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07/08/2007

En relisant « La curée » de Zola.

On pourrait croire, en ce lendemain de décès de l’ancien archevêque de Paris Jean-Marie Lustiger, que la curée soit le féminin du curé. Bien sûr, il n’en est rien.

La curée (Zola omet de le préciser) est l’instant de la chasse où l’on éventre (découd) le cerf et où les chiens se régalent de viscères chauds.

Le cerf de Zola, on s’en doute, c’est la France, doublement incarnée par Paris et par une jeune femme, Renée Béraud-Duchatel, violée, puis mariée par convenance à celui des Rougon qui se nomme Saccard (le même que celui de « L’argent »). Celui-ci ne se sert d’elle que pour de folles et malhonnêtes spéculations.

Délaissée par lui, elle finit par coucher avec son fils du premier lit, le fuyant Maxime, à peine plus jeune qu’elle.

Le double tableau de ce roman (le deuxième de la série) montre à la fois le Paris du second empire, livré à toutes les manœuvres par l’invraisemblable charcutage par lequel le régime transforme la ville de Quasimodo en une cité moderne et bourgeoise (mouvement d’ailleurs bien amorcé sous la monarchie de Juillet), et l’emballement licencieux de la haute société dont le Paris de la Belle Époque sera encore l’écho.
   
La corruption des élites est, selon l’idée de Zola, double elle aussi : par l’argent et par le vice.

En vérité, le naturalisme de Zola se veut un plaidoyer implacable contre ce qu’il considère comme un dévoiement, fécond peut-être, mais meurtrier et spoliateur. On est parfois gêné par l’abus qu’il fait du mot « vice », qui paraît lui donner un peu de fébrilité, plutôt malsaine ; la description littéraire pourrait ressembler ici au miroir des fantasmes.

Mais les mécanismes de détournement d’autorité et de fonds publics, qu’il décrit, sont parfaitement rendus et méritent qu’on les examine à la loupe, car rien n’y manque. Ce roman écrit en 1871 est d’une extrême actualité.

Enfin, impossible de ne pas relever quelques précoces (voire anticipatrices) tendances psychanalytiques dans la manière qu’a Zola de traiter la psychologie de son personnage principal : Renée. Orpheline de mère, dominée par l’image du père lointain et juge (jugissime), violée par un homme mûr et marié, tombant dans l’inceste, regrettant son enfance avec divers symboles qui s’y attachent, on peut vraiment dire que, si elle avait fait un stage chez Freud, elle n’aurait pas perdu son temps. Mais Freud a une quinzaine d’années quand le roman paraît.

On a donc de bonnes raisons de relire ce Zola-là malgré ses réminiscences lourdes de Balzac et sa tentation d’emboîter le pas au pâle Goncourt.

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25/07/2007

Henri Guillemin parmi les ombres de la littérature.

De son vivant, la génération de 1830, dont j’ai beaucoup parlé au début de ce blog, a dû une part notable de son essor et de son envergure à la qualité de la critique littéraire qui l’accompagnait. Le nom de Sainte-Beuve, l’homme qui a par ailleurs cocufié Hugo, vient aussitôt à l’esprit.

Dans sa vie après la vie, la vague de 1830 doit énormément à la patience et au talent d’Henri Guillemin.

Ce savant personnage, qui mourut très âgé, a produit des extraits raisonnés des carnets de Victor Hugo, par exemple. Il a consacré plusieurs textes, tous importants, à ce grand personnage, mais personnellement, celui que je préfère, c’est bien le recueil «Pierres», un kaléidoscope de ces extraits qui fait l’effet d’un long feu d’artifices de ces traits de génie qui font d’Hugo le maître indétrôné de la langue française.

On ne trouve «Pierres» que chez les bouquinistes ; si vous en croisez un exemplaire, achetez-le aussitôt.

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24/07/2007

Liberté ?

Quel est le point commun entre Sarkozy et Zola ? Le déterminisme. Tous deux croient que l’être humain est prévisible, son destin écrit d’avance et dicté par l’hérédité.

Y a-t-il un paradoxe dans ce rapprochement de l’écrivain de la gauche ouvriériste et du politicien de la droite bonapartiste ? Sans doute. Mais leur idée commune est connue : le productivisme. Leur vision du monde est quantitative.

Et si l’un veut inciter les animaux humains à s’agglomérer dans des émanations de l’Internationale, l’autre use de tous ses charmes pour les manipuler car il les aime comme public à assujettir par la manoeuvre. Dans les deux cas, l’être n’est qu’une variante de la masse.

C’est pourquoi, si l’on peut s’étonner de me voir relire Zola ces jours-ci, on doit bien penser que c’est pour ce rapprochement bizarre.

Je viens de rouvrir «La curée», le roman de la spéculation foncière et de la métamorphose de Paris commencée sous la monarchie de Juillet et amplifiée à un train d’enfer sous le Second Empire. Victor Hugo conie ainsi dans ses carnets s’être plusieurs fois égaré dans Paris en y revenant en 1870 après près de vingt ans d’exil : il n’y reconnaissait plus rien.

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22/07/2007

Sacha Guitry, tout contre la morale ?

Guitry succède à Feydeau. Quand l’étoile du second pâlit, celle du premier se lève. Le second pratique un théâtre du mouvement, du sursaut, de l’exclamation ; le premier, une mélodie du langage. Le second explose, le premier pétille.

Tous deux parlent de la même société, celle où les hommes sont aisés, où il fait partie de leur statut social d’avoir une maîtresse, où d’ailleurs on se passe et repasse la maîtresse en question d’un homme arrivé à l’autre, cependant que l’épouse que tous deux ont par ailleurs doit rester ignorante (au moins officiellement) de cette seconde vie.

Chez Feydeau, on s’aime souvent ; chez Guitry; on jouit plutôt.

La façon dont Guitry se joue alors de la morale est souvent délectable, jouissive elle aussi, délicieusement impertinente. Il n’existe aucune métaphysique dans son théâtre et toute règle de la société se résume à un adversaire à vaincre.

Peut-on dire pourtant que Sacha Guitry soit tout entier contre la morale ? Peut-être. Et cependant, son film, «Le roman d’un tricheur», tout en traversant un océan d’immoralités et d’injustices de toutes natures, finit de la façon la plus honnêtement morale, d’une façon quasi-hollywoodienne, comme si son auteur avait su en le faisant qu’il devenait le premier cinéaste du monde à réaliser un film entièrement gouverner par la narration de son personnage principal, la célèbre «voix off», celle de Guitry lui-même bien entendu.

Et dans «Mon père avait raison», écrit en songeant à son père l’acteur Lucien Guitry, Sacha énonce sur la vie familiale des vérités qui n’ont rien d’immoral non plus.

Alors... il faut croire qu’il y a tout de même une justice chez lui, même s’il a subi une cruelle injustice à la Libération de la France. Son théâtre suivant perd en allégresse, en vitesse, sans gagner en vraie moralité, car la morale de Guitry, la vraie, c’est le public. «Debureau», qu’il a filmé, est l’un de ses rares textes que l’on peut vraiment lire et où il proclame sa grande ambition pour son art. Il l’a honoré. Il a payé avec soin sa dette originelle, celle que tout acteur ou auteur a dès le début de sa carrière envers le public. Il n’y a jamais manqué.

Et puis, pour moi qui suis ancien élève du lycée Janson, à Paris, je sais qu’il a soigneusement honoré une autre dette : lorsqu’il a été exclu du lycée, dans les années 1890, il est parti sans rédiger sa punition, cent lignes. Quand on a fêté le cinquantenaire de Janson, en 1934, il fut choisi comme invité d’honneur de la cérémonie. Il s’en étonna, s’en amusa même, n’ayant séjourné qu’à peine trois mois dans les vieux murs. Et cependant, il accepta et rédigea un beau discours : on lui avait dit qu’il ne reviendrait au lycée que quand il aurait fait ses cent lignes et ce discours tint en ... cent lignes.

