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27/06/2015

Droits sociaux des migrants : idées fausses

Dans la campagne qu'il a menée pour se faire réélire, le Premier Ministre britannique David Cameron a flatté les bas instincts de son opinion publique en lui promettant de procurer les prestations sociales aux migrants non pas dès leur arrivée, mais seulement au bout de trois ans de présence effective. Il s'agit de la promesse la plus stupide que l'on puisse imaginer dans la réalité actuelle des migrations.

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Sur le papier, on se dit "Il a raison". Après tout, les prestations sociales devraient être réservées aux résidents en règle. Pas question d'encourager les clandestins en leur fournissant d'emblée tous les conforts sociaux, d'autant plus (ou d'autant moins) que les nationaux d'en bas, les soutiers de la Société, sont très choqués de ce qui est donné aux nouveaux arrivants, et qu'une légende tenace affirme que les étrangers, au Royaume-Uni comme en France, perçoivent beaucoup plus d'aides sociales que les nationaux.

Seulement voilà : comme toujours, cette vision schématique de l'étranger contre le national est contreproductive, car leurs intérêts sont liés, maltraiter l'étranger aboutit à maltraiter le national. Je ne parle même pas ici de principe d'humanité, mais simplement de bon sens.

Dans les pays où ces étrangers migrants vivent, et dans ceux qu'ils ont traversés pour arriver chez nous, les migrants ont côtoyé des maladies dangereuses qui n'existent pas ou plus chez nous, comme la tuberculose, voire bientôt la lèpre. Notre intérêt bien entendu est évidemment que les services médicaux s'emparent des migrants dès qu'ils ont posé le premier pied sur le sol français (ou britannique) et qu'ils ne les lâchent pas d'une semelle pendant de longs mois, voire justement pendant les trois années où M. Cameron propose de leur refuser les droits sociaux. De la même façon, l'admission de leurs enfants à l'école n'est pas seulement question d'humanité, c'est aussi l'occasion d'un suivi médical, sans parler de leur acclimatation à la langue française. Et, là encore, l'obtention des allocations familiales favorise (si elle ne garantit pas) la bonne santé des enfants et leur scolarité.

Il faudra donc que M. Cameron nous explique de quels droits sociaux il entend priver les migrants arrivés sur son sol car, je l'avoue, je ne vois pas ceux dont la privation ne serait pas dangereuse pour toute la communauté nationale, en Grande-Bretagne comme en France.

Et je n'ai même pas encore commencé à invoquer le simple principe d'humanité.

25/06/2015

Histoire de taxis parisiens

Les taxis parisiens protestent avec virulence contre la légalisation du service Uber. En apparence, la question qu'il s'agit de traiter est simple. En réalité, elle l'est beaucoup moins.

Commençons par rappeler que les taxis parisiens tiennent une place particulière dans l'imaginaire français depuis l'événement des "taxis de la Marne" : en 1914, les troupes allemandes ont fait une percée par un col que l'armée française jugeait infranchissable, elles filent à tombeau ouvert vers Paris et, sûres de leur victoire, s'arrêtent au soir à faible distance de Paris pour porter l'estocade à une France qui en eût été aussi abasourdie qu'elle le fut vingt-six en plus tard en 1940. Mais là, trait d'inspiration : le général Gallieni, vétéran de la Coloniale, habitué aux solutions de bric et de broc, s'entend avec Waleswski, fondateur des taxis G7, et pendant la nuit, des centaines de taxis déplacent sinon une armée du moins des bataillons entiers, ce qui permet à l'armée française de créer la surprise. Stupéfaite de trouver un ennemi là où elle n'attendait qu'une débandade, l'armée allemande flageole, temporise, son élan est brisé, la défaite cuisante est évitée de justesse.

Cette prouesse (dont l'importance historique est discutée, à mon avis à tort) frappe les esprits et demeure à jamais comme l'un des hauts faits de cette épouvantable guerre, la dernière que la France ait gagnée. L'opération des "taxis de la Marne" ne fut possible que parce que Paris comptait, à cette époque, la moitié des taxis qui roulaient dans le monde. Sans ce fait chiffré, pas de troupes pour surprendre l'Allemand au réveil sur les bords de la Marne.

