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27/11/2012

Sciences Po : comment faire la synthèse ?

Evidemment, on pourrait attendre d'envoyer un séminaire de deux ou trois ans à Uriage et de lire les résultats des travaux de ce séminaire pour tout reconstruire comme cela fut fait en 1945. Mais en attendant ce jour, il faut bien que la situation s'apaise à Sciences Po et qu'une solution soit trouvée qui satisfasse à la fois l'institution et l'intérêt public.

Il est apparu des développements récents que Sciences po connaissait une véritable double crise : crise de croissance et crise de nature.

Crise de croissance, parce que feu Descoings a procédé à une gonflette tous azimuts de l'institut qu'il dirigeait, notamment vers l'étranger, aboutissant à des partenariats avec quatre cents institutions universitaires du monde entier, des échanges extrêmement fréquents et nombreux, obtenant des résultats scientifiques consacrés par de nombreuses reconnaissances internationales, en particulier en sciences sociales.

D'autre part, Sciences Po a légèrement modifié son système d'alliances dans le réseau français. Né au début de la IIIe république, à la grande époque de l'école Polytechnique, l'institut garde des liens étroits avec cet établissemnt de renommée mondiale. Mais depuis 1945, il lui a fallu tisser des relations plus fortes encore avec l'Ecole Nationale d'Administration, conformément aux missions qui lui ont été assignées à la Libération. Le fait que le vice-président du Conseil d'Etat occupe traditionnellement un poste éminent dans les conseils de Sciences Po et que la directrice de l'école Polytechnique soit membre du conseil d'administration de la FNSP (propriétaire et gestionnaire des locaux de l'IEP) traduit l'intégration de Sciences Po dans le réseau des grandes écoles françaises, et implicitement une sorte de système d'allaices croisées.

Il s'est trouvé qu'à partir des années 2000, une autre grande école est montée en puissance, à marche forcée : HEC. Le développement organisé par feu Descoings, dans l'esprit, tient compte de cet acteur nouveau. Et d'ailleurs, Hervé Crès, adjoint de Descoings pendant quatre ans et pressenti par les instances de l'école pour lui succéder, vient de l'administration d'HEC. CQFD. Intégrer HEC à son système d'alliances est logique pour Sciences Po dans un monde de plus en plus dominé par les financiers. Mais outre que l'entrée d'un nouvel acteur dans le tour de table de l'institut nécessite que d'autres loui fassent de la place, on voit bien que l'entrée en force de la logique financière (si j'osais, je dirais financiariste) crée immédiatement une crise de nature dans l'IEP, qui a toujours eu un grand pôle économique et financier, mais don t l'esprit restait régalien.

C'est là que l'entrée en scène de Dominique Reynié prend tout son sens. Qu'il se trouve un politologue (comme feu René Rémond) pour revendiquer la tradition de la maison, remémorer sa vocation de formation et de sélection des élites de l'Etat, et donc ramener la culture générale au premier plan, tout cela est logique et saink, je dirais même nécessaire, quelles que soient les amitiés par ailleurs de M. Reynié dont la liberté me semble aujourd'hui grande.

Il faut donc trouver une solution de synthèse, les pouvoirs publics et la communauté de Sciences Po peuvent le faire, et il me semble que consolider les innovations de Descoings (en éclaircissant certaines zones d'ombre) tout en veillant à la revitalisation de la filière politico-administrative qui a fondé la création de l'école libre des Sciences Politiques en 1872 est un chemin accessible.

Peut-être faudrait-il dédoubler le poste de directeur, en créant un directeur des sciences politiques pour les filières traditionnelles et un directeur des sciences sociales, pour toutes les nouvelles. Cela aurait évidemment l'inconvénient d'affaiblir la fonction, mais cela aurait l'avantage de permettre le contrôle de chaque directeur par l'autre, à la mode des consuls romains qui allaient toujours par deux, chacun surveillant l'autre (sauf sous le consulat dit "de Jules et César").

Je trouve par ailleurs (c'est une opinion purement personnelle et extérieure à l'établissement) que M. Pébereau devrait songer à se faire remplacer à la présidence de l'IEP.

Voilà, donner un nouveau président à l'IEP et charger M. Reynié de veiller à la rénovation de la filière politico-administrative de Sciences Po, cela pourrait être une façon de sortir de la crise. Il y en a sûrement d'autres possibles, voyons ce qui va se passer.