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17/07/2007

Société mécaniste, société humaniste.

Si l’on compare Balzac à Zola, on rencontre vite la différence qui sépare leur analyse de la société humaine. Qu’on ne s’y trompe pas : Balzac et Zola partagent une vision pessimiste des choses ; pour l’un, le moteur de l’activité humaine est l’intérêt, parfois corrigé par la passion ; pour l’autre, il ne s’agit plus de l’intérêt, notion intellectualisée et raisonnable, en tout cas du domaine de l’esprit, mais bien plus de l’appétit, notion parfaitement organique, dictée par la loi de la chair et de son fonctionnement.

Quand Zola évoque le « ventre » de Paris, c’est bien à cet appétit parfaitement physiologique qu’il songe.

Victor Hugo anthropomorphisait les vertus, les vagues de l’océan, conférait une âme aux choses dont il faisait des gens, tout événement devenait destin, résultat d’une intention métaphysique ; Zola, lui, rappelle que tout obéit à la logique de l’organe, qui est la face non point inerte mais sans âme de la vie. La société devient ainsi le corps social, un ensemble d’organes qui forment autant de rouages d’une véritable mécanique. Un mouvement collectif, inexorable, sans intention motrice.

La conséquence de cette vision (qui est celle des marxistes in fine) est que l’individu se définit par sa position dans un diagramme, il participe à une digestion collective du présent au service d’un futur qui obéit aux lois des organismes vivants : l’expansion du groupe, la conquête, l’édification de la fourmilière, de la ruche, le bourdonnement, le tentacule agressif de la ronce qui va marcotter, du pommier qui va drageonner, du palétuvier dans la mangrove ou du figuier dans la prairie. Le fruit de l’arbre n’est qu’un instrument de l’expansion de l’espèce.

Dès lors, gouverné par une loi immense, l’individu n’est plus libre, sa vie n’est qu’un pion d’une stratégie colossale qui, du protozoaire aux colonies d’insectes, vise toujours à un progrès qui n’a rien ni de noble ni d’idéal, mais seulement une logique de pouvoir d’une fraction de la matière sur le tout.

Ces théories mécanistes ont irrigué le Vingtième siècle ; elles ont apporté parfois des innovations fructueuses, notamment dans l’étude de l’Histoire : l’école des Annales en est un bon exemple, qui a permis de comprendre par des flux de long terme et des mouvements de profondeur certains aspects de l’aventure humaine qui échappaient jusque-là à l’intelligence.

Elles ont en revanche eu le grave inconvénient de réduire l’être humain à ses fonctions organiques (production quantitative, consommation) et elles ont inspiré toutes sortes de fonctionnalismes minimalistes qui ont abouti à l’oppression de l’individu par son environnement matériel (sans parler bien sûr des dérives totalitaires).

Oublier la liberté de l’individu est le premier des chemins qui mènent aux sottises racistes et xénophobes. Considérer la personne comme branche indistincte d’un arbre gouverné par la logique de son tronc aboutit à Auschwitz.

C’est pourquoi le retour de la liberté de l’individu, que nous avons cru constater pendant les deux ou trois dernières décennies, avait d’infinies qualités et portait d’inestimables espoirs.

Hélas, la voici de nouveau combattue avec efficacité par deux ennemis aussi redoutables l’un que l’autre.

Le premier de ces adversaires est le productivisme : toujours plus, joint au plus vieux défaut de l’homme en société : l’instinct léonin du contrôle des masses au service d’un oligopole économique. Je pense, en écrivant ces mots, à la dernière campagne présidentielle, à la crétinisation militante qui s’y est déployée, à la régression (voire à la répression) de l’idéal de circulation de l’information et du savoir né de la Révolution française. Le libéralisme des échanges, la logique du marché, ce sont des notions parfaitement humaines, obéissant à des impulsions spirituelles autant que matérielles, c’est la vie ; mais le dérèglement du marché par des outils manipulatoires et politiques revient à une vision purement mécaniste et quantitative de l’être humain. D’ailleurs, et pour invoquer un autre slogan de la récente élection présidentielle, dire « travailler plus pour gagner plus », c’est invoquer une logique de bête de somme, où la valeur du travail est sa quantité, alors que tout l’effort de notre civilisation consiste à accorder plus de valeur ajoutée à la qualité du travail qu’à sa quantité. La conception mécaniste produit donc une régression historique.

L’autre adversaire de l’humanisme est rigoureusement symétrique du premier : c’est celui qui vise à incarner partout, autant que possible, une nature sans être humain, l’humain étant par essence contraire à la nature ; or cette dernière proposition est fausse : opposer nature à culture fut même la plus dangereuse erreur du rousseauisme, celle qui a produit les effets les plus meurtriers des totalitarismes.

Ce conflit nature/culture revient paradoxalement à une vision organique et donc mécaniste de la nature donc de l’être humain, vision mécaniste dont je crois avoir démontré les risques profonds.

La création d’espaces naturels côtiers me semble ainsi excessif. Il y a un moyen terme entre les barres de béton telles qu’on en voit à La Baule par exemple, et la pointe du Raz, ici, en Bretagne, où l’on a été jusqu’à raser un hôtel modeste et vétéran pour restituer enfin une mythique nature sans intrusion humaine, l’humain étant ici, comme dans la religion, l’impur absolu.

Au fond, ces espaces dévitalisés ne sont rien d’autre que la résurrection du patrimoine de l’Église nationalisé en 1789 : une aire « tabou », vouée à l’expiation et à l’humilité, qui ne doit pas être exploitée, ni même utilisée. Créer de la richesse, vivre, c’est mal, c’est fautif. Une conception punitive irrigue certes (et trop) tout le programme des Verts, mais là, on atteint un sommet, qui révèle le substrat religieux de leur doctrine.

On n’y trouve certes pas l’hypothétique Dieu judéo-chrétien, mais on y distingue parfaitement l’ancestrale « mère-nature », la castratrice conservatrice selon laquelle toute innovation est par nature, ontologiquement, mauvaise, pernicieuse, la mère-nature dont il faut respecter le tranquille sommeil.

Sans aller jusqu’à psychanalyser cet avatar de la défense de la nature (qui s’y prête pourtant), j’ai voulu, pour conclure, rappeler que l’humanisme est mon horizon politique, toute activité humaine fait partie des effets de la nature ; domestiquer la nature n’est pas mal en soi, c’est fécond autant pour la nature que pour l’humain, pourvu que l’humain en soit justement l’horizon, en protégeant le vivant ; la même phrase peut être construite en remplaçant domestiquer la nature par produire.
Une idée comme ça, au début de l’été, en considérant l’actualité inquiétante avec un peu de recul. 

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14/07/2007

Jean Giono, l’ombre féconde de Pagnol

C’est l’été, tout le monde se précipite vers le Midi pour trouver enfin un peu de soleil, et il faudrait, pour être cohérent, relire Giono.

Vous allez me dire que moi, je suis en Bretagne, et qu’un équivalent breton de Giono serait pertinent, mais j’ai beaucoup parlé de la Bretagne ces jours-ci, voici une occasion de faire un tour ailleurs. C’est bien à quoi l’écriture sert.

De Giono, deux textes par exemple : « Colline », presque une nouvelle, sur un incendie de garrigue, image familière de l’été, un moment rude ; et « Le hussard sur le toit », malheureusement mal servi par son cinéaste voici quelques années en dépit des efforts de la belle et triste Juliette Binoche et du vigoureux Olivier Martinez.

Le Hussard est un roman suffocant, tout entier envahi par une célèbre épidémie de choléra qui a sévi dans le sud de la France au XIXe siècle. On y est happé dès la première page et, un bon paquet plus loin, on referme la dernière avec le sentiment d’un malaise interminable et profond. Le réalisme de l’histoire est très déstabilisant et l’angoisse, que les gens devaient éprouver devant cette maladie ultra-contagieuse et mortelle presque à coup sûr, est palpable. On en sort claustrophobe et brûlé.