Les taxis parisiens sont restés populaires dans la période suivante à travers la silhouette familière du prince russe exilé et moustachu. Les taxis russes ont fait les beaux jours de l'entre-deux-guerres.

Mais dès la fin des années 1950, le rapport Rueff-Armand dénonçait la dérive de son système en corporation fermée et malthusienne. Cinquante ans plus tard, Jacques Attali, dans un rapport qu'il remit au précédent président de la République, préconisa d'en finir avec le système actuel et d'ouvrir la profession.

Le système actuel repose sur une "plaque", c'est-à-dire une licence d'exploitation, en principe achetée par le taxi en début de carrière, en quelque sorte un pas-de-porte. Ce principe du pas-de-porte était très courant encore voici quarante ans : on le payait pour reprendre une location d'appartement, un commerce, et même un cabinet médical sous la forme du rachat de clientèle. Il est devenu très rare et n'existe presque plus que dans un très petit nombre de professions réglementées.

Dans l'esprit, le système des plaques protège l'artisan. Il est le gardien des vertus de la corporation, en particulier celui de l'indépendance des chauffeurs. En réalité, il y a toujours eu coexistence de grandes sociétés et d'artisans, l'équilibre se faisant plus ou moins bien entre les différents acteurs du secteur.

Aujourd'hui, il existe plusieurs types de chauffeurs de taxi. Mettons de côté l'artisan idéal pour le moment : il a payé sa plaque 200000 Euros et gagne sa vie comme artisan, il est soumis à des charges sociales, professionnelles et fiscales importantes, mais il gagne bien sa vie et il est libre dans le cadre légal, sans autre maître que lui-même à bord de son taxi.

Un peu moins libre est le taxi qui s'affilie à une coopérative. Ce système lui rapporte des clients, mais prélève un pourcentage sur son chiffre d'affaires et lui impose un lot de contingences plus ou moins formelles et plus ou moins lourdes. L'artisan coopérateur reste cependant encore assez libre.

Le coût très élevé des plaques a contraint depuis longtemps un certain nombre d'artisans à passer par de véritables filières de travail. Dans ce premier cas, le chauffeur de taxi est toujours un artisan, mais il rembourse un montant conséquent à la filière qui lui a procuré sa plaque et il a certaines obligations, plus ou moins légales d'ailleurs, envers elle. Il est fréquent que ces filières s'établissent sur un critère ethnique.

La quatrième catégorie de chauffeurs de taxi possède sa voiture, mais est employée d'une compagnie. La cinquième est employée mais ne possède ni sa plaque ni sa voiture.

En somme, le système est assez complexe et recouvre des situations très différentes aboutissant à des réalités financières et à des revenus très contrastés, mais l'artisan conserve une place dans une organisation que l'on peut qualifier de corporation structurée par une tension entre grandes structures et acteurs indépendants.

À l'arrivée, Paris manque cruellement de taxis aux heures de pointe, et beaucoup de chauffeurs se battent les flancs aux heures creuses. De cette double insatisfaction est née l'observation de Rueff et d'Armand reprise par Attali.

Il ne faut pas négliger la part de l'idéologie dans l'approche Rueff-Armand-Attali : les libéraux se méfient par principe du système des corporations qu'ils ont d'ailleurs abolies en créant sous la Révolution Française le principe de la "liberté du commerce et de l'industrie", un principe que le XXe siècle a presque entièrement désamorcé.

Libéraliser les taxis sans racheter les plaques serait très injuste. Or leur valeur se chiffre en milliards et l'État est, sinon pauvre, du moins impécunieux. Donc pas question de racheter. Peut-on alors simplement autoriser plusieurs chauffeurs à se partager une plaque et organiser une régulation du trafic en temps réel en fonction des besoins qui se présentent ? Cela serait un minimum, car le fonctionnement actuel relève de l'âge des cavernes. Mais cela constitue une évidente régression de liberté pour les artisans.

