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31/03/2007

Mon tiercé de tête chez Balzac.

La Comédie humaine est un océan.

On a énuméré ses personnages, ses péripéties. Comme pour Hugo ou Hergé, on a concocté une incroyable panoplie de statistiques.

Il y a une chose pourtant qui échappe à la statistique : le plaisir. Aucune règle à calcul ne pourra dire mon plaisir à ma place.

Mes trois romans préférés, sur cette étagère, sont "Le cousin Pons", "Le père Goriot" et "Eugénie Grandet".

Oh, je vous vois d'ici froncer les sourcils : tout ça est bien classique. On dirait une feuille de travaux à la maison rédigée par un prof de français.

Or il se trouve que j'ai lu ces oeuvres bien après la fin de mes études. J'ajoute d'ailleurs que je les trouve un peu trop complexes pour des esprits si jeunes. Mais ce n'est que mon opinion.

L'un des points communs de ces trois textes, c'est leur style : on est là chez le Balzac dense, épuré, structuré, le Balzac qui cherche à bâtir une intrigue en plus d'une étude psychologique, loin des digressions qui se multiplieront plus tard sous sa plume dans des romans comme "Le lys dans la vallée" ou "Modeste Mignon".

"Le cousin Pons" est d'une noirceur totale, que ne vient éclairer aucune lueur humaine : les rares personnages sympathiques y sont forcément victimes jusqu'au dépouillement et à la mort. C'est donc avec un serrement de coeur qu'on le referme. Mais on le lit avec fièvre.

"Le père Goriot" est plus contrasté, les silhouettes y mêlent ombre et lumière. Et le père Goriot lui-même devient aussi touchant que ses filles semblent jolies. On a fort envie de rencontrer ces jeunes femmes, un peu futiles, un peu cruelles, mais bien charmantes, et on imagine que si on les avait près de soi, on les traiterait avec une humanité contagieuse.

"Eugénie Grandet" est archétypal. L'histoire, tirée au cordeau. La narration, entraînante. Les personnages, criants. On comprend tout le XIXe siècle bourgeois rien qu'en lisant ce texte.

Voilà donc mon tiercé de tête. Et le vôtre ?

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Mieux rémunérer les qualifications en France.

François Bayrou a proposé de mieux rémunérer les chercheurs, effort massif qui coûte peu et qui rapporte beaucoup. Il leur donnera aussi de meilleurs moyens. Il a, enfin, inscrit parmi les idées qu'il défendra une exonération d'impôt des revenus des brevets.

Cet ensemble de mesures devrait permettre d'endiguer la fuite des cerveaux dont notre pays souffre depuis maintenant longtemps et qui semble ne cesser de s'accélérer à mesure qu'y croît l'impuissance publique et la dévalorisation du travail.

La remise sur pieds de filières scientifiques, créatives et de métier à l'université et, d'une manière générale, dans l'enseignement supérieur, viendra en appui de cette politique.

L'innovation est en effet l'un des enjeux cruciaux de la mondialisation galopante.

L'innovation, et le savoir-faire.

On ignore souvent que nombre de nos ouvriers qualifiés (voire très qualifiés) souffrent d'une sous-rémunération de leur travail. Certains en viennent à émigrer. Les nouveaux pays industriels sont friands de ces savoir-faire de gens de métier, qu'ils soient industriels ou artisanaux. Un pâtissier français, en Thaïlande, peut gagner 10000 euros par mois presque nets d'impôt. C'est vrai aussi pour des métiers du métal (en particulier les chaudronniers) ou de la pierre, par exemple.

C'est pourquoi on entend dire ici ou là que les ouvriers qualifiés devraient gagner 1500 euros par mois. Et que certains, qui touchent déjà plus en raison de la très grande rareté de leur savoir et de la très haute précision de leurs missions, devraient bébéficier d'avantages supplémentaires. Cette proposition a un sens si nous ne voulons pas laisser nos meilleures mains suivre nos meilleurs cerveaux dans l'exil et si nous voulons, au contraire, retrouver le chemin de la France créative, entreprenante et libre.

