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11/04/2007

François Villon d'un galop.

Évidemment, on ne peut plus dissocier Villon de Brassens depuis la somptueuse adaptation par le second de la "Ballade des dame du temps jadis" du premier.

Il faut dire que François de Moncorbier, alias des Loges alias Villon, a de quoi réjouir le maître sétois : existence sulfureuse, goût de la luxure et de la mauvaise vie, menus larcins (voire banditisme pur et simple), tout cela égaie le palais anar de Brassens.

Le XVe siècle, époque que je connais un peu par ailleurs, est particulièrement secoué et les carrières doivent y être difficiles. Les petits clercs vivotent et souffrent. Ils se laissent gagner par les idées noires, tout cela est chez Villon.

Ce qui reste évidemment énigmatique, c'est sa double nature d'ami de quelques puissants et d'associé de personnages très obscurs, voire sombres. On croit toucher du doigt certaines vérités de toutes époques sur le goût des relations troubles, sur le rôle ambigu des intermédiaires, peut-être sur des réseaux douteux.

Et si l'on ne savait pas encore l'essentiel sur Villon ? 

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10/04/2007

Un mot de Mauriac.

Il y a des écrivains militants, un peu cerbères, j'en fais partie de temps à autre et Mauriac en son temps aussi.

Pourtant, je n'ai pas envie de parler ce soir, dans cette courte note, de cette partie de son oeuvre.

Je pense au "Noeud de vipères". C'est un pamphlet très violent contre les choses de la famille. J'ai eu l'occasion de le lire il y a déjà longtemps, sans d'ailleurs perdre mon propre goût de la famille.
 
J'ai entendu dire (et c'était mon court propos du soir) que Mauriac avait écrit ce texte après avoir pesté un certain nombre de matin d'affilée devant la porte de sa salle de bains encombrée des différents membres de sa maisonnée. Voilà, c'était ma petite réflexion sur les mécanismes de la création. Mais la famille, moi, j'aime. 

 

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09/04/2007

L'arrivée spectaculaire de Victor Hugo en Espagne.

Le général Hugo dirigeait une province de l'Espagne occupée. Il dirigeait moins sa femme.

Ce couple était en vérité aussi mal assorti que celui du colonel Chabert. La "mère vendéenne", le "père vieux soldat", l'une de l'ouest, l'autre de l'est, l'une attachée aux idées d'Ancien Régime et à un certain Faneau de Lahorie et l'autre à une certaine idée de la République.

De temps à autre, ce couple volcanique se rabibochait. La femme rejoignait son mari.

Ainsi en fut-il en cette année (1805 ou 1806, je ne sais plus). Une garde de plusieurs milliers d'hommes se présenta à la frontière franco-espagnole, côté espagnol, non loin du col de Roncevaux et je crois près d'un poste frontière nommé Torrequemada dont Hugo retrouva le nom pour son inquisiteur.

Les deux fils Hugo (Victor avait un frère, qui périt fou dans un asile) furent déposés dans une immense calèche tirée par huit ou dix chevaux. Puis l'attelage somptueux, digne d'un prince, se mit en branle, au milieu de son armée d'escorte. Déjà dans l'enfance, tout ce qui concernait Victor Hugo virait instantanément au gigantisme.

Évidemment, après ça, on ne peut pas s'étonner... 

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08/04/2007

Pourquoi Monte-Christo est-il mon Dumas préféré ?

Il y a des livres qui traînent sur une table pendant des années. "Le comte de Monte-Christo" m'a fait ça.
 
Il ne s'éloignait jamais, ne disparaissait pas tout à fait, ne s'ouvrait cependant pas, ne me faisait pas de l'oeil, mais il se posait toujours sur une pile ou sur une table.
 
Un soir, n'ayant rien d'autre sous la main, je l'ai ouvert.
 
"Fantomas" m'a fait le même coup.
 
Et je n'ai pas pu le refermer.
 
De l'attente du "Pharaon", ce bateau perdu qui évoque "Le marchand de Venise" de Shakespeare, jusqu'au départ du ténébreux comte de Monte-Christo vers l'Orient, des années plus tard, tout m'a emporté.
 
Comment ne pas s'émouvoir pour Mercedes ? Comment ne pas se lamenter avec le négociant modeste et honnête dont les espoirs s'envolent ? Comment ne pas s'indigner des procédés du procureur Noirtier dit de Villefort ?
 
L'action est sombre et amère, les personnages profondément humains, quelle que soit leur attitude, perfide ou chevaleresque, courageuse ou couarde, cupide ou généreuse, ils vivent car n'importe qui peut comprendre leurs qualités et leurs défauts.
 
Ils n'ont pas les débats de conscience de ceux de Victor Hugo ; ils ne sont pas contrastés comme Javert ou Phébus ou même Quasimodo. Ils sont dominés par un penchant et les actes qu'ils commettent dessinent a posteriori les contours de leur personnalité. Pas de problème cornélien, si cher à Hugo, chez Dumas : rien que la loi qui veut que l'on tombe toujours du côté où l'on penche. Plus de fatalité donc que de liberté.
 
Il n'y a que trois moments où la dimension morale soit interrogée : le premier quand le procureur de Villefort pourrait libérer Dantès et ne le fait pas après un léger (très léger) temps de réflexion ; le deuxième quand l'ancien ami de Dantès devenu aubergiste (son nom m'échappe au moment où j'écris) pourrait se contenter du diamant apporté par le faux abbé de la part de Monte-Christo (récompense de gestes d'humanité autrefois accordés par l'aubergiste au père de Dantès) et où sa femme le convainc qu'il faut au contraire le détrousser pour sortir des difficultés matérielles qui s'accumulent contre eux ; le troisième quand Mercedes devenue comtesse de Mortserf vient implorer la clémence pour son fils.
 
