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30/10/2011

Quatre éloges de l'orthographe

1 Je voyais cet après-midi l'affiche du prochain opus de la série de films La Vérité si je mens. Il y a un surtitre : "Vous nous avez manqué". Si par distraction ou ignorance, on ajoute un s à ce surtitre, cela change tout : "Vous nous avez manqués". Une variante qui rappelle un dialogue très acide et célèbre :

- Vous m'avez manqué.

- De peu.

La nuance, je le rappelle, est qu'on manque quelqu'un si par exemple on lui tire dessus sans l'atteindre, tandis qu'on manque à quelqu'un si on n'est pas près de lui à un moment ou pendant une période où il voudrait qu'on soit près. Dans le premier cas, on le manque. Dans le deuxième, on lui manque.

2 Corneille a écrit "Rome, unique objet de mon ressentiment". Si maintenant, on se trompe et si l'on met un s non pas après l'e final, mais à sa place, on écrit "Roms, unique objet de mon ressentiment", et on obtient un vilain discours de Grenoble. C'est dommage.

3 Si on écrit vie politque, on pense à Bayrou, par exemple. Mais si l'on écrit vit politique, on ne pense plus qu'à DSK, forcément. Alors que Bayrou, c'est bien.

4 Si l'on écrit État d'urgence, chacun comprend bien qu'il y a urgence. Si l'on écrit État d'urgences, on sait qu'on va lire un texte sur l'hôpital (lequel est d'ailleurs en état d'urgence aussi).

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26/10/2011

Sanctuariser l'Euro

Il y a en France deux écoles : la première préconise une dose suffisante d'inflation et une monnaie faible capable de doper les exportations ; la seconde est monétariste et considère (avec Raymond Barre) que la force de la monnaie rejaillit sur l'économie, à laquelle elle est bénéfique. La première école considère que tous les laxismes sont au fond permis, puisqu'il n'y a qu'à laisser filer l'inflation et/ou dévaluer la monnaie pour récupérer demain ce qu'on a mal fait aujourd'hui ; la deuxième prône la vertu budgétaire et financière et se donne une éthique de l'effort.

Écoutez ceux qui préconisent de sortir de l'Euro, écoutez la raison qu'ils invoquent : cela permettra de baisser le taux de change de la monnaie, de doper donc les exportations, quitte à laisser filer un peu d'inflation. Les adversaires de l'Euro sont donc les mêmes que ceux, autrefois, du Franc fort. Ce qu'ils veulent, c'est le tandem monnaie faible, inflation endémique.

Ce qui les gêne dans l'Euro, c'est que c'est une monnaie forte. Avec l'Euro, il faut être rigoureux. Quel drame. Or la situation de l'Allemagne d'aujourd'hui est la preuve que la monnaie forte, combinée avec une politique budgétaire sérieuse (même si elle n'est pas totalement irréprochable dans le cas allemand), est le moyen de tenir un pays debout, capable de résister aux offensives des spéculateurs toujours embusqués et prêts à profiter de la faiblesse des emprunteurs. Songeons qu'à elle seule, l'Allemagne tient l'Euro debout, que malgré toutes les pressions, le cours de l'Euro n'a pas significativement baissé. Et que serait-ce si la France était (et avait été) aussi vertueuse que sa partenaire. L'ennemi gésirait dans la poussière et dans son sang depuis longtemps. Mieux : il n'aurait jamais tenté d'attaquer.

On me dit : Oui, mais l'Allemagne a mis ses classes moyennes en capilotade. Eh bien, nous aussi. Nos classes moyennes sont déchiquetées, et nous n'avons pas un pays en bonne santé qui puisse leur faire espérer de meilleurs lendemains, nous.

Et puis, on se tait. Car on sait bien que la partie qui se joue est d'échelle planétaire, peut-être d'échelle hstorique. Mais au fond, nous savons bien que nous aurons demain un monde à trois grandes monnaies de réserve : le yuan chinois, le dollar,et bien sûr l'Euro.

