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25/04/2015
L'acceptable et l'inacceptable dans le projet de loi renseignement
À la demande des services spéciaux français, le gouvernement a proposé au législateur de donner un cadre légal modernisé à l'activité de ces services spéciaux. Dans ce domaine comme dans tous les autres, les nouvelles technologies de l'information et de la communication bouleversent les méthodes d'action. Elles posent d'ailleurs une question qui ne s'était plus posée depuis l'établissement de la poste aux XVIIe et XVIIIe siècle : ne serait-il pas plus efficace pour prévenir les crimes et délits d'ouvrir tous les messages postés pour y déceler d'éventuels forfaits à venir ?
Or si la monarchie a pioché dans le courrier sans grande retenue, la Révolution Française (sauf sous la Terreur) a jugé au contraire que le secret de la correspondance était intimement lié aux droits de l'être humain qu'elle promulguait par ailleurs. Cette décision fut à peu près respectée par la suite, et la conquête des libertés individuelles s'accompagna d'un rôle croissant des juges pénaux dans l'ouverture éventuelle des courriers à fin de justice. L'article 66 de la Constitution de 1958 institue l'autorité judiciaire en "gardienne de la liberté individuelle", ce qui couronne cette évolution en soumettant l'ouverture du courrier, comme celle du domicile, à la décision d'un juge, mesure strictement individuelle.
Longtemps, les services secrets se sont affranchis de cette tutelle au nom de la Raison d'État. Mais la loi de 1991, qui encadra pour la première fois leur activité, ramena le juge sur le devant de la scène, en l'occurrence le juge spécialisé contre le terrorisme.
Malgré toute cette longue évolution, le projet de loi dit "projet de loi renseignement" tente un retour en arrière, s'abritant sous l'incompréhension générale qui accompagne l'actuelle révolution numérique. Exit le juge, retour de la décision administrative déjà appliquée à un quart des écoutes téléphoniques, alors même qu'en bonne logique, il serait sage de soumettre l'ensemble de ces écoutes à des décisions de justice. Il vaudrait mieux niveler le droit par le haut plutôt que par le bas. Cela étant, il est possible que l'activité particulière des services spéciaux nécessite absolument certaines émancipations. Dans ce cas précis, qui doit être strictement encadré, il faut laisser faire, à mon avis. Or je doute que cela concerne la totalité des actuelles écoutes administratives.
Donc étendre ce droit mal contrôlé au numérique et à l'ensemble de la population revient à une régression historique majeure. C'est cela qui est inacceptable, et d'ailleurs inconstitutionnel : le rôle insuffisant du magistrat, du juge judiciaire, qui doit partout jouer le rôle que la Constitution lui assigne. Quitte à former plus de juges spécialisés.
L'autre aspect inacceptable, ce sont les dispositifs qui ont été surnommés les "boîtes noires", des mouchards installés en parasites sur les hébergeurs de contenus. Les hébergeurs ont d'ailleurs protesté à juste titre contre ce vilain rôle qu'on leur fait jouer. Il faut se rappeler que le principe du secret de la correspondance a été décisif dans le succès de la Révolution industrielle, au même titre que la protection des brevets. Si la Révolution numérique ne bénéficie pas du même confort, elle échouera d'une manière ou d'une autre et tournera en eau de boudin.
Enfin, il serait particulièrement ironique que les États-Unis, qui se sont si fort targués d'avoir vaincu le totalitarisme soviétique, imposent à leurs alliés une surveillance de la population dont les dirigeants soviétiques, même dans leurs délires les plus fous, n'ont jamais osé rêver. Récapitulons donc : inacceptable que le rôle du juge dans la protection de la liberté individuelle ne soit pas respecté. Inacceptable la surveillance universelle qui fait de tous les citoyens des suspects.
Acceptables, en revanche, toutes les mesures individuelles prévues par le projet de loi, du moment qu'elles sont contrôlées par un juge. Chacun sait que c'est par le renseignement direct que l'on obtient les bons résultats. La surveillance universelle n'aboutit jamais qu'à des abus de pouvoirs et qu'à des instruments de domination politique comme le dispositif américain le démontre à l'envi. Faisons confiance au Conseil Constitutionnel pour veiller à nos libertés.
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21/04/2015
Trafics d'humains en Méditerranée
La multiplication des noyades de migrants en Méditerranée souligne l'impuissance des pays riches à décourager les pauvres de venir chercher l'Eldorado chez eux. Des milliers d'hommes, de femmes, d'enfants, jetés sur les mers par une cruauté ou l'autre, se trouvent chaque jour plus en danger que la veille. La cupidité des trafiquants et l'égoïsme des peuples européens versent ensuite des larmes de crocodile sur les morts de ces traversées tragiques.