Si l’on se connecte sur un site de téléchargement de films, on pourra aussi voir ou revoir le cinéma de Pagnol dans lequel Giono joue un grand rôle ; la plupart des profondeurs de Pagnol, comme dans la « fille du puisatier » sont dues à l’inspiration de Giono.

Voilà de quoi oublier un moment l’effervescence inquiétante du chef de l’État.

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12/07/2007

Lit-on encore « 1984 » d’Orwell ?

Atteindre et traverser l’année 1984 fut pour ceux qui avaient auparavant lu le livre de George Orwell « 1984 » un soulagement : il semblait que les horribles prédictions de l’auteur anglais s’éloignassent et que leur idée même fût éradiquée d’un monde occidental où la liberté individuelle définissait la différence même de ce « monde libre » et du monde manifestement captif que constituait le bloc de l’Est.

« 1984 », c’était le monde soviétique ; nous, nous nagions dans la liberté et nous étions à jamais vaccinés contre les tentations totalitaires gouvernant l’intimité la plus étroite de nos vies par des flots d’images interactives. Qui plus est, le libertarisme instinctif de la génération de mai 1968 semblait un gardien vigilant et jaloux contre toutes les divagations de nos appareils de police et de pouvoir.

Or nous y voici.

« 1984 », c’est aujourd’hui, ou plutôt demain matin : multiplication des caméras dans les rues et dans les bureaux, contrôle accru d’Internet d’ailleurs noyauté par des mécanismes infiniment subreptices : le scannage pluriquotidien d’Internet permet d’y réinjecter du venin sous une forme particulièrement insidieuse comme l’a démontré avec grande efficacité la récente campagne présidentielle française, bref, avec les téléphones portables repérables à tout instant, le wifi qui fait qu’aucun ordinateur équipé d’une carte Airport ou équivalente n’est plus jamais vraiment déconnecté de la toile, la télévision qui devient de plus en plus télévicieuse et érige l’indiscrétion en idéal d’existence et l’exhibitionnisme en instrument de gloire, il est évident que « 1984 » est juste devant nous.

À ma génération, on le lisait à l’école, au collège. Que font aujourd’hui les plus jeunes ? On leur en souhaite autant.

Sinon, il ne leur reste plus qu’à revoir le DVD « V pour Vendetta », redoutable antidote.

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10/07/2007

En relisant « L’argent » de Zola.

En relisant « l’argent », l’un des épisodes de la saga des « Rougon-Macquart », deux ou trois idées me frappent.

Tout d’abord, ce roman de la vie financière et de ses implications politiques de toutes natures est celui de l’illusion que la financiarisation de l’économie puisse faire émerger la rémunération au mérite, soit travailler plus (ou mieux) pour gagner plus.

L’idée est simple : la création des consortiums, des grands groupes qui euthanasient peu à peu les petits, aboutit à une logique de « syndicats » d’intérêts. Coalitions égalitaires d’entreprises moyennes, ces syndicats reposent sur une logique de répartition des gains. On pense évidemment aux coopératives ou aux Groupements d’Intérêt économique (GIE), mais il faut aussi songer aux oligopoles, qui en forment la face sombre éludée par Zola. Car il oublie que l’hyperconcentration de l’économie peut aboutir à de nouvelles formes de verticalité absolument identiques aux anciennes, comme le montre notre époque.

Zola énonce en fait le rêve d’une mutualisation de l’économie et, selon son idée, la dépersonnalisation de l’autorité de production à laquelle aboutit la financiarisation est un chemin efficace vers un monde où la totalité du revenu de l’entreprise est affecté soit à l’investissement productif, soit à la rémunération du travail « en proportion des efforts de chacun », soit une salarisation en fonction de la quantité de travail fournie (avec évidemment l’éternelle question de la prise en compte de la qualité autant que de la quantité).

Ensuite, seconde idée, le lien que Zola établit avec la création, alors récente, de « l’association internationale des travailleurs », mieux connue sous le raccourci d’« Internationale », conduit nécessairement à un transfert de pouvoirs des rentiers (les adversaires qu’il combat) vers les associations de travailleurs, qu’on a dénommées en d’autres époques les corporations.

Et c’est bien là, dès ce XIXe siècle sans doute, qu’il faut rechercher la tendance corporatiste de la gauche travailliste française, dans l’énoncé même de ses principes fondateurs tels que Zola les retranscrit.

En fait, il mélange le principe syndical de représentation des travailleurs dans les négociations sociales et le principe politique d’organisation de la production. Encore une fois, il y a là un trait caractéristique central de la gauche historique française.

Seulement, on voit bien que le concept d’associations de travailleurs pour la production et la commercialisation, s’il contient l’idée des mutuelles, plutôt efficaces en matière d’assurances, porte aussi l’inconvénient de toutes les formes de corporations : le conservatisme et l’oppression de l’individu par le groupe.

Le conservatisme est le défaut patent du syndicalisme à la Française. Et on voit bien pourquoi : il ne fait que reproduire le mécanisme des corporations d’Ancien Régime contre lesquelles entre autres s’est faite la Révolution française : toute innovation remet en cause un  équilibre et donc un pouvoir.

L’oppression de l’individu par le groupe est si évidente parfois que je ne m’étends pas sur ce sujet. N’oublions pas que le vrai ennemi, en matière économique comme en matière politique, est le réflexe léonin.

Quoiqu’il en soit, au milieu d’une époque charnière pour la société économique mondiale, à un moment où il apparaît que la financiarisation gagne toutes les structures de production avec de lourds inconvénients pour le tissu humain, il faut relire d’urgence « L’argent » pour comprendre d’où les erreurs sont parties, quels étaient les objectifs généreux poursuivis, pour comparer ces idées avec celles de Victor Hugo et se rappeler qu’un mot manque absolument au vocabulaire de Zola alors qu’il irrigue toute l’œuvre d’Hugo : le mot « liberté ».


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16/06/2007

Écrire la banlieue.

Me revoici au café du Chat Noir, à Paris, au nord de la Bastille. J'y viens saluer les acteurs du spectacle sur la Brinvilliers que je suis allé voir deux fois.
 
Comme j'ai une heure d'avance dans ma promenade, je m'assieds en commandant un quart Vittel. J'extrais de ma poche une biographie de Balzac et je commence à lire.
 
À ma droite, ma voisine pianote sur son ordinateur portable.
 
Il me semble qu'elle doit surfer sur Internet. Mais non, me dit-elle : pas de wifi au Chat Noir. En revanche, elle tourne l'écran vers moi et je vois des paragraphes séparés par de doubles interlignes, c'est évidemment un roman.
 
- Que faites-vous ? m'interroge-t-elle en réponse à ma question sur le wifi.
 
- J'édite des documents d'histoire bretonne.
 
Les mots "j'édite" ont un effet électrisant sur un auteur en herbe. J'ai beau préciser que je n'édite pas de roman, elle entreprend de me décrire le contenu et le contexte de son oeuvre.
 
En vérité, le tout se résume en deux mots : sa vie.
 
Elle a vingt-sept ans, elle est née d'un père malien et d'une mère haïtienne. Elle n'a été élevée ni par l'un ni par l'autre, mais par la DDASS. Elle fait partie de la statistique résiduelle qui s'en est sortie, sans d'ailleurs s'en extraire vraiment : elle est éducatrice sociale en banlieue.
 
Elle vote à gauche mais comme tous ceux qui s'en sortent peu ou prou, elle juge sévèrement ceux qui zonent. Et son roman (je ne vais pas en dévoiler le pitch, on s'en doute) raconte leur vie, l'aberration d'un système d'institutions locales qui, pour acheter la paix sociale, pratiquent diverses formes de cadeaux qui créent autant de frustration chez ceux à qui ils sont destinés que chez ceux à qui ils ne le sont pas.
 
Elle me lit certains passages à voix haute.
 