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22/11/2012

Hollande veut-il placer son pote Jouyet à la tête de Sciences Po ?

Sciences Po sera-t-il le théâtre de l'implosion idéologique du Parti Socialiste ? On pourrait le croire en examinant le cours récent des événements. Dans cette affaire, on va même jusqu'aux portes d'une chasse aux sorcières sélective, visant feu Richard Descoings, Michel Pébereau, président de l'nstitut d'Etudes Politiques (IEP) de Paris, mais pas Jean-Pierre Jouyet qui vient d'être nommé au conseil d'administration de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP) qui gère l'IEP, les deux premiers ayant, c'est vrai, pactisé avec Nicolas Sarkozy, dont le troisième n'a jamais été que... ministre, ce qui n'est pas rien.

Toutes ces nuances irritantes sont ressorties aujourd'hui de l'audition de Jean-Claude Casanova, président de la FNSP, et de Michel Pébereau, président de l'IEP, par la commission des Affaires Culturelles et de l'Education de l'Assemblée Nationale, une audition dont la vidéo (extrêmement intéressante) est consultable sur le site de l'Assemblée.

Revenons à la source. Sciences Po est propriétaire d'immeubles et de locaux d'une grande valeur dans un quartier chic parisien. Ces immeubles sont possédés et gérés par la FNSP. Dans ces locaux est installé depuis 1945 l'IEP, financé par l'Etat et par les frais de scolarité réclamés aux étudiants (mais on voit bien qu'il y a un financement invisible, constitué de l'usage des immeubles de la FNSP, dont l'invisibilité fausse le regard sur la réalité du financement des activités de l'IEP). La FNSP et l'IEP ont chacun un président, traditionnellement deux personnalités différentes. L'IEP est géré par un directeur, membre de droit du conseil d'admnistration de la FNSP. Les conseils d'administration des deux entités sont composés paritairement de représentants de l'Etat et du privé. L'IEP est présidé par le banquier retraité Michel Pébereau, la FNSP par l'économiste libéral Jean-Claude Casanova.

Le directeur de Sciences Po, Richard Descoings, est mort au printemps dernier dans des conditions spectaculaires, dont on sait aujourd'hui qu'elles sont résultées de trois mois de dégringolade personnelle due à la révélation publique des émoluements très élevés que Descoing s'était fait attribuer par Sciences Po. L'élection présidentielle est passée sur cet événement. En juin et pendant l'été, la Cour des Comptes a réalisé un audit de l'établissement, demandant à la FNSP de ne pas désigner un nouveau directeur avant la fin de cet audit.

Quatre candidats se sont exprimés pour succéder à Descoing, ce sont les deux conseils d'administration, celui de l'IEP et celui de la FNSP, qui devaient procéder non pas à la nomination, mais à la sélection d'un candidat proposé à la désignation, dont le dernier ressort appartient à la ministre de l'Enseignement Supérieur, en ce moment Mme Fioraso. Ayant eu connaissance du résultat des travaux de la cour des Comptes, Sciences Po a procédé au vote et c'est Hervé Crès, jusque-là adjoint de Descoing, qui a emporté la majorité simple au conseil de l'IEP et la majorité qualifiée (les deux tiers) à celui de la FNSP. Le rapport de la cour des Comptes, paru sur ces entrefaites, s'est révélé très dur contre la gestion de Descoings (et par contrecoup celle de MM. Pébereau et Casanova). Ceux-ci ont donc été convoqués par la commission compétente de l'Assemblée Nationale ce matin même, pendant qu'on apprenait que Mme Fioraso rejetait le nom de M. Crès et bloquait ainsi le processus de nomination du successeur de Descoings.

Pourquoi parler d'implosion idéologique ? Parce qu'il semble que l'on assiste à une tentative de nationalisation rampante de Sciences Po, alors même que le président de la République François Hollande se déploie par ailleurs pour exprimer sa volonté d'opter avec résolution pour une conception social-démocrate de la politique de l'Etat.