Il semble qu'une malédiction condamne la Méditerranée à porter depuis toujours des cargaisons humaines. Les Grecs, les Romains, les Arabes, et beaucoup d'autres, n'ont cessé d'acheminer sur elle leurs horribles frets humains d'esclaves. En principe, les naufragés d'aujourd'hui ne sont plus des esclaves, mais les otages de toutes sortes de mafias qui se servent de leur détresse et qui profitent d'eux pour passer aussi armes et drogues, parfois sous couvert de bigoterie. La férocité et les grands mots servent alors de méprisables paravents à des activités plus méprisables encore. Le brigandage rit de ce qu'il effarouche.
Autant le dire tout de suite : aucune politique d'immigration raisonnée, ni de quotas, ne viendra à bout de cette détresse. Les États-Unis ont tout cela depuis belle lurette, et cela ne les empêche pas de recevoir une immigration clandestine massive et d'ailleurs, disons-le, productive. Non, la seule solution consiste dans l'accélération du développement économique (déjà bien amorcé pour un nombre croissant de pays de l'Afrique subsaharienne) et surtout, dans des politiques de paix civile efficaces. Un Boko Haram, ce sont des dizaines de milliers de civils qui fuient. Nécessité fait loi.
08:38 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : méditerranée, piraterie, États-unis, afrique, esclavage, immigration, naufrage | | del.icio.us | | Digg | Facebook
09/04/2015
TV5 Monde : qui la Francophonie dérange-t-elle ?
La chaîne de télévision TV5 Monde vient d'être victime d'une cyberattaque d'une force inégalée. On peut évidemment noter qu'il s'agit encore une fois d'un instrument de propagation de la culture qui subit ainsi les foudres de terroristes. Or en l'occurrence, il ne s'agit pas de n'importe quel instrument, ni de n'importe quelle culture : TV5 Monde est l'outil médiatique commun le plus important de la Francophonie mondiale. Qui donc est ainsi gêné par la Francophonie ?
À en juger par le peu d'éclat donné par les autorités françaises à la semaine de la Francophonie, le mois dernier, on pourrait juger pourtant qu'il n'y a plus de match, et que la France a perdu toute ambition culturelle. Jamais un secrétaire de la Francophonie n'a été aussi absent de nos ondes que l'actuelle titulaire du poste, une dame haïtiano-québécoise pourtant fort sympathique à entendre. Tout semble joué, l'anglophonie d'internet, l'anglomanie de la Commission européenne de Bruxelles, semblent fossoyer sans résistance française le retentissement d'une langue qui n'est pas seulement un véhicule de langage, mais qui charrie avec elle les traditions de mille ans de pensée libre, laïque et cartésienne, et la puissance de l'idée républicaine et de ses trois mots-clefs : liberté, égalité, fraternité.
C'est donc sur une ambulance qui transporte un patient en coma dépassé qu'une main encore anonyme vient de tirer. Anonyme ? S'agit-il d'un salafiste irrité de la persistance d'une idée laïque par le moyen de la langue française au Maghreb ? S'agit-il d'un djihadiste irrité de la résistance du Sahara à l'arabisation que ses brigands déguisés en soldats de Dieu tentent d'y opérer, malgré son cortège de milliers d'années de traite des esclaves vers la Méditerranée ? S'agit-il des amis du criminel Kagamé dont les mains ruissellent encore du sang de centaines de milliers de ses compatriotes ? Certains doivent déjà le savoir.
Ce crime contre la pensée sera-t-il en tout cas l'occasion d'un sursaut de la Francophonie ? Espérons-le. D'un mal sort parfois un bien.
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07/04/2015
Jean Germain : la dépression d'un battu
La mort soudaine du sénateur et ex-maire de Tours, Jean Germain, retrouvé mort près de chez lui avec une lettre d'adieu, rappelle que la vie politique n'est pas une activité comme les autres. Germain avait été battu voici tout juste un an aux élections municipales à la suite des révélations de l'affaire dite des "mariages chinois". Ce peut être une occasion de relire le billet de l'Hérétique sur l'affaire du député Demange en 2008, qui a quelques points communs inattendus avec celle du sénateur Germain, même si ce dernier n'est jamais tombé au degré d'infamie du premier.
Moi qui n'ai jamais été ni maire, ni député, je peux témoigner de l'intense cruauté qui s'attache à la sortie non souhaitée d'un mandat politique qui occupe toute votre vie. Lorsque j'ai terminé mon mandat d'adjoint au maire du XVIe arrondissement de Paris, en 2001, n'ayant pas été réinvesti par mon parti, l'UDF, et subissant l'attaque locale du député Goasguen, je suis entré dans un véritable trou noir. Les dernières semaines avant le vote avaient été sauvages. La meute des jaloux qui souhaitaient mon poste dans mon parti hurlait partout "sortez les sortants", ce que je vivais comme une injustice, ayant choisi de rester dans l'UDF alors que tous les autres élus de cette famille politique dans cet arrondissement avaient opté pour le parti de Madelin, Démocratie Libérale. Il me semblait que l'on reconnaissait mal la fidélité, sans parler de la qualité de mon travail d'élu, qui n'a jamais reçu aucune critique, sauf l'incident du mariage d'Emmanuel Petit dont j'ai parlé ailleurs, et qui ne concernait que le microcosme de la mairie.