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22/10/2011

Au centre, la liberté

Voici quelques jours, nous avons eu un débat assez approfondi, quoique forcément synthétique, sur Twitter (l'endroit où l'on ne s'exprime que 140 caractères à la fois). Le sujet était le libéralisme et sa position sur l'échelle qui va de la droite à la gauche. On me disait que "il n'y a qu'en France que le libéralisme soit à droite, ailleurs il est à gauche". Une affirmation que j'ai déjà souvent entendue. Or il se trouve que cet ailleurs se situe aujourd'hui aux États-Unis et aux États-Unis seulement. Là-bas, quand on est un "liberal", c'est qu'on a le couteau entre les dents et qu'on veut égorger les possédants. Mais en vérité, ailleurs, les mots et les faits sont différents.

Au Royaume-Uni, le Parti libéral incarnait la gauche au XIXe siècle, jusqu'à ce que le parti ouvriériste (travailliste) le supplante dans l'opposition aux conservateurs et le marginalise en attendant l'apparition tardive du Parti Libéral-Démocrate. Tel fut le mouvement profond du tournant du XXe siècle : l'émergence des partis de l'Internationale, des partis ouvriéristes, qui ont repoussé le libéralisme vers le centre, voire vers la droite. 

Il n'en fut pas autrement en France, où la SFIO puis le PCF ont repoussé le parti radical vers le centre, où il a rejoint finalement les autres composantes du centrisme français : la démocratie-chrétienne et les libéraux. Le point commun des trois courants de ce centre (qui ont formé en son temps l'ancienne UDF en 1978), c'est que la liberté est centrale dans leur façon de concevoir la place de l'être humain dans la Société. Les démocrates-chrétiens analysent la liberté comme la condition (et donc le moyen) du Salut. Les radicaux, si l'on autorise ce genre de spéculation à un profane comme moi, ont une sérieuse réputation de lien avec les idéaux de la franc-maçonnerie, pour laquelle la liberté est une condition (et donc un moyen) d'accès à l'initiation. Pour les libéraux, héritiers de Le Chapelier et de quelques autres ténors des premiers temps de la Révolution Française, la liberté est la condition de la création de richesse et donc du progrès.

La droite, elle, selon ce schéma, qui n'est qu'une des grilles de lecture de l'arc politique, peut croire à la liberté, mais il y a toujours une limite, à ses yeux, à cette liberté : c'est l'autorité, le respect de l'autorité. La droite croit à la liberté tempérée par l'autorité. Et comme l'arc politique de droite est traversé et irisé par l'idée d'inégalité, il vient un moment où la puissance de l'inégalité dans le cocktail justifie que la liberté soit réservée aux "supérieurs". La version de la liberté, selon l'extrême doite, est donc que la légitimité permet de justifier la confiscation de la liberté au profit de quelques-uns, idée que l'on trouve déjà dans le poujadisme, mais qui peut aller beaucoup plus loin à droite, où l'on voit que la liberté peut être un absolu, du moment qu'elle soit réservée à quelques-uns, une élite légitime ou légitimée (des "élus").

La gauche, selon le même schéma, peut croire aussi à la liberté, elle ne demande que cela, mais à ses yeux, il y aura forcément une limite (plus ou moins éloignée selon que l'on sera plus ou moins à gauche) : c'est la solidarité. La gauche, qui se méfie toujours des pistes individuelles et penche toujours vers les solutions collectives, croit à la liberté tempérée par la solidarité. Là encore, il y a une version extrême qui aboutit à faire de la liberté un absolu en supprimant l'autorité et en proclamant la solidarité obligatoire selon le principe des soviets, assemblées locales plénipotentiaires, AG selon le vocabulaire plus actuel, qui siègent en permanence, où le débat est roi est où la décision est par nature collégiale. Il n'y a de citoyen qu'actif et c'est par sa participation qu'il justifie et prouve sa liberté. La condition de cette forme est évidemment l'égalité, absolue, l'égalitarisme.

On a donc un spectre à trois espaces : l'espace droit gouverné par l'autorité, l'espace gauche gouverné par la solidarité (plus encore que par l'égalité), l'espace central cherchant avant tout la liberté.

Quand il s'est agi de combattre l'excès de l'autorité au nom de la liberté, les gens de la liberté (plaçons-les tous sous le vocable de libéraux) se sont placés à gauche parce que l'autorité était à droite. Mais quand la liberté s'est retrouvée menacée par les principes de la solidarité, plus à gauche, le libéralisme s'est placé plus à droite. Coincée entre l'autorité et la solidarité, la liberté avait trouvé sa place. Et le fait que des gens d'extrême droite (par exemple d'Occident) se soient infiltrés parmi les libéraux en exploitant leur vision inégalitaire du monde n'y change rien, en vérité, le libéralisme français, incarné ou non, se trouve dans l'espace central, ce que des gens comme Hervé Morin devraient comprendre au lieu d'enfermer le libéralisme dans l'alliance avec la droite.