Sciences Po, une institution hybride

Comme l'a rappelé M. Casanova aujourd'hui, la création de l'IEP après la Seconde Guerre Mondiale est le fruit d'un contrat entre la FNSP et l'Etat. Le patrimoine de la FNSP n'appartient en aucun cas à l'Etat et s'il est vrai que le fonctionnement de l'IEP se fait majoritairement sur fonds publics, on doit tout de même noter que l'établissement échappe au droit commun de l'enseignement supérieur public et que si son directeur est nommé par l'Etat, aucun de ses présidents ne l'est. La fondation reste un acteur de droit privé. De ce point de vue, l'argument de M. Casanova pour écarter certaines procédures de marchés publics me paraît recevable. En tout cas, du moment qu'il est question de ce qui est discutable mais défendable, on ne peut pas parler d'irrégularité flagrante. C'est une question que la justice pourrait trancher. M. Casanova est de bonne foi.

La ministre entend nommer un administrateur provisoire après consultation de MM. Casanova et Pébereau et le quotidien Le Monde annonce et clame que "L'Etat reprend la main". Diable, l'Etat ne reprend pas la main, il la prend. Il s'empare. Il vole.

On nous dit qu'il doit y avoir plus de contrôle de l'Etat. Mais que l'Etat n'a-t-il exercé son contrôe pendant toutes les années de pouvoir de Descoings (nommé, il faut s'en souvenir, sous le gouvernement Juppé en 1996, et qui a donc exercé ses coupables activités pendant les cinq années du gouvernement Jospin sans que celui-ci s'en soit ému) ? Au contraire, à chaque fois que l'on a vu l'Etat s'immiscer, cela a abouti à des irrégularités supplémentaires, comme la mission confiée par Nicolas Sarkozy à Desoings et financée par un circuit inhabituel bien que sur fonds publics. Donc on ne voit pas en quoi le contrôle accru de l'Etat offrirait une meilleure garantie de gestion.

Si, bien sûr : maintenant que M. Jouyet est entré dans le conseil d'administration de la FNSP, une mainmise plus grande de l'Etat permettrait de le propulser à la tête de l'établissement, lui l'ami si proche du président Hollande. C'est simple. Mais alors, je veux bien qu'on tonde feu Descoings et M. Pébereau parce que c'est la libération et qu'ils ont couhé avec l'occupant, certes, faisons-le aussi pour M. Jouyet, pas de discrimination indue, tout le monde à la même toise. Quant à Jean-Claude Casanova, je lui ai moi-même parlé lors du meeting de François Bayrou en février dernier au Palais Omnisport de Paris-Bercy, et croyez-moi, il n'y avait pas beaucoup de sarkozystes dans la salle !

Allons, soyons sérieux, et puisque M. Hollande fait mine de social-démocrate, qu'il se prouve, qu'il laisse Sciences Po vivre sa vie indépendante.

Cela étant, l'évolution récente, très dynamique, de Sciences Po, ne peut manquer de poser la question de l'évolution de la formation des dirigeants de nos administrations et de la préparation de nos énarques. Il semble que, de facto, le dispositif de 1945 soit déjà mort.

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20/11/2012

La culture, seul rempart contre la barbarie

C'est avec gravité qu'il faut constater le résultat officiel du scrutin qui confirme Jean-François Copé à la tête de l'UMP, le parti de droite issu du chiraquisme, sorte d'enfant dévoyé qui s'égare dans l'errance.

La ligne incarnée par Jean-François Copé est celle que les électeurs français ont rejetée au printemps dernier en ne renouvelant pas leur confiance à Nicolas Sarkozy. Cette ligne politique est l'autre nom du déshonneur qui a frappé notre pays pendant cinq années. Ses moyens sont l'abrutissement des masses dans l'invective et dans la haine d'autrui et donc de soi.

La préparation de ce vote a donné lieu à des analyses contradictoires. D'un côté, l'on disait les adhérents de l'UMP chauffés à blanc par les années de sarkozysme et désireux de se jeter dans les bras de Mme Le Pen et surtout de sa nièce plus gironde, Mlle Maréchal, en criant "Maréchal, nous voilà", ce qui, pour un parti se réclamant de l'héritage du général de Gaulle, relevait du paradoxe le plus ignoble. Mme Jouanno a quitté l'UMP pour le nouveau parti de M. Borloo sur ce thème, affirmant que M. Fillon lui avait confié qu'il trouvait que les adhérents de l'UMP étaient très à droite, trop pour elle. De l'autre côté, on expliquait que les militants, comme les électeurs, aspiraient à une UMP pacifiée et recentrée, plus respectable que lors des frasques sarkozyennes. Finalement, on a pu mesurer à quel point M. Sarkozy avait été en porte-à-faux non seulement avec une partie notable de son électorat, mais même avec une partie considérable de ses propres militants, tout juste la moitié, comme le démontre le vote de dimanche. Or en politique, pour gagner, la première règle est de rassembler son propre camp.

