifesté publiquement et directement son intention de concourir pour l'attribution du stade Jean Bouin, c'est l'élément de fait : il y avait un concurrent réel pour Lagardère en 2004. Je dois dire que c'est une erreur de ne pas l'avoir laissé concourir. J'avais le même genre de réactions quand je voyais Bayrou verrouiller les candidatures de la base à certains postes : c'était ridicule, et un tel signe de faiblesse que cela en disait long sur la piètre idée qu'il avait de ses propres forces.

Toujours est-il que Delanoë a préféré faire sa concession de gré à gré. Grave erreur. Ce sont les petites erreurs qui ont parfois les pires conséquences.

Car M. Picart, en inépuisable teigneux, a indiqué ce soir avoir eu maille judiciaire à partir avec Éric Raoult et quelques autres, à propos d'une subvention, voici une quinzaine d'années, et avoir obtenu non moins de 2,5 millions de Francs de l'époque de dommages-intérêts. Il est de ces natures que rien n'arrête, qui n'ont aucune limite ni aucune faiblesse du moment qu'elles se sentent dans leur bon droit. M. Picart ira donc jusqu'au bout.

Logiquement, il s'est porté partie civile dans l'enquête au pénal. Il révèle que l'enquête de la brigade financière dure depuis trois ans et qu'elle repose sur un énorme dossier. Il a obtenu photocopie intégrale de ce dossier, qui, dit-il, lui a été facturée ... 800 Euros. 800 Euros de photocopies, cela doit faire en effet une belle pile.

Cela étant, j'ai encore des dossiers de travaux que j'ai rapportés pour les stades du 16e devant le conseil d'arrondissement, et il arrive facilement qu'un seul rapport fasse cent pages. Trois ans d'enquête en couvrent peut-être des milliers.

Le commissaire-enquêteur complique la tâche de l'architecte

Sur les travaux, les info sont multiples, nouvelles ou non. L'essentiel est que le rapport du commissaire-enquêteur (dont Delanoë s'est engagé à suivre les conclusions) comporte des remarques qui affectent aussi bien le contenu du projet que sa chronologie. Il a en effet demandé que soit abaissée la hauteur maximale du nouveau stade du côté de Boulogne-Billancourt, à proximité du site Le Corbusier. Je signale au passage que progresse l'idée d'englober tout ce quartier dans un périmètre de protection architecturale liée aux utopies urbaines et en particulier à l'œuvre du Corbusier.

Il y a aussi une nette difficulté de circulation (donc de sécurité) dans la rue Nungesser et Coli, limitrophe de Boulogne, donc du même côté, qui va certainement poser des problèmes architecturaux. Enfin, certaines remarques ont eu pour effet de retarder les travaux préparatoires de la démolition, ce qui repousse celle-ci au mieux (façon de parler) au début de l'été, comme je l'ai dit. Espérons qu'elle n'aura jamais lieu.

On verra dans la vidéo un grand moment oratoire de Claude Goasguen relatant la tenue d'une réunion de la commission chargée de plancher sur l'avenir de l'attrubtion de Jean Bouin. Quelque chose de très haut en couleur.

Pour l'aspect politique, l'instrumentalisation des Verts par l'UMP pour affaiblir la gauche est manifeste. À vrai dire, si la gauche défendait des projets plus raisonnables, elle prêterait moins le flanc à ce type de manœuvres. Le report du "nouveau Jean Bouin" au-delà des élections régionales conduit naturellement le Vert Sylvain Garel, présent ce soir comme lors des réunions précédentes, à suggérer que si le score d'Anne Hidalgo est faible aux régionales à Paris, Delanoë aura moins de possibilités d'imposer les absurdes tours dont il veut enceindre Paris, et quelques autres trouvailles ubuesques, comme Jean Bouin. C'est vrai, mais le vote vert n'est pas le seul à avoir cet effet, et Claude Goasguen ne s'est pas rengorgé pour signaler que le vote UMP aurait le même effet, c'est donc que le vote vert l'arrange, on a bien compris pourquoi.

Mais je dois dire que si cette collusion me dérange, je suis obligé de reconnaître que la présence de Garel dans l'affaire a eu un effet de dépolarisation très fructueux pour notre résistance. D'une manière ou d'une autre, cet effet heureux doit trouver sa récompense.

Pour le reste, notons que Delanoë ne montre encore aucun signe d'ouverture sur le dossier Jean Bouin, au contraire, et c'est dommage, car personnellement, je verrais d'un bon œil une solution qui lui permette de sortir de l'affaire la tête haute sans avoir démoli ni Jean Bouin (la tribune historique et les bâtiments des années 1920-30) ni l'usage scolaire qui n'est ni recasé ni recasable.