La place de la liberté est au centre.

 

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18/10/2011

"De bon matin", la tragédie d'un cadre de banque

Nous sommes en colère, vous êtes en colère, je suis en colère. Une colère sourde mais intense, une colère comme on n'en connaît qu'une fois dans une vie. En colère contre la légèreté criminelle de décideurs qui, on ne sait pas où, on ne sait pas comment, ont enclenché la tornade financière qui s'abat sur l'Occident depuis trois ans. Cette colère, nous l'avons cristallisée sur les banques. Dans notre opinion, parmi les espèces vivantes, la pire, c'est le cancrelat, ou la vipère, et juste au-dessus, mais tout au fond du panier, il y a ce terrible personnage à queue fourchue, ce vampire insatiable, le banquier, le spéculateur, celui qui par appétit de lucre fait délocaliser nos emplois depuis vingt ans, celui qui provoque les licenciements boursiers, celui qui nous dépèce quand nous avons faim et qui nous sert le champagne quand nous roulons carrosse. L'Ancien Régime connaissait le Fermier Général, notre époque connaît le Banquier.

Le film "De bon matin", de Jean-Marc Moutout, pousse la porte vitrée d'une banque (apparemment suisse mais qui agit en France) menacée de faillite par l'affaire des subprimes (un peu comme l'UBS) et explore le destin et la psychologie de dirigeants subalternes, de commerciaux, d'agents de la banque, dont l'un, incarné par Jean-Pierre Darroussin, sombre dans la dépression.

"Qu'est-ce qu'on peut faire ?" répète sans cesse l'un de ses collègues devant les décisions arbitraires de sa hiérarchie et devant le cataclysme financier. "Qu'est-ce qu'on peut  faire ?" pose l'évidente question de la responsabilité de la tragédie collective qui dévaste nos économies et qui dévaste aussi, on l'oublie trop souvent, les banques elles-mêmes, premières victimes de l'incurie collective. La cause de ce séisme ? C'est le personnage incarné par Darroussin qui l'explique avec une remarquable clarté : avoir oublié que la dette est un risque. Or le risque, son évaluation, c'est le métier même du banquier. Avoir perdu le risque de vue, l'avoir noyé dans des mille-feuilles de circonlocutions et de panachages brumeux, c'est cela, la faute du système financier, une faute collective, dans laquelle il faut reconnaître que les pouvoirs publics ont aussi leur part, car les tutelles existent et n'ont pas fonctionné. On pourrait même mettre en cause le président Clinton, à l'origine de l'ouverture massive du crédit à des Américains insolvables, mais le film ne va pas jusque-là.

Dans ces banques où toute la hiérarchie est sous pression, les équipes anciennes sont écartées, et portent le chapeau, et les équipes nouvelles installent leur position en jouant sur les habituels levier de division et de pourrissement des liens humains tissés avant leur prise de fonction. On fait faire un rapport par l'un, qu'on utilise pour licencier l'autre, ce qui permet de faire passer l'idée que c'est l'auteur du rapport, et non la hiérarchie, qui est responsable du licenciement.

Au milieu du maelstrom, le personnage incarné par Darroussin sombre et dès le premier instant, on sait que son parcours finit dans la tragédie, le meurtre public de son supérieur hiérarchique.

Darroussin est l'un des acteurs les plus forts du cinéma français. On se rappelle avec diffculté ses débuts bégayeurs, son œil mi-clos et sa démarche traînante. Un quart de siècle plus tard, il peut tout jouer avec la même intensité et la même vérité. On est loin des débordements de Michael Douglas dans "Chute Libre", et très au-dessus de José Garcia dans "Le Couperet". Xavier Beauvois, réalisateur lui-même mais acteur de plus en plus vu (récemment encore dans l'Apollonide), lui donne la réplique avec sobriété et authenticité.

La narration juxtapose des moments de flash-back de diverses époques, la chronologie se dilue complètement, mais cette dilution rend la marche vers la tragédie encore plus inexorable et poignante. On est resté assis devant le film pendant une heure et demie, pourtant en sortant de la salle, on éprouve encore le besoin de s'asseoir un quart d'heure, pour s'en remettre. Je n'ai pas été aussi secoué par un film depuis "Un prophète", de Jacques Audiard.