M. Barbier, directeur de l'Express, pourra s'en défendre, mais la couverture de son magazine (qui a connu des sommets de vente), couverture qu'on ne peut qualifier que de putassière, a contribué à réveiller l'ardeur haineuse et islamophobe de l'électorat, cet hebdomadaire a donc, comme d'autres ces temps-ci, fait le jeu de M. Copé. L'Histoire s'en souviendra.

Car tout ceci ne serait que péripéties électorales si la victoire de M. Copé ne signifiait pas le retour de la stratégie xénophobe au sommet du parti de droite. La barbarie s'est retrouvé un flambeau et un porte-targe. Dans cette époque dangereuse, terrible, où tout paraît réuni pour l'explosion universelle imminente, le choix de la barbarie est le pire qui se puisse imaginer, celui qui menace le plus la notion même de civilisation qu'il prétend défendre. Oui, redoutons la barbarie. Ne lui cédons rien. Et notons, comme un mémento à usage du temps présent, que contre la barbarie, le seul rempart est la culture.

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14/11/2012

Que se passe-t-il à Sciences Po Paris ?

L'Institut d'Etudes politiques (IEP) de Paris est l'une des institutions d'enseignement les plus prestigieuses de France. Il alimente traditionnellement les rangs de la haute fonction publique. Sa création en 1872 sous le nom d'école libre des sciences politiques a sans doute été à l'origine de l'efficacité de l'administration française avant la guerre de 1914-18. Mais comme toute institution, elle a fini par s'enfoncer dans la sclérose avec les administrations dont elle alimentait les cadres.

Le cloisonnement des administrations en baronnies indépendantes les unes des autres a été considéré par la plupart des observateurs de l'époque comme l'une des causes profondes de l'échec de 1940. Creuset commun aux différents grands corps de l'Etat, Sciences Po devait prendre sa part de responsabilité de cet échec.

Parmi les conclusions tirées par ceux qui, dans la clandestinité, réfléchissaient à l'après-guerre, figurait la création d'une nouvelle grande école unique d'où sortiraient les chefs des différentes administrations, l'Ecole Nationale d'Administration (ENA), formant un corps transversal capable de décloisonner les actions de l'Etat. Sciences Po, bientôt rebaptisé IEP, conserva un rôle éminent dans le prcsessus en se taillant régulièrement la part du lion parmi les élèves de l'ENA.

Longtemps, l'ENA donna satisfaction et joua son rôle. Les premières générations d'anciens élèves, animées par l'esprit des pionniers, ont fortement contribué à la modernisation de leurs corps administratifs dans les années 1950 et 1960. Mais avec le temps, l'esprit s'est dissous et trois défauts sont apparus.

Le premier est que l'ENA se comporte comme un réseau de pouvoir parmi d'autres dans la société française, un réseau de grande école concurrent de celui de l'école Polytechnique, puis de HEC, l'école de commerce la plus prestigieuse de France. Les énarques n'occupent plus les fonctions de direction des administrations auxquelles ils sont destinés, ils dirigent des entreprises, ce pourquoi ils n'ont pas été formés, et qui nuit à la fois aux entreprises et à l'Etat qu'ils désertent.

Le deuxième est une reproduction des élites dénoncée voici plus de vingt ans déjà par Bourdieu dans "la Noblesse d'Etat" (profitez-en, vous ne me verrez pas souvent citer Bourdieu). Les fils d'énarques succèdent à leurs pères, quand ce n'est pas à leurs pères ET mères, voire à leurs grands-pères et grands-mères. La mobilité sociale devient insuffisante, ce qui doit indiquer une sclérose en cours d'installation.

Le troisième est l'incapacité de notre administration à adopter des schémas de pensée nouveaux dans un monde qui, lui, change.

On a donc mis en cause le recrutement de Sciences Po, ouvert cette école aux banlieues pour recréer des mécanismes d'ascenseur social, avec un résultat qui, jusqu'ici, n'a fait l'objet d'aucune publication. Puis on a jeté à bas la clef-de-voûte de son style : la culture générale, supposée geler la mobilité sociale et favoriser la reproduction des élites. On a ainsi voulu casser le thermomètre sans réfléchir au mal.