Trois doutes en mille pages de vilenies et de vengeances, c'est peu. Et pourtant, Monte-Christo n'est pas un roman manichéen. Comme toujours, la complexité, chez Dumas, s'immisce là où on ne l'attend pas, par le simple fait que les personnages sont humains et que leur humanité les rend fragiles devant la vengeance et la punition.
 
Et finalement, Monte-Christo ne savoure pas sa revanche. Il l'accomplit dans une idée de jugement qui est la vraie problématique morale du livre : justice immanente et vengeance ? Quel mélange.
 
Puis il s'éloigne, enfin deux fois libre.
 
Libre ? vraiment ? après toute cette vie gâchée ?
 
Comme "Le Cousin Pons" est le plus noir des Balzac, "Monte-Christo" est le plus noir et le plus pessimiste des Dumas. On croit déjà y lire les phrases désabusées du capitaine Némo, personnage central de Jules Verne, disciple de Dumas.
 
C'est la force du propos du livre, qui libère certaines des tensions que nous subissons devant les duretés de la vie. Un peu comme la BD et le film "V pour Vendetta". Les salauds ne l'emporteront pas en paradis. D'autant moins qu'il n'y a pas de paradis, d'ailleurs.

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07/04/2007

Victor Hugo et les mots de la mort.

Plusieurs idées hantent Victor Hugo : la virginité, la fatalité, les puissances invisibles, la liberté, l'aliénation religieuse, d'autres, et enfin la dernière : la mort.
 
Il ne l'évoque pas toujours d'une façon frontale. On songe par exemple au squelette de Quasimodo retrouvé cramponné à celui d'Esmeralda : lorsqu'on le touche, il tombe en poussière, sorte de mort après la mort.
 
La fin tragique de sa fille lui fait écrire des poèmes déchirants, des espoirs de consolation, des rêveries désolantes.
 
On pense aussi à ses tables tournantes qui, fait curieux, font aussi parler des vivants...
 
Mais en fin de compte, c'est la mise en scène poétique du trépas qui l'habite. On en trouve des versions sublimes dans la Légende des Siècles. On est aussi ému par le quatrain qui termine en épitaphe "Les Misérables" et qui commence, je crois, par "La chose simplement arriva" et se conclut par un très bel alexandrin :
 
"Comme la nuit se fait lorsque le jour s'en va".
 
Y a-t-il trace d'une angoisse de la façon dont lui-même mourra ? Ce roman paraît alors qu'il atteint la soixantaine.
 
Qui sait ?
 
Quant à son tout dernier vers, ses douze derniers pieds de poésie, il est probable qu'il l'a composé très en amont pour qu'on le lui attribue sur son lit de mort : depuis plusieurs années, il est amoindri.
 
Et cependant, les automatismes du génie sont tels...
 
Alors, info ou intox ? Le voici, ce dernier vers somptueux, dernière étoile de la myriade :
 
"C'est ici le combat du jour et de la nuit".
 
De quoi donner presque envie de mourir, juste pour voir si c'est vrai, et qui gagne...

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L'épopée des Rois Maudits.

À l'âge de sept ans, j'adorais déjà l'Histoire. C'est pourquoi on m'a laissé veiller tard pour regarder "Les Rois maudits" à la télévision.

 

Je n'avouerai pas ici que j'étais déjà excité par les douceurs féminines entrevues ici ou là dans la série de téléfilms. On en voyait moins alors qu'aujourd'hui, surtout pour un petit garçon comme moi, et le parfum de l'interdit augmentait le vif plaisir que je prenais au spectacle théâtral et emphatique que nous livraient des comédiens déchaînés revêtus de couleurs presque fluo et faisant cliqueter toute la bimbeloterie de l'imagerie médiévale. 

 

On sait que le flamboyant Robert d'Artois, incarné par un Jean Piat empanaché d'écarlate, tirait toute la couverture à lui, mais on se souvient aussi du mielleux Louis Seigner, de l'âpre et altière Hélène Duc, du marmoréen Georges Marchal, bref de toute une troupe qui déambulait dans des décors à peine ébauchés, faute de moyens, dont le dépouillement aboutissait à l'épure, au rythme de la voix impérieuse d'un narrateur glacé.

 

Réussite telle que les Anglais, peu de temps plus tard, firent le pendant Plantagenêt de cette épopée, en conservant tous les codes visuels.

 

Quelques années plus tard, comme décidément j'aimais le Moyen Âge, on m'offrit les sept tomes signés (on dit qu'il ne les a pas écrits seul, info qu'il dément plus ou moins) par l'inusable Maurice Druon, neveu du grand Joseph Kessel.

 

Les livres ont une grande qualité: la clarté. Ils sont moins grandiloquents que les films (mais la grandiloquence est un des plaisirs du spectacle télévisuel) et exposent avec énergie et autorité des faits, parfois supposés, toujours impressionnants. Les personnages sont taillés dans le granit. On y croit.

 

Rappelons-nous qu'il s'agit de la confiscation des biens des Templiers par le roi de France Philippe le Bel, et de tous les événements qui s'ensuivent jusqu'un peu après le déclenchement de la guerre de Cent Ans.

 

Les rivalités politiques sont à vif, on joue avec l'idée de personnages authentiques, on savoure l'idée qu'ils pourraient avoir ressemblé à leur double de papier.

 

Et il faut reconnaître que l'intrigue est forte et les sentiments violents. On traverse un monde brutal, à vif. On s'y croit. Vraiment une bonne lecture de vacances.

 

On n'est pas sûr que ne se glisse pas dans le texte, ici ou là, des messages pour initiés, mais tant pis, on fait ce qu'on peut et on lit, au premier degré, simplement libre. 

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06/04/2007

Ah, "Notre-Dame de Paris" !