Nous ne pouvons pas oublier que dans les banques travaillent des gens qui subissent, qui parfois se réveillent, mais trop tard, des gens qui ont peur du chômage et de la déchéance, des gens que leur conscience triture. C'est pourquoi, parce que c'est à la fois commode et vrai, nous préférons mettre en cause "le système" plutôt que les banquiers eux-mêmes, tout en sachant que définir l'adversaire sous ce vocable de "système", c'est le rendre inaccessible à la punition, la punition que nous voudrions tant lui voir subir. "Qu'est-ce qu'on peut faire ?" En tout cas, faire la part des choses et marquer de la compassion pour ceux qui souffrent, même quand ils sont banquiers.

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14/10/2011

Principes économiques, sociaux et environnementaux pour 2012.

Avant de donner mon opinion sur les questions économiques, sociales et environnementales pour 2012, il faut tout de même dire un mot sur ce qui a été le sujet de la semaine : le second tour de la primaire socialiste et le débat de mercredi soir.

On a vu, ce soir-là, que les deux "impétrants" sortaient bien des mêmes moules : l'ENA pour commencer, la mouvance idéologique de Jacques Delors pour suivre et la culture de la "deuxième gauche" pour finir, c'est-à-dire le goût de s'en remettre aux partenaires sociaux chaque fois que cela est possible, l'insertion dans la réalité de l'économie de marché. Il n'y a guère plus que l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette entre les deux personnages qui briguent le suffrage des socialistes pour aborder l'élection présidentielle du printemps prochain. Il y a tout de même des nuances et curieusement, il y a dans chacune des nuances qui séparent les deux concurrents une qualité essentielle qui manque à l'autre, et comme il ne peut y avoir qu'un candidat, et ensuite qu'un président, il faut que j'avoue que, en définitive, après avoir regardé ce débat, je les ai trouvés tous les deux inquiétants, pour des raisons tout à fait différentes. Bien sûr, j'ai mon candidat, j'ai annoncé que je soutiendrais Bayrou et il ne me déçoit pas, et on a le droit de considérer que je suis partial en exprimant cette inquiétude, mais je crois sincèrement qu'elle n'est pas liée à mon choix, en fait, je crois qu'elle l'est aux deux personnalités en question. Voici pourquoi.

L'inquiétant M. Hollande, l'inquiétante Mme Aubry

J'ai entendu et lu beaucoup d'observateurs dire que François Hollande avait montré de la soliditié et du lyrisme, qu'il avait été rassurant et fort. Je ne partage pas du tout cette opinion. J'ai trouvé que son menton en avant avait quelque chose de mussolinien. Qu'on m'entende bien : Hollande n'a rien de mussolinien, mais Mussolini, pour se donner de l'importance et de la contenance, se promenait menton en avant, ce qui en disait assez long sur les complexes dont il souffrait. Les caricaturistes ne s'y trompaient d'ailleurs pas, lui faisant un menton énorme. J'ai donc trouvé que Hollande, le menton en avant pour se donner de l'autorité et les sourcils froncés pour se donner de la gravité, avait quelque chose de parfaitement ridicule, de forcé, de mensonger. Et comme il faisait alterner ces séquences sombres avec des moments de sourire freshenup où il était le copié-collé de sa marionnette des Guignols, je l'ai trouvé profondément ridicule. Le pire a été quand Martine Aubry a, en quelques secondes, flingué les deux maigres propositions-phares qui étaient supposées éclairer l'austérité de son programme. Bordel, ce type est fonctionnaire, il a fait l'ENA, mais il ne comprend pas que si les redoublements coûtent cher, c'est d'abord parce qu'ils mobilisent des enseignants, et que, de ce fait, gager la création de postes dans l'Éducation Nationale sur la suppression des redoublements, c'est dire qu'on va financer des créations de postes par des suppressions de postes. C'est ridicule, c'est pathétique, et le plus pathétique est qu'il ne s'en soit pas rendu compte. Enfin, on ne lui demande pas d'être un génie de la science administrative, mais s'il n'a qu'une ou deux propositions à mettre en avant, il faut qu'elles tiennent debout, c'est le minimum. Sa façon de financer ses projets ressemble trait pour trait à ce qui fait l'ordinaire des assistants parlementaires et autres collaborateurs de groupe à l'Assemblée Nationale : quand un député fait une proposition qui crée une nouvelle dépense pour l'État, il doit impérativement la gager par une recette nouvelle de montant équivalent. Le jeu, pour l'assistant, est donc de piocher dans l'arsenal des "recettes de poche" et autres TIPP, etc, pour trouver un montant suffisant. C'est comme un jeu intellectuel. On sait bien que la proposition qu'on fait n'a aucune chance d'aboutir, on cherche donc plus ou moins au pif une ligne comptable à exploiter. Ainsi a fait le mauvais génie de Hollande : j'ai besoin de 2,5 mds, où vais-je les trouver dans le budget de l'Éducation Nationale ? Ah ça tombe bien, les redoublements coûtent 2,5 mds. À l'échelon d'un programme présidentiel, c'est d'une légèreté inquiétante. À moins que, comme le suggère L'Hérétique, le vrai projet du PS ne soit tout simplement de poursuivre la politique de suppression de postes d'enseignants.