Et toute ma certitude s'effondre : je trouvais son style un peu trop littéraire, or je comprends qu'elle écrit du rap par longs passages et que sa façon de traverser des paragraphes trop travaillés ressemble à ce que produit le slam ou certaines formes de rap. Son public peut retrouver son goût dans ce qu'elle écrit.
 
Embarrassé, je la prie de m'adresser quelques chapitres par courriel.
 
- Promis, sourit-elle, mais en échange, vous corrigerez mes fautes d'orthographe ?
 
Elle n'en fait guère. Ce n'est pas une promesse coûteuse. Voilà, maintenant, j'attends son texte.
 
Et s'il y avait là le style spécifiquement banlieusard, à la mode d'aujourd'hui, que j'appelais de mes voeux voici quelques mois ?
 
Enfin. 

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13/06/2007

Don Quichotte.

Voici deux ans a été célébré le quatrième centenaire de Don Quichotte de la Manche.
 
Paru en 1605, le roman de Miguel de Cervantès a fixé pour des siècles (déjà quatre, donc) le profil d'un personnage intraitable, fantasque voire fou, en tout cas irréfléchi et gouverné par un mode de raisonnement dominé par l'absurde et l'emphase.
 
L'image du chevalier qui se jette contre les moulins qu'il assaille du haut de sa jument, un bidet famélique, au service d'une princesse de rêve ou de fantasme, est l'une des plus émouvantes, quoique ridicule et grinçante, de la littérature mondiale.
 
Bien sûr, on peut le trouver gratuit, risible, le prendre au premier degré, mais vaincre ses tabous, décider qu'il faut cesser d'accepter l'inacceptable et de tolérer l'intolérable, ce sont des pulsions de Don Quichotte que chacun de nous reconnaît en lui.
 
D'une manière générale, le rapport entre la pulsion, le désir, le caprice et notre relation à la réalité sont les moteurs de la fascination que Don Quichotte exerce sur chacun de nous.
 
S'il va contre les moulins, c'est pour des motifs théoriquement nobles et universels, mais la cause de l'acte qu'il commet n'existe pas ailleurs qu'en lui : de là vient que son geste n'est qu'une pulsion et non un véritable engagement. Don Quichotte est habité par des principes forts et incontestables qui ne rencontrent rien dans sa vie réelle.
 
Cette distance pourrait affaiblir les principes en question et les entraîner dans le ridicule ; c'est tout le contraire qui se produit.
 
Car le paradoxe de Don Quichotte est que sa quête absurde est profondément associée dans notre inconscient à tout ce qui a trait aux vérités douloureuses, aux "choses cachées" dont parle René Girard, à ces moteurs sombres et secrets qui font de la vie humaine un bouillon de culture fétide si l'on creuse un peu. Don Quichotte est l'homme qui veut arrêter la vague de l'océan avec ses doigts. Il n'y arrivera pas, bien sûr, mais s'il n'essaie pas, sera-t-il digne de vivre ?
 
Il est un inusable perdant, un looser indécrottable, mais il fait ce que chacun de nous voudrait oser faire dans sa réalité.
 
Répétons ici la phrase de Gandhi notée par notre blogueuse favorite Quitterie Delmas : "Si tu vois un problème et que tu ne fais rien, c'est que tu fais partie du problème". 

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12/06/2007

Histoire du général Pechkoff.

Comme je l'ai expliqué samedi, je suis retourné voir le spectacle sur la Brinvilliers déjà vu voici trois semaines. La petite salle était animée de têtes connues (les noms pas toujours autant : la jolie comédienne Alexia Stresi, Bernard Verley, Malka Riobvska, Coralie Seyrig) et, en retrait, l'ambassadeur de France Francis Huré.
 
Celui-ci, vétéran et quasi-nonagénaire, a publié dans les derniers mois une courte mais passionnante biographie de l'un des personnages français les plus énigmatiques du XXe siècle : le général Zinovi Pechkoff.
 
L'histoire commence au fond de la Russie tsariste, en 1884 à Nijni-Novgorod. Là naît dans la famille d'un graveur sur cuivre juif un fils prénommé Yeshua. Le père se nomme en russe Sverdlov. Il a un autre fils : Iakov.
 
Yeshua est turbulent, instable et secret. À l'âge de quatorze ans, il rompt avec sa famille et part à l'aventure, s'accrochant à un train ou à une diligence. Courant ainsi de ville en ville dans un pays hérissé de frontièrs intérieures où il faut sans cesse montrer patte blanche, il fait on ne sait quoi et voit on ne sait qui.
 
Un jour, il rencontre le grand poète révolutionnaire, Maxime Gorki.
 
Immédiatement, les deux se prennent d'amitié. Yeshua devient en quelque sorte le fils de Maxime, bien qu'il n'ait qu'une quinzaine d'années de moins que lui.
 
Entraîné dans les milieux politiques et artistiques, Yeshua se devine acteur de théâtre. Hélas, en Russie à cette époque (apartheid ou lois de Nuremberg avant l'heure), pour être comédien breveté (et il faut être breveté), il faut produire un acte de baptême orthodoxe. Or né de parents juifs et circoncis lui-même, Yeshua ne peut évidemment posséder un tel document.
 
Qu'à cela ne tienne : Gorki, qui ne met pourtant jamais les pieds dans une église, y entraîne son protégé et l'y fait baptiser. Il est lui-même son parrain. Yeshua Sverdlov devient ainsi Zinovi Pechkoff, Pechkoff étant le vrai nom de Gorki.
 
Pechkoff débute au théâtre et y démontre du talent. Son amitié pour Gorki se poursuit, ainsi que le militantisme révolutionnaire.
 
Quelques années plus tard, Gorki et son épouse quittent la Russie et vont dans le sud de l'Italie. Pechkoff les suit. Mais au passage il s'attarde, s'évade, se disperse. Une fois de plus, on ne sait ni ce qu'il fait, ni où il va ni qui il voit.
 
Il passe par l'Amérique, les vastes États-Unis, nation encore jeune et pleine de sève.
 
Il s'y promène, noue des liens qu'il retrouvera plus tard. Il n'oublie rien.
 
Il revient chez Gorki, repart, s'éloigne, revient.
 
Arrive la guerre de 1914. Pechkoff a trente ans. Ses voyages ont fait de lui un apatride. C'est le passeport des apatrides qu'il présente donc au bureau de la Légion étrangère pour s'y engager pour le temps de la guerre. Il obtient le grade de caporal.
 
Au bout de quelques mois, un obus lui arrache presque le bras. Le membre pend. On ne le soigne pas. Pechkoff s'agrippe à un train. Il repart vers l'arrière, trouve un hôpital. Là, le chirurgien hoche la tête et, constatant l'état du patient et le commencement de gangrène, il lui donne peu de chance. Pechkoff le menace alors avec un pistolet. Le chirurgien, pourtant épuisé par une longue journée d'opérations, accepte de se remettre à l'ouvrage. Il sauve Pechkoff.
 
Démobilisé, celui-ci se retrouve, l'un des innombrables mutilés de la guerre. Que fait-il ?
 
L'armée s'aperçoit qu'elle peut avoir besoin de lui : il parle plusieurs langues et a séjourné aux États-Unis. Or on tente de convaincre ceux-ci d'entrer dans la guerre. On va donc envoyer Pechkoff y faire des conférences.
 
Il est réenrôlé avec la fonction d'interprète des armées. Comme on ne peut déléguer un simple caporal, il est promu subitement capitaine, trois galons pour conférer de la dignité à son propos.
 
Il passe ainsi deux ans aux États-Unis à faire de la propagande pour la guerre européenne.
 
Les Américains entrent dans le conflit presque au moment où les Russes en sortent.
 
La révolution a en effet éclaté en 1917. Dès novembre de cette même année 1917, Iakov Sverdlov, le frère de Pechkoff et proche collaborateur de Lénine, devient chef de l'État soviétique naissant.
 
Démobilisé à la fin de la guerre, Pechkoff repart pour la Russie, y retrouve sa famille et Gorki, il y passe deux ans encore. Puis Gorki vient s'installer en Italie et Pechkoff le suit.
 