Lorsque l'on cesse ses fonctions sans l'avoir souhaité, on porte en soi un vide immense. Un deuil. Personne ne vous téléphone. Personne n'exprime la moindre compassion. C'est le noir le plus total.
Encore n'ai-je exercé ces fonctions que pendant six ans. Et finalement, je suis heureux d'avoir opté pour un autre chemin, fermement assis sur la résolution de n'être plus jamais candidat à une élection politique.
Dans le cas du sénateur Germain, cette sidérante viduité s'est accompagnée d'une autre sidération : celle de se voir accusé dans l'affaire dite des "mariages chinois". Il s'agissait de mariages fictifs organisés par un tour-opérateur chinois, avec la coopération d'une société française dirigée par une adjointe de Germain. Le mélange des genres entre public et commercial était total, peut-être bénéficiait-il à la ville de Tours, cela n'est pas certain, mais on comprend que la justice ait mis son nez dans l'affaire.
À la foudre de la perte de la mairie s'est donc ajoutée celle de cette accusation dont il a senti le poids et la crédibilité. Je ne peux pas me prononcer sur l'éventualité de la condamnation de Germain. Il est innocent pour toujours, puisqu'il n'a jamais été condamné. Il a payé cher cette innocence perpétuelle. S'il y a une mafia chinoise à l'autre bout de la chaîne, on peut d'ailleurs s'interroger sur la réalité du suicide, mais c'est une autre histoire, car la réalité de la dépression était lisible sur les traits du sénateur Germain depuis sa chute municipale dans les rares interviews télévisées disponibles.
Que les partis politiques, ces meutes en quête de charogne, daignent un jour se regarder dans un miroir. Qu'une main se tende vers un battu, qu'il y ait toujours un vrai ami pour ceux qu'emporte une perdition intérieure, et ils auront retrouvé un peu de la dignité qui leur manque si fort, et ils auront recouvré un peu du droit de recevoir le suffrage du peuple.
17:22 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tours, jean germain, politique, société, udf, ps, mariages chinois, mafia, demange | | del.icio.us | | Digg | Facebook
06/04/2015
Religions et révolutions
En ce lendemain de la fête chrétienne de Pâques, et au surlendemain de la fête juive de Pessah, alors que la RATP s'enfonce dans un curieux débat à propos d'une affiche d'un concert du groupe de musique des Prêtres organisé pour le secours des chrétiens massacrés en Orient, il est utile de rappeler que les religions, qui sont globalement conçues comme un instrument de conservatisme, voire d'obscurantisme, ont pu jouer un rôle historique majeur en formalisant des révolutions historiques.
Le sacrifice d'Abraham, par exemple, illustre de la façon la plus explicite une révolution majeure de l'Histoire de l'humanité. Cette révolution n'a pas eu lieu partout en même temps, les civilisations ne l'ont pas toutes vécue en même temps, ni de la même manière. Il s'agit de l'abandon du sacrifice humain, pour passer au sacrifice animal. Cet abandon consacre la dignité ontologique de l'être humain qui, à ses propres yeux, cesse d'être un animal comme les autres.
L'histoire est connue : Abraham interroge ce qu'il croit être son dieu, ce dieu lui ordonne de sacrifier son fils. Abraham accepte. Alors le dieu, confiant dans son obéissance, lui indique qu'il n'a plus besoin du sacrifice humain et que, par substitution, il va désormais sacrifier un bélier. Ce bélier auquel le Christ, dans une prière fameuse, se substitue à son tour : "Je suis l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde". C'est la deuxième révolution historique : l'abandon du sacrifice animal. Le rite de communion se substitue à celui du sacrifice.
On peut gloser sur les traces de sacrifice animal qui subsistent cependant dans le rite plus ou moins formel de l'agneau pascal, on peut surtout regretter que le judaïsme et l'islam, à travers leur exigence d'un abattage rituel, conservent encore d'autres traces de ce sacrifice archaïque. C'est que les révolutions historiques ne se font pas partout à la fois. Elles sont ici symbolisées plus qu'incarnées, et d'ailleurs, les religions monothéistes, celles que nous nommons les religions du Livre, ont plus souvent incarné le conservatisme que la nouveauté depuis l'entrée dans les temps modernes. C'est que le principe même du rituel, avec la fin des civilisations agraires, a perdu l'essentiel de son effet, donc de son sens.
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