Sauf que... sauf que l'affaire Uber montre que la régulation informatique/internet et la liberté du chauffeur sont extrêmement compatibles. L'uberisation des taxis parisiens pourrait donc avoir un avantage.

Mais à l'inverse, l'uberisation prouve que dans notre monde économique, la liberté totale profite moins à l'artisan qu'à des géants, en général américains, très adeptes de la défiscalisation. Le souvenir des taxis de la Marne peut alors nous rappeler que les taxis parisiens, ce n'est pas qu'affaire d'argent, d'artisanat et de commerce, mais qu'il peut s'agir de notre survie.

10:59 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : taxi, paris, la défense, delanoë, uber, artisanat | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

06/06/2015

Adapter la modernité à l'Histoire

Le tour pris par les "réformes" annoncées par le Premier Ministre Valls, celle de l'école étant la plus emblématique, montre que, pas plus que le Président de la République qui a précédé M. Hollande, Manuel Valls ne comprend ni la France ni son Histoire. Or l'Histoire est un fil aussi invisible qu'incassable. À vouloir le tordre, on se perd, comme le précédent président en a fait l'expérience.

Y a-t-il un symptôme qui exprime cette erreur de parallaxe ? Oui, ce symptôme, il est le même depuis des décennies, des décennies où, trop rarement, nos dirigeants ont su comprendre et formuler l'Histoire au présent. Pour eux tous, depuis ces décennies, l'enjeu et la difficulté sont les mêmes : entrer dans la modernité, adapter notre pays à la modernité, réformer et moderniser. Et pour eux tous, la paresse consiste à importer en France des schémas préétablis, préconçus, prédigérés, irréfléchis et inadaptés.

Chacun constate que la France ne tourne pas le dos à la modernité, qu'elle continue à veiller aux avant-postes du progrès scientifique . Il n'y a donc pas d'impossibilité qui la bride. En revanche, chacun constate que, dans les sciences sociales, elle décroche. Pourquoi décroche-t-elle ? À cause de cette paresse de ses chefs et de l'inadaptation des structures sociales, morales, culturelles, universitaires, linguistiques, et autres, qu'ils tentent d'imposer à notre vieux peuple héritier de la longue histoire d'un vieux pays. Paresse, oui, et fébrilité.

L'angoisse de l'arrivée de populations de cultures très différentes sur notre sol qui devient le leur aussi explique la fébrilité de dirigeants que leur formation n'a pas préparés à l'envergure de l'époque. Et puis, la pression de modèles étrangers, américain en particulier, qui espèrent nous imposer leur mode de consommation et de pensée les déroute et leur fait perdre leur propre regard sur la nécessité locale.

Si l'on veut mieux comprendre ce que je veux dire, eh bien, Emmanuel Todd et Hervé Le Bras s'étonnent de constater en Bretagne un vote qu'ils qualifient de "catholique zombie" : la pratique religieuse catholique y est devenue marginale, mais la structure du vote politique y reste la même qu'à l'époque du règne du catholicisme, et ses motivations aussi. Ce qu'ils n'ont pas compris, c'est que ce n'est pas le catholicisme qui a fait les Bretons à son image, mais tout au contraire, que les Bretons se sont taillé un catholicisme historique qui leur ressemble, qui est (ou était) à leur image, adapté à leurs pratiques sociales qui, elles, sont d'ordre culturel, d'ancrage profond, indépendant des questions ethniques ou politiques, et qui trouvent toujours un moyen d'adapter les modernités successives à leur façon de voir et de vivre.

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Il faut donc leur dire, et leur répéter, que l'enjeu de l'époque n'est pas d'adapter notre pays à la modernité, car celle-ci n'est pas d'emblée universelle, elle a vocation à adopter des traits divers, d'une diversité en elle-même féconde. Ce qu'il faut, et c'est beaucoup plus difficile, mais beaucoup plus grand et beaucoup plus susceptible de leur dessiner une place dans l'Histoire, non seulement l'Histoire de la France, mais celle de l'Europe et du monde, ce qu'il faut, donc, c'est adapter la modernité à notre Histoire.

S'ils veulent mon opinion de façon plus précise et plus détaillée, je me tiens à leur disposition.