Puis Pechkoff se marie une première fois, s'éloigne encore, revient vers Paris, retourne aux États-Unis, toujours en tous sens, toujours silencieux sur ses rencontres mais prolongeant longtemps ses liens personnels.
 
Et le manchot se demande ce qu'il peut faire. Il choisit de rempiler dans la Légion. On l'y admet avec le grade de colonel, qu'il va conserver durant près de vingt ans. Il sert au Liban et au Maroc. Au Liban, il se remarie et j'ai bien connu sa seconde épouse, puisqu'elle était la cousine germaine de mon grand-père.
 
Tous ceux qui connaissaient assez intimement Pechkoff pour l'appeler par son prénom le nommaient Zino, un diminutif. Elle, privilège suprême, avait inventé Zico.
 
Leur union ne dure que quelques années, mais elle sera sa légataire universelle.
 
Arrive le désastre de 1940 qui laisse tout le monde hébété.

Pechkoff est en Afrique, à Madagascar je crois. Il y reste.

Or de Gaulle a besoin d'officiers de haut rang et d'expérience. Il recrute Pechkoff pour sa France Libre. Le manchot vieillissant n'hésite pas : il rejoint le camp du général. Celui-ci le fait du reste vite lui-même général.

C'est ainsi que le fils du graveur juif de Nijni-Novogorod, frère du chef de l'État soviétique, devient général de la France Libre.

D'abord envoyé en Afrique du Sud en ambassade, il est désigné pour commander l'Afrique Équatoriale. Trois étoiles, puis quatre, puis peut-être même cinq, ornent son képi et ses manches.

Après la guerre, l'ancien apatride devient ambassadeur de France au Japon. Il meurt à Paris en 1966. Il m'a vu dans mon berceau.

Courez lire sa biographie par Francis Huré chez Bernard de Fallois. 

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22/05/2007

Ce soir, repos : parlons de littérature.

J'ai commencé ce blog en janvier avec l'idée que j'y parlerais essentiellement de littérature, d'Histoire (c'est tout de même ma spécialité), et que parfois, ici ou là, je glisserais des allusions fines à mes préférences politiques.
 
Or comme tout le monde, j'ai été emporté par le maelstrom de la campagne présidentielle, toute allusion est devenue un obus de bazooka et mes préférences politiques s'étalent à longueur de mes colonnes.
 
Eh bien oui, j'ai voté Bayrou, j'en suis fier, et je me battrai pour que quelques mauvais génies ne l'empêchent pas de poursuivre sa propre idée de la rénovation politique dont la France à besoin et qui a peu de rapport avec l'hyperprésidentialisation du régime que chacun constate ces jours-ci.
 
J'ai annoncé que je parlerais de littérature ce soir ; eh bien, c'est vrai aussi.
 
La raison pour laquelle j'ai eu à ce point envie de faire cette campagne présidentielle et de me replonger dans la fièvre politique dont je m'étais éloigné depuis 2001, c'est tout ce que Victor Hugo a écrit sur le devoir de ceux qui ont une responsabilité quelconque dans la cité, qu'elle soit intellectuelle, morale, philosophique ou politique : "agrandir les esprits, amoindrir les misères".
 
Et agrandir les esprits, dans la mesure où, comme le dit ailleurs Victor Hugo (phrase que j'ai placée en exergue de ma colonne de gauche), "quand tous ont accès aux lumières du savoir, alors est venu le temps de la démocratie", c'est cultiver la démocratie, la faire vivre, la vivifier, la prolonger, la développer.
 
Oui, il n'y a pas de démocratie sans militantisme du savoir.
 
Or la campagne qui a triomphé était tout l'inverse de ce militantisme-là et, au contraire, celle de François Bayrou en était constamment imprégnée, comme l'a d'ailleurs démontré la structure de son électorat. 
 
C'est pourquoi, si la campagne que j'ai faite a été perdante, elle a cependant été juste et rien ne pourra me la faire regretter.
 
Campagne contre la crétinisation, contre l'utilisation de symboles consternants et parfois abjects, contre la peoplisation, contre la bipolarisation irréfléchie et mécanisante.
 
Campagne pour l'intelligence, pour la sincérité, pour la fraîcheur, pour la vertu, toutes notions que la politique écrase en général. Pour la liberté et pour l'autonomie de l'esprit.
 
Et je crois que le Modem, le nouveau parti de François Bayrou, prolongera cette campagne dans son programme et, espérons-le, dans son fonctionnement.
 
On a lu récemment ma colère contre certains choix que je continue à trouver absurdes. Mais la politique consiste parfois à transformer la colère en acte. Cet acte, ce sera un engagement pour que le Modem prenne les chemins les plus modernes, les plus démocratiques et les plus justes. J'y veillerai, ou plutôt je contribuerai, avec d'autres, à y veiller, car mon chemin reste le livre et je laisse à d'autres le soin de devenir ce qu'ils doivent être : des armes citoyennes.
 
Je sais que je viens de parler de politique alors que j'ai annoncé un sujet littéraire, mais voilà, tout cet effort personnel, toute cette vision que j'ai eue et pour laquelle j'ai lutté, elle me vient tout droit, encore une fois, de Victor Hugo qui me l'a, de loin, du fond des "Contemplations" (le livre que j'emporterais sur l'île déserte) soufflée.
 
Alors, de grâce, courez relire les "Contemplations" avant de retourner sur le blog de Quitterie Delmas. 

07/05/2007

Pendant toute la campagne, je pensais à Pagnol.

Bien entendu, c'est "Topaze" qui m'y faisait songer, l'histoire de ce modeste professeur plongé dans le monde demi-sel des politicards véreux vendus aux marchands de balayeuses mécaniques. Une histoire si inusable que Pagnol en a tourné deux versions, l'une entre-deux-guerres, l'autre après-guerre.
 
Le premier livre de Pagnol que j'ai lu était "La gloire de mon père", offert par une prof de math, en classe de quatrième. Cette femme d'une qualité humaine exceptionnelle avait passé une partie de la guerre dans un camp de concentration. Elle en était revenue et n'en montrait aucune trace, rien qu'une sérénité et une imperturbable gentillesse.
 
Pour annoncer son approche et nous inciter à rejoindre nos places du côté de la salle (n° 68 je crois) du lycée Janson, elle agitait devant elle un énorme trousseau de clefs, un vrai attirail de cambrioleur ou de serrurier. Puis d'une petite voix pointue, cette demoiselle, déjà âgée, nous invitait poliment à l'écouter.
 
Dans sa courtoisie, dans son immense gentillesse, elle ne manquait jamais de glisser un encouragement.
 
Et comme j'ai toujours été sensible à la flatterie, ce fut l'une de mes meilleures années dans sa matière : je la terminai persuadé de finir polytechnicien.
 
Et c'est donc au cours de l'un des trois trimestres que, en récompense de son propre travail (car finalement comme élève je n'avais qu'à m'imprégner des raisonnements très imagés qu'avec une pédagogie lumineuse elle nous martelait), elle m'offrit (premier prix du trimestre) "La gloire de mon père".
 
Pagnol, c'est charmant. Ca ne casse pas des pattes aux escargots, comme aurait dit mon grand-père, mais c'est une jolie promenade dans une époque, un monde, des lieux.
 
On oublie que les films de Pagnol doivent beaucoup à Giono, c'est ce qui les rend plus forts que ses livres. Et pourtant, les livres conservent l'intérêt et l'émotion du témoignage sur une France pour qui la République était l'ambition suprême, une France qui s'éloigne.

03/05/2007

Hippodrome d'Auteuil : les paradoxes du Bois de Boulogne.

À l'ouest de Paris se situe le Bois de Boulogne, longtemps proverbial pour certaines activités nocturnes et spécialisées, d'un type artisanal, autrefois féminin, aujourd'hui plus indéterminé. Bref, sans m'étendre sur l'activité de ces dames, un mot du bois.
 