Dans le cas de Hollande, ce qui est agaçant est que, par ailleurs, il a le courage remarquable, mais du bout des lèvres, de soutenir deux axes très importants : le désendettement de l'État prioritaire sur toute autre considération, et la diminution des effectifs globaux de la fonction publique, alors que Martine Aubry ne veut pas "casser la croissance" en garottant le budget et que, sur le nombre des fonctionnaires, je n'ai rien entendu d'elle pour le moment.

Martine Aubry a pourtant des qualités rassurantes, on la sent très lucide sur les gens (ça doit lui poser des problèmes relationnels), elle est très à l'aise dans les arcanes de la machinerie administrative et c'est très certainement une bonne technicienne. On n'oublie d'ailleurs pas que, si elle est au PS depuis plus de trente ans, elle a débuté au cabinet de Robert Boulin sous la présidence Pompidou. Mais si elle n'est pas écrasée par les chaînes intellectuelles de l'idéologie socialiste, elle l'est par une autre idéologie, beaucoup plus forte, celle que lui a donnée sa formation : l'ENA. Il faut le dire et le répéter, la gauche d'aujourd'hui, ce n'est plus le programme commun, mais le problème commun, qui est qu'Aubry et Hollande appartiennent à la génération d'énarques qui nous a conduits là où nous en sommes. Ces gens n'ont aucune idée de ce qu'est l'économie d'un pays, ce tissu vivant et capricieux qui ne se mène ni à la férule ni à coups de statistiques. Pour ces gens, la science de l'économie se résume à "quand j'actionne tel levier, cela a tel effet macroéconomique". Tant pour cent d'un côté, tant pour cent de l'autre. Et de tant pour cent en tant pour cent, depuis trente ans, nous plongeons toujours sur le même toboggan savonné par les mêmes énarques, qu'ils soient de gauche ou de droite. On ne peut pas leur en vouloir : leur métier est (ou devrait être) d'être fonctionnaires, de diriger des services administratifs, c'est parce qu'ils désertent leurs postes dans les administrations qu'ils se retrouvent aux commandes du pouvoir politique, très au-dessus de ce que recommanderait le principe de Peter.

Donc ce qui rend Martine Aubry inquiétante, aussi inquiétante que Hollande, c'est l'air de compétence verbeuse qu'elle se donne, qui n'est que le masque cent fois vu, cent fois tombé, mais cent fois remis, de l'incompétence profonde de sa catégorie de dirigeants qu'on devrait traduire devant la cour martiale parce qu'ils ont déserté leur poste pour s'aventurer là où l'on n'avait pas besoin d'eux. L'assurance jargonneuse de Mme Aubry n'a qu'un autre nom : l'impuissance, l'impuissance de l'État, constatée depuis trente ans, l'impuissance sans cesse renouvelée, mais sans cesse sûre d'elle-même, dont le symptôme, chez Mme Aubry, est que, sous prétexte qu'il ne faut pas casser la croissance, il est urgent d'attendre pour désendetter l'État, cependant qu'on pourrait bien se faire une petite relance par l'investissement, comme si cette relance n'avait pas déjà été essayée, et comme si elle n'avait pas déjà échoué plusieurs fois. Incorrigible. Inquiétante.