Bayrou devra donc sans doute ajouter ces métiers à sa réflexion pour rebâtir le pays.

13:15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : présidentielle, udf, bayrou | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

30/03/2007

Les frères Blanqui : l'union nationale en famille.

L'un, Auguste (1805-1881), est révolutionnaire, carbonaro, républicain, communard s'il avait été présent à Paris, socialiste, député bien sûr invalidé au bout de deux mois, et ... abonné à toutes les prisons de France, jusqu'au château d'If, lieu de la métamorphose de Dantès en Monte-Christo dans le roman de Dumas.

L'autre, Adolphe (1798-1854), est un théoricien du libéralisme et du libre-échange.

Quelle famille.

Leur point commun ? Tous deux, comme leur père (conventionnel en 1793), ont été députés : Adolphe est élu à Bordeaux en 1848.

On imagine les conversations du dimanche...

22:30 | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Châteaubriand ? La voix des rêves oubliés.

Talleyrand a écrit : "M. de Châteaubriand croit qu'il devient sourd quand il n'entend plus parler de lui".

Il faut dire que le vicomte malouin est un zélateur frénétique du moi.

L'origine de ses ancêtres, il en parle au début des "Mémoires d'Outre-tombe", se perd dans la nuit des temps bretons. Il est probable qu'il faille la chercher dans le Xe siècle, voire auparavant, si l'on imagine que les Châteaubriand descendent des anciens comtes de Rennes, que l'on remonte jusqu'au IXe siècle.

Nantie de ce pesant stock d'armures, de heaumes, de gourdins, de lances et d'épées, la lignée cadette des Châteaubriand déchoit assez tôt. Elle s'étiole dans une collection douloureuse de siècles, jusqu'à ce que le père de notre auteur acquière la bosse du commerce.

Encore un qui s'est enrichi dans la traite négrière.

Redoré, il peut acheter un donjon imposant et ancien comme la Bretagne, la forteresse un peu lugubre de Combourg. Il y installe sa famille en alternance avec leur hôtel du vieux Saint-Malo.

François-René, dans cette famille restaurée, suit un cursus ordinaire qui le conduit dans l'armée juste avant la Révolution. Il ne brille guère, émigre au bon moment et là, comme d'autres (notamment, un peu plus tard que lui, le futur roi Louis-Philippe, seul de nos monarques à avoir traversé l'Atlantique), s'embarque pour l'Amérique.

Il y découvre les tribus amérindiennes, qu'il enrôle bientôt dans la cohorte littéraire française à travers un curieux ouvrage, les "Natchez", paru à Londres après son retour et sa blessure dans la triste armée de Coblentz, qui scelle la fin de sa brève carrière militaire.

L'arrivée de Bonaparte au pouvoir coïncide presque avec le deuil de sa mère. En 1800, il est en France et publie coup sur coup en trois ans Atala, René et le Génie du Christianisme. Les deux premiers plaisent au public ; le troisième au pouvoir. Il tient son passeport définitif pour la gloire.

Bien entendu, il ne tarde pas à se brouiller avec le régime. Élu à l'Académie française en 1811, il trouve le moyen d'égratigner Napoléon, qui lui défend de siéger sous la Coupole. Il se rapproche de Louis XVIII et on connaît la fameuse phrase qu'il a écrite au sujet de la soumission faite par Fouché au vieux roi sur le paillasson du retour :

"Je vis entrer le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand soutenu par M. Fouché. La vision infernale passa lentement devant moi... Le régicide venait jurer sa foi entre les mains du frère du roi défunt. L'évêque apostat était caution du serment". Un passage magnifique sur lequel on a fait toute une pièce, puis un film, voici quelques années : "Le Souper".

Il suit la valse un peu ridicule de Louis XVIII autour des Cent Jours : un pas en avant, deux pas en arrière, puis rentre dans les valises des Bourbon et prend aussitôt du galon ... qu'il perd assez vite pour s'être brouillé avec les chefs de la nouvelle majorité.