Il a une valeur symbolique : le nom gallo-romain de la paroisse locale, qui englobait Boulogne, Auteuil et Passy, était "Nemetum", où il faut reconnaître le gaulois "nemeton", le bois sacré. Le Bois de Boulogne est le vestige du bois sacré gaulois qui occupait là une boucle de la Seine.
 
Ce bois fut rattaché à Paris par un acte juridique sui generis de l'empereur Napoléon III au XIXe siècle. Je crois en 1857. On en retrancha une portion qui devint le quartier dit des Princes ou du fond des Princes, à Boulogne, un quartier strictement résidentiel où tout commerce était interdit par le texte fondateur. Ce quartier est aujourd'hui dominé comme un donjon par la silhouette imposante du Parc des Princes. Il borde aussi le mythique stade de tennis de Roland Garros.
 
Plus au nord, donc, ce qui reste de l'ancien bois de Boulogne, qui relève du territoire de Paris. Là sont deux hippodromes, celui de Longchamp et celui d'Auteuil. On dit que c'est un peu trop pour le nombre de courses qui se déroulent à Paris (sans compter le troisième hippodrome, celui de Vincennes), mais, il y a dix ans, quand la question fut posée, les deux hippodromes parvinrent à sauver leur existence par ce qui est au moins un artifice ; bref, je ne m'étends pas sur ce sujet un peu délicat où l'on pourrait avoir beaucoup à dire.
 
Voici le paradoxe : le rattachement du bois au territoire parisien n'eut pas pour entière conséquence une attribution des compétences sur le bois à la Ville de Paris, même du temps où celle-ci était gérée comme une préfecture. Les hippodromes qui furent créés ensuite le furent sur décision de l'État, sous la tutelle (rien n'est jamais simple) de trois ministères : celui de l'agriculture (au nom de l'autrefois célèbre "amélioration de la race chevaline") et celui des finances (en raison de la forte redevance perçue par l'État à la fois sur l'hippodrome et sur les paris), auquel s'est joint le ministère des sports.
 
Voici plusieurs décennies, la préfecture de Paris, alors très puissante dans l'État, obtint la dévolution de la tutelle de l'équipement, avec certaines réserves.
 
Aujourd'hui, après la décentralisation, la Ville de Paris est une collectivité comme les autres et la tutelle des hippodromes a retrouvé son régime antérieur, parfaitement absurde, reconcentré, ou plutôt, repartagé entre les trois ministères et la Ville (affaires de gros sous).
 
Je me demande pourquoi la décentralisation a été si absente de la campagne électorale. Mme Royal en a un peu parlé hier soir. Il reste beaucoup de ces situations absurdes à clarifier. Il en résultera des économies substantielles pour le contribuable.
 
Merci d'avoir lu ce message destiné à rappeler qu'une campagne présidentielle est destinée à parler des réalités.

29/04/2007

Brassens, une semaine avant le second tour.

"Parmi les noms d'élus, on verra pas le mien".
 
La proclamation de Brassens, gouailleuse comme toujours, nous rappelle aux réalités de notre propre vie. Foin des élections, foin des grandes masses humaines agglomérées pour les meetings électoraux, foin de tout ça, "le pluriel ne vaut rien à l'homme ; sitôt qu'on est plus de quatre, on est une bande de cons".
 
Alors il faut le dire. Brassens est un maître à en sourire, un maître à prendre de la distance, un maître ès détachement goguenard. Agitations, fièvres, tout ça demeure dérisoire.
 
Tandis que
 
"cette plage où le sable est si fin
Auprès de mes amis d'enfance, les dauphins",
 
là où
 
"tantôt venant d'Espagne et tantôt d'Italie
tout chargés de parfums, de musiques jolies
le mistral et la tramontane
sur mon dernier sommeil verseront les échos
de vilanelle, un jour, un jour de fandango,
de tarentelle, de sardane"
 
Il reste de la vie le spectacle de la mort et la vertu du sage est de tenir la vie tant qu'elle tient debout.

Le plaisir de la promenade, chacun son coin de forêt ou de rivière, chacun son sentier secret, sa rue écartée, son toit qui penche.

Le plaisir d'un livre.

Le plaisir d'une camaraderie, d'un amour. D'un simple joli regard de jolie môme.

Voilà ce qui fait que l'effroi qui s'empare de nous de temps à autre en examinant les sondages peut encore être conjuré. 

 

28/04/2007

Mon 10 mai 1981.

Il faut parler de mon père.

Il admirait Mendès depuis sa jeunesse au début des années 1950. Il adressait à PMF chacune des tribunes qu'il faisait paraître d'abord dans "Combat" puis dans "Le Monde". Mendès accusait toujours réception de ces envois et les commentait quelquefois.

Logiquement, mon père, membre du Parti Socialiste depuis le congrès d'Épinay en 1971, se retrouvait dans le courant rocardien, qui se rapprochait de son mendésisme.

Le 10 mai 1981, j'avais seize ans depuis quelques mois. Mes parents étant divorcés, j'avais gardé l'habitude de voir mon père le dimanche, quoique ce ne fût plus une obligation légale depuis justement mes seize ans.

Ce jour-là, il était aux anges. Il exultait. Il m'emmena dès mon arrivée et, courant presque, bondit dans sa R20 gris métallisé où je le suivis.

Il votait dans le quatorzième arrondissement de Paris, dont il venait de déménager. À tombeau ouvert, il y courut. Il se gara comme toujours mal, à moitié sur le trottoir, et se rua sur son bureau de vote.

Il était midi, l'endroit était vide ou presque. Mon père salua son président de bureau de vote, qu'il connaissait, et s'engagea dans l'isoloir, toujours aussi joyeux. Il en ressortit aussitôt et se présenta devant l'urne. On le fit voter.

- A voté !

Et c'est alors que sa joie redoubla.

- Viens, me dit-il.

Il me conduisit vers un autre bureau de vote, toujours dans le quatorzième. Là, il sortit d'autres papiers de sa poche : ceux de son frère, Jean Torchet, mort en 1956. Ce Jean Torchet était sorti en petit rang de l'ÉNA, dans la même promotion qu'Édouard Balladur, Jacques Calvet (longtemps président de Peugeot), Jérôme Monod (le dernier homme de réseau du chiraquisme) et quelques autres. Bref, depuis 1956 et la mort (à vingt-six ans) de ce frère fauché par un cancer du fumeur (tabagie passive), mon père n'avait jamais manqué une occasion de voter à sa place.

Au fond, c'était très malsain.

Mais là, je le vis présenter, pouffant et jubilant comme un gosse, la carte d'élève de Sciences-Po de son frère, à qui il ressemblait suffisamment pour la vraisemblance. Le président le connaissait pour l'un de ses électeurs habituels. Il ne fit aucune difficulté.

Et je vis mon père entrer pour la seconde fois dans l'isoloir.

Et pour la seconde fois, il vota Mitterrand.

Je ne l'ai jamais vu plus heureux que ce jour-là.

Mais bien entendu, dès l'élection acquise, comme tant de rocardiens, il passa à la trappe.

Cette phase-là, je l'ai sue mais il ne me l'a jamais racontée : je ne l'ai revu que deux fois après le 10 mai 1981.

Les voici.

Au début de l'automne de cette même année, toujours âgé de seize ans, élève du lycée Janson, une boîte prestigieuse d'un quartier bourgeois de l'ouest parisien, j'avais décidé qu'il devenait impossible de rester neutre. Je m'étais engagé.

Intéressé par la modération et par le talent verbal de Lecanuet, j'avais adhéré au centre, une étiquette que jamais aucun membre de ma famille n'avait portée avant moi (j'avais pourtant le choix, car du radicalisme au nationalisme en passant par le socialisme, l'éclectisme régnait dans mon entourage familial). J'ai donc complété le panel en entrant en centrisme, secte bizarre et peu nombreuse dont il faudra bien que je dise quelques souvenirs cocasses à un moment ou un autre.