Cela étant, ils ont des points communs, ils croient à la clause de réciprocité, bonne idée, et leurs programmes sont identiques sur bien des aspects. Il ne leur reste plus qu'à abandonner le prgramme voté par le PS et ils seront fréquentables. Ce sont des gens respectables et, de même qu'avec des gens de l'UMP, il serait possible de travailler avec eux. Seulement, en aucun cas je ne leur laisserais la bride sur le cou.

L'urgence budgétaire

On a le droit de penser qu'il vaut mieux faire la révolution, que si cent millions de personnes envahissaient Wall Street et s'y emparaient des rouages financiers, tout irait mieux, qu'on pourrait traduire les financiers en justice et instaurer un monde plus juste, plus démocratique et plus humain. Qui a lu mon modeste roman numérique sait le peu d'estime que m'inspire le système financier mondial. On a aussi le droit, comme Arnaud Montebourg, d'imaginer que l'on puisse mettre les banques "sous tutelle" alors qu'il suffirait de séparer les métiers de banque de dépôt et de fonds d'investissement. On a enfin le droit d'analyser les choses de façon plus subtile.

Dans les dérapages actuels de l'économie mondiale, les banques et les États sont tout aussi fautifs les uns que les autres, chacun faisant pression sur l'autre à son tour, dans une spirale tragique. Pour enrayer cette spirale, le plus simple est d'en supprimer le moteur premier : la croissance de l'endettement des États. Pour le faire, étant donné l'urgence constatée, il ne faut pas perdre une seconde. Bayrou l'a très bien formulé : il faut faire en sorte que, le plus tôt possible, la dette de l'État cesse de croître. À fièvre de cheval, remède de cheval. Cela signifie qu'il faut prévoir une augmentation massive des impôts, et qu'il faut la prévoir supérieure à ce dont on a besoin a priori, car il est vrai que, comme le soulignait Mme Aubry, l'augmentation du taux va diminuer le rendement de l'impôt en valeur absolue, en provoquant une contraction de l'activité.

Une fois que l'État sera en mesure d'échapper à la pression des banques, il lui reviendra d'enrayer la financiarisation de l'économie. Les structures financières mondiales sont un Moloch qui titriserait père et mère pour fournir du combustible à la grande chaudière qui, de Londres à New-York, brûle jour et nuit sous le vocable des marchés financiers insatiables.

Une fois ralentie la machine de l'endettement, il sera possible de réveiller les filières de production dont Bayrou parle dans son livre : appareils ménagers, parasols, bien peu technologiques mais fort utiles dont on ne produit plus qu'une demi-poignée à peine, alors qu'ils pourraient fournir de nombreux emplois. On voit là que les mesures macroéconomiques, les tant pour cent par-ci et les tant pour cent par-là, n'ont aucune utilité.

Pour le désendettement, je pense qu'il serait raisonnable d'envisager de ne pas augmenter le montant total des dépenses publiques en Euros courants pendant plusieurs années. Par le jeu de l'inflation, il suffirait de ne rien augmenter pendant cinq ans pour obtenir une économie globale d'environ 10 %, qui suffirait pour ramener les budgets publics à l'équilibre. De ce fait, au bout de cinq ans, la combinaison de la recréation des nouvelles filières de production et du retour des finances publiques à l'excédent comptable permettrait d'enclencher une spirale de désendettement et de croissance durable.

Il y a à cela une condition.

Réduire notre consommation d'énergie et de matières premières

Nous n'avons pas compris ce qui s'est passé en 1973 avec la crise pétrolière : notre modèle d'expansion, jusqu'à cette époque (et depuis la révolution industrielle), reposait sur des matières premières et de l'énergie abondantes et bon marché. Après la crise de 1973, nous savons que nous n'aurons plus jamais d'énergie abondante ni de matières premières bon marché. Or au lieu d'en tirer la conséquence logique, qui était de réduire la quantité d'énergie et de matières premières utilisée pour la production, on s'obstine depuis trente ans à réduire le troisième facteur économique de la production : la part des salaires. Comme si le but de la prodcution économique était la création d'argent, alors qu'il est de nourrir notre population, de lui fournir du travail et de contribuer au progrès de l'espèce humaine.

