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28/11/2015

Parution de mon nouveau livre sur Combrit (29)

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Combrit, autrement connu sous le nom de Combrit-Sainte-Marine, est une localité du Finistère, en Bretagne, située entre Bénodet et Pont-l'Abbé, mi terrienne, mi-maritime. J'ai publié sur elle une première étude, "Combrit Sainte-Marine, L'Île-Tudy et Lambour au Moyen Âge" en 2013 et j'y reviens pour traiter de la Renaissance dans un livre intitulé "Combrit Sainte-Marine, L'Île-Tudy et Lambour de 1500 à 1600".

C'est l'occasion d'une étude économique détaillée qui manquait à l'ouvrage sur le temps médiéval. La double vocation agricole et maritime est très perceptible en compilant la masse de près de 150 documents originaux inédits publiés pour la première fois en annexe de ce livre. Au nord, les exploitations sont vastes et prospères ; au sud, près de la mer, elles sont exiguës et insuffisantes, il faut, en 1510 comme en 1580, le salaire d'un marin pour boucler le budget familial. Marin pêcheur parfois, marin de commerce entre 1480 et 1520 surtout, où l'on voit des marins de Combrit en Espagne, et à Saint-Jean-de-Luz, Bayonne, Bordeaux, La Rochelle, Royan, et plus au nord à Dieppe, à Anvers et jusqu'en Zélande. Ils naviguent en quelque sorte incognito, battant pavillon de Benodet ou de Loctudy, mais ce sont bien des Combritois, preuve à l'appui.

Il est aussi question de poule-au-pot. À la fin de ce XVIe siècle, Henri IV préconisera la poule au pot pour chaque foyer et chaque dimanche, mais avant cette promesse, les documents enseignent que les Combritois, en moyenne, n'avaient guère plus de deux poules ou poulets à croquer par mois, ce qui permet de mesurer la lucidité et l'efficacité de la communication du roi, qui avait vu comment frapper les esprits.

Enfin, on ne peut quitter ce terrible XVIe siècle sans mentionner les Guerres de Religion, qui ont cvoûté très cher à Combrit et qui ont amorcé son déclin, alors que cette ancienne paroisse comptait au Moyen Âge et au XVIe siècle encore. La décennie terrible dite Guerres de la Ligue, de 1589 à 1598, voit deux sièges du château voisin de Pont-l'Abbé en 1590 et 1595, une mise à sac complète de la paroisse et de ses ports en 1596, une épidémie en 1594, ce qui se traduit très clairement dans la démographie : le faubourg de Lambour, aujourd'hui rattaché à Pont-l'Abbé, mais alors inclus dans Combrit, compte environ 2000 habitants vers 1580, et moins de 1000 vers 1600. Une véritable saignée, dont il ne se relèvera pas, puisque sa population diminuera encore presque de moitié entre 1600 et 1790.

Dans toutes les bonnes librairies de Pont-l'Abbé à Quimper, et sur internet. Bonne lecture.

 

26/11/2015

Le roi Gradlon, victime inattendue d'un changement climatique ?

Au moment où va s'ouvrir la COP21, il faut rendre hommage à Emmanuel Leroy-Ladurie, dont l'ouvrage fondamental paru en 1967 fait le pionnier de la réflexion sur le rôle du climat dans l'Histoire. C'est le même Leroy-Ladurie qui a, le premier, émis l'hypothèse qu'une cause indirecte mais décisive de la Révolution de 1789 ait été l'éruption d'un volcan islandais en 1783. Nous sommes à la veille et dans les prémices d'un changement beaucoup plus ample, beaucoup plus durable, et dont les conséquences sont parfois si imprévisibles qu'elles en deviennent redoutables pour les prochaines générations et les suivantes. Un tel changement peut se retrouver dans l'Histoire passée, et pourrait avoir causé une anecdote qui a engendré l'un des plus grands mythes bretons, celui du roi Gradlon.

L'histoire de Gradlon est connue : il habitait la ville d'Ys, dans la péninsule bretonne. Chaque soir, il fallait fermer à double tour les lourdes portes de la ville pour empêcher la mer montante de submerger la cité. Gradlon conservait la grosse clef fatidique par devers lui. Hélas, sa fille se laissa séduire par un démon, qui voulut l'enlever de la ville et l'entraîner sur son blanc palefroi qui glissait sur les vagues au grand galop. Arriva donc ce qui arriva : la fille de Gradlon subtilisa la clef de son père et, pour rejoindre son fatal amant, elle ouvrit en grand les portes de la ville, qui se trouva aussitôt noyée, et tous ses habitants avec elle, cependant que les amants maléfiques s'enfuyaient en galopant sur l'écume des flots.

Selon la tradition, cette funeste tragédie se déroulait au petit large d'une baie qui en a conservé la mémoire dans son nom : la Baie des Trépassés. On dit que l'on trouve trace de la ville engloutie sous l'eau de la mer, bien qu'aucune étude archéologique sérieuse n'ait été conduite sur ce site pour en élucider la nature et le contenu.