L'histoire a pris un tour dramatique avec la mort subite et spectaculaire du directeur de l'IEP, Richard Descoings, aux Etats-Unis, une mort apparemment naturelle, mais dont les circonstances étonnantes ne sont pas toutes expliquées.

Il a donc fallu procéder au remplacement de Descoings et, à l'issue d'un vote dont les conditions ne sont pas connues du grand public, la solution de continuité a prévalu en la personne d'Hervé Crès, qui, nous dit-on, était le candidat des deux hommes forts de Sciences Po : Georges Pébereau et Jean-Claude Casanova, ce dernier ayant succédé voici peu d'années au regretté René Rémond comme président de la Fondation Nationale des Sciences Politiques.

Le politologue Dominique Reynié, qui a fait campagne pour la présidence en s'appuyant sur le thème de la culture générale (thème qui m'est par ailleurs cher), a participé à une Assemblée du personnel, que certaines sources présentent comme représentative, et qui a rejeté à l'unanimité la désignation de M. Crès.

Cet événement est sans précédent dans la vénérable maison de la rue Saint-Guillaume, temple de la bonne éducation à la française. Elle s'appuie sur des conclusions que l'on dit issues d'un rapport émis par la cour des Comptes, qui accablerait la gestion de Descoings à la tête de l'établissement et mettrait en cause MM. Pébereau et Casanova dans des conditions assez vilaines qui cadrent très mal avec ce que l'on sait de l'un comme de l'autre.

Je dois dire qu'il y a peut-être un effet de génération, ou un coup de billard politique, dans cette affaire. Alain Lancelot, alors directeur de Sciences Po, soutint la candidature de Raymond Barre à la présidentielle 1988, comme MM. Pébereau et Casanova. M. Reynié, lui, est l'employé d'un établissement de réflexion politique dirigé par Nicolas Bazire, ancien proche de MM. Balladur et Sarkozy, dont le nom est cité régulièrement dans l'affaire Karachi.

D'où je suis, je ne me prononcerai pas sur le fond, n'ayant pas envie de consacrer un long moment à cette affaire, mais on ne peut que souhaiter que la lumière soit faite. Je ne doute pas que MM. Pébereau et Casanova seront blanchis, mais j'espère que la gestion de Sciences Po sera améliorée et son esprit en effet modernisé pour s'adapter au monde nouveau.

Modernisé ne signifie pas que l'on doive y supprimer la culture générale. Au contraire, elle doit être renforcée et approfondie, et sans doute modernisée dans sa méthode, pour éviter la sclérose des schémas trop connus. Il faut la refonder. Peut-être est-ce d'ailleurs ce qu'il faut faire aussi à Sciences Po même, une refondation.

La culture générale est le seul véhicule tous terrains de l'intelligence. Or un véhicule intellectuel ordinaire n'aurait pas imaginé les taxis de la Marne en 1914. Ce qu'il nous faut, c'est du tous terrains.

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11/11/2012

Notre patrie, la langue française

Ecrire le 11 novembre ne peut se faire sans rappeler que voici presque cent ans, la France défendit son territoire contre la puissance allemande alors triomphante. La France assuma pendant cette guerre le commandement en chef des opérations militaires. Elle mena en particulier la plupart des batailles décisives du conflit : celle de la Marne, sauvetage in extremis rendu possible parce qu'alors, la moitié des taxis circulant dans le monde servaient à Paris, la percée de Franchet d'Esperey dans les Balkans qui empêcha l'Allemagne de profiter du retrait de la Russie du conflit en ouvrant un nouveau deuxième front à l'Est, et quelques autres bien connues.

Ce commandement victorieux donna à la France des responsabilités internationales que l'échec de 1940 révéla excessives pour un pays qui sortit exsangue et dévasté de plus de quatre ans de guerre sur son sol. Le bilan humain, rien que pour la France, est effarant : un million et demi de morts, cinq millions de mutilés, huit cent cinquante mille veuves de guerre et des centaines de milliers d'orphelins pupilles de la Nation. C'est ce sacrifice horrible qui fait que je suis hostile à la banalisation du 11 novembre en célébration de tous les morts pour la France.