Le scoop

Il est temps d'en venir au scoop annoncé : dans son discours énergique, Claude Goasguen a fait une belle envolée pour expliquer que c'est tout une conception du monde qui était désormais en jeu, la pression du sport professionnel ne cessant de se renforcer sur nos sociétés. D'un côté les scolaires, de l'autre le sport fric, deux mondes qui s'affrontent, deux façons d'envisager l'existence. Si mes images sont réussies, ce sera un bon moment de vidéo, où j'ai trouvé le meilleur Goasguen, un Goasguen humaniste qui se fait trop rare.

Au milieu de ces développements, il a invoqué une décision du conseil d'état qui, si elle est bien telle qu'il l'a décrite (il est docteur dans une discipline juridique, tout de même), va tout changer dans les relations entre les collectivités et les équipes sportives professionnelles : désormais, il ne s'agit plus de traiter ces équipes comme des entités associatives, mais comme des sociétés commerciales. C'est vrai que le sport fric est une activité commerciale, il y aurait là un effort de sincérité juridique extrêmement appréciable.

Seulement voilà : ainsi que je l'ai expliqué dans une précédente note, l'acte de Napoléon III qui a créé ce quartier y a interdit toute activité commerciale. Dès lors que le sport professionnel est considéré comme une activité commerciale, il y est donc interdit, c'est-à-dire qu'il est interdit au Parc des Princes, à Jean Bouin, et même à Roland Garros. Quod erat demonstrandum.

10/09/2009

Paris Jean Bouin : les soupçons de fraude et le piège.

Il y a une ou deux chose(s) que je ne vous ai pas dite(s) et qu'il faut savoir pour comprendre une partie des événements qui dramatisent l'affaire du stade Jean Bouin.

Les rivaux de Painful Gulch

Tout d'abord, il y a la rivalité profonde, traditionnelle, entre le Stade Français et le Racing Club de France (RCF). C'est un peu ce que sont Oxford et Cambridge à l'aviron britannique ou le PSG et l'OM au football français. On pourrait aussi parler des rivaux de Painful Gulch d'un certain album de Lucky Luke par Morris et Goscinny. C'est pire que des haines de clans corses.

La situation, telle que je l'ai laissée en quittant la mairie du XVIe en 2001, était que Jean Bouin était le lieu d'une véritable guerre de tranchées entre le Stade Français (qui occupait le terrain de rugby) et le RCF qui dominait plusieurs sections du CASG (alors concessionnaire de Jean Bouin), club devenu petit et balkanisé par la lutte des plus grands. Or depuis longtemps, Lagardère est proche du RCF. Et comme Arnaud Lagardère s'est beaucoup investi dans le sport de compétition professionnelle, il louchait sur Jean Bouin. On avait donc deux milliardaires face à face : d'un côté Max Guazzini et ses maillots roses, de l'autre Arnaud Lagardère et ses tennismen plaqués or.

En 2004, la concession du stade Jean Bouin vint à échéance (les concessions sont renouvelées tous les quinze ou vingt ans). Le CASG, se sentant menacé par les appétits de Guazzini et du Stade Français, avait accepté d'ajouter Paris à son nom historique, mais ce n'était pas suffisant. Il lui fallait un protecteur, ce fut Lagardère, renouvelant le système d'alliance et de bascule traditionnel du CASG entre le Stade Français et le RCF. À cette occasion, la concession du stade Jean Bouin, attribuée depuis des lustres au CASG, fut donc donnée à une nouvelle entité, Paris - Jean Bouin - Lagardère.

Tout ça dans un petit stade de quartier dont la vocation éducative est évidente. Bref...

Les avatars successifs du projet

Depuis longtemps, comme je l'ai écrit, Guazzini avait envie de développer son emprise sur le site. Nous avions toujours résisté à cet appétit dont les inconvénients étaient aussi manifestes qu'aujourd'hui. Cependant, nous n'étions pas hostiles à une rénovation du stade. C'est celle qui, je crois, a été votée notamment par l'UDF de l'époque, et avec mon approbation, en février 2007. Elle coûtait déjà officiellement 69 millions, au moins deux fois moins qu'aujourd'hui.

En décembre 2007, le projet avait changé du tout au tout (Laporte, proche de Guazzini, était alors au gouvernement et, il est vrai, la coupe du Monde venait de mettre le rugby en valeur). Il coûtait subitement 86 millions d'Euros, et aboutissait purement et simplement au projet actuellement discuté : destruction, reconstruction, disparition des scolaires et du club omnisport. On apprend par le blog que Lagardère, lui, visait à une occupation encore plus privative du stade, dédié à l'entraînement de ses chers (et coûteux) tennismen...