J'ai lu le premier roman réussi de Victor Hugo en Allemagne. Je me trouvais en Bade-Wurtemberg, tout près de la frontière française. L'atmosphère y était curieuse : on nous y envoyait pour une immersion linguistique, mais... c'était une ville de garnison de l'occupation française et tous les commerçants, lorsque je m'adressais à eux avec mon allemand de quatorze ans, me répondaient aussitôt en français. On a vu immersion plus efficace... Cela dit, l'année suivante, on m'a envoyé en Souabe, dont le langage ressemble au bavarrois, c'est-à-dire à quelque chose d'incompréhensible. J'y étais hébergé par un vieux juge dont le nom sonnait juif, mais qui récitait le benedicite avant de passer à table ; pour pouvoir se comprendre, on se parlait en latin. Bref...

Dans cet été 1979, j'ai lu "Notre-Dame de Paris".

Rien ne peut ressembler à ce roman.

La première phrase est un coup de canon qui se termine par les mots : "la triple enceinte de la cité, de la ville et de l'université". En quelques syllabes, Hugo fait la synthèse de Paris médiéval. Trois morceaux : la Cité, qui comprend les palais royaux et l'embryon du gouvernement, la chancellerie royale, les cours de justice, superposées aux installations gallo-romaines ; la ville, rive droite, toute l'industrie, le négoce, la part laborieuse et marchande ; l'université, rive gauche, les intellectuels, ce qu'on nomme encore le Quartier latin. Tout est dit.

Puis tout le début est un mouvement vers un événement improbable, l'élection du Pape des Fous, un mélange de fêtes réellement médiévales et parisiennes, l'élection du Pape des Rois et celle du Roi des Fous.

On se promène dans une foule qui marche dans le froid vers le palais royal (la Conciergerie à Paris, dans l'île de la Cité).

On croit les voir. Comme on connaît le cinéma, on pense à un incroyable plan-séquence, digne d'Orson Welles, ou à un travelling géant.

Puis apparaît Quasimodo et on sait que le roman ira très loin. À ce propos, il faut citer une anecdote qui concerne le comédien Jean Saudray, un quatrième couteau très répandu dans le cinéma français des années 1970. Lorsqu'il était sur scène, quand on le rencontrait pour la première fois, tout le monde, d'après les témoignages, lui disait : "oh, quel formidable maquillage tu t'es fait faire" ; or ce maquillage horrible, c'était son visage.

Et semblable aventure arrive à Quasimodo : on le présente comme candidat pour l'élection du Pape des Fous. Moyen du concours : faire la plus belle grimace. D'extraordinaires compétiteurs s'y emploient, tous plus ou moins applaudis. Et voilà que soudain apparaît à travers la lucarne une grimace épouvantable, inimaginable, au point que, d'avis commun, il n'est plus besoin de poursuivre le concours : il a gagné. Or la grimace répugnante que Quasimodo présente, c'est son visage.

Là encore, tout est dit.

La scène la plus incroyable du livre est celle du jugement de Quasimodo. On dit souvent que la justice est aveugle, phrase qu'on prendra avec précaution, mais il se trouve que le juge qui préside est sourd, absolument sourd, et par une coquetterie compréhensible, qu'il cache cette infirmité.

Or Quasimodo, sonneur de cloches de la cathédrale Notre-Dame, a été rendu tout aussi sourd par l'effrayant vacarme du bourdon de bronze qu'il côtoie jour après jour.

Voici donc au sens propre un dialogue de sourds.

Le juge interroge Quasimodo. Celui-ci ne voit pas qu'on lui parle et n'entend pas, forcément. Il ne répond rien.

Mais le juge ignore qu'il n'a rien répondu. Il pose donc une deuxième question, tout aussi inefficace.

Le public commence à s'amuser de la scène et le juge finit par s'apercevoir qu'on se moque de lui. Il s'imagine que Quasimodo le raille. Il le tance.

Or Quasimodo, comprenant finalement où l'on est et ce qu'on y fait probablement, se décide à décliner son identité, réponse à la toute première question du juge, qu'on ne lui pose plus.

Redoublement d'hilarité. La scène est une délectation. Il est heureux que les juges soient meilleurs aujourd'hui qu'en ces temps.

L'autre morceau de bravoure est un tunnel d'une soixantaine de pages intitulé "Paris à vol d'oiseau au XVe siècle". C'est une vision. On se retrouve posé sur le dos de l'oiseau comme dans un dessin animé et on survole Paris, ses toits pentus, ses cheminées fumantes, ses mâchicoulis gothiques. Absolument hallucinant.

Là encore, une synthèse prodigieuse : Paris est enceint d'une chaîne de couvents et dans cette chaîne, un seul maillon sombre : la cour des miracles. Et tout à l'avenant. En lisant, on a envie de se lever pour applaudir.

Et puis, bien sûr, l'histoire est belle, Esmeralda, le tortueux archidiacre Frollo, le lâche poète Phébus, les ruelles sombres, les ponts de bois. On en aurait presque envie de vivre au Moyen Âge. Et pourtant, ça ne devait pas être bien confortable.

Allons, je vous quitte : je cours le relire.

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05/04/2007

Mlle de Scudéry déborde de sa carte du tendre.

On connaît Clélie. Enfin, on connaît parfois Clélie : la langue du Grand Siècle est devenue obscure au plus grand nombre. Ce qu'on en retient au mieux, c'est la Carte du Tendre, supposée guider le coeur épris vers les délices et lui éviter de s'enliser dans les sables mouvants de l'amitié.

Et pourtant, la Scudéry vaut mieux que cette oeuvre d'ailleurs curieuse.

Tout d'abord, parce qu'elle et ses amies ont inspiré Molière et ses "Précieuses ridicules". Mais aussi, parce que ces femmes ont incarné un véritable mouvement intellectuel, non dénué de défauts et de ... ridicules, mais capable aussi de modernité.