Dans son film "La vie et rien d'autre", Bertrand Tavernier fait dire au personnage incarné par Philippe Noiret, à propos de la tombe du Soldat Inconnu, que ce sera bien commode, ce tombeau d'un seul soldat, pour éviter de penser aux immenses champs de croix des cimetières de la Somme, de l'Aisne, de Verdun et d'ailleurs. Ce soldat que l'on honorera deviendra l'arbre qui cache la forêt, en saluer un seul permettra d'escamoter les effroyables statistiques. Il me semble qu'il en va de même aujourd'hui avec cette idée d'égréner les soldats tombés sur nos actuels terrains opérationnels.

Cela étant, nous ne pouvons nous refermer sur ce que représente la patrie française et, au moment où il est tant question du "produit en France" et du diagnostic de notre perte de compétitivité, je crois qu'il faut déplacer notre champ de vision, bouger le curseur. Notre vraie patrie, celle qui fait ce que nous sommes, celle qui a fait ce que nous avons accompli d'une manière collective, c'est la langue française. Elle est un principe cosmique, la pierre d'angle à partir de laquelle nous reconstruisons le monde. Oui, il faut que nous en soyons conscients : si nous perdons du terrain, si nous reculons, c'est parce que nous avons perdu l'exigence de bien construire nos phrases.

Une belle phrase, bien construite, une syntaxe épanouie, une orthographe subtile et minutieuse, c'est la promesse d'un monde déjà meilleur. Et si nous sentons que dans notre pays, on a perdu l'exigence du produit, l'ambition de la forme, la recherche du contenu, c'est d'abord parce que nous n'espérons plus dans la construction de la phrase. Si nous voulons redevenir collectivement utiles à l'humanité, et productifs de chemins économiques, philosophiques, éthiques, culturels, nouveaux, la solution n'est pas dans le coût du travail, non plus que dans les fariboles qui nous sont vendues à prix d'or par des médias déboussolés. Elle se limite à ce simple chemin de retrouver la juste phrase.

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07/11/2012

Les rapports Gallois et Jospin, la semaine de Bayrou ?

Incontestablement, le rapport Gallois a fait bouger les lignes de la politique française. J'invite à lire les deux articles bayrouistes qui permettent de prendre la mesure du séisme qui vient de frapper la tête de la France selon une faille profonde qui court de l'Elysée à Matignon, celui de Marie-Anne Kraft, plein de diagrammes et tableaux, et celui de L'Hérétique.

Le second insiste sur les points de convergence que l'on peut relever entre le rapport et le programme défendu par François Bayrou lors de la présidentielle 2012. Le premier plonge dans le détail chez Gallois. Je suis assez frappé par l'additif que Marie-Anne y a mis concernant la part du bénéfice des entreprises qui va aux actionnaires (le "coût du capital"). Il est évident que ce coût est plus rude pour les entreprises que celui du travail, la part distribuée aux propriétaires actionnaires est excessive et pèse sur la marge nette des entreprises, donc sur leurs investissements productifs. Mais ce que l'auteur oublie de dire, c'est que la dette de l'Etat, ou plutôt les dettes souveraines, sont responsables de ce surcoût du capital, car elles motivent une pression à la hausse de la rentabilisation des placements financiers.

C'est pourquoi il est probable que la baisse à court terme du coût du travail, la baisse des charges fiscales proportionnelle à la masse salariale distribuée aux salariés modestes, soit en fait contreproductive, car elle retarde le retour à l'équilibre des comptes publics, ce retour qui seul produira mécaniquement une baisse des frais financiers qui pèsent sur les entreprises qui distribuent des dividendes.

Cette baisse est d'autant plus contreproductive que comme elle va peser en partie sur les revenus des ménages, elle va nuire à la consommation, donc à l'activité marchande sinon à la production manufacturière.

Cela étant, le rabotage des taux de TVA à un système de trois étages (5-10-20) est une bonne chose, une simplification qui rendra la lisibilité des prix beaucoup plus grande pour le consommateur.

Voilà pour le rapport Gallois et les conclusions (d'ailleurs encourageantes mais insuffisantes) qu'en tire le gouvernement. Attendons maintenant le rapport Jospin sur la moralisation de la vie publique, autre morceau de bravoure de Bayrou. Si j'ai bien lu, il sort vendredi.

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04/11/2012

Le mariage restera-t-il une institution de la Société ?

On disait que Jules César était le plus populaire à Rome parce qu'il était à la fois "l'amant de tous les maris et le mari de toutes les femmes". C'est dire assez long sur les mœurs de la République romaine, soit dit en passant, mais surtout, cela permet de rappeler que pour tous ses socles essentiels, notre droit matrimonial date du droit romain, il en porte la marque profonde. Il a failli disparaître avec la fin de l'Empire, mais il est réapparu, à travers notamment la Renaissance carolingienne.