Or il se trouve que les études sur le climat et sur le rivage ont démontré que, de la fin du IIIe siècle à celle du VIIIe siècle, sur nos rivages cornouaillais, la mer se retira à un très bas niveau, découpant une ligne de côte certainement différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. L'ancien archéologue de Quimper, Jean-Paul Le Bihan, note par exemple que le jusant ne soulevait plus l'Odet, la rivière de Quimper, jusqu'aux pieds de l'évêché, comme aujourd'hui, mais plusieurs centaines de mètres en aval seulement.

De ce fait, comme le sol de la Baie des Trépassés est très plan, ce retrait de l'océan dut libérer une immense bande côtière à partir des environs de l'an 300. Deux siècles plus tard, rien n'interdit de penser que l'on ait même oublié cette différence de ligne de rivage, et que l'on ait installé une ville au milieu de ce qui paraissait être une plaine sablonneuse de bord de mer. Puis l'eau commença à monter et, vers l'an 800, le rivage pouvait avoir retrouvé son niveau de l'an 200, noyant au passage les installations trop basses.

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Cette chronologie coïncide avec la liste des anciens comtes de Cornouaille qui nous est parvenue via des sources postérieures à l'an mil. Le roi Gradlon, qui y mourut, pourrait donc avoir bel et bien vécu dans le VIIIe siècle et avoir subi avec son peuple la fragilité des digues qu'il avait cru pouvoir opposer à la montée inexorable des océans due à un changement climatique profond. Au-delà du mythe, sa mésaventure nous permet de toucher du doigt ce qui attend demain nombre de villes côtières si les efforts consentis aujourd'hui lors de la COP21 ne sont pas suffisants. Comme toujours, le mythe révèle ce qu'il cache le mieux : la vérité.

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25/11/2015

Assad, Erdogan : jumeaux sanguinaires, frères de sang

L'entrée du monde en guerre contre Daech, réclamée à l'unanimité par l'ONU, s'est compliquée aujourd'hui de la perte d'un avion Sukoi par les Russes, perte revendiquée par les Turkmènes, mais que le président russe Poutine attribue à un missile air-air, qui serait donc, selon lui, émané d'un avion de l'armée turque. Le président américain Obama a souligné que les forces russes présentes sur le terrain syrien gagneraient à se concentrer sur Daech plutôt que de bombarder les autres opposants d'Assad. Or en oubliant d'inviter les Turcs à une pareille concentration, alors que les forces turques bombardent régulièrement les Kurdes, autres adversaires d'Assad, en Syrie même, le président des USA a cédé à une regrettable dissymétrie, il a proféré une injustice, et il faut donc expliquer en quoi, malgré les apparences, Assad et Erdogan (le président turc qui en profite pour présidentialiser son régime) sont désormais frères jumeaux dans l'atrocité.

À ma droite, les exactions de Bachar El Assad sont connues. Le crime contre l'humanité est héréditaire dans sa famille, et je passe sur le refuge qu'aurait trouvé l'un des médecins fous des camps de la mort nazis auprès du régime syrien pour me concentrer sur ce que l'on peut reprocher à Bachar lui-même, les exactions de ses agents, les assassinats politiques, en Syrie et au Liban, peut-être l'usage d'armes chimiques contre sa population, bref, n'en jetez plus.

À ma gauche, les exactions imputables à Erdogan commencent à se faire jour à mesure que l'on découvre le soutien actif accordé par son régime à Daech. Pour la majorité, le pétrole de Daech file en effet vers le nord, c'est-à-dire vers la Turquie. On nous dit que celle-ci est excusable de ne pas pouvoir contrôler 900 km de sa frontière, mais une colonne de 1000 camions-citernes, je crois que cela se voit de loin, et l'on a le temps de prendre ses dispositions pour l'intercepter. Donc la Turquie empoche. Et plus précisément, dit-on, la famille Erdogan, ce que semble confirmer la nomination récente du propre gendre du président turc comme ministre de l'énergie. De ce fait, Erdogan devient automatiquement complice de tous les crimes de Daech. Extorsions, esclavage en masse qui est chez nous un crime contre l'humanité, et assassinats en masse à tendance génocidaire, avec usage d'armes chimiques. La panoplie complète.

On pourrait faire remarquer que comme Erdogan dirige un pays membre du Conseil de l'Europe et de l'OTAN, nous disposons d'armes contre lui. Or non, comme l'a montré le président Obama aujourd'hui, non contredit par le président Hollande, nous préférons nous acharner sur le président Poutine, toujours objet de sanctions alors même qu'on ne peut lui reprocher le dixième des crimes commis par Erdogan contre qui nous ne faisons rien. S'étale ainsi notre choix délibéré pour le principe léonin, que l'on nomme la loi du plus fort, le plus fort étant l'Amérique.

Or ce choix déséquilibré affaiblit notre argumentation lorsque nous négocions avec l'Iran et avec la Russie sur l'avenir d'Assad. En effet, si nous, démocraties, ne sommes pas capables de tout céder au principe de justice, et si nous lui préférons le caprice du plus fort, en quoi la position de caprice de l'Iran réclamant le maintien d'Assad à son poste serait-elle moins légitime que la nôtre ? En rien. Un principe ne se divise pas.