Le milieu du XVIIe siècle est un temps d'effervescence politique qui permet quelques libertés. Le grand roman de la Scudéry qui paraît à cette époque-là (Artamène ou le Grand Cyrus) est marqué par ce relâchement de la censure et on y découvre des allusions claires à l'actualité.

Du reste, les romans de cette auteure sont en général inspirés de personnages alors connus de tous, ce qu'on nomme des romans à clef.

Elle en produit plusieurs, tous longs, quelquefois très longs, et dont certains demeurent lisibles sans effort. Leur style est élégant et clair.

Il faut signaler que la psychologie et les émotions apparaissent avec une grande modernité dans ces textes qui forment l'un des premiers maillons de la chaîne du roman réaliste français.

Rien que pour ce fait d'armes (à quoi s'ajoute un prix d'éloquence de l'Académie française, si rare pour une femme...), il faut tirer son chapeau à Magdeleine de Scudéry. Sans oublier que sa vie interminable traverse tout le siècle : née en 1607, elle meurt en 1701. Et, septuagénaire déjà bien avancée, elle écrit encore.

Et enfin, c'est une femme de conviction : on la surnomme Sappho, elle milite contre le mariage qu'elle vilipende avec un grand engagement, et elle-même reste célibataire jusqu'au bout.

Dommage sans aucun doute pour nous, les hommes, mais chapeau bas, et il nous en reste heureusement d'autres.

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Parution de ma réédition de l'Histoire de Bretagne de Bertrand d'Argentré (1582).

Demain, je raconterai la vie de Bertrand d'Argentré dans la rubrique "l'histoire de la semaine" que je n'ai pas eu le temps d'alimenter en mars.

Cette Histoire de Bretagne a la particularité d'avoir été censurée en 1582 et jamais rééditée dans cette version depuis ce temps, jusqu'à aujourd'hui.

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04/04/2007

Alexandre Dumas fils, sa dame et ses camélias.

Dumas le général était un colosse, une force de la nature. Son fils, Dumas père, gardait une grande part de son énergie. Dumas fils, en revanche, incarne la transparence du romantisme doloriste.

C'est un écrivain engagé (avec des éclipses, notamment au début du Second Empire) et toujours à l'affût d'une cause à défendre. Son style souffre d'ailleurs de cet esprit militant. Tout le monde le lui reproche. Tout le monde, sauf la postérité : en vérité, aujourd'hui, on ne le lit plus.

C'est qu'en plus de bouillonner constamment pour les drames criants de son époque, il a eu le nez de sélectionner parmi ceux-ci les plus représentatifs et les plus odieux. Résultat : il a gagné tous les combats qu'il a menés, ce qui prive le contenu de son oeuvre d'intérêt ; il n'en demeure donc que l'envergure littéraire, c'est-à-dire peu de chose.

Voilà pourquoi, d'Alexandre Dumas fils, on ne lit plus guère que l'archétypale "Dame aux camélias", son texte le moins engagé et partant le plus universel.

Démonstration que même pour avoir raison, il ne faut jamais perdre sa liberté.

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03/04/2007

La grande période de Lamartine.

Voici le précurseur, celui dont Victor Hugo dit qu'il est "le plus classique des romantiques".

Lamartine donne le coup d'envoi de la génération de 1830 en 1820. Son premier recueil, les "Méditations poétiques", dont est extrait le célèbre "Lac", est alors un triomphe de librairie.

Pendant une décennie, le poète règne sur Paris, suscitant la jalousie de Victor Hugo, empreinte d'amitié. Logiquement, il est le premier élu à l'Académie française, dès 1829.

Il s'apprête à entrer en politique.

C'est là que les choses changent pour lui : son activité à la Chambre des Députés (où il est élu pendant quinze ans grâce au suffrage censitaire) révèle sa générosité et son idéalisme, ainsi que la hauteur de ses vues.

Finalement, il se lance dans un brûlot, l'"Histoire des Girondins", en 1846. Cette oeuvre ample, magnifiquement écrite, de ce style fluide et aérien qui enchante en deux lignes, donne le coup d'envoi de la Révolution de 1848. Là, il est à sa main. Victor Hugo narre quelques-uns des moments qu'il passe avec lui à cette époque, l'effervescence de l'inconnu, le trouble de la foule et du faubourg Saint-Antoine en particulier.

Lamartine devient ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire après les journées de février. Il a ses cent jours.

L'important n'est pas là, au fond.

Car autour de cette époque sont les trois oeuvres de lui que je préfère. J'avoue que sa prose me plaît mieux que ses vers.

Premier, donc, l'"Histoire des Girondins", 1846. Puis "Les Confidences" (1849), une mélodie bouleversante sur la vie, la nature, la beauté, le ciel, la terre, un véritable enchantement. Et enfin "Graziella" (1852) qui clôt son cycle merveilleux. On n'a jamais décrit plus joliment une jeune fille que Lamartine le fait de Graziella. Émotions inexprimables.

Rien que pour ces six années, la vie de Lamartine mériterait d'être vécue.

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02/04/2007

J'ai envie de parler d'Arsène Lupin.

Voilà un lundi soir récréatif. Entre deux Victor Hugo, pourquoi pas un Lupin ?

Bon, on doit reconnaître que le style n'est pas le même, l'ambition non plus, ni l'époque, d'ailleurs : Lupin court les toits parisiens de la Belle Époque à l'Entre-deux-guerres. Hugo est mort depuis longtemps.

La première oeuvre de Leblanc paraît même huit ans après la mort du génie.

Né en 1874, normand comme Corneille, Flaubert et Maupassant, Leblanc s'identifie à la IIIe République : il meurt avec elle en 1941 et toute sa vie est placée sous le signe de la libre-pensée et des idées alors dominantes du radical-socialisme.