Il est à noter que Rome ne blâmait pas vraiment l'homosexualité (au moins masculine), qui y était aussi courante qu'en Grèce, mais qu'il ne serait venu à l'idée de personne, alors, de réclamer un mariage homosexuel, cette envie est plus récente, et même très récente.

Pour l'essentiel, c'est à l'Eglise catholique que l'on doit d'avoir mis fin aux pratiques coutumières franques et d'avoir réimposé les pratiques romaines au cours du Moyen Âge. Cette règle fut synonyme de progrès dans les âges du plus lointain Moyen Âge. Tard encore, on voit des peuples immigrés, comme les Nordiques installés en Normandie, pratiquer encore leur droit ancestra qui faisait que Guillaume le Conquérant n'était, de leur point de vue, pas aussi bâtard que du nôtre, cela au milieu du XIe siècle, donc assez tard.

Il est d'ailleurs à noter qu'en ces temps, et plus tard encore, le mariage est vécu dans beaucoup de cas comme une protection pour la femme. Ceux qui en doutent devont lire des comptes-rendus d'instances judiciaires parisiennes que l'on trouve dans les archives pour la fin du XIVe siècle, où l'on trouve qu'un soldat qui a troussé une fille contre le gré de celle-ci dans les fossés des murailles de la ville de Paris est condamné à ... l'épouser. De ce fait, il lui devra, selon l'expression du code Napoléon encore en vigueur, "fidélité, secours, assistance". Fidélité, je doute qu'elle l'ait réclamée, mais il lui devait pour le restant de so existence le gîte et le couvert, ce qui,à cette époque, n'était pas rien.

Ayant veillé au rétablissement du mariage romain, l'Eglise catholique en était gardienne. D'une certaine façon, elle en était même propriétaire. Cependant, une partie de la cérémonie pouvait lui échapper : le contrat de droit civil acquit son autonomie conformément au droit romain, il y avait la cérémonie de mariage qui réglait les questions de droit canonique et qui, elle seule, consacrait le mariage. Le mariage, avant toute chose, était donc un sacrement d'église, auquel pouvaient s'ajouter des conséquences juridiques de droit civil, notamment dans une deuxième cérémonie, la signature du contrat.

La "nationalisation" du mariage fut opérée au XVIe siècle, avec l'absorption de la cérémonie elle-même par le droit civil. C'est la dynamique des édits de Villers-Cotterêt qui, en prescrivant la façon dont les prêtres tiendraient les registres de baptêmes, mariages et sépultures, mit le sacrement au service de la chose publique. Le sacrement d'église était une institution de la Société civile, il devint une institution de l'Etat, et ce mouvement prit de l'ampleur sous la Révolution française.

A cette époque, le pouvoir politique veut ôter l'état-civil des mains de la hiérarchie religieuse. Il décide donc que les registres concerneront non plus les baptêmes, ni les sépultures, mais les naissances et les décès. Reste la question délicate du mariage, il est décidé que, dorénavant, le seul mariage ayant valeur légal sera celui que prononce l'officier d'état-civil, le maire ou son représentant. Le Code Napoléon, promulgué en 1804, consacre cette formule. A partir de cette date, il est interdit de se marier religieusement en France avant d'être passé devant M. le Maire et ce, quelle que soit la confession concernée. Ce principe d'antériorité n'a d'ailleurs jamais été remis en cause jusqu'ici, mais rie n'interdit d'imaginer que l'on puisse un jour déconnecter le contrat de droit civil du sacrement religieux.

Car finalement, le sacrement religieux n'a plus de raison de rester enchaîné au contrat de droit civil. Sur suoi repose-t-il ? A mon avis (il faudrait voir ce qu'en disent les spécialistes), sur les Dix Commandements recueillis par Moïse dans le Sinaï selon la Bible. En effet, là, il est écrit, si ma mémoire est bonne, "Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain". Dieu n'est pas redescendu sur le Sinaï depuis pous dire "Au fait, juste un petit codicille, veuillez lire désormais "Tu ne convoiteras plus le conjoint de ton prochain"" de façon à rendre le commandement unisexe.