Il commence alors une longue carrière d'opposition aux régimes, entrecoupée de moments de responsabilités diverses qu'il marque de son tempérament tapageur.

À la fin des années 1810, il a la bonne idée d'accepter Victor Hugo pour une tâche de secrétaire plutôt brève mais symbolique.

Mais en 1830, il se renfrogne et se replie sur ses fabuleux "Mémoires d'Outre-Tombe" qu'il promet de ne publier qu'après sa mort et qui paraîtront ... avant. Les sujets d'argent ont toujours contrarié les projets des écrivains.

Il meurt octogénaire en 1848. Presque exact jumeau de Napoléon, il s'éteint alors que commence à paraître la silhouette de Napoléon III. Il n'aura pas eu le loisir de s'opposer à ce régime-là. C'aurait pourtant été une occasion de se rapprocher de Victor Hugo...

21:40 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, littérature, poésie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Appliquer la loi en France.

On parle de loi.

L'application de la règle pourrait passer pour une évidente nécessité dans un état dit de droit, et même pour une tautologie.

Or le sentiment d'inefficacité de la loi progresse d'année en année.

Partout, sans cesse, un texte est violé, une clôture brisée, une frontière franchie, un trafic se développe. Partout, le fait l'emporte sur le droit.

Cette réalité trouble justifie tous les comportements. Elle explique tous les découragements.

En vérité, les citoyens ne demandent pas grand chose : que la loi de la république soit appliquée. Ils espèrent que la loi est bien faite ; si on les interrogeait, ils diraient même qu'ils l'exigent.

Ils sont convaincus que c'est par la puissance de la règle que l'on peut guérir beaucoup de maux de notre société et rendre aux gens l'envie de travailler, le goût de l'ouvrage bien fait, deux notions qui paraissent de plus en plus rares. Un pouvoir respectueux de ses propres textes fait des citoyens respectueux.

Or tous les politiciens ne peuvent prétendre à la vertu ; il y a ceux qui collectionnent les prises illégales d'intérêt et ceux qui se contentent de mégoter avec l'ISF. S'ils n'ont pas de penchant personnel pour la légalité, il leur est difficile de prétendre en demander à leurs concitoyens.

Et ces politiciens-là tiennent le pouvoir depuis longtemps, bien trop longtemps. Et c'est le sentiment inexorable de leur omniprésence qui donne un tel sentiment de claustrophobie aux Français, qui, d'élection en élection, penchent de plus en plus vers les solutions extrémistes et désespérées.

Il est donc temps de dire que nous appliquerons la loi. Et dès demain matin, et plus encore le 7 mai, il sera temps de le faire.

20:35 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : présidentielle, udf, bayrou | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

29/03/2007

Rostand a du nez.

Il faut naître fils de banquier.

Edgar Degas est fils de banquier, Edmond Rostand aussi. Évidemment, l'inconvénient est que si on aime les prénoms simples, on ne sera pas servi.

Cela étant, sa situation de fortune permet à Rostand de se consacrer à l'écriture. Il faut dire qu'il dégouline de facilités et de talent, c'en est agaçant.

Il faut dire aussi qu'il a la chance de rencontrer Sarah Bernhardt. Celle-ci, actrice déjà plus que confirmée, a sans doute déjà l'habitude de dormir dans son cercueil, dans sa suite, au Ritz.

Dans ce curieux séjour, elle reçoit. De là elle sort chaque soir pour jouer sur une scène parisienne.

Elle commande deux pièces à Rostand, l'une étant je crois la "Princesse lointaine". Toutes deux connaissent un succès plus que mitigé. Mais le métier de l'interprète s'est transmis à l'auteur : l'exercice qu'il livre ensuite au public se nomme "Cyrano de Bergerac".

Ah, évidemment, les tirades abondent, les morceaux de bravoure se dégustent frais. On savoure, on se délecte. Sorte de réminiscence d'Hugo et de Dumas, truculence, idéalisme, ferveur, flot de poésie. "Pas bien haut peut-être, mais tout seul...". "Mon panache...".