Quoiqu'il en soit, j'adhérai début octobre 1981 et à la fin de ce même mois, mon grand-père paternel mourut, certain d'avoir été assassiné par les sbires de Jacques Médecin : officier de marine retraité, grand résistant, il s'était présenté sous une étiquette "poujadiste" aux législatives de 1981 dans les Alpes Maritimes et y avait obtenu un peu plus de cinq pour cent. Un cyclomotoriste l'avait ensuite renversé, lui causant des blessures mortelles et mon grand-père, il est vrai parano de nature, avait conclu à l'assassinat dans une lettre qu'il m'avait adressée. Il mourut donc fin octobre.

Ce fut alors l'avant-dernière fois que je vis mon père, aux obsèques de son propre père.

Moins de deux mois plus tard, entre Noël et le Nouvel An de cette année 1981, il m'appela et me proposa de passer la soirée avec lui, ce que je n'avais jamais fait.

J'acceptai.

Il me donna le choix de son cadeau de Noël : m'offrir "une pute" ou une place au spectacle de Montand à l'Olympia.

Je choisis Montand à son grand désarroi : sûr de ma réponse, il n'avait pas acheté un billet pour le concert.

Nous nous rendîmes donc au plus célèbre music-hall de Paris. La salle était archi-comble. Il fallut parlementer un long moment avec la guichetière pour obtenir de pénétrer dans cet endroit devenu déjà mythique.

Montand était étonnant. Je ne connaissais de la chanson sur scène qu'Anne Sylvestre, amie de ma mère, dont je fréquentais ponctuellement les concerts, et le music-hall, le spectacle insensé fourni par Montand, tout cela fut pour moi un très grand choc artistique. Nous étions assis sur les marches : les sièges regorgeaient de gens assis les uns sur les autres, les strapontins fléchissaient sous la masse, il ne restait que les gradins, au mépris de toutes les lois de sécurité.

Nous n'avions pas peur. J'étais subjugué.

À l'entr'acte, une banderole fut déroulée sur tout le long de la scène. Elle portait un seul mot, inscrit en rouge sang sur fond blanc : Solidarnosc (avec des accents sur le s et le c), le nom du syndicat Solidarité en polonais. On était quinze jours après le 13 décembre 1981.

Voilà ce qu'était la gauche à cette époque-là.

Puis mon père, en sortant de l'Olympia, comme on était dans le bon quartier, réitéra sa proposition de m'offrir "une pute". J'avais dix-sept ans.

Je refusai de nouveau, un peu déstabilisé.

Il haussa les épaules et me sourit, puis il poursuivit sa route.

Je ne l'ai jamais revu : il est mort deux mois plus tard, âgé de quarante-huit ans. 

27/04/2007

Albert Camus, la patrie du verbe.

"Ma patrie, c'est la langue française", écrivait Camus. On devrait le relire ces jours-ci, ce serait un repos. Il faisait dire aussi à Napoléon dans "Les amandiers" : "Il n'y a que deux forces au monde, le sabre et l'esprit . À la longue, l'esprit l'emportera toujours sur le sabre". Que certains en prennent donc de la graine.
 
Camus, le pessimiste, le pacifiste, le résistant, le directeur de "Combat" clandestin sous l'occupation, l'enfant français de l'Algérie opposé à la guerre, ennemi de ses amis, toujours tourné vers l'exigeance de l'intelligence, est l'un des hommes indomptables qui manquent à notre époque.
 
Jamais dupe, jamais emporté par une autre idée que la sienne, repoussant également toutes les opinions faciles, montrant son long visage et son regard incisif, il ne se laissait pas dominer. Pas assez pour la tranquillité de ses contemporains.
 
Ami des Gallimard, il a représenté pour une génération l'aune de toutes les indépendances d'esprit.
 
Tout le monde a lu "L'étranger" ou "La peste" au lycée. Je préfère "L'étranger", bien qu'il faille le lire un jour où le soleil brille fort et où on vient de gagner un milliard au Loto pour éviter de sombrer aussitôt dans la plus affreuse déprime. Son théâtre ne vaut pas celui de Sartre mais le relatif oubli ou, pour mieux dire, la trop grande négligence dans laquelle il est tenu relève de l'injustice.
 
Huster a repris son "Caligula" voici quelques années, à peu près avec la même idée étrange que Lawrence Olivier interprétant Hamlet à l'âge de cinquante ans. Ce Caligula nous rappelle de quoi est faite l'âme des dictateurs.
 
À méditer donc ces jours-ci. Libre. 

25/04/2007

Littérature de pouvoir.

18,5. Ce n'est pas une si mauvaise note...
 
Reste qu'une fois de plus, la politique des moyens triomphe contre celle des fins. Une fois de plus, l'énergie de la conquête a dévasté l'ordre de la raison.
 
On voudrait croire à une dimension romanesque des personnages qui sont apparus dans le récent scrutin. Or à l'examen, on aura du mal à échapper au stéréotype.
 
Bien entendu, l'idée immédiate, l'homme de pouvoir par excellence, en littérature, c'est Rastignac. Ou si l'on en veut un modèle plus politique (sinon plus républicain), on songera à ce journaliste qui est le personnage central des "Grandes familles" de Druon et dont le nom m'échappe au moment où j'écris.
 
À ces archétypes du cynisme ambitieux s'oppose le roc du Jacques Thibault de Martin du Gard, l'antipouvoir type, le sacrifié de nature, le juste à qui la pulsion mortelle et destructrice donnera toujours tort. Autant dire tout de suite que je n'identifie Bayrou ni à l'un ni à l'autre types. C'est mon ni-ni à moi. Bayrou est un juste sans sacrifice, ou plutôt de sacrifice modéré, un centriste du sacrifice : ni trop, ni trop peu. Toujours le ni-ni.
 
Et s'il est difficile de s'extraire des clichés, c'est parce que la littérature n'a guère traité la matière politique. On y voit peu les rouages de l'autorité, peu les mécanismes de la décision. "Germinal" décrit le militantisme dans sa genèse. "Les Thibault" dans son effervescence. On trouvera des auteurs engagés. On trouvera aussi des fictions documentaires du type "meurtre à l'Élysée" ou "à l'ÉNA". Mais ces livres ont un rapport lointain avec la littérature.
 
Sur le pouvoir et sa conquête, outre les classiques de Machiavel ou de Sun-Tzu, qui ne sont que des traités de tactique, on devra se rabattre sur les excellents "Mémoires" de Louis-Philippe, ou sur ceux, finalement, d'une quantité de grands hommes quand ils ont eu l'honnêteté de s'exprimer sans langue de bois. Un recensement qui reste à faire.
 
Et toi, lectrice, lecteur, qu'as-tu à ajouter à cette liste de littérature de pouvoir ?
 
Moi, je n'ai qu'une phrase que, sans surprise, j'emprunterai à Victor Hugo. Il s'agit là du seul vrai espace de vie où le pouvoir puisse être corrigé par un engagement de tous les instants : le couple. La phrase d'Hugo (je cite de mémoire) est : "Sois ma reine et mon esclave, je serai ton roi et ton esclave".
 
Je connais une jolie môme qui l'incarne bien. 
 
Libre. 

16/04/2007

Vite, le livre d'Azouz Begag.

On ne prend pas toujours facilement un écrivain au vol. Il vaut parfois mieux l'avoir suivi dès ses débuts, l'avoir accompagné, avoir pris le train dès son départ.
 
Je n'avais jamais rien lu d'Azouz Begag jusqu'ici et c'est la seule réticence (modeste, on en convient) que j'éprouve en refermant son livre. Car il parle de lui, de certains événements de son parcours et de sa vie, et on se doute qu'il ne prend pas la peine de s'y attarder parce qu'il l'a déjà fait ailleurs, alors qu'on aurait vraiment voulu les mettre en perspective de ce qu'il raconte : ils y auraient trouvé un écho, neuf pour le lecteur novice, et peut-être neuf aussi pour le lecteur chevronné, qui en aurait découvert un nouvel aspect.
 