C'est pourquoi on a tort de reprocher à de nombreux tenants des différentes confessions qui se réclament de l'héritage de Moïse de tiquer lorsque l'on parle d'union homosexuelle. Les Dix Commandements sont l'un des rares textes dont il est prétendu qu'il ait été rédigé par Dieu lui-même directement. Après tout, ils peuven être dans leur mission, ce qui ne leur donne pas forcément raison pour tout, mais devrait amener la Société laïque, la nôtre, à faire la part des choses. Ce n'est pas un sujet facile.

Maintenant, que tout le monde veuille avoir les mêmes droits devant le droit civil, c'est une évidence. Faut-il garder le même nom pour le contrat authentifié par l'Etat et pour le sacrement ? C'est une question qu'il n'est pas interdit de poser, même si l'on dot noter qu'une minorité des confessions du Livre accorde déjà le sacrement aux homos.

Enfin, j'ajoute une dernière observation personnelle, n'étant pas marié moi-même : je trouve que les jolies femmes sont toujours mal mariées, ce qui est un phénomène très inquiétant.

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01/11/2012

Le produit, tout le produit, rien que le produit

Je viens d'acheter des tripous chez un charcutier aveyronnais, il y en a quelques-uns dans Paris et leurs produits maison sont en général réjouissants. Ces tripous ne sont pas, eux, un produit maison mais portent une marque qui dérive du nom d'une localité de l'Aveyron, jusqu'ici tout va bien, je repars la salive partout et l'estomac dans les talons.

Mais dans le métro, ayant un instant à tuer, je lis l'étiquette. Elle commence bien : Panses de veau 60 %, menu de porc, jambon cru (conservateur : salpêtre), persil. Sauce : eau, vin blanc, carottes, tomates, sel, céleri, ail, oignon, couennes de porc, arômes, épices, plante aromatique et assaisonnement (soja, on se demande ce que le soja vient faire là, encore un sous-produit venu d'on ne sait où qui rend la recette suspecte à lui seul, blé, extrait de levure, colorants (on se demande ce qu'ils peuvent avoir à foutre de mettre du colorant dans un plat en boîte) : caramel naturel et E150c (càd du caramel ammoniacal, du caramel fabriqué avec imprégnation d'ammoniaque, on croit rêver, déjà l'autre, on se demande...), exhausteurs de goût (là, on tombe à la renverse : autant écrire sur la boîte que ce que l'on vient d'acheter est fade et que le seul goût vendu, outre le caramel d'ammoniaque, est celui de produits chimiques brevetés, on croit rêver, là encore) : E621 et E635 (je vous laisse lire les notice sur le site WebAdditifs, c'est écœurant), acidifiants : acide citrique et acide lactique, extrait de viande de bœuf).

Déjà, on savait que certains producteurs de couteaux de Laguiole font fabriquer leurs produits en Chine, voilà maintenant que, si l'on gratte un peu, on va déchanter assez vite sur la gastronomie aveyronnaise, pourtant un fleuron français qui alimente de nombreuses bonnes tables parisiennes (mais il est vrai que les frères Blanc ont des cuisines centrales et que certains au moins de leurs restaurants ont désormais la réputation de n'être plus que des terminaux de réchauffage).

Tout cela montre un abandon sur ce qui est le cœur de l'image de marque et de la compétitivité hors coût : le produit, sa sincérité, sa qualité, son exigence, avant même d'en venir à l'imagination qui peut éventuellement l'enrichir.

Qu'on ne s'y trompe pas : ce que je dis pour l'alimentation (et qui est souligné par le nombre de 2/3 des restaurants qui se fournissent chez des préparateurs industriels au lieu de le faire chez leurs commerçants du coin) est vrai pour toutes les gammes de production. J'ai été souvent frappé, en travaillant sur mes livres, de voir à quel point on vendait, en France, peu de chose pour un prix élevé, notamment dans les niches où les clients sont des passionnés. Il se trouve que cette politique a trouvé son terme et que le client achète de moins en moins ces produits anodins qu'on veut lui vendre à prix d'or.

Il a été récemment question de redressement de la production en France, de compétitivité, et je finis par croire que c'est un mauvais service à rendre aux patrons que de baisser les charges sur le travail si l'on n'exige pas d'eux en contrepartie un effort de créativité et de qualité sur le produit. Donnant-donnant. Nous avons tous les atouts pour réussir, la première condition est que nous ayons l'exigence minimale de vendre des produits exceptionnels. Comme disait Vigny : "Aimez ce que jamais on ne verra deux fois".

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