Il faut donc faire plaisir aux écolos sur ce point particulier. Notons bien qu'il ne s'agit ni de décroissance ni de rien de tel, mais tout simplement de revitaliser un mode de vie en société qui a prouvé qu'il pouvait satisfaire les besoins matériels essentiels des êtres humains que nous appelons nos concitoyens. Utiliser moins d'énergie et de matières premières pour produire la même valeur marchande permettra de rétablir les salaires à un niveau décent.

Cela signifie que dans notre projet de création de milliers de PME, il faut inclure que chaque nouvelle unité de production doit être au moins autosuffisante en matière énergétique, et que les processus de production doivent inclure le critère de l'économie drastique de matières premières. L'idéal que chaque unité soit non seulement autosuffisante mais productrice nette d'énergie serait séduisant.

Au passage, je trouve aberrant que l'on jette à la poubelle (si j'ai bien lu ce qu'on écrit sur ce sujet) environ la moitié de la nourriture que l'on produit en France. L'adéquation des réseaux de production à la consommation me paraît être une nécessité vitale pour la diminution globale de conso d'énergie et de matières premières, il semble donc que les organismes comme le CREDOC devraient se voir confier des missions très pointues dans ce sens, afin que la production soit très réactive à la consommation finale, ce qui éviterait le gâchis (ce qu'on appelait le Gaspi du temps du regretté Barrre et de son président VGE).

L'urgence sociale

Les mesures d'économie budgétaire ne vont pas peser seulement sur la conjoncture, elles vont rejaillir sur la vie de nombreuses personnes déjà très fragiles, les centaines de milliers qui manquent de logements, les centaines de milliers qui vivent sous le seuil de pauvreté, et a fortiori ceux qui vivent dans ce qu'on nomme la très grande pauvreté. Il ne peut pas être question d'abandonner ces gens à l'aggravation de la conjoncture. Augmenter le taux de TVA de deux points, cela peut être un drame pour des familles qui vivent déjà de presque rien. Il ne faudra donc pas prendre cette mesure sans convoquer les ONG compétentes, SAMU social, Abbé Pierre, Secours Populaire et Catholique, Restos du Cœur, etc, de façon à faire remonter au plus vite les besoins du terrain et, par contrecoup, à ce que soient prises les mesures d'accompagnement qui permettent d'épargner d'alourdir le fardeau de ceux qui n'ont déjà rien. Ce ne sera pas coûteux, mais indispensable.

Peut-être faudra-t-il reprendre le projet des 70000 logements hypersociaux proposés par Bayrou en 2007. Peut-être faudra-t-il aussi engager des projets de très grande échelle, comme cela fut fait dans les années 1950, non pas pour créer de nouvelles "villes nouvelles" (nous devons désormais protéger mieux nos étendues de terre agricole), mais pour développer de nouveaux quartiers beaucoup plus denses dans les agglomérations déjà existantes (avec tous les problèmes, notamment de transport) que cela pose.

Enfin, je signale que je serai attentif aux propositions qui émaneront de mon candidat comme des autres, concernant le droit du travail et la place des salariés dans l'entreprise (on sait que j'ai un faiblesse pas coupable du tout pour le modèle coopératif et mutualiste), je n'ai pas lu grand chose de précis sur ces points jusqu'ici.

Voilà : équilibre budgétaire, création et recréation de filières d'industries de main d'œuvre, économies d'énergie et de matières premières par des modèles sobres, bouclier social pour les plus fragiles, programmes de logements pour tous, je crois que c'est assez pour les dix ans qui viennent, n'est-ce pas ?