Lupin est l'être plus amoral qu'immoral qu'affectionnent ses contemporains. Il n'a pas, pour combattre la Société, l'énergie farouche de Fantômas. C'est un anar, mais qui ne verse jamais une goutte de sang, qui se promène de bal en réception mondaine, fréquente les puissants, les conseille à l'occasion, les dépouille sans vulgarité et choisit ses victimes avec soin.

Ses ennemis, les châtelains, les beaux messieurs du faubourg Saint-Germain, sont aussi ceux des petits propriétaires terriens et des modestes industriels (ingénieurs enrichis) qui forment les gros bataillons du radicalisme.

Il les piétine avec délicatesse mais sans aménité. Il les griffe, il les mordille, les entortille, joue avec eux et finalement, il les amenuise. C'est tout l'objet de sa révolution silencieuse. Sa subversion est insidieuse, car gouailleuse et il finit toujours par mettre les rieurs de son côté, ce qui devient forcément délectable.

Et bien sûr, ce qui le fait résister au temps, c'est la profusion de jeux de piste dont l'auteur émaille ses oeuvres. Quoiqu'il puisse arriver, je me demanderai jusqu'à ma mort si, au fond, l'Aiguille d'Étretat ne serait pas un peu creuse.

Le mélange d'une forme de merveilleux et d'une forte dose de rationnalité résume en fin de compte la carrière littéraire de Lupin : merveilleux habillé de raison, rationnalité tendant au merveilleux. Le rêve éveillé. Quoi de mieux quand on s'ennuie ?

Il m'arrive donc de relire Arsène Lupin en vacances, l'esprit libre.

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01/04/2007

Victor Hugo à sa table de travail.

J'ai déjà dit comme Victor Hugo, à quinze ans, traduisait Virgile en alexandrins vertigineux. Voici donc le génie de toutes les facilités ? Mais non.

Certes, il restera capable d'écrire "Napoléon le Petit" d'un éclat de colère. Certes, on le devine jetant l'"Année Terrible" sur ses pages comme Jupiter la foudre. Et pourtant ...

Toute sa vie, Victor Hugo est un raboteur, un menuisier comme son grand-père, qui sans cesse ajuste, lisse, polit, son texte, le fait luire, en révèle les plus belles veinures, en respecte l'axe, en développe les contrastes. C'est un artisan infatigable.

Oh, il y a bien sa période mondaine, dans les années 1830, où il court de bal en bal, mais sa maîtresse, Juliette Drouet, le rappelle à l'ordre et, plus que tout, les événements politiques lui interdisent de s'assoupir sur ses lauriers : après la prodigieuse période 1829-1843, vient l'extraordinaire ère 1851-1863.

Dès la première phase, on voit le poète rivé à son bureau, celui-ci envahi de coupons de papiers où il a griffonné des mots, des bribes de vers, parfois un peu plus. Il relate la disparition d'un de ces trésors par la main de ses enfants dans la cheminée dans les Contemplations, je crois, et tout le théâtre de son labeur quotidien y apparaît.

Dans la seconde période, à Guernesey, il se voue encore plus à son activité minutieuse : on voit sa table de travail, dans sa verrière, en haut de la maison et là, contre la paroi, une banquette où il dort souvent. Rien ne vient plus le déranger. Il trime.

Le côté progressif de sa façon de procéder est aussi révélé par des détails plus étonnants : pendant quinze ou vingt ans, les "Misérables" se sont seulements intitulés "Les Misères". L'ampleur finale donne un double sens au titre et une majesté épique à l'oeuvre.

De la même façon, "La Légende des Siècles" a longtemps gardé le titre "Les petites épopées". Mais quoi que ce soit qui sorte de l'esprit d'Hugo pouvait-il être petit ? Va pour la tonitruante Légende des Siècles. Quel bonheur.

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Victor Hugo, le paradoxe de l'exil.

Issu par sa mère d'une famille chouanne, Victor Hugo avait une vocation naturelle à entrer un jour ou l'autre dans la clandestinité.

C'est l'avènement de Louis-Napoléon Bonaparte et la perspective de la chute de la République qui l'y conduisent.

Or Hugo, à cette époque-là, est un grand notable, un homme très assis, il approche de la cinquantaine, il habite un grand appartement place des Vosges, il siège à l'Académie française, il porte la Légion d'Honneur, il était encore voici peu pair de France. En somme, pour lui, 1851 est un peu ce qu'a été 1790 pour d'autres : le trône tombe.

On le retrouve proscrit, errant, chassé de Bruxelles, tourmenté à Luxembourg, chassé de nouveau de Jersey et découvrant la solution de tous ses problèmes d'exil en achetant une maison avec rang de fief à Guernesey.

C'est le paradoxe de l'exil : ce républicain intraitable qu'il devient et deviendra de plus en plus, cet adversaire des couronnes devra sa tranquillité et son salut ... à son rang de féodal de la couronne d'Angleterre.

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31/03/2007

Mon tiercé de tête chez Balzac.

La Comédie humaine est un océan.

On a énuméré ses personnages, ses péripéties. Comme pour Hugo ou Hergé, on a concocté une incroyable panoplie de statistiques.

Il y a une chose pourtant qui échappe à la statistique : le plaisir. Aucune règle à calcul ne pourra dire mon plaisir à ma place.

Mes trois romans préférés, sur cette étagère, sont "Le cousin Pons", "Le père Goriot" et "Eugénie Grandet".

Oh, je vous vois d'ici froncer les sourcils : tout ça est bien classique. On dirait une feuille de travaux à la maison rédigée par un prof de français.

Or il se trouve que j'ai lu ces oeuvres bien après la fin de mes études. J'ajoute d'ailleurs que je les trouve un peu trop complexes pour des esprits si jeunes. Mais ce n'est que mon opinion.

L'un des points communs de ces trois textes, c'est leur style : on est là chez le Balzac dense, épuré, structuré, le Balzac qui cherche à bâtir une intrigue en plus d'une étude psychologique, loin des digressions qui se multiplieront plus tard sous sa plume dans des romans comme "Le lys dans la vallée" ou "Modeste Mignon".