L'étape suivante, nécessaire aux travaux puisque Paris - Jean Bouin refusait la démolition du stade, fut la résiliation unilatérale de la concession de Jean Bouin par la Ville de Paris, au cours d'un vote où, en novembre 2008, la séance du Conseil de Paris fut particulièrement houleuse : seuls les partis de gauche votèrent pour, ce qui est tout de même assez fort s'agissant d'une mise à l'écart des scolaires : PS, PRG, PCF, MRC, ont voté pour. La plupart des Verts, et tous les autres (dont, je suppose, l'élue MoDem) votèrent contre la résiliation. Le coût du projet avait encore enflé, ayant presque doublé en vingt mois : on en était à 120 millions d'Euros.

Soupçon de fraude

Il y eut un coup de théâtre au printemps suivant : en avril 2009, le Tribunal Administratif (TA) jugea la convention de Paris - Jean Bouin illégale, observant que des conditions de publicité pourtant élémentaires n'avaient pas été respectées, comme le relate le blog d'un élu UMP dissident. Cette décision juridictionnelle mit la justice pénale en mouvement, et Max Guazzini et Bertrand Delanoë furent entendus comme témoins, en juillet, par la Brigade de Répression de la Délinquance Économique et Financière (BRDE).

Bien que fragilisés par la décision du TA, l'équipe de Paris - Jean Bouin et le collectif Jean Bouin se manifestèrent bruyamment, pétitions, dépêches de presse notamment. D'autres voix jugeaient le destin du stade scellé.

Il y eut le 3 septembre dernier la présentation houleuse à la mairie du 16e, où le maire du 16e, Claude Goasguen, se montra incisif, et j'ai croisé ce soir-là un personnage d'aspect sympathique, dont je viens d'apprendre qu'il est Sylvain Garel, un adjoint au maire de Paris, chargé d'exprimer le refus catégorique par les Verts du projet du nouveau Jean Bouin.

Un projet faramineux, des comptes douteux

Mme Hidalgo a une curieuse arithmétique. Elle a expliqué que, si le coût du projet frisait désormais 150 millions d'Euros (selon elle, d'autres disent 200 millions en incluant notamment 25 millions pour créer ... trois terrains de gazon au milieu du champ de courses d'Auteuil, ce qui met tout de même le terrain à 8 millions pièce, alors que les miens coûtaient trente fois moins...), si donc on atteignait ce chiffre, c'est qu'il fallait appliquer l'indice du coût de la construction au chiffre précédent. Cet indice, selon elle, étant à 4,5 %, l'appliquer à 120 millions donnerait une majoration de ... (120Mx0,045=) 5,4 millions. Le montant, avec ce simple indice, aurait dû être 125,4 millions. À l'inverse, le coût de 150 millions représenterait une hausse de 25 % (et non 5,4 %). Or les travaux sont appelés à commencer dans six mois (donc + 12,5 %) et à durer trois ans (donc + (3x25 %=) 75 %). Le tout fait + 87,5 % d'augmentation de l'indice de la construction selon Mme Hidalgo. Son projet digne de l'empereur Bokassa ou du Roumain Ceaucescu s'élèverait en définitive à (150M + (150M x 0,875 = 131,25) =) 281,25 millions d'Euros. Allez, avec les faux-frais, disons 300 millions d'Euros. Une paille.

Je relève dans l'un des articles du Parisien que j'ai mis en lien le descriptif de ce que devrait être, dans l'esprit de la municipalité, le nouveau Jean Bouin (précisions tirées des explications données par Mme Hidalgo) :

"1000 m2 de bureaux, 7400 m2 de commerces et un parking de 500 places (dont 100 à un tarif résidentiel) sont prévues."

1000 m2 de bureaux, et ... 7400 m2 de commerces !!!

Franchement, ça vaut le coup que la municipalité dépense 200 ou 300 millions d'Euros pour construire une brasserie de luxe et plus de 7000 m2 de commerces de luxe dans le 16e, on ne sait tellement plus où fourrer le pognon, tellement qu'on en a, alors bien sûr, les investissements de tramway, de santé, d'éducation, peuvent attendre : l'urgence, c'est de construire des commerces de luxe dans le 16e. Et toute la gauche a voté pour, communistes y compris. Lénine, relève-toi, etc.

Si les socialistes continuent, ils finiront par s'aliéner définitivement les électorats de bonne volonté, centristes et écologistes. Un instinct suicidaire ? L'envie de tomber dans un piège ?

En terminant cette seconde note de synthèse, j'avoue que j'ai honte de notre personnel politique, et je remercie ceux des élus qui ont le courage de ne pas capituler devant ce que François Mitterrand nommait les "forces de l'argent". Je regrette véritablement le temps où la gauche savait se battre contre l'appétit des promoteurs, merci encore à Jack Lang d'avoir classé la piscine Molitor.

Résister, c'est créer, créer c'est résister.

09/09/2009

Paris - Jean Bouin : non à la dernière séance !