Quoiqu'il en soit, et toujours avant de parler du livre en tant que tel, il faut tout de même noter l'extraordinaire portrait de calvaire qui sert de toile de fond à ce compte-rendu de ministère : celui de Dominique de Villepin, que l'on voit transformé peu à peu en ectoplasme douloureux, décharné, desséché, l'oeil qui se vide progressivement, à peu près tel qu'on l'a vu à la télévision, mais sous l'angle d'un proche qui, certes, ne le voit pas beaucoup, mais a sur lui un regard bienveillant, sincère et libre.
 
Il faut tout de même faire cet aparté, car Villepin a honoré la France par son courage devant l'ONU en se cabrant dans un beau texte contre l'oukaze du mensonge, ce qui lui vaut une reconnaissance éclairée.
 
Ces préliminaires achevés, venons-en au fait : Azouz Begag (c'est là qu'on aimerait en avoir lu un peu plus sur lui, j'avoue ne pas le connaître bien), au fond, fait un portrait naïf de lui-même qui peut rappeler les romans ou les films qui, il n'y a pas si longtemps, narraient la "montée à Paris" d'un petit provincial, tout ébahi, tout benêt, tout gentil, au milieu du vrombissement de la grande ville.
 
Oui, il y a quelque chose du "Fauteuil d'orchestre" de Danièle Thompson, dans le livre d'Azouz Begag, et quelque chose de Cécile de France dans le personnage qu'il met en scène sous l'identité de lui-même.
 
Mais bien sûr, la comparaison s'arrête là, car le film est un bon divertissement, alors que le livre est un puissant témoignage.
 
L'aventure débute d'une façon étrange : il rencontre Villepin à la foire du livre de Brives, Villepin n'est encore que ministre des Affaires Étrangères, et quelques mois plus tard, le même DDV (selon ses initiales) le propulse ministre. Un faux ministre, ou plutôt un vrai, mais un qu'on ne respecte pas dans le milieu politique : un ministre sans administration ni budget.
 
Or chacun sait que ce sont les deux nerfs de la bataille politique, les deux enjeux majeurs des disputes âpres que se livrent les ministres dans les coulisses.
 
J'ai personnellement le souvenir d'un sous-ministre qui, en 1995, se réjouissait d'avoir arraché deux directions d'administration centrale cruciales du ministère de l'Intérieur pour composer son sous-ministère. Résultat : il n'est pas resté six mois, la structure s'est vengée.
 
Là encore, la bonne volonté de Villepin n'est pas, à mon avis, en cause : il avait dû rêver d'une autre vie à Matignon. J'écris ces mots avec le souvenir de confidences faites par Raymond Barre au groupe de jeunes centristes dont je faisais partie, à la fin de l'été 1987 : il expliquait la vie harassante d'un premier-ministre, trois journées de travail en une, celle de l'inaugurateur de chrysanthèmes (disons la journée protocolaire), celle du chef de l'administration de l'État et celle du chef de la majorité politique. Barre avait tordu le cou au protocole pour pouvoir s'en sortir.
 
Le voici donc nanti d'un bureau, c'est un bon début. Le récit de la composition de son cabinet est un poème tragique.
 
Puis vient ce que j'évoquais hier : l'indélicatesse du milieu, un affreux panier de crabes. Donnedieu de Vabres l'invite pour une réunion et le fait poireauter pendant une demi-heure dans l'antichambre. Douste le reçoit au bout d'une heure d'attente après lui avoir bien montré qu'il recevait entre-temps un homme qui était son candidat à lui, Douste, pour le ministère ectoplasmique que lui, Begag, occupait. Et ainsi de suite.
 
Ce qu'on lui reproche ? Être un affidé de Villepin.
 
Car toute la politique en France n'est faite que de coteries, de clans, de féodalités, de bandes, de gangs, et, comme chantait Renaud autrefois, "casse-toi tu pues, t'es pas d'ma bande" dès qu'on déborde du cadre.
 
Or Azouz Begag, je ne crois vraiment pas que ce soit une posture, toujours, partout, déborde du cadre. Pas comme Tapie par sa vulgarité encombrante, mais par sa liberté modeste. Begag est quelqu'un qui se laisse longtemps marcher sur les pieds avant de se venger.
 
Seulement, le jour où il décide de se braquer, il ne change pas d'idée.
 
Le portrait qu'il brosse de Sarko est un flacon de vitriol, on l'a déjà lu dans la presse, mais dans son contexte, c'est encore plus fort.
 
Le goût et le talent de l'écrivain font le reste d'un récit, celui d'un naufrage où le surmenage finit par vaincre l'insurmontable angoisse qui l'étreint dès le début de la période. Naufrage ? Pas sûr.
 
Azouz Begag a beaucoup fait pour la République et pour ses petits frères des banlieues lyonnaises. Il a écrit et il a milité dans les milieux associatifs. Son passage parmi les requins gouvernementaux l'a mis en situation de défi : il veut relever le gant qu'on lui a jeté en l'insultant et en le méprisant. Ses deux vies vont donc coïncider dans un engagement électif, si ce que j'ai entendu est vrai.
 
On dit que l'UDF (ou le parti démocrate) pourrait l'investir pour une circonscription lyonnaise lors des prochaines élections législatives. S'il entre à l'Assemblée, il y aura de quoi se régaler du récit qu'il en tirera. Libre.
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13/04/2007

Victor Hugo, la conscience et le social.

Le XIXe siècle est habité par la double réflexion sur les causes de la Révolution française et de la souffrance du peuple, les deux étant d'ailleurs finalement liées.
 
Plusieurs opinions se confrontent et donnent naissance à des courants politiques.
 
Un premier groupe de courants politiques considère, avec Rousseau, que le mal vient de l'organisation de la société. On peut parler, pour schématiser, d'une explication sociale des misères. Logiquement, ces penseurs jugent qu'il faut modifier l'organisation de la société pour remédier aux maux du peuple.
 
Disons qu'il s'agit des socialismes. Parmi eux, les courants fouriériste, saint-simonien et autres, jusqu'à l'invention marxiste qui bouleverse la donne en proposant une doctrine plus structurée, dont les effrayantes limites sont apparues à l'épreuve des faits.
 
Pour d'autres, l'organisation de la société est en cause, mais pas seulement : il faut y ajouter la dynamique particulière de l'esprit humain.
 
Dans cette seconde catégorie se rangent d'abord les sociaux-chrétiens, disons pour faire simple encore trois noms : Lamennais, Lacordaire et Ozanam.
 
Ils croient que ce sont d'abord les travers humains (voire les fautes) qui causent les maux du peuple. Il faut donc à la fois améliorer l'organisation sociale et pousser les gens à se montrer meilleurs.
 
Il y a une phrase de Lacordaire que j'aime bien :
 
"Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit". 
 
Elle dit bien le rôle de la loi, donc de l'organisation sociale.
 
Elle met aussi l'accent sur le conflit d'intérêts qui est, dans la réalité, le moteur des maux.
 
À ce moteur, Tocqueville propose un frein : la notion d'intérêt "bien entendu" ; soit ce qu'il y a de mon intérêt dans celui de mon voisin. C'est un pas considérable.
 
Lamartine, comme toujours, glisse alors son grain de sel avec son habituel rationnalisme teinté de christianisme (mais en nette délicatesse avec la hiérarchie cléricale) et c'est finalement Victor Hugo qui, comme toujours, trouve la synthèse :
 
Il s'agit de la conscience.
 
Conscience du chef de l'entreprise, conscience aussi de l'humble lorsqu'il est éclairé. Il ajoute bien entendu que seul le savoir, seule l'éducation, fournit l'éclairage nécessaire qui permet à la conscience de trancher en bonne connaissance de cause.
 
Cet effort de la conscience garantit contre les abus et les préjugés. Il replace les malfaisants (prostituées, voleurs de pain...) en victimes et établit un nouveau paysage économique et moral où l'homme s'épanouit mieux.
 
La conscience contre la misère ? Il fallait y penser.