"Le cousin Pons" est d'une noirceur totale, que ne vient éclairer aucune lueur humaine : les rares personnages sympathiques y sont forcément victimes jusqu'au dépouillement et à la mort. C'est donc avec un serrement de coeur qu'on le referme. Mais on le lit avec fièvre.

"Le père Goriot" est plus contrasté, les silhouettes y mêlent ombre et lumière. Et le père Goriot lui-même devient aussi touchant que ses filles semblent jolies. On a fort envie de rencontrer ces jeunes femmes, un peu futiles, un peu cruelles, mais bien charmantes, et on imagine que si on les avait près de soi, on les traiterait avec une humanité contagieuse.

"Eugénie Grandet" est archétypal. L'histoire, tirée au cordeau. La narration, entraînante. Les personnages, criants. On comprend tout le XIXe siècle bourgeois rien qu'en lisant ce texte.

Voilà donc mon tiercé de tête. Et le vôtre ?

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30/03/2007

Châteaubriand ? La voix des rêves oubliés.

Talleyrand a écrit : "M. de Châteaubriand croit qu'il devient sourd quand il n'entend plus parler de lui".

Il faut dire que le vicomte malouin est un zélateur frénétique du moi.

L'origine de ses ancêtres, il en parle au début des "Mémoires d'Outre-tombe", se perd dans la nuit des temps bretons. Il est probable qu'il faille la chercher dans le Xe siècle, voire auparavant, si l'on imagine que les Châteaubriand descendent des anciens comtes de Rennes, que l'on remonte jusqu'au IXe siècle.

Nantie de ce pesant stock d'armures, de heaumes, de gourdins, de lances et d'épées, la lignée cadette des Châteaubriand déchoit assez tôt. Elle s'étiole dans une collection douloureuse de siècles, jusqu'à ce que le père de notre auteur acquière la bosse du commerce.

Encore un qui s'est enrichi dans la traite négrière.

Redoré, il peut acheter un donjon imposant et ancien comme la Bretagne, la forteresse un peu lugubre de Combourg. Il y installe sa famille en alternance avec leur hôtel du vieux Saint-Malo.

François-René, dans cette famille restaurée, suit un cursus ordinaire qui le conduit dans l'armée juste avant la Révolution. Il ne brille guère, émigre au bon moment et là, comme d'autres (notamment, un peu plus tard que lui, le futur roi Louis-Philippe, seul de nos monarques à avoir traversé l'Atlantique), s'embarque pour l'Amérique.

Il y découvre les tribus amérindiennes, qu'il enrôle bientôt dans la cohorte littéraire française à travers un curieux ouvrage, les "Natchez", paru à Londres après son retour et sa blessure dans la triste armée de Coblentz, qui scelle la fin de sa brève carrière militaire.

L'arrivée de Bonaparte au pouvoir coïncide presque avec le deuil de sa mère. En 1800, il est en France et publie coup sur coup en trois ans Atala, René et le Génie du Christianisme. Les deux premiers plaisent au public ; le troisième au pouvoir. Il tient son passeport définitif pour la gloire.

Bien entendu, il ne tarde pas à se brouiller avec le régime. Élu à l'Académie française en 1811, il trouve le moyen d'égratigner Napoléon, qui lui défend de siéger sous la Coupole. Il se rapproche de Louis XVIII et on connaît la fameuse phrase qu'il a écrite au sujet de la soumission faite par Fouché au vieux roi sur le paillasson du retour :

"Je vis entrer le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand soutenu par M. Fouché. La vision infernale passa lentement devant moi... Le régicide venait jurer sa foi entre les mains du frère du roi défunt. L'évêque apostat était caution du serment". Un passage magnifique sur lequel on a fait toute une pièce, puis un film, voici quelques années : "Le Souper".

Il suit la valse un peu ridicule de Louis XVIII autour des Cent Jours : un pas en avant, deux pas en arrière, puis rentre dans les valises des Bourbon et prend aussitôt du galon ... qu'il perd assez vite pour s'être brouillé avec les chefs de la nouvelle majorité.

Il commence alors une longue carrière d'opposition aux régimes, entrecoupée de moments de responsabilités diverses qu'il marque de son tempérament tapageur.

À la fin des années 1810, il a la bonne idée d'accepter Victor Hugo pour une tâche de secrétaire plutôt brève mais symbolique.

Mais en 1830, il se renfrogne et se replie sur ses fabuleux "Mémoires d'Outre-Tombe" qu'il promet de ne publier qu'après sa mort et qui paraîtront ... avant. Les sujets d'argent ont toujours contrarié les projets des écrivains.

Il meurt octogénaire en 1848. Presque exact jumeau de Napoléon, il s'éteint alors que commence à paraître la silhouette de Napoléon III. Il n'aura pas eu le loisir de s'opposer à ce régime-là. C'aurait pourtant été une occasion de se rapprocher de Victor Hugo...

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29/03/2007

Rostand a du nez.

Il faut naître fils de banquier.

Edgar Degas est fils de banquier, Edmond Rostand aussi. Évidemment, l'inconvénient est que si on aime les prénoms simples, on ne sera pas servi.

Cela étant, sa situation de fortune permet à Rostand de se consacrer à l'écriture. Il faut dire qu'il dégouline de facilités et de talent, c'en est agaçant.

Il faut dire aussi qu'il a la chance de rencontrer Sarah Bernhardt. Celle-ci, actrice déjà plus que confirmée, a sans doute déjà l'habitude de dormir dans son cercueil, dans sa suite, au Ritz.

Dans ce curieux séjour, elle reçoit. De là elle sort chaque soir pour jouer sur une scène parisienne.