Le triomphe se répand à une vitesse éclair. Il dépasse l'imagination. La France est de retour.

Deux ou trois ans plus tard, pour battre le fer du succès tant qu'il est chaud, Rostand récidive avec "L'Aiglon", autre morceau d'anthologie ("Nous, les petits, les obscurs, les sans-grade ..."), confié à Sarah Bernhardt qui reçoit la récompense de sa trouvaille.

Napoléon, la gloire française au superlatif, griserie, vertige, tout le pays debout pour applaudir la vieille actrice. "L'Aiglon". Tragédie, injustice, trépas, tout y est.

Puis la page blanche. Rostand a été domestiqué pour le succès par Sarah Bernhardt, bien dressé, mais il y a au fond de lui un autre Edmond Rostand qui cogne aux parois et qui veut sortir. Cet Edmond-là rêve de sujets ambitieux, immenses, bref, il se nomme vertige du succès.

Le résultat de ce malentendu de l'auteur avec lui-même, c'est "Chantecler". Le lancement de cette pièce, la dernière jouée de son vivant, est tel qu'elle ne peut connaître l'échec. Malgré tous ses défauts, elle est donc rentable. Mais on y va en se pinçant le nez.

La simple idée que les personnages sont tous des animaux fait pouffer. On croit revoir l'image des cinq générations de barbus alignées qui fait le ridicule des "Burgraves", la dernière pièce du grand cycle de Victor Hugo, un échec critique et public cuisant. "Chantecler", au fond, est du même acabit. Quel qu'en soit le propos, l'idée est parfaitement ridicule.

Vexé, Rostand se renfrogne. Après tout, il est riche, académicien, malheureux en ménage, pourquoi irait-il s'exposer plus ? Qu'a-t-il encore à prouver ?

Il ne lui reste plus que le patriotisme, qu'il déploie autant que possible durant la première guerre mondiale, avec un courage plutôt rare.

Il me semble d'ailleurs qu'il fait le voeu de donner sa vie pour sauver la patrie. Il tient parole d'une façon paradoxale : il meurt un mois après l'armistice de novembre 1918... de la grippe espagnole.

Il a tout juste cinquante ans.

"Un baiser, à tout prendre, qu'est-ce ?.."

22:00 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : écriture, littérature, poésie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

28/03/2007

Victor Hugo, déiste.

On a fait toutes sortes de statistiques sur l'oeuvre énorme de Victor Hugo. On a calculé la récurrence du rythme ternaire des adjectifs et des locutions, le nombre d'alexandrins, et toutes sortes de détails plus ou moins curieux. Je n'ai pas réussi à trouver celle de la répétition du mot "Dieu".

Pourtant, il revient souvent. Il hante Hugo.

Bien sûr, très vite, le chef des romantiques devient anticlérical. Bien sûr, lorsqu'il rencontre un prêtre, c'est forcément celui que l'Église s'apprête à limoger. Bien sûr, il taquine avec mordant les catholiques dans des poèmes gouailleurs comme la Légende de la Nonne (magnifiquement chantée par Brassens).

Et cependant, qu'il le veuille ou non, l'idée et le nom de Dieu reviennent sous sa plume. D'abord presque comme une prière méditative ("Que faites-vous, Seigneur ? à quoi sert votre ouvrage ? À quoi bon l'eau du fleuve et l'éclair de l'orage ? Les prés ? ..."), puis un peu sur tous les tons de la métaphysique jusqu'à d'étranges emphases réminiscentes et presque psychanalytiques ("Car le mot, c'est le verbe, et le verbe, c'est Dieu").

Dieu va circuler de texte en texte, évoluer, prendre des allures hugoliennes, adopter une chair, un regard, ou au contraire s'éthérer en principe.

De toutes façons, à chaque instant de l'oeuvre, on retrouvera la notion d'un créateur, d'une main surpuissante qui a organisé l'univers et qui veille sur son monde.