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10/10/2011

Parution de mon nouveau livre d'histoire bretonne

Depuis une quinzaine d'années, j'ai entrepris de publier des documents-clefs sur la société bretonne du XVe siècle : la Réformation des Fouages de 1426, ce qui m'amène à explorer les différents aspects de la vie des Bretons de cette époque, notamment par la prosopographie de la noblesse bretonne médiévale. Voici que je prolonge cet aspect prosopographique en donnant une édition très documentée, accompagnée de notices rtrès sourcées, de laMontre générale des nobles de Cornouaille en septembre 1481. La prosopographie de la noblesse médiévale bretonne est l'un des sujets les plus ardus, car outre des milliers de lignages plus ou moins bien connus, elle compte des centaines de personnages énigmatiques, parfois contestés. Cette Montre de 1481 est en outre l'occasion de cerner les spécificités de l'héraldique médiévale dans la partie de Bretagne qu'on appelle la Cornouaille, qui va du centre de la péninsule jusqu'à ses extrémités centre-ouest et sud-ouest, et de mettre à jour des notices prosopographiques rédigées il y a tout juste dix ans, au moent de la parution du premier tome de la Réformation de 1426. Une carte de format 50x97 cm accompagne éventuellement l'ouvrage, elle est ornée des 400 écussons d'armoiries rencontrées pour des lignages cornouaillais du XVe siècle. Une version collector (ou bibliophilique) sera rehaussée à l'encre d'un dessin original et de quelques noms de parties de la Cornouaille (comme le Poher) et signée des deux auteurs (la dessinatrice héraldique et moi-même) et numérotée. Ces cartes ne seront pas vendues en librairie, mais le livre peut, lui, être acheté dans plusieurs librairies, tant en Bretagne qu'en île de France, outre la vente par internet.

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02/10/2011

Bayrou, Chirac et Balladur

Au milieu des remugles nauséabonds de la Françafrique, des dossiers Karachi et des frégates de Taïwan, le nom de François Bayrou est venu ces jours-ci. L'intéressé s'est défendu avec vigueur, rappelant qu'il n'a lui-même jamais touché un sou douteux, et que depuis qu'il en est président, le mouvement centriste n'a jamais reçu non plus le moindre centime suspect. Il a raison. Et comme on ne trouve pas de bonne raison de le mettre en cause, on s'emploie à l'agglomérer à l'équipe resserrée d'Édouard Balladur lors de la campagne de 1995 (lsur laquelle les soupçons de financement illicite s'amoncellent), alors même que le simple fait qu'il ait été maintenu à son poste ministériel par le président Chirac fraîchement élu en 1995 devrait avoir suffi à l'exonérer de ce soupçon absurde.

Je me souviens d'une réunion d'une vingtaine de jeunes avec Bayrou, dans un bureau du ministère de l'Éducation Nationale, rue de Grenelle, pendant la campagne pour l'élection interne du CDS à l'automne 1994. Bayrou nous demande, un par un, pour qui nous voterons au printemps suivant. J'entends les autres jeunes répondre, un par un, le nom de Balladur. Il y avait une focalisation quasi-viscérale contre Jacques Chirac chez la plupart de nos jeunes. Parfois, il me semblait que cette focalisation frisait l'aveuglement, car les défauts reprochés à Chirac étaient autant présents chez son rival de droite, Pasqua avait sa Françafrique, et sa vision du monde n'était pas loin de celle du Front National que nous combattions (et combattons) becs et ongles, et Pasqua soutenait Balladur. On sentait même dans l'état-major balladurien la tentation de s'allier avec le FN, qui paraissait exclue chez Chirac.

Vint mon tour, je répondis à Bayrou que j'étais désolé, mais que pour ma part, je voterais Chirac au printemps suivant. Bayrou me sourit et expliqua que, s'il soutenait Balladur, c'était pour empêcher la porte de la candidature unique de se refermer sur la droite. On voit que Bayrou était encore loin d'un positionnement centriste pur et dur, mais c'est sans importance, il est heureux que nous apprenions de notre expérience. Cette version me convenait. Je ne soutenais pas Chirac par appétit de disparition du centre, mais au contraire pour éviter que la bipolarisation ne se referme sur notre vie politique : Chirac avait promis que, s'il gagnait, il ne ferait pas pression pour la fusion du RPR et de l'UDF, alors que Balladur militait pour un parti unique de la droite, une CDU à la Française regroupant les formations politiques de ce qu'on appelait alors improprement la "droite républicaine".

On voit donc que Bayrou, s'il avait intérêt à soutenir Balladur pour empêcher Chirac d'imposer la candidature unique de droite, avait cependant intérêt à la victoire de Chirac, pour empêcher le parti unique de droite et du centre. C'est pourquoi faire de Bayrou un proche collaborateur de Balladur est une imposture.

Rappelons d'ailleurs que sa géométrie politique différait entièrement de celle de Balladur, puisque dans son discours du congrès qui l'a porté à la présidence du CDS, en décembre 1994, Bayrou prit explicitement position pour un grand parti central, allant "de Balladur à Jacques Delors". La seule piste qu'il visait était celle qu'il tente encore d'imposer à notre classe politique, celle de la majorité centrale. Il faut qu'on lui en donne acte.

 

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