Elle commande deux pièces à Rostand, l'une étant je crois la "Princesse lointaine". Toutes deux connaissent un succès plus que mitigé. Mais le métier de l'interprète s'est transmis à l'auteur : l'exercice qu'il livre ensuite au public se nomme "Cyrano de Bergerac".

Ah, évidemment, les tirades abondent, les morceaux de bravoure se dégustent frais. On savoure, on se délecte. Sorte de réminiscence d'Hugo et de Dumas, truculence, idéalisme, ferveur, flot de poésie. "Pas bien haut peut-être, mais tout seul...". "Mon panache...".

Le triomphe se répand à une vitesse éclair. Il dépasse l'imagination. La France est de retour.

Deux ou trois ans plus tard, pour battre le fer du succès tant qu'il est chaud, Rostand récidive avec "L'Aiglon", autre morceau d'anthologie ("Nous, les petits, les obscurs, les sans-grade ..."), confié à Sarah Bernhardt qui reçoit la récompense de sa trouvaille.

Napoléon, la gloire française au superlatif, griserie, vertige, tout le pays debout pour applaudir la vieille actrice. "L'Aiglon". Tragédie, injustice, trépas, tout y est.

Puis la page blanche. Rostand a été domestiqué pour le succès par Sarah Bernhardt, bien dressé, mais il y a au fond de lui un autre Edmond Rostand qui cogne aux parois et qui veut sortir. Cet Edmond-là rêve de sujets ambitieux, immenses, bref, il se nomme vertige du succès.

Le résultat de ce malentendu de l'auteur avec lui-même, c'est "Chantecler". Le lancement de cette pièce, la dernière jouée de son vivant, est tel qu'elle ne peut connaître l'échec. Malgré tous ses défauts, elle est donc rentable. Mais on y va en se pinçant le nez.

La simple idée que les personnages sont tous des animaux fait pouffer. On croit revoir l'image des cinq générations de barbus alignées qui fait le ridicule des "Burgraves", la dernière pièce du grand cycle de Victor Hugo, un échec critique et public cuisant. "Chantecler", au fond, est du même acabit. Quel qu'en soit le propos, l'idée est parfaitement ridicule.

Vexé, Rostand se renfrogne. Après tout, il est riche, académicien, malheureux en ménage, pourquoi irait-il s'exposer plus ? Qu'a-t-il encore à prouver ?

Il ne lui reste plus que le patriotisme, qu'il déploie autant que possible durant la première guerre mondiale, avec un courage plutôt rare.

Il me semble d'ailleurs qu'il fait le voeu de donner sa vie pour sauver la patrie. Il tient parole d'une façon paradoxale : il meurt un mois après l'armistice de novembre 1918... de la grippe espagnole.

Il a tout juste cinquante ans.

"Un baiser, à tout prendre, qu'est-ce ?.."

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28/03/2007

Victor Hugo, déiste.

On a fait toutes sortes de statistiques sur l'oeuvre énorme de Victor Hugo. On a calculé la récurrence du rythme ternaire des adjectifs et des locutions, le nombre d'alexandrins, et toutes sortes de détails plus ou moins curieux. Je n'ai pas réussi à trouver celle de la répétition du mot "Dieu".

Pourtant, il revient souvent. Il hante Hugo.

Bien sûr, très vite, le chef des romantiques devient anticlérical. Bien sûr, lorsqu'il rencontre un prêtre, c'est forcément celui que l'Église s'apprête à limoger. Bien sûr, il taquine avec mordant les catholiques dans des poèmes gouailleurs comme la Légende de la Nonne (magnifiquement chantée par Brassens).

Et cependant, qu'il le veuille ou non, l'idée et le nom de Dieu reviennent sous sa plume. D'abord presque comme une prière méditative ("Que faites-vous, Seigneur ? à quoi sert votre ouvrage ? À quoi bon l'eau du fleuve et l'éclair de l'orage ? Les prés ? ..."), puis un peu sur tous les tons de la métaphysique jusqu'à d'étranges emphases réminiscentes et presque psychanalytiques ("Car le mot, c'est le verbe, et le verbe, c'est Dieu").

Dieu va circuler de texte en texte, évoluer, prendre des allures hugoliennes, adopter une chair, un regard, ou au contraire s'éthérer en principe.

De toutes façons, à chaque instant de l'oeuvre, on retrouvera la notion d'un créateur, d'une main surpuissante qui a organisé l'univers et qui veille sur son monde.

En vérité, le déisme d'Hugo reste dans sa forme très chrétien, voire catholique. En témoignent l'une de ses oeuvres posthumes inachevées, la Fin de Satan (rien dans quoi un agnostique puisse trouver sa pitance), ainsi que la vénération qu'il a pour Jean, l'évangéliste, l'auteur de la visionnaire Apocalypse.

Mais il ne s'agit plus de foi, ni d'adhésion à un principe philosophique ou religieux. Les références d'Hugo sont celles de l'imprégnation qu'il a subie et qui lui permettent de s'adresser à un public large qui a les mêmes références culturelles que lui. Il organise à sa guise le Ciel de ses rêveries, sans se soucier des dogmes.

Dans son Ciel, il y a des anges et Dieu. C'est déjà beaucoup de monde.

Il croit aussi à la survie des âmes, puisqu'il fait tourner des tables comme des toupies pour les faire versifier sous le nom de divers hautes figures du passé.

Il tente de dessiner une cohérence, une architecture, mais son opinion est plus picturale que scientifique. Quoiqu'il fasse, Victor Hugo est avant tout un poète. Libre.

21:45 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

27/03/2007

Romain Gary et l'identité nationale.

L'oeuvre de Romain Gary contient deux petits bijoux : "La promesse de l'aube" et "L'éducation européenne". j'y ajoute "La vie devant soi" signé Émile Ajar.