En vérité, le déisme d'Hugo reste dans sa forme très chrétien, voire catholique. En témoignent l'une de ses oeuvres posthumes inachevées, la Fin de Satan (rien dans quoi un agnostique puisse trouver sa pitance), ainsi que la vénération qu'il a pour Jean, l'évangéliste, l'auteur de la visionnaire Apocalypse.

Mais il ne s'agit plus de foi, ni d'adhésion à un principe philosophique ou religieux. Les références d'Hugo sont celles de l'imprégnation qu'il a subie et qui lui permettent de s'adresser à un public large qui a les mêmes références culturelles que lui. Il organise à sa guise le Ciel de ses rêveries, sans se soucier des dogmes.

Dans son Ciel, il y a des anges et Dieu. C'est déjà beaucoup de monde.

Il croit aussi à la survie des âmes, puisqu'il fait tourner des tables comme des toupies pour les faire versifier sous le nom de divers hautes figures du passé.

Il tente de dessiner une cohérence, une architecture, mais son opinion est plus picturale que scientifique. Quoiqu'il fasse, Victor Hugo est avant tout un poète. Libre.

21:45 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

François Bayrou à l'assaut du système.

Voici ouverte la phase finale de la campagne présidentielle.

Le système épuisé bouge encore. Le duo tragi-comique Sarko-Ségo, bras dessus, bras dessous, fait des claquettes sur la flamme du Front National pour l'attiser. La presse aux abois se déchaîne et on apprend diverses étrangetés par le "Canard Enchaîné".

Bayrou, juché sur son tracteur, vilipende la république des partis, la république des deux partis. Il les accuse d'entente illicite, fausses oppositions, fausses inimitiés, destinées à masquer un partage du gâteau politique.

Les sondages bruts le donnent nettement au-dessus des données jusqu'ici publiées, il le sait. Il tient son adversaire, le système, et ne le lâchera plus.

21:05 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : présidentielle, udf, bayrou | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

27/03/2007

Romain Gary et l'identité nationale.

L'oeuvre de Romain Gary contient deux petits bijoux : "La promesse de l'aube" et "L'éducation européenne". j'y ajoute "La vie devant soi" signé Émile Ajar.

Les deux premiers sont des textes vifs, pleins d'humour et de dérision. L'un d'eux contient un portrait de la mère (idéalisée d'une étrange manière) de Gary. On y voit une mère juive dans toute la splendeur de l'expression, folle, folle de son fils en particulier, sans doute plus dans le roman qu'au naturel. Une mère idolâtre.

On croise aussi des réflexions amères du Gary qui finit par se suicider dans la "vraie" vie : "Le véritable drame de Faust, qu'on nous a toujours caché, n'est pas tellement qu'il ait vendu son âme au diable, mais qu'il n'y ait personne pour l'acheter ; il n'y a pas preneur".

Désespoir de tous ceux qui, débutant dans la vie, cherchent un moyen d'ouvrir la porte du succès.

Le Gary de ces premiers livres adresse des articles à des revues à fin de publication, est émerveillé d'y trouver pour la première fois son nom et se cherche inlassablement un pseudonyme ronflant pour se fabriquer une grande carrière. Il imagine toutes sortes d'anagrammes transparentes et évocatrices de la France et de sa culture. Puis il dit (et c'est une des trouvailles les plus drôles) que c'est un jour, en découvrant le nom de de Gaulle, qu'il se frappe le front : comment n'y a-t-il pas pensé plus tôt ? Voilà le nom génial ! le nom idéal ! lol comme on dit sur Internet.

J'aime moins "Les racines du ciel", dont le titre est la meilleure part. Il me semble que ce roman est trop écrit dans l'esprit du jury Goncourt. C'est une copie d'écolier, un texte ad hoc. Trop chargé de détails, trop poussif, trop forcé dans l'action. Il a rempli sa mission, puisque Gary a obtenu le prix cette année-là.

L'imposture de Gary devenant Ajar pourrait être demeurée le plus grinçant et drôle canular de cette époque par ailleurs compassée. Mais elle tourne au tragique quand il apparaît que c'est la personnalité même de Gary qui sombre.