C'est d'ailleurs l'occasion de corriger un lieu commun sur une célèbre citation du professeur de tous les diplomates : Talleyrand. Il disait "Appuyez-vous sur les principes : ils finiront bien par céder". Nous avons l'habitude de préférer la commode et spirituelle interprétation de cette phrase : à force d'appuyer sur un principe, il finit par céder, et la puissance de la réalité triomphe. Et la fine phrase de Talleyrand attache un sourire réjoui sur nos lèvres. Or il existe une interprétation entièrement symétrique de la phrase du maître : appuyez-vous sur les principes, "ils" (vos interlocuteurs) finiront bien par céder. Ce qui me conduit à pencher pour la seconde interprétation est que lorsqu'il fut question de trouver un chef à la France, je crois que c'était en 1814, Talleyrand, pour résumer tous les atouts qui s'attachaient à Louis XVIII, indiquait : "C'est un principe", avec la force évidente des principes.

Hélas, les démocraties s'avilissent à ne pas défendre leurs propres principes, si bien qu'il est facile de les contredire et d'y déroger, ce qui permet à des Assad et à des Erdogan de prospérer, frères de sang, indissociables dans le forfait sanguinaire.

Et l'on comprend bien que la seule chose qui intéresse les gouvernants occidentaux déshonorés, c'est la part qu'ils prendront dans le pétrole, le gaz et le phosphate syriens, après Daech. Ils sont assis à une table de poker. Ils ne rejettent Assad que pour forcer celui-ci à troquer son maintien contre l'abandon de sa souveraineté énergétique, et ils ne critiquent les soutiens d'Assad que pour les forcer à préférer ce soutien à une part du gâteau. Plus l'Iran se cambrera pour maintenir Assad, plus la part iranienne du gâteau énergétique syrien sera petite. La Russie l'a d'ailleurs parfaitement compris : en abandonnant Assad aux Iraniens, Poutine peut se concentrer à la fois sur sa base navale et sur une part de gâteau consistante. Et si l'Iran et la Russie cèdent, alors c'est le double jackpot pour les Occidentaux, pour la léonine Amérique, car un régime faible abandonnera encore plus qu'un régime Assad aux compagnies occidentales. Pile je gagne, face tu perds.

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Tout ceci ne serait que la basse besogne ordinaire s'il n'y avait pas, encore une fois, des millions de déplacés, des vies à jamais brisées, et, plus encore, des femmes réduites en esclavage, des enfants massacrés, des hommes égorgés, décapités, brûlés vifs, gazés, mitraillés, et partout, obsédante, l'odeur du charnier.

Un jour, à ces dirigeants de tous ces peuples, américain, russe, syrien, turc, français, anglais, allemand, et à tous les autres, le tribunal de l'Histoire demandera des comptes. Et la note sera salée. Au moment où je l'écris, la douleur est encore plus forte que le mépris qu'ils m'inspirent.

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22/11/2015

Syrie, Daech : bisbilles entre services spéciaux

Les attentats de Paris sont-ils en partie dus à la bisbille de nos services spéciaux ? L'impression de dépassement que donnent ces services depuis le soir du 13 novembre, ainsi que le retour en scène de Bernard Squarcini, peuvent donner à le penser.

Ne parlons pas ici du 2e bureau, l'espionnage d'avant 1940. La France a depuis longtemps deux branches de ses services spéciaux : première le contre-espionnage, confié à la DST, puis à la DCRI fusionnée (idée funeste) avec les Renseignements Généraux, et enfin à la DGSI, et seconde le renseignement extérieur, longtemps confié au SDECE, et depuis à la DGSE. La DST-DGSI est supposée se cantonner au territoire national, tandis que le SDECE-DGSE doit se consacrer à ce qui se déroule à l'étranger. En réalité, les deux services ont une culture de conflit, ce conflit peut même prendre la forme d'un soutien plus ou moins appuyé à un candidat à la présidentielle lorsque le service rival en soutient un autre.

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Créée par Sarkozy, et dirigée par Bernard Squarcini, la DCRI passait pour l'enfant chéri de l'ancien président. Tout naturellement, la DGSE passa pour avoir des penchants pour les rivaux de celui-ci. Lorsque François Fillon, en quittant Matignon, prit par exemple soin de doubler les crédits de la DGSE, il parut à certains observateurs que cela ne caractérisait pas un soutien massif au candidat Sarkozy de 2012.

Passons sur d'autres détails que je connais beaucoup moins bien que je ne le laisse entendre. Ce qui est patent est que, dans l'affaire syrienne, les deux services se sont constamment opposés depuis au moins sept ans. Et lorsque la DCRI prônait le rapprochement avec Bachar el Assad, la DGSE, elle, soulignait les défauts du régime syrien. Disons tout de suite qu'à cette période précise, l'analyse de la DGSE était la bonne. Malheureusement, une réalité et une collusion ont fait basculer les événements.

C'est qu'Assad a su s'abriter sous l'aile russe, aile russe qui recouvrait aussi Sarkozy et sa DCRI. Nous connaissons ce schéma depuis l'opération de Suez en 1956 : l'intervention russe change la donne du tout au tout et dicte le résultat final, cela s'est vu en Égypte en 1956 et en Algérie en 1960. Cela se voyait en Syrie dès 2013. Dès lors, les candidats syriens soutenus par la DGSE voyaient leur valeur marchande décroître avec rapidité. Hélas, notre préférence pour les choix opérés par la DGSE se heurtait ainsi à un double principe de réalité : d'une part l'intervention russe, de l'autre le risque que les opposants "modérés" d'Assad ne servent de marchepied aux islamistes financés par l'Arabie Séoudite. Tout cela a fait capoter l'édifice syrien et la France se retrouve en rase campagne avec des opposants dont la DGSE ne sait plus trop que faire.

Il n'échappe à personne que, dans la mesure où la DGSI soutenait Assad cependant que la DGSE soutenait ses opposants, nos services étaient engagés dans des opérations militaires l'un contre l'autre, ce qui n'est sans doute pas de bonne politique, sauf duplicité sulfureuse.

Et c'est dans un contexte de tensions extrêmes entre les deux services, et sur fond de négociation sur l'avenir d'Assad, que sont intervenus les attentats de Paris. De là à supposer que la guerre entre les services a pu jouer un rôle et ouvrir des failles dans notre bouclier extérieur, il y a un pas que seuls les vrais spécialistes, dont je ne suis pas, peuvent décider ou non de franchir.

Mais tout de même, c'est bien troublant. Et le rôle des services secrets marocains aussi. Depuis l'affaire Ben Barka, nous avons quelques raisons de croire qu'il peut y avoir, dans nos services secrets, des agents doubles, liés par exemple au Maroc, voire au Mossad, sans parler, bien entendu, de plus grandes puissances.

Cette guerre des services français entre eux, qui a un arrière-plan politique évident, est une menace pour notre pays et il n'y a pas eu une menace aussi forte depuis 1981 qui mit fin à une guerre en partie comparable. C'est une occasion de déplorer encore une fois le manque de civisme de nos dirigeants et de leurs opposants, qui n'hésitent pas à mettre le pays en péril pour satisfaire leur ambition à tout prix. Leur crédibilité en souffrira le jour venu.

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21/11/2015

L'état de droit, notre clef-de-voûte

Voici une semaine, la France se réveillait sonnée par le coup de tonnerre des attentats de Paris, l'assassinat collectif le plus sanglant depuis celui commis par des policiers au métro Charonne à la fin de la Guerre d'Algérie, voici plus de cinquante ans. Nous disions tous, samedi dernier : "c'est notre mode de vie qui est attaqué, n'en cédons rien". Le lendemain, le président de la République annonçait s'apprêter à céder tout, un peu par l'état d'urgence, beaucoup par une réforme constitutionnelle destinée à rendre juridiquement inattaquable ce qui est juridiquement inacceptable. De ce fait, il a donné satisfaction à nos adversaires, qui sont, il est vrai, soutenus par l'un de nos principaux clients. Pris en otages, nous nous sentons sombrer. Il faut donc réagir.

Contrairement à ce qui a été dit et répété, notre mode de vie ne se résume pas à la consommation de bière et de champagne. Sardou le chantait déjà il y a plus de quarante ans : "Y'en a qui pensent que le champagne sort des gargouilles de Notre-Dame". Seulement voilà, j'habite en France. Notre mode de vie, certes, est marqué par une futilité très française et, en particulier, très parisienne. Il y a, en France, une culture de la superficialité qui est très antérieure à la vogue de crétinisation qui sévit avec vigueur depuis dix ou vingt ans. Mais c'est aussi la France qui a engendré le plus socialement profond et le plus vigoureux de tous les poètes : Victor Hugo, qui est un peu le père spirituel de la République Française, l'un des hommes les moins superficiels que l'espèce humaine ait engendrés.

Et, surtout, c'est en France que s'est construite la théorisation de l'état de droit. Cela se fit lentement. D'abord, Fulbert de Chartres (encore lui) fit de l'être humain féodal un ensemble de liens juridiques qui faisait de l'abus de droit une infraction à l'ordre cosmique et divin. L'humain n'était pas seulement un sujet de droit, il incarnait plus : une âme encoconnée dans une pelote de droits certes contraignants mais aussi, comme tous les droits, protecteurs. Je passe sur les détails pour expliquer comme la Raison scientifique, notre fil conducteur national depuis mille ans, a fait de cette pelote de droits le moteur de notre émancipation collective, à l'inverse de ce qui s'est passé en Angleterre où l'émancipation s'est construite, selon le schéma décrit par Hugo : l'oligarchie, puis la démocratie. Nous sommes passés par une très courte période d'oligarchie politique pour atterrir un peu vite sur une démocratie imparfaite tempérée par un état de droit incomplet.

Hugo a résumé ce qui semblait être le chemin britannique vers la démocratie en y ajoutant (idée française) le savoir, donc la raison, comme moteur : "Là où la connaissance n’est que chez un homme, la monarchie s’impose. Là où elle est dans un groupe d’hommes, elle doit faire place à l’aristocratie. Et quand tous ont accès aux lumières du savoir, alors le temps est venu de la démocratie". C'est pourquoi l'école devait être gratuite et universelle pour asseoir la démocratie. Marquée par sa culture oligarchique plus développée que la nôtre, la démocratie anglaise n'a pas opté autant que nous pour l'école publique et ses universités sont restées élitistes, ce qui fait qu'elles sont mieux reconnues dans une société inégalitaire.

L'autre Français qui a théorisé le modèle britannique, c'est Montesquieu : "pour que l'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que le pouvoir arrête le pouvoir". Cela se nomme la séparation des pouvoirs. Il y a, classiquement, trois pouvoirs : le pouvoir exécutif (président de la République, gouvernement, administrations de l'État), le pouvoir législatif (Assemblée Nationale, Sénat) et le pouvoir judiciaire (Tribunaux, cours d'appel, Cour de Cassation). Par malheur, la Révolution a rejeté la faculté pour le judiciaire de contrôler l'exécutif. Chacun sait à quel point les instructions judiciaires peuvent être instrumentalisées à des fins politiques malgré cela, mais la Révolution a instauré l'immunité judiciaire pour les parlementaires et un principe qui nuit beaucoup désormais à notre République, celui de la séparation des autorités administratives et judiciaires. Au nom de cette séparation, l'administration s'est dotée de sa propre justice, qui n'est rien d'autre qu'une justice d'exception, mais dont l'ambition est de plus en plus d'évincer la vraie justice, celle de l'ordre judiciaire. C'est l'un des principaux appétits qui fragilisent notre état de droit au moment où il devrait, au contraire, se renforcer.

Pourtant, nous avons réussi à façonner un vrai état de droit. Sa clef-de-voûte se situe dans son acte de naissance : la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen d'août 1789. Ensuite, peu à peu, pierre par pierre, l'édifice juridique s'est construit. Il a atteint un premier degré d'efficacité en 1971, lorsque le Conseil Constitutionnel a refusé d'entériner des mesures prises contre (déjà) le terrorisme. En 1974, le président par intérim proposa la ratification de la Convention Européenne des Droits de l'Homme au parlement, qui l'adopta, à une réserve près : la peine de mort fut maintenue. Elle ne disparut qu'en 1981, à l'initiative du Garde des Sceaux le plus important que la République ait eu : Robert Badinter.

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Décision après décision, depuis 1971, le Conseil Constitutionnel se bâtissait une jurisprudence et donnait corps à la pyramide juridique de hiérarchie des normes voulue par le constituant de 1958 : au sommet les principes de la Déclaration de 1789, puis le préambule de la constitution de 1946, puis la constitution elle-même, puis les conventions internationales, puis les lois ou certains décrets (pouvoir réglementaire autonome), puis le reste des décisions de l'administration. Enfin, il n'y a pas beaucoup d'années, tout cet édifice d'état de droit a été complété par l'instauration des Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC), qui permettent à n'importe quel justiciable de déférer une loi au Conseil Constitutionnel, ce qui a l'avantage de permettre d'examiner la conformité à la constitution de lois qui lui sont antérieures.

Tout cet édifice puissant et sophistiqué fonctionne bien. Trop bien, sans doute, puisque l'exécutif, par un mélange d'inspirations qui sont toutes mauvaises, envisage de l'écorner d'un cran de déshonneur et d'ignominie. Première inspiration : les énarques veulent contrôler la justice, qui leur échappe pour le moment, et ils ne cessent de rogner les ailes du judiciaire en transférant ses compétences à l'administratif. Or c'est le principe même de la séparation des pouvoirs qui est en cause : la plupart des politiques sortent de l'ENA, ils ont déjà tout contrôle sur les administrations de l'État et sur les grandes entreprises qui, toutes, dépendent de décisions gouvernementales, et où ils sont souvent aux manettes, et leur solidarité de grand corps transversal de l'État se montre sans faille. On voit que leur ambition, assise sur la propension des partis politiques à assujettir l'État à leurs caprices, est la plus totale confusion des pouvoirs, qui nous ferait reculer de deux siècles et aboutirait à une paradoxale période oligarchique.

Deuxième inspiration : le délire des néoconservateurs. Ceux qui ont fait Guantanamo, Abou Ghrahib, et tant d'exploits marqués par une si profonde justice que le monde entier acclame les États-Unis. La France est désormais la proie des Néocons. Sarkozy les a invités chez nous, Valls les y maintient et les y épanouit. Hollande, comme toujours, soit par incompréhension, soit par faiblesse, soit par penchant, laisse faire.

Notre état de droit est donc menacé dans sa clef-de-voûte : le contrôle de constitutionnalité. On a même l'impression que la réforme de la Constitution est brandie comme une menace sur le Conseil Constitutionnel pour qu'il file doux. Cette menace n'a pas d'autre nom que la forfaiture.

Allons, il faut réagir. Il faut dire, et répéter, et rerépéter, que tout l'arsenal nécessaire est dans les lois (déjà parfois abusives) existantes, et que si les juges ne vont pas assez vite, c'est parce que nous n'en avons pas assez. Augmentons le nombre des juges antiterroristes, doublons-le, augmentons aussi les effectifs policiers qui leur sont adjoints, et toute l'efficacité nécessaire sera mobilisée.

On nous fait marcher vers un Guantanamo à la Française. "PAS EN MON NOM".

17/11/2015

Daech : dissimulation du vrai débat

Après les attentats de vendredi soir et l'extraordinaire envol de compliments fleuris adressé de partout à la France et à son mode de vie, à la carte postale pourtant élimée dont raffolent les Anglo-Saxons, est venu le temps de l'action. Action militaire sur le terrain, modeste, et grand effet de théâtre dans le décor monarchique de Versailles, à deux pas de la Salle du Jeu de Paumes où le parlement français est né un beau jour de 1789 par la voix tonitruante de Mirabeau défiant "la pointe des baïonnettes" au nom de "la volonté du peuple". Du peuple auquel, hélas, on a menti aujourd'hui.

Dans un long premier temps, j'ai été tenté de m'indigner contre la folle idée développée longuement par Badinguet, pardon, par le président de la République, d'inscrire dans la constitution la gifle infligée à ce qui fut le premier résultat du premier parlement élu de France : la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen d'août 1789, qui organise que l'on ne peut être détenu sans motif légal. Cette DDH encombre nos énarques qui ne détestent qu'une corporation au monde : celle des juges, dont ils s'emploient à rogner sans cesse les prérogatives. Et donc ils s'appuient sur l'animosité spontanée des policiers contre les juges pour faire réclamer par les premiers que l'on bâillonne les seconds, ce qu'eux, énarques, s'empressent de faire, cédant à une prière émanée de ce qu'ils nomment la base, alors même que l'excellent travail complémentaire des juges et des policiers offre toutes les garanties utiles. J'étais tenté, donc, de m'indigner de cette infamie juridique.

Je m'énervais déjà, a fortiori, sur la déchéance de nationalité française pour les binationaux coupables de terrorisme. Notez bien que la plupart de nos récents terroristes sont morts sur le fait de leur forfait, et que cette mesure annoncée à grands coups de clairon, pourrait concerner deux ou trois personnes à chaque fois, et encore, alors qu'elle stigmatise des centaines de milliers de Français innocents, nés en France, parfois de parents eux-mêmes français, élevés en France, ne parlant que le Français, ayant des enfants français, dont elle fait, par son principe même, des sous-nationaux, des Français en sursis, en marge, des semi-métèques, des bougnoules qui feraient mieux de rembarquer pour leur autre pays. Oui, on croit rêver : les jeunes issus de l'immigration qui ont le cœur pour Daech l'ont souvent parce qu'ils ont l'impression de ne pas être des citoyens à part entière, qu'il n'y en a (idée fausse) que pour les "Gaulois" et pour les "juifs" alors qu'eux, "musulmans", ne sont bons qu'aux gémonies de la République, ils crèvent de cette pensée amère, et l'on ne trouve rien de plus intelligent à répondre à leur angoisse, à ces enfants de France, dont parfois les grands-pères (harkis par exemple) ne sont pas devenus français, selon l'expression de 1918, "par le sang reçu", mais "par le sang versé", ou dont les aïeux servaient sous les bombes au Mont-Cassin pendant que d'autres, bons Français naturellement, s'enrichissaient en vendant aux Boches au Marché Noir, à ces enfants-là qui, à tort à mon avis, se sentent rejetés par la Société française, de leur répondre "Finalement, vous avez raison, vous n'êtes pas de vrais Français, vous en vouliez la preuve, le principe de la déchéance de la nationalité vous la donne". Le comble de l'ignominie atteint sous les ors de Versailles en invoquant les Mânes, non pas de Victor Hugo, ils n'auraient pas osé, la honte de leur forfait les en a retenus, non, les Mânes de Clemenceau qui n'a pas trié les pioupious de 1917 par couleur de peau et qui disait, lui, en 1918 "Les soldats de la France, pendant des siècles soldats de Dieu, sont devenus les soldats de l'humanité". Pauvre vieux Georges qu'on enterre sous le sang de compliments trompeurs.

Toute cette bile m'avait déjà fortement abîmé le tempérament, et je m'énervais, et je rageais sur mon clavier, quand m'est venue sous les yeux la carte du conflit en Syrie. Quand je dis "carte du conflit", je devrais plutôt dire "carte du marché". Car que voit-on, juste au milieu de l'aire géographique contrôlée par Daech ? Les champs de pétrole. Autour des champs de pétrole, les raffineries mobiles que nos avions devraient bombarder sans relâche et qu'ils n'ont jamais même effleurées d'une minuscule bombinette. Et autour des raffineries ? Le marché au pétrole. Et là, tout est devenu clair.

Personne, en fait, c'était très bien dit dans un article en français du New-York Times d'aujourd'hui, personne, ni dans la région, ni ailleurs, ne souhaite vraiment l'élimination de Daech : Daech arrange Assad, les Russes, les chiites irakiens et iraniens, les pétromonarchies, le pouvoir israélien pour qui le seul bon Arabe est un Arabe mort, même les Kurdes, et les Turcs qui détestent et redoutent les Kurdes, et même Washington qui balance ses bombes au jugé en feignant d'attendre la décantation politique, oui, tout le monde. Donc Daech vit peinard sur son tas de pétrole.

Le blanchiment de l'argent de Daech se fait à Londres

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Peinard, oui, sauf que des milliers de Syriens et d'Irakiens sont morts, que 11 millions de Syriens sont poussés hors de chez eux, que des hommes, des femmes, des enfants, meurent chaque jour en traversant la Méditerranée, et que, maintenant, à Paris, un cortège de cadavres se mue en un cortège de fantômes.

Car Daech a payé les armes qui ont tué nos amis, nos voisins, avec l'argent du pétrole. Or qui achète le pétrole de Daech ? Il y a, d'abord, de petits mafieux, principalement turcs (il doit bien y avoir quelques libanais aussi, il y a toujours des Libanais sur tous les marchés). Et à qui ces petits mafieux et ces marchands locaux vendent-ils le pétrole ? Qui "blanchit" le pactole de Daech ? C'est le marché, ce sont les traders qui sont basés... où, déjà ? à Londres, là, de l'autre côté de la Manche.

Et donc, s'il faut résumer en vérité la situation en Syrie, elle est toute différente de ce que l'on nous assène à longueurs de journée : c'est le pillage du pétrole syrien par de petits mafieux, principalement turcs, pour le compte de traders britanniques et des grandes compagnies pétrolières mondiales. Cherchez l'argent.

Nos morts du Bataclan et du Carillon, nous croyons qu'ils sont morts par la faute du fanatisme irako-syrien, du wahhabisme, du salafisme, mais non, rien de tout cela, ou si peu : en réalité, ils sont morts par la cupidité de traders basés à Londres et pour les actionnaires de BP, d'Exxon et de Total, donc entre autres pour enrichir l'État français qui, cependant, n'a pas assez d'argent pour bombarder Daech à bon escient. Rhhoooo quel dommage. Ça fait des morts en France.

Alors, toute cette pantomime, tout ce Congrès convoqué à la va-vite, tout ce décorum, tous ces grands maux, tous ces grands pleurs, toute cette guimauve et toute cette haine de gamins de banlieue qui sont loin d'être tous innocents, très loin, mais dont la grande majorité ne mérite aucune opprobre de cette sorte, tout cela, c'était juste pour que, sur le coup de la colère, pendant que l'événement tragique lui braque les yeux sur Daech, le peuple ne se pose pas les bonnes questions. L'union nationale, ce n'était même pas "interdit de critiquer" mais "interdit de se poser les bonnes questions". Les bonnes questions dont la première est, toujours et invariablement : à qui profite le crime ? À qui profite le crime de Paris ? Le glas de Notre-Dame a sonné 129 fois et, comme disait Hemingway, "ne te demande pas pour qui sonne le glas : il sonne toujours pour toi".

Voilà la vérité : personne ne terminera cette guerre en Syrie tant qu'il y restera un centilitre de pétrole pour les actionnaires des grandes compagnies pétrolières. Et toutes les victimes du terrorisme, à Paris ou ailleurs, en paieront le prix, et des centaines de milliers de gamins dont les grands-parents étaient musulmans mais qui, eux, n'ont pas d'autre religion que la vie, paieront aussi, eux que la haine ordinaire d'une classe politique déshonorée poussera vers une prétendue patrie ancestrale qui n'est qu'un mythe.

Alors c'est moi qui citerai Victor Hugo (Les Contemplations) :

"Il fallait un vautour à nos morts, il le fut.

Il fit, travailleur âpre et toujours à l'affût,

Suer à nos malheurs des châteaux et des rentes.

Moscou emplit ses prés de meules odorantes.

Pour lui, pour que cet homme ait des fleurs, des charmilles,

Des parcs dans Paris même ouvrant leurs larges grilles,

Des jardins où l'on voie le cygne errer dans l'eau,

Un million joyeux sortit de Waterloo.

Si bien que du désastre il a fait sa victoire,

Et que pour la manger, et la tordre, et la boire,

Ce Shylock, avec le sabre de Blucher,

A coupé sur la France une livre de chair.

Or de vous deux c'est toi qu'on hait, lui qu'on vénère,

Vieillard, tu n'es qu'un gueux, et ce millionnaire,

C'est l'honnête homme. Allons, debout, et chapeau bas !"

Allons, Messieurs, Hollande, Sarkozy, et tous les autres, vous ne valez même pas la merde pour vous chier dessus.

14/11/2015

Ni peur, ni haine

Paris vient de subir l'attaque d'une organisation terroriste d'une ampleur inégalée, supposant un réseau et des moyens logistiques considérables et laissant plus de cent morts derrière elle, et près de deux cents blessés, dont on ne sait encore combien de mutilés à vie, ni combien de veuves ni d'orphelins. Ce crime immense nous laisse tous blessés et bouche bée.

Pourtant, l'organisation État Islamique, qui vient de revendiquer cet ignoble et lâche attentat, venait d'annoncer vouloir s'en prendre à Israël. Il faut croire que les cours de géographie des écoles de l'EI ne sont pas fameux. De quoi alimenter encore les folles rumeurs selon lesquelles l'EI est sous-mariné par des intérêts américains. Mais la surprise est d'autant plus grande pour nous et nous sommes comme foudroyés.

Il semble que certains auteurs des attentats courent encore, ainsi que de très nombreux complices et, bien entendu, hélas, les commanditaires, qui se croient à l'abri de leur armée de fantômes. Toute cette organisation criminelle ayant abouti au septuple attentat doit être identifiée, appréhendée, jugée, et les coupables doivent être condamnés et incarcérés.

Et les familles des victimes doivent être entourées et recevoir toute la fraternité dont la France est capable.

Mais nous ne devons en aucun cas laisser les terroristes l'emporter sur les principes qui nous tiennent debout : Fulbert de Chartres, Abailard, Thomas d'Aquin, Descartes, Voltaire, la raison scientifique est faite pour l'emporter sur le fanatisme aveugle et elle est consubstantielle à la construction de la France, autant que l'édification d'un État de droit dont chacun de nous est à la fois comptable et bénéficiaire, quelles que soient les menaces.

Telle est notre liberté dans l'égalité. Nous devons répondre à la haine par la fraternité et à la violence par la liberté.

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C'est pourquoi nous devons répéter, comme en janvier, que nous n'avons ni peur, ni haine.

03/11/2015

Orient : le retour de la question arabe ?

L'enlisement de la guerre en Syrie pourrait déboucher malgré tout sur un accord diplomatique à moyen terme, et cet accord sur un succès de la lutte contre l'organisation État Islamique, mais il semble désormais qu'avant de pouvoir régler comme il le faudrait un nouveau dessin des Proche et Moyen Orient, un nouvel obstacle, beaucoup plus redoutable encore, ne se dresse sur le chemin de la paix et de la stabilité : le retour de la question arabe.

Après l'horreur sanglante des deux guerres mondiales, le XXe siècle s'est signalé par un élan internationaliste sans précédent. Mais les trois organisations qui ont incarné cet élan ont échoué toutes les trois sur le même écueil : l'internationalisme soviétique a asservi des dizaines de peuples à la domination russe, l'ONU a asservi des dizaines de peuples à la domination américaine et la construction européenne semble basculer depuis quelque temps dans la domination exclusive de l'Allemagne.

Ces échecs de fédérations mutualistes et coopératives d'égaux devenues instruments de domination internationale finissent par avoir l'inconvénient qu'elles visaient à pallier : le réveil des nations. En Europe, nous le constatons chaque jour. Le vote turc, dimanche, au bout des baïonnettes, crée une nouvelle démocratie autoritaire et engagée. La Turquie laïque se mêlait subtilement des affaires des Proche et Moyen Orient. La Turquie islamiste a des relents de l'empire et des visées interventionnistes sur ses voisins.

Dans le même temps, le modèle prôné par Lawrence d'Arabie atteint son terme : l'effondrement des prix du pétrole fragilise les monarchies du Golfe Arabo-Persique. Et il semble que l'horizon s'obscurcisse pour elles, car le ralentissement économique mondial se combine avec un essor des énergies nouvelles, et avec une décennie au moins d'autosuffisance énergétique des États-Unis.

Or l'Arabie Séoudite, principale et de loin la plus peuplée de ces monarchies, ne produit toujours rien d'autre que des écoles coraniques qui risquent fort de la laisser à nu le jour où, dans vingt ou trente ans au plus, la manne pétrolière cessera de lui assurer le minimum du confort. Elle aborde cette fin de cycle séculaire sans filet de sécurité, ce que paraît traduire son engagement éperdu et dangereux dans la guerre au Yémen, qui fait suite à divers efforts de double jeu encore plus dangereux et voués à l'impasse.

Au total, cette fin de cycle inspire la conclusion que le désert d'Orient pourrait redevenir ce qu'il a toujours été depuis des millénaires : le terrain de la rivalité des trois grands foyers de civilisation que sont l'Anatolie, l'Égypte et la Perse, avec la double complication supplémentaire de la rivalité à vif entre les deux principaux courants de l'islam et de la protection d'Israël par les États-Unis et le Royaume-Uni.

Dans ces conditions, un accord a minima sur la Syrie doit être préféré, puisqu'un règlement global est impossible avant que n'éclate la "bulle" historique des monarchies du Golfe. Cet accord doit garantir la protection des minorités religieuses en Syrie et en Irak, y compris, en Irak toujours, celle des sunnites. Compte tenu des nouveaux penchants interventionnistes de la Turquie, la Syrie et l'Irak seraient bien avisés de favoriser la création d'un État kurde tampon en renforçant la liberté des Kurdes chez eux et, pour dire la vérité, l'Iran devrait en faire autant malgré certains inconvénients qui repoussent probablement cette perspective. La Turquie ne pourra, de toutes façons, pas s'engager dans une guerre ouverte contre le nouvel État kurde s'il est garanti par la légalité internationale.

Au Liban, le pacte de 1943 doit être repensé et reconstruit sur des bases élargies. La contrepartie du maintien de M. Assad au pouvoir doit être l'allègement de sa tutelle sur le Liban, et le rôle traditionnel de la France envers les chrétiens d'Orient doit fournir une solution pour garantir cet allègement. Les puissances anglo-saxonnes, déjà engagées auprès d'Israël, ne peuvent réclamer à la fois le beurre et l'argent du beurre. Enfin, l'Irak pourrait accepter que se crée sur son territoire un refuge pour les opposants syriens de M. Assad, refuge dont la sécurité serait garantie par l'ONU. Un renforcement de la présence de l'ONU dans cette région ne serait pas de trop à la veille des convulsions et, en échange de leur protection en Irak, les opposants syriens exilés s'engageraient à ne pas intervenir dans la politique syrienne jusqu'au jour où, espérons-le, la raison sera revenue partout et où la démocratie triomphera, une démocratie réelle et non tempérée par les ingérences de la NSA.

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