Les deux premiers sont des textes vifs, pleins d'humour et de dérision. L'un d'eux contient un portrait de la mère (idéalisée d'une étrange manière) de Gary. On y voit une mère juive dans toute la splendeur de l'expression, folle, folle de son fils en particulier, sans doute plus dans le roman qu'au naturel. Une mère idolâtre.

On croise aussi des réflexions amères du Gary qui finit par se suicider dans la "vraie" vie : "Le véritable drame de Faust, qu'on nous a toujours caché, n'est pas tellement qu'il ait vendu son âme au diable, mais qu'il n'y ait personne pour l'acheter ; il n'y a pas preneur".

Désespoir de tous ceux qui, débutant dans la vie, cherchent un moyen d'ouvrir la porte du succès.

Le Gary de ces premiers livres adresse des articles à des revues à fin de publication, est émerveillé d'y trouver pour la première fois son nom et se cherche inlassablement un pseudonyme ronflant pour se fabriquer une grande carrière. Il imagine toutes sortes d'anagrammes transparentes et évocatrices de la France et de sa culture. Puis il dit (et c'est une des trouvailles les plus drôles) que c'est un jour, en découvrant le nom de de Gaulle, qu'il se frappe le front : comment n'y a-t-il pas pensé plus tôt ? Voilà le nom génial ! le nom idéal ! lol comme on dit sur Internet.

J'aime moins "Les racines du ciel", dont le titre est la meilleure part. Il me semble que ce roman est trop écrit dans l'esprit du jury Goncourt. C'est une copie d'écolier, un texte ad hoc. Trop chargé de détails, trop poussif, trop forcé dans l'action. Il a rempli sa mission, puisque Gary a obtenu le prix cette année-là.

L'imposture de Gary devenant Ajar pourrait être demeurée le plus grinçant et drôle canular de cette époque par ailleurs compassée. Mais elle tourne au tragique quand il apparaît que c'est la personnalité même de Gary qui sombre.

Hélas, sa propre histoire en fournit peut-être l'explication.

C'est lui qui raconte que, dans son enfance en Pologne, les gamins l'insultaient "Sale Juif !" Ses parents déménagèrent, s'installèrent à Paris. Et là, on continua à l'insulter ; cette fois, c'était "Sale Polack !" Ses parents déménagèrent encore, du côté de Toulouse je crois. Et les gosses, cette fois, hurlaient "Sale Parigot !"

Partout où il se déplaçait, il arrivait avec la trace de sa dernière résidence, comme une ombre.

Anecdote qui serait cocasse si elle n'était au fond tragique.

Elle permet de se rappeler qu'on est toujours l'étranger de quelqu'un quelque part.

Une leçon pour notre époque ? Si oui, une leçon très libre.

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26/03/2007

Pauvre Corneille.

Pierre Corneille, j'adore.

Ses trois principales tragédies, "Le Cid", "Horace" et ... (laquelle, déjà ?), sont des sommets que j'escalade avec délectation.

J'ai déjà oublié pourquoi on avait été si discret à célébrer l'an dernier le quatrième centenaire de sa naissance. Détail : ces stupidités politiques passent, le talent reste.

Ah, le "va, je ne te hais point", la tirade d'Horace sur la grandeur du combat et sa réponse de Curiace ("Nous serons les miroirs d'une vertu bien rare, Mais votre fermeté tient un peu du barbare..."), ce sont des morceaux que j'aimerais avoir écrits.

Corneille est un élève des Jésuites. Son vers célèbre d'"Horace" ("Rome, unique objet de mon ressentiment") est-il la trace chez lui de ce qui fera plus tard l'anticléricalisme de Voltaire, autre élève des fils de Loyola ?

Corneille est un Normand. Comme Flaubert et Maupassant, il glisse autant de réalité que possible dans ses oeuvres.

Corneille est un auteur puissant, puis un auteur décadent, et enfin un auteur trop vieux.

Puissant, il l'est jusqu'à l'extrême dans Horace et le Cid. Le verbe y est percutant et l'action débridée. L'épopée y affleure à tout instant ("nous partîmes cinq cents et par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port" dit autant avec aussi peu de mots que certains vers de la "Legende des Siècles" de Victor Hugo).

C'est notre plume la plus énergique avant Hugo. Corneille cultive d'ailleurs la force et c'est ce qui l'a rendu récemment suspect de je ne sais quel crime intellectuel dont les nouveaux inquisiteurs sont friands.

Au faîte de sa gloire, il peut protéger le retour de Molière à Paris. C'est l'époque où il courtise la Du Parc avec les vers les plus maladroits de tout notre arsenal galant (chantés par Brassens, qui leur a inventé une réponse cocasse) :

"Marquise, si mon visage
Vous paraît un peu vieux
Dites-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux".

Décadent, il le devient presque dès l'apparition de Racine, son cadet d'une génération entière.

Trop vieux, il l'est à la soixantaine. C'est l'époque où la jeune équipe de Boileau le pousse vers la retraite. En 1666 et 1667, Corneille produit successivement deux pièces : "Agésilas" et "Attila". Boileau s'écrie : "Après l'Agésilas, hélas ; mais après l'Attila, holà !". C'est le four.

Or Corneille s'éternise. On a prétendu qu'il collaborait avec Molière, avec lequel il avait fait alliance quelques années plus tôt. On a dit aussi qu'il s'était soumis à la censure linguistique de Boileau comme Molière, Racine et La Fontaine.

Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'au bout de cette trop longue agonie artistique, c'est tout de même Boileau qui intervient auprès de Louis XIV pour obtenir une pension au vieux maître aux abois. Coup de pied de l'âne ? Peut-être.

Mais Corneille, en mourant en 1684, peut en tout cas songer que son Cid, pourtant inspiré d'une pièce espagnole, traversera les siècles et les océans. La postérité le vengera.

Or la postérité et le public sont deux consolations inusables pour les gens de théâtre et de littérature.

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