Hélas, sa propre histoire en fournit peut-être l'explication.

C'est lui qui raconte que, dans son enfance en Pologne, les gamins l'insultaient "Sale Juif !" Ses parents déménagèrent, s'installèrent à Paris. Et là, on continua à l'insulter ; cette fois, c'était "Sale Polack !" Ses parents déménagèrent encore, du côté de Toulouse je crois. Et les gosses, cette fois, hurlaient "Sale Parigot !"

Partout où il se déplaçait, il arrivait avec la trace de sa dernière résidence, comme une ombre.

Anecdote qui serait cocasse si elle n'était au fond tragique.

Elle permet de se rappeler qu'on est toujours l'étranger de quelqu'un quelque part.

Une leçon pour notre époque ? Si oui, une leçon très libre.

21:10 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

26/03/2007

Pauvre Corneille.

Pierre Corneille, j'adore.

Ses trois principales tragédies, "Le Cid", "Horace" et ... (laquelle, déjà ?), sont des sommets que j'escalade avec délectation.

J'ai déjà oublié pourquoi on avait été si discret à célébrer l'an dernier le quatrième centenaire de sa naissance. Détail : ces stupidités politiques passent, le talent reste.

Ah, le "va, je ne te hais point", la tirade d'Horace sur la grandeur du combat et sa réponse de Curiace ("Nous serons les miroirs d'une vertu bien rare, Mais votre fermeté tient un peu du barbare..."), ce sont des morceaux que j'aimerais avoir écrits.

Corneille est un élève des Jésuites. Son vers célèbre d'"Horace" ("Rome, unique objet de mon ressentiment") est-il la trace chez lui de ce qui fera plus tard l'anticléricalisme de Voltaire, autre élève des fils de Loyola ?

Corneille est un Normand. Comme Flaubert et Maupassant, il glisse autant de réalité que possible dans ses oeuvres.

Corneille est un auteur puissant, puis un auteur décadent, et enfin un auteur trop vieux.

Puissant, il l'est jusqu'à l'extrême dans Horace et le Cid. Le verbe y est percutant et l'action débridée. L'épopée y affleure à tout instant ("nous partîmes cinq cents et par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port" dit autant avec aussi peu de mots que certains vers de la "Legende des Siècles" de Victor Hugo).

C'est notre plume la plus énergique avant Hugo. Corneille cultive d'ailleurs la force et c'est ce qui l'a rendu récemment suspect de je ne sais quel crime intellectuel dont les nouveaux inquisiteurs sont friands.

Au faîte de sa gloire, il peut protéger le retour de Molière à Paris. C'est l'époque où il courtise la Du Parc avec les vers les plus maladroits de tout notre arsenal galant (chantés par Brassens, qui leur a inventé une réponse cocasse) :

"Marquise, si mon visage
Vous paraît un peu vieux
Dites-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux".

Décadent, il le devient presque dès l'apparition de Racine, son cadet d'une génération entière.

Trop vieux, il l'est à la soixantaine. C'est l'époque où la jeune équipe de Boileau le pousse vers la retraite. En 1666 et 1667, Corneille produit successivement deux pièces : "Agésilas" et "Attila". Boileau s'écrie : "Après l'Agésilas, hélas ; mais après l'Attila, holà !". C'est le four.

Or Corneille s'éternise. On a prétendu qu'il collaborait avec Molière, avec lequel il avait fait alliance quelques années plus tôt. On a dit aussi qu'il s'était soumis à la censure linguistique de Boileau comme Molière, Racine et La Fontaine.

Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'au bout de cette trop longue agonie artistique, c'est tout de même Boileau qui intervient auprès de Louis XIV pour obtenir une pension au vieux maître aux abois. Coup de pied de l'âne ? Peut-être.

Mais Corneille, en mourant en 1684, peut en tout cas songer que son Cid, pourtant inspiré d'une pièce espagnole, traversera les siècles et les océans. La postérité le vengera.

Or la postérité et le public sont deux consolations inusables pour les gens de théâtre et de littérature.

21:15 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook