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25/03/2007

Un dimanche politique au Salon du Livre.

C'était la journée des tracteurs, porte de Versailles à Paris, et pour un peu, on s'y serait cru revenu quelques semaines en arrière : José Bové et François Bayrou venaient y signer leur livre.

Celui de Bayrou a été écrit par lui, on le sent en le lisant. Une foule nombreuse a subi plus d'une heure de retard du candidat, accompagné de sa directrice de campagne, Marielle de Sarnez, de son éditeur Olivier Orban (et de Christine Orban, écrivaine et épouse dudit), de Philippe Lapousterle, l'un de ses conseillers les plus proches, et de deux ou trois autres personnes. Sur le stand (Plon), Thierry Saussez, qui signait lui aussi, bavardait avec son vieux rival Jacques Séguéla.

Une rangée de caméras attendait, braquée sur Bernard Pivot puis sur Gisèle Halimi, avant l'arrivée de Bayrou.

Dès que l'approche de celui-ci a été confirmée, on a ouvert la vente des livres au grand soulagement du libraire titulaire du stand au nom de Plon, qui se voyait rester avec sa volumineuse commande sur les bras pour un moment.

Beaucoup de jeunes l'ont alors acheté, ainsi que des trentenaires plutôt zen et d'autres profils assez différents, d'un peu tous les horizons et d'un peu tous les esprits. Peu de têtes blanches. Il est vrai que le Salon n'en draine guère.

Le public agglutiné gênait considérablement la circulation. Un véritable bouchon obturait tout le noeud de traversée de cette partie du salon.

Au fur et à mesure des dédicaces, les allées se sont de nouveau fluidifiées.

On voyait des gens mitrailler le candidat dix ou vingt fois avec leur téléphone portable, des jeunes se porter mutuellement pour l'apercevoir au-dessus de la foule. Des gens sont restés tout au long de la séance.

Quand j'ai dû partir, on m'annonçait que Bayrou allait faire le tour des stands. Je consultais ma montre sans y croire.

Avant l'arrivée des politiques, j'avais salué mes deux copines : Caroline Bongrand, d'abord, qui signait chez Albin Michel avec sa coauteure Éliette Abécassis un livre sur la liberté des femmes, "Le corset invisible", dont j'ai entendu dire énormément de bien sans avoir encore eu le temps de le lire. Éliette Abécassis, dont on connaît le talent, est une femme plutôt grande (ou presque grande), élégante, simple, joli teint, décolleté avantageux et sourire direct. Ma Caroline est une copine depuis quinze ans, je ne l'avais pas vue depuis je ne sais quand, son séjour québécois lui a donné un charme supplémentaire et son dernier roman, "L'enfant du Bosphore", m'avait enthousiasmé.

Juste en face et juste après, Anne Goscinny est venue s'asseoir chez Grasset, accompagnée de son mari et ses deux gosses, l'espiègle Simon et la contemplative Salomé. Elle est toujours aussi maigre et se pose plein de questions sur la politique, ces temps-ci, comme un peu tout le monde (sauf moi).

L'espace autrefois dédié au théâtre, longtemps subventionné par le Figaro (jusqu'à ce que le rapia marchand de canons Dassault rachète ce journal), avait été désaffecté les deux dernières années. Cette fois, il a été remplacé par une tribune verte intitulée "Art de vivre".

Cécile Boyer, que j'avais vue chez Hachette Tourisme, est au Livre de Poche depuis un an et ses yeux très bleus et rieurs s'en réjouissent.

Pour le reste, l'habituel contraste entre les écrivains ensevelis sous les dédicaces (Werber encore) et ceux, plus blasés, qui ont attendu longtemps et vainement le client. La curieuse routine de tous ces salons.

Ah oui, j'oubliais : mon ami Florent Massot, l'éditeur en France d'Aung Sang Su Ki (j'écorche sûrement le nom de cette dissidente birmane) est venu avec Philippine Leroy-Beaulieu et quelques amis faire un événement de protestation contre la vente d'armements par l'Inde à la Birmanie. Il est content de l'écho de son initiative. Puisse-t-elle être utile l'année où le salon est dédié à l'Inde, justement.

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Molière : le mercato.

En lisant la biographie de Molière dont je parlais hier, un détail m'amuse et m'indigne en même temps : quand une troupe était jalouse d'une autre, elle faisait décider par le roi que tel acteur de cette autre troupe aurait obligation d'en changer pour une qu'il lui désignerait. On affaiblissait ainsi l'adversaire par intervention de l'autorité.

Véritable scandale, en vérité, mais que tous devaient subir sans rechigner.

Un peu comme si, aujourd'hui, on déclarait que l'équipe de rugby de Pau était trop forte et que, par conséquent, son demi d'ouverture devrait aller jouer avec celle de Biarritz, ou comme si (pas de risque de ce côté-là) l'équipe de football du PSG étant trop haut dans le classement, on lui enlevait son meneur de jeu que l'on enverrait à Lyon.

On mesure quand même ce que la République signifie et, au passage, la nécessité de l'impartialité de l'État, pour éviter que l'autorité publique ne verse dans de semblables favoritismes.

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24/03/2007

Molière et le Bourgeois Gentilhomme.

J'avais envie de dire un mot sur Molière, ma mémoire n'y suffisait pas, j'ai voulu, pour une fois, la rafraîchir, j'ai donc acheté pour une somme modique l'un des tomes de la collection "Biographies" de Folio Gallimard, ouvrage consacré récemment à Poquelin et rédigé par Christophe Mory.

Il m'est difficile de m'arracher à sa lecture. J'avais lu une autre bio, voici plusieurs années, qui ne m'avait guère appris. Celle-ci, tout au contraire, m'instruit beaucoup.

Et me voici sans rien à dire.

Juste un détail donc : le bourgeois gentilhomme, ce sont bien sûr des quantités de contemporains de Molière, c'est aussi un peu son grand-père maternel, Louis "de" Cressé, mais c'est d'abord une révolution visuelle.

On éprouve chaque fois un émerveillement d'imaginer ce que pouvaient ressentir les anoblis le jour où ils obtenaient leur brevet : auparavant, ils n'avaient droit, pour leurs vêtements, qu'au noir, au gris, au brun, au grège, au beige, au blanc, et voilà qu'ils pouvaient se déguiser en perroquets. Ce devait être grisant.

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Ah ! Feydeau ! Oh !

Beaumarchais avait inventé une mécanique théâtrale implacable, tourbillonnante, animée par des ressorts secrets et puissants. Il avait mis sa trouvaille au service d'un projet philosophique et politique.

Cent ans plus tard, Feydeau découvre un chemin de moyens semblables, mais oublie la politique.

Rien ne vaut un Feydeau. Rien ne vaut "Un fil à la patte" ou "Tailleur pour dames".

Le plus invraisemblable de sa vie, c'est sa naissance à Paris en 1862. On suppose tout : il serait fils de l'empereur ou du duc de Morny, plus ou moins lié à celui-ci par le sang. Rien que ce détail est drôle. La mère, elle, est une Juive polonaise.

Feydeau apparaît à vingt-quatre ans et produit pendant trente ans une myriade de pièces de théâtre dans laquelle il n'y a pratiquement pas de déchet : tout est hilarant, endiablé, dépourvu de sens et de psychologie. Il n'y a qu'un enchevêtrement de situations de plus en plus aberrantes dans lesquelles les personnages se débattent comme ils peuvent, toutjours écrasés par la mécanique des choses.

Peut-être y a-t-il en fait quelque chose de métaphysique dans cette vision. Quelque chose d'une angoisse intime qui explique la fin douloureuse de l'auteur, dont on sait qu'il fut interné durant deux ans, à bout de forces et d'illogismes.

Ses pièces, elles, sont inusables et, au fond, joyeuses. Elles reflètent la grinçante immoralité de la fin du XIXe siècle, l'hypocrisie d'un milieu, la lâcheté des hommes, l'énergie des femmes.

Rien de plus étonnant, si l'on y songe, que le profil des deux sexes dans ces histoires. La faiblesse masculine y domine et les femmes y font alterner l'émotion, la futilité, la manipulation, l'impudence, et toutes sortes de vilains défauts et de nobles qualités.

Curieux portrait de groupe, en vérité.

J'ai un faible particulier pour "La main passe", dont le contenu me semble bien moins superficiel qu'on ne le dit d'habitude. La trame est simple : un homme prend l'épouse d'un de ses amis, celui-ci trop heureux de s'en débarrasser, puis l'épouse reprend le premier époux. Le jeu étant sur le statut du second homme, celui des placards. L'excitation de l'interdit, la menace de la routine et la pesanteur de l'officiel. Une leçon sur le mariage ? Peut-être, mais il faut noter que les mariés, dans un cas comme dans l'autre, s'aiment. Pas de noces arrangées, pas d'union de façade : à la base, un vrai couple. Modernité insoupçonnée, au fond. C'est peut-être la pièce la plus actuelle, étant donné qu'on n'en finit plus de réinventer les vies maritales conjointes ou disjointes, la notion de vie "commune" se satisfaisant désormais, selon la jurisprudence civile, de domiciles ... séparés ... ce que Feydeau lui-même n'aurait pas osé imaginer, mais dont il aurait fait ses choux gras.

J'ai adoré l'interprétation de "Monsieur chasse" donnée voici quelques années par Chevalier et Laspalès. Laspalès y exprimait son personnage absolument insensé qui, scène après scène, dynamitait la mécanique de Feydeau pour en tirer des moments d'une intensité prodigieuse. Bien entendu, l'acteur se permettait quelques improvisations qui augmentaient encore la pression qu'il exerçait sur le texte. Un grand acteur peut révéler des lueurs insoupçonnées d'un rôle.

"L'hôtel du libre échange" est presque un archétype. Tout s'y bouscule, tout le théâtre de Feydeau s'y concentre, on pourrait le définir comme un best-of (pardon un pot-pourri) de l'oeuvre.

"Le dindon" est assez cruel. Je l'ai vu interprété à la télévision, au temps d'"Au théâtre ce soir", par Alain Feydeau, le petit-fils de l'auteur, et c'était parfaitement réjouissant. Voilà d'ailleurs un des tours de forces de Feydeau : la cruauté affleure souvent dans son oeuvre, mais par une alchimie inexplicable, elle ne provoque aucune souffrance. Ni jouissance, d'ailleurs. Elle n'a rien de punitif ni de mérité. Elle n'inflige rien : le théâtre de Feydeau n'agit pas, il décrit. Les personnages s'agitent, leur vie est entièrement familière, toute compréhensible, toute réelle, et cependant, on ne peut la définir qu'en deux dimensions. La cruauté ne dérange pas, parce que tout ça n'est pas "pour de vrai". On est constamment distancié. Parfaite expression de l'esprit parisien de la fin du XIXe siècle.

"La puce à l'oreille", "Occupe-toi d'Amélie", "On purge bébé", "Mais n'te promène donc pas toute nue" sont des feux d'artifice. Et comme un fait exprès, presque en même temps que la fin de la carrière de Feydeau apparaît un autre virtuose du cynisme et des ébats du couple en tous états, un autre stakhanoviste inlassable : Sacha Guitry. Un vrai grinçant libre.

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23/03/2007

Salon de Paris : et le livre électronique ?

Le salon du Livre de Paris vivait ce soir sa première nocturne publique.

Chaque année j'y trouve les allées plus clairsemées et les fêtes moins nombreuses chez les éditeurs. Cette fois me semble encore plus endeuillée.

Bernard Werber, chez Albin Michel, a cependant toujours son nombreux fan club. D'autres auteurs, pourtant connus, se battent les flancs. Quant à ceux dont le nom reste à apprendre, ils bavardent pour masquer le vide ave un voisin.

Je consulte la liste des dédicaces. Par chance, mes deux copines, Anne Goscinny et Caroline Bongrand, signent le même jour, presque à la même heure, et l'une en face de l'autre : chez Grasset et chez Albin.

Chez Grasset, Christophe Bataille, beaucoup moins tendu qu'hier soir et ayant troqué la veste pour le pull, m'accueille avec un sourire. Il attend pourtant l'arrivée de Philippe Val et j'ai l'impression, de la manière dont il en parle, que la relaxe prononcée par la Justice à l'égard de Charlie Hebdo, publication dirigée par Val, n'a pas plu à tous. Ce que la sottise a de rassurant, c'est qu'elle ne baisse jamais les bras, on sait toujours où on va la trouver le plus épanouie.

Un peu plus loin, Hachette Littérature a mis "Au nom du Tiers-État" en vitrine ; le succès actuel de Bayrou chez Plon (les cent mille exemplaires sont franchis en dix jours, m'a-t-on dit) doit faire des envieux chez Hachette.

Au bout du rang, l'hypertrophie de l'espace BD paraît stabilisée. On avait fini par croire que ce secteur mangerait tous les autres.

Chez France Culture, on parle de l'Iran, de l'Irak et de la Syrie. L'atmosphère est tendue.

En tournant à gauche, je croise Maïtena Biraben, une présentatrice de télé. Elle porte un nourrisson contre elle dans son manteau ; à côté d'elle marche un géant, visiblement le père de l'enfant.

Les stands des régions ne changent pas, du moins pas d'une façon que je remarque. Il me semble pourtant que celui de la Bretagne accueille de nouveaux éditeurs. Longtemps, c'était un fouilli insondable ; depuis qu'on y a mis de l'ordre, tout est devenu bien sage. Où est la folie des lettres celtiques ?

Je m'arrête pour avaler un brownie et un coca, puis je consulte mon téléphone : il est tard, je vais rater l'heure de mon blog. Je lâche tout pour vous revenir.

Et cependant, en passant, je remarque une chose : le livre électronique, qui contient à lui seul toute la marge de croissance de ce secteur pour les dix prochaines années, le livre électronique, donc, est toujours cantonné dans son ghetto. Pas un éditeur important qui en propose une vitrine, pas un qui affiche sa volonté d'y réfléchir.

Les lettres françaises seraient-elles en train de manquer leur tournant technologique ? Difficile à croire.

J'y reviendrai dimanche avec un peu plus de temps, l'esprit libre, et surtout lundi, le jour des professionnels, dont je vous livrerai quelques secrets si ça vous amuse.

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22/03/2007

Soirée inaugurale du Salon du Livre de Paris.

On ne peut pas échapper constamment à la fatalité.

Voici le salon du livre et sa soirée réservée aux "invités", tous en principe munis d'invitations. Autant dire que si l'on est une jolie jeune femme curieuse de littérature, l'invitation est moins exigée. On trouvera preneur à l'intérieur.

Première surprise pour moi étant donné tout le mal que j'ai dit récemment de Grasset, j'ai été happé par le stand Grasset et il m'a été presque impossible de m'en extraire.

Deuxième surprise : le dernier des trois livres que Bayrou a publié chez eux, "La Relève", y trône sur un présentoir.

C'est au fond le signe de choses qui bouge et j'en suis content.

Je croise là mon ami Florent Massot et, tout près de lui, la belle actrice Philippine Leroy-Beaulieu, pleine d'un sourire charmant, et qui, en me voyant, allume une cigarette. Un peu plus tard apparaît Jean-Pierre Mocky, un des auteurs de fortune de Florent, toujours un peu hagard, mais content d'avaler une coupe de bon champagne et de frôler la jupe d'une jolie fille.

Massot est fabriqué et diffusé par Grasset.

Fasquelle, quoique retiré des voitures, est là, ainsi que sa seconde épouse Nicky, qui a dirigé le "Magazine littéraire".

Plus loin, Manuel Carcassonne me glisse "on se croise beaucoup" et il est vrai que toutes les dernières fois où je l'ai vu, c'était entre deux portes.

Nora, plus desséché encore qu'hier, mais avec cette allure noble et ce regard souriant qu'il a facilement, me serre la main avec chaleur.

D'autres de la maison s'étonnent de m'avoir vu si peu récemment.

Bruckner n'est pas là.

En revanche, je croise Aymar du Chatenet, l'époux de l'excellente Anne Goscinny, que j'arrête pour lui présenter une jeune avocate qui vient de travailler sur le prochain Astérix.

On voit quelques piliers de la maison, comme Michèle Fitoussi, et des éditeurs comme le spirituel Charles Dantzig, haute silhouette aux cheveux papillonants, et Christophe Bataille, plus janséniste et vêtu de gris.

Stéphanie Polack accepte mes compliments sur son premier roman.

Colombe Schneck, comme chaque année, fait une apparition.

Puis on devine la rangée de pique-assiettes sympathiques et le trio de jolies filles appuyées à une étagère, juste au milieu du chemin, bien à point pour être bousculées par des écrivains sémillants.

Enfin, ultime surprise, je découvre la jeune avocate mentionnée plus haut : il s'agit d'Hélène Rames, l'héroïne d'une série pour la jeunesse que je regardais d'un oeil l'après-midi, voici quinze ans, en planchant sur d'autres dossiers juridiques. La série se nommait "Seconde B".

Toujours aussi jolie, les yeux très rieurs, le décolleté juste assez indécent pour suffire aux goûts parisiens, elle accepte que je lui offre une coupe de champagne. Puis elle me parle de son ami (elle cite un prénom) et, pris d'un réflexe, je la présente à Aymar.

Puis je retrouve une jeune et timide cinéaste accompagnée de son producteur et soudain me remontent des passages des lettres par lesquelles Juliette Drouet se moquait de son amant Victor Hugo lorsque celui-ci succombait au charme des mondanités parisiennes.

Alors, effaré, je m'enfuis. Libre.

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20/03/2007

Flaubert, le vertige de l'ambition formelle.

Être affublé du prénom de Gustave est une malédiction que je ne souhaite pas à mon pire ennemi. Flaubert en a subi d'autres.

Disons d'abord que son exact contemporain est Baudelaire (né comme lui en 1821) mais que celui-ci apparaît sur la scène littéraire un peu avant lui. Ils se retrouvent en revanche sous le Second Empire dans les plus retentissants procès pour atteintes aux bonnes moeurs.

Une raison particulière explique le retard de Flaubert : son épilepsie, qui le conduit à se réfugier dans une maison de famille en Normandie en 1844. Mais c'est peut-être au contraire cette maladie et ce repos forcé qui l'amènent à l'écriture. Elle ne l'empêche d'ailleurs pas de voyager, ni de pratiquer de nombreux sports.

Son voyage en Orient, de 1849 à 1852, le fait négliger complètement le changement de régime qui s'opère. De toutes façons, les questions politiques ne seront jamais sa tasse de thé et c'est probablement la vraie faiblesse de son oeuvre : elle manque de verve, il lui faudrait une qualité spéciale d'humanité que ne développent que les écrivains engagés.

L'autre défaut de sa production, c'est l'invraisemblable lenteur avec laquelle il en accouche. Il ne lui faut pas moins de cinq ans pour rédiger un roman. Toute la période du Second Empire se résume pour lui à trois textes : Mme Bovary (1851-1856), Salammbô (1857-1862) et L'Éducation sentimentale (1864-1869). Ouf, trois romans en dix-huit ans, là où Dumas est capable de publier, en trois ans seulement, "Les Trois Mousquetaires" et "Le Comte de Monte-Christo". Il est vrai que Dumas ne rédige pas seul, mais tout de même, quel escargot, ce Flaubert.

Il faut dire que notre Gustave, c'est sa troisième malédiction, après son prénom et son épilepsie, souffre d'un mal terrible : la folie des grandeurs. Il est pris du vertige de l'altitude littéraire. Il rêve d'oeuvres si grandes, qu'il a du mal à tolérer celles qui viennent de lui.

Son modèle artistique, c'est évidemment l'inévitable Victor Hugo, à qui il écrit à peu près : "Il n'y a que deux auteurs qui écrivent un français correct : vous et moi".

Folle ambition : il cherche une perfection immense, colossale, faite pour le dominer. Flaubert est un masochiste, écrire est une punition qu'il s'inflige avec application. Selon sa propre expression, il passe une matinée à ajouter une virgule et une après-midi à l'enlever.

Quand il commence à laisser le texte se former, il sort le "gueuler", comme il dit, et si ça ne roule pas correctement, il recommence.

On ne peut pas rêver plus parfaite autopunition. Beaucoup moins chère que les maisons spécialisées de ces dames.

Cela étant, à force de chercher l'impossible, il finit par connaître des revers de fortune. Son vrai drame, au fond, c'est la stérilité : s'il écrivait plus, il gagnerait plus. Mais il ressemble à ce personnage d'un roman de Camus (La Peste, je crois) qui consacre toute sa vie à écrire puis réécrire la première phrase de son roman pour être sûr qu'elle soit parfaite, si bien qu'à force de fignoler le détail, il oublie l'essentiel : quand il meurt, il n'y a pas de roman derrière la première phrase.

Tel aurait pu être Flaubert.

Heureusement, il réussit à surmonter son angoisse et à accepter ce qu'il écrit.

On connaît la première phrase de Salammbô, souvent présentée comme un modèle : "C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar". Personnellement, je la trouve un peu figée, moins que le reste de ce roman, d'ailleurs, qui n'est pas mon préféré, et où l'on sent trop, à mon avis, l'intention d'intéresser le pinceau des artistes chargés de représenter dans des oeuvres magistrales telle scène du roman.

Seulement, hélas pour Flaubert, l'époque où il publie est celle de l'apparition des Impressionnistes, très éloignés de ses sujets, et il est bien trop sulfureux pour les classiques. Quelques-uns s'y essaient cependant.

Bouvard et Pécuchet, sa dernière production achevée au moment même de sa mort, est un texte plutôt mineur. Rédigé avec soin, avec humour, mais n'échappant pas à l'anecdote.

On comprend donc pourquoi, de tout ce que Flaubert a publié, il reste surtout ses deux romans de moeurs et de psychologie : Mme Bovary et L'Éducation sentimentale.

Et puis, son autre vestige pour la postérité, c'est Maupassant.

Brrr, décidément, ces écrivains normands ne sont pas les plus rieurs. Ils ont plus de lucidité que de liberté. Dommage.

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19/03/2007

Sartre ? La postérité s'interroge.

Sartre passe pour un philosophe. Or il n'est qu'un écrivain.

Philosophe, Sartre a composé quelques traités qui emploient les moyens de la philosophie. Il en a extrait une et quelques notions qui reflètent les préoccupations de la philosophie.

Et pourtant, en vérité, Sartre n'est pas un philosophe : c'est un écrivain.

Il n'y a qu'à lire "Les Mots", témoignage sur lui-même, pour s'en rendre compte. Toute sa vie, il n'a vécu que pour écrire. Non pas pour réfléchir, ni pour inventer des concepts et trouver des explications opérationnelles, mais pour que ses mots soient applaudis.

C'est un écrivain.

Parfois un bon, d'ailleurs. Ses textes d'avant-guerre, comme "Le Mur", sont de bonne facture, on y reconnaît la qualité de la formation qu'il a reçue rue d'Ulm. Son théâtre reste magnétique et résistera en partie au temps. "Les Mots", justement, est un joli morceau de souvenirs, bien composé, élégamment écrit.

Quant à son message philosophique, il en demeure plus la verve militante que la densité conceptuelle, malgré la grande qualité de ses suiveurs.

Il y a donc aujourd'hui un malentendu qui persiste à propos de Sartre. La postérité tâtonne, le laisse au frigo et ne sait pas bien par quel bout le prendre. Il suffirait pourtant de le considérer par le bon, celui de l'écrivain, pour qu'aussitôt tout s'éclaire.

Seulement, pour en venir là, il faudra que nos exégètes fassent preuve de liberté.

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18/03/2007

Voltaire et l'argent.

Ah, Voltaire !

Voltaire est l'un des esprits les plus malicieux de toute notre littérature. Il tient sans doute son agilité intellectuelle des exercices continuels auxquels elle a été soumise par ses maîtres jésuites.

Trois de nos plus grands auteurs sont passés par les mains des émules de Xavier : Corneille, Molière et lui.

Comme souvent, les jésuites l'ont rendu très anticlérical. C'est curieux, cette prédisposition, pour un ordre d'Église, à fâcher ses disciples avec leur maison mère.

Quoi qu'il en soit, Voltaire a une autre particularité, qu'il partage avec La Rochefoucauld, celle-là : il n'a jamais réclamé un liard de droits d'auteurs à ses éditeurs.

Il faut dire que parmi ses talents nombreux, figurait celui de gagner de l'argent. Voltaire vendait des bas, une vocation familiale je crois, puis investissait ses gains dans diverses activités.

Et c'est là que le bonhomme risque de se trouver un jour mis à l'index par les nouveaux inquisiteurs : il lui est arrivé plusieurs fois de placer ses fonds dans des opérations de traite négrière.

Oh rien de glorieux, en vérité, et même une tache indélébile sur son plastron. Et cependant, faut-il condamner l'homme en entier pour sa part de faute ? Faut-il condamner avec lui l'esprit le plus libre de son temps ?

Mais alors, qui osera encore être libre ?

Et si aucune faute ne peut être rachetée, qui osera encore agir autrement que par prescription obligatoire ?

La loi, celle-là, celle qui proclame l'imprescriptibilité perpétuelle de crimes liés à l'esclavage, promettait de parler de liberté, mais elle n'est que l'autre nom de la tyrannie.

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17/03/2007

Beaumarchais, j'ai failli l'oublier.

Personne ne peut résister à la biographie de Beaumarchais : c'est un tissu d'intelligence, de roublardise, d'aventures, de forfanterie, de pirouettes et d'insolences. Beaumarchais tombe, se relève, en rit, s'envole, brille, retombe, rebondit, il ressemble à une bille de caoutchouc qu'on lance à un chien et qui le rend fou.

Ce qui m'amuse le plus, personnellement, dans cette succession de cavalcades et de sautillements rieurs, c'est son incroyable inspiration lors de la première de sa pièce célèbre : "Le mariage de Figaro ou la folle journée".

Le théâtre, ce jour-là, est plein à craquer, un vent de polémique a fait frissonner tout Paris et tout Paris s'est précipité pour obtenir une place à l'orchestre, puis au poulailler.

La salle est bouillante.

La pièce commence. Très vite, le talent étourdissant du maître horloger fait tourner les têtes. De la polémique, on passe au scandale. L'émotion soulève des cris.

Elle se change en brouhaha, en tohu-bohu.

Beaumarchais se frotte les mains : sa pièce sera un succès énorme, il le sent.

Mais ce n'est pas suffisant : il regarde la rue. Calmes, les passants s'y promènent. Les clameurs de l'intérieur ne sont là qu'un vague bruit.

Il faut qu'ils sachent.

Alors, tranquillement, avec méthode, Beaumarchais entreprend de casser les carreaux du théâtre, pour faire croire que le scandale est tel qu'il s'est changé en pugilat. Il n'en laisse pas un intact.

Rien de tel qu'un vrai scandale pour faire sa pub.

Quel farceur, ce Beaumarchais, et comme les temps ne changent pas...

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16/03/2007

Une anecdote sur Musset.

Il y eut un long moment où Musset n'intéressait plus personne.

Seule la Revue des Deux-Mondes, prestigieux organe qui a su traverser les deux siècles, continuait à le publier quoiqu'il écrivît.

Elle s'occupait même un peu plus de lui encore : c'est à un dîner de la Revue que Musset rencontra George Sand, avec laquelle il eut d'ailleurs une célèbre liaison orageuse et intermittente, dont la partie la plus longue se termina par une scène de drame de quai de gare : alors qu'il était profondément malade, son amante tomba amoureuse du médecin. Cette scène se passait, selon l'expression de Musset,

"À Venise, à l'affreux Lido
Où vient sur l'herbe d'un tombeau
Mourir la pâle Adriatique" (la Nuit de Décembre).

Pour en revenir à l'oubli dont il souffrit, c'est de là qu'est venue l'une des plus curieuses histoires de la littérature française.

La Revue avait publié plusieurs pièces de théâtre que personne n'osait jouer. Il se trouva qu'en Russie, un metteur en scène eut l'idée de faire traduire ces textes en russe et de les faire jouer sans créditer leur auteur.

Or un Français, passant à Moscou, fut invité à ce spectacle, qui lui plut. Il demanda un exemplaire du livret. On ne lui signala pas qu'il avait été traduit et on lui remit la version russe.

Revenu à Paris, il la fit traduire et entreprit de la faire jouer... et ...

Et on s'aperçut que Musset avait écrit la pièce... et sa carrière fut relancée.

Vive la Russie ?

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Qui est plus libre que La Fontaine ?

Le thème astral de La Fontaine dit tout de lui : papillon, ascendant chenille.

Il se définit lui-même comme un papillon, mais se conduit en général en chenille, ou plutôt en escargot. Il est la tortue de sa propre fable : lent, indolent, poussif, mais, au milieu d'une apparente distanciation, infiniment obstiné sur quelques (et quelques seulement) sujets.

On lui achète une charge administrative dans son canton de Château-Thierry ? Il papillonne.

On lui trouve une épouse de quatorze ans ? Il papillonne (et butine tout de même un peu).

On lui enlève son protecteur Fouquet ? Il s'obstine.

On critique sa poésie ? Il s'obstine et se réobstine.

Voilà donc La Fontaine toujours un peu à contre-temps, toujours un peu égaré. Pensionné par Fouquet, il écrit des textes et entreprend avec lenteur une grande composition sur le merveilleux parc du château de Vaux-le-Vicomte.

Fouquet écarté, il abandonne. Mais il revient avec un autre poème, l'un de ses plus beaux, d'une ampleur féérique, plusieurs années plus tard, au défi de l'autorité royale.

Or le roi ne semble pas le punir. Enfin, on n'est trop sûr de rien, avec La Fontaine, car les pistes sont souvent brouillées. Bref, il glisse peut-être entre les gouttes.

De toutes façons, il passe pour si distrait, qu'on ne fait parfois pas plus attention à lui que lui aux autres. Son fils Charles affirme par exemple qu'il lui est arrivé de croiser son père dans l'escalier sans que celui-ci s'en rendît compte. Voilà une extravagance rare.

Très vite, La Fontaine ne pense plus qu'à écrire et tout le reste de ses affaires périclite : sa charge administrative est revendue, il croque l'argent en peu de temps, et tout à l'avenant. Il finit presque en gigolo.

Mais son écriture, elle, secoue les certitudes de son temps : il peut dans une même composition mêler plusieurs genres littéraires, les alterner, les empiler, le tout avec une liberté si confondante qu'elle révolte ses contemporains, totalement déroutés, qui finissent par ne plus oser même le critiquer sur sa forme.

Quand on l'attaque, c'est donc plutôt pour l'esprit de sa plus invraisemblablement libre production : ses rêveries licencieuses, de délicieuses anecdotes emplies d'une polissonnerie savoureuse.

Il fait le gros dos, promet de s'amender... et récidive aussitôt.

Ainsi, quand il entre à l'Académie française, en 1684 je crois, il jure de se conduire désormais comme tout le monde l'espère : avec pruderie.

Mais, en pouffant, il pond sans retard d'autres chefs-d'oeuvres rigolards.

On ne stoppe pas La Fontaine. Lentement, mais sûrement, il avance, à sa façon, à son rythme, mais avec ses propres idées tenaces.

On ne le précède pas non plus : ceux qui croient aller plus vite que lui sont toujours surpris. Il s'en joue.

Son seul adversaire, son vrai ennemi, c'est l'argent, qui toujours le fuit. Il rechigne à la courbette qui fait tinter les pensions royales et n'a la bosse ni du commerce ni de l'administration. Résultat, il se retrouve après chaque effort "Gros-Jean comme devant" comme il dit (il se prénomme Jean et a eu forte tendance à l'embonpoint dans son enfance), cependant que certains de ses amis qu'il connaît bien s'enrichissent en dormant, et plus ils dorment, plus ils s'enrichissent.

Son autre boulet, c'est lui-même et son implacable lucidité. Il ne cédera jamais rien pour la faire taire : il dira ce qu'il pense, quoiqu'il en coûte.

Et il lui en coûte souvent cher d'inimitiés : "Selon que vous serez puissant ou misérable..."

Oh, ce n'était décidément pas facile d'être libre, au Grand Siècle, mais il y est constamment parvenu et son oeuvre, fables bien connues et contes encore trop peu explorés, demeure parmi les plus grands trésors de la langue française.

Vive la liberté.

21:25 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

15/03/2007

Victor Hugo, homme à femmes jusque dans le tombeau.

J'ai lu dans la notice de wikipedia que, le soir suivant la mort de Victor Hugo, les prostituées parisiennes avaient toutes travaillé gratuitement.

Cette anecdote, je l'avoue, m'avait échappé. Voilà tout de même un curieux hommage rendu à un mort. On l'eût imaginé pour Brassens, mais pour victor Hugo...

L'intéressé, il est vrai, a toujours milité contre la prostitution nécessiteuse et un remerciement était logique sur ce registre-là. Seulement, les souteneurs, eux, sont d'ardents militants de cette activité subie. Et on voit mal les filles avoir roulé gratis sans leur consentement...

Alors...

Quoiqu'il en soit, on n'a vu ça, à mon avis, pour personne d'autre.

Et on ne peut s'empêcher d'associer l'idée de ce cadeau géant à celle d'Hugo lui-même passant ses journées dans les omnibus pour courir d'une maîtresse à une autre comme il l'a fait à la fin de sa vie.

On connaît tous les détails de cette période par la minutie avec laquelle il tenait ses comptes dans des carnets de poche. On y apprend en particulier les étrennes considérables qu'il versait à certains chauffeurs d'omnibus, sur les lignes qu'il empruntait le plus souvent à heures fixes.

À lui seul, il leur versait au moins un ou deux mois de salaire supplémentaire.

C'est que ça coûte cher, de rester galant, quand on vieillit. Mais il est sûrement le seul homme pour qui ce coût ait porté d'abord sur ses frais de transport...

Ah, décidément, le génie emprunte des voies insondables.

Le seul côté positif de cette activité incessante, c'est que, comme il voyageait par les transports en commun, il côtoyait des gens de condition moyenne, voire modeste.

Et comme il aimait à cette même période des femmes souvent humbles, on peut dire qu'il pratiquait le peuple, qu'il le connaissait. Bien. De près. À fond.

C'est assez rafraîchissant, finalement, quand on considère le comportement de certains actuels prétendus porte-paroles du peuple.

Oh, mais je ne fais pas de polémique. Chacun conserve son interprétation libre.

23:15 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Écrivains de la Résistance.

Oh, je ne les connais pas tous. On pense à Éluard, Vercors, Kessel, et combien d'autres ? Qui a le sien à citer ?

21:20 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

14/03/2007

Baudelaire le boudeur.

Voici la génération d'après 1830.

Baudelaire, en 1830, n'a que neuf ans : un peu jeune pour s'embrigader dans la bataille d'Hernani.

Du reste, les mouvements collectifs, les conflits ouverts, les révolutions, tout ça n'est pas pour lui. Lui, ce qu'il veut renverser, exterminer, piétiner, déchiqueter, ce n'est ni la misère, ni les bourgeois, ni l'ordre établi, mais son beau-père, le second époux de sa mère, le célèbre général Aupick.

Là, pour cet effet, il soulèverait volontiers des hordes de sans-culottes. Mais pour le reste, Baudelaire est un homme des espaces confinés et des rêveries mordorées.

S'il déteste l'âme bourgeoise, c'est plutôt par élitisme que par générosité sociale. S'il entaille les certitudes de la moralité, c'est plutôt par perversité pure que par analyse politique.

Avec Baudelaire, le trouble de l'esprit se met à nu, les méandres nerveux de l'affect se révèlent sans dissimulation. Baudelaire est l'homme "des rires effrénés mêlés aux sombres pleurs". Il rêve de repos, un "repos où mon âme était mise" ... "du rocher de cristal où, calme et solitaire, elle s'était assise", un repos visionnaire, à fleur de nerfs.

Il s'organise un intérieur hiératique dans une idée aristocratique, méprise les contingences de la matière, repousse les offres de situations rémunérées qui lui sont faites, bref, il s'enferme dans la morgue, au propre comme au figuré.

Il s'agglomère aux romantiques alors que ceux-ci s'embourgeoisent, juste après 1840. Il arrive trop tard pour capter leur sève et les découvre immenses, au sommet de toutes les gloires. Encore un "rocher de cristal", encore un piédestal au pied duquel s'asseoir.

Baudelaire est l'homme des admirations muettes, des fascinations silencieuses. Sait-il seulement parler ?

Cultivant le savoir de son défunt père, il excelle en tout cas dans la critique d'art.

On ne dira jamais assez que les grandes époques artistiques sont aussi celles des grands critiques : Sainte-Beuve en littérature, Théophile Gautier et Baudelaire en peinture.

Mais il lui manque l'énergie, la certitude, l'amour peut-être, celui qu'on reçoit et celui qu'on donne, et, après ce départ remarqué en 1842, Baudelaire ne progressera que dans son art sans parvenir à en faire une vie.

Consolons-nous : s'il ne reste de lui que son oeuvre, cette oeuvre nous réchauffe les soirs d'hiver.

Et puis, la bataille judiciaire des "Fleurs du Mal" est l'une des plus retentissantes, l'une des plus symboliques, de toute l'histoire littéraire. Et ce recueil délicatement vénéneux, tiède comme la peau, a été l'un des tout premiers bénéficiaires de la loi qui, au début de la IVe république, a permis de revenir sur d'anciennes censures pour autoriser des publications.

Baudelaire est ainsi devenu presque malgré lui l'instrument de la liberté.

21:10 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Le livre électronique ?

Je signale que Livres hebdo (http://www.livrehebdo.com) présente un intéressant dossier sur le livre électronique.

09:55 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

12/03/2007

Zola et la révolution industrielle.

Durant de longues années, on a vu "Germinal" trôner en tête des ventes de livres réédités. Il s'en vendait des pelletées, des wagons, des montagnes.

"Germinal". L'épopée du charbon. L'épopée du siècle. L'épopée tout court, d'ailleurs, car Zola est l'un des rares auteurs français à avoir su s'élever jusqu'au stade épique.

L'oeuvre de Zola en est tout entière vibrante, les Rougon-Macquart sont l'épopée de leur époque emportée par la tourmente de la révolution industrielle : Paris remembré au sabre par Haussmann, le tourbillon de la vie courtisane, l'affairisme, la déstabilisation de la bourgeoisie de province.

Zola se voudrait en fait le continuateur décalé de Balzac, mais cherche à y employer la puissance des moyens de Victor Hugo. Jusque dans le rythme, il singe Hugo. Et dans l'esprit, il est encore plus prosaïque que Balzac.

Il n'en a pas cependant l'élégance : on ne peut pas toujours gagner sur tous les tableaux à la fois.

On connaît bien Zola le dreyfusard. On connaît moins l'autre dernier Zola, celui des "Trois villes" : Lourdes, Rome et Paris. Celui qui rêve d'une descendance des apôtres du christ. Oh bien sûr, il ne s'acquiert que peu d'amitiés dans le clergé, mais son esprit s'ouvre à des réalités que l'on n'eût pas attendues de lui.

Un Zola complexe, voilà bien le plus inattendu ! Et s'il avait atteint un plus grand stade encore d'homme libre ?

21:45 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

11/03/2007

Le premier Victor Hugo : l'enfant sublime.

Quand on pense à Victor Hugo, on songe à l'homme à cheveux et barbe blancs, image d'Épinal gravée dans nos mémoires et, jadis, sur nos billets de banque.

Or longtemps, Victor Hugo fut "l'enfant sublime".

L'extraordinaire précocité de l'auteur des "Misérables" s'accompagna d'ailleurs d'une virtuosité époustouflante : à quinze ans, il traduisait Virgile en alexandrins pour lesquels n'importe quel poète adulte aurait donné dix ans de sa vie.

À dix-sept, il pastichait tous ses contemporains et recomposait leurs oeuvres mieux qu'eux-mêmes. Il pastichait d'ailleurs les morts aussi, jamais avare de ses rimes.

À cette époque, sous l'influence de sa mère, il végétait dans le conservatisme et à l'ombre du trône du podagre et goutteux Louis XVIII. On peut pardonner des erreurs politiques à un gamin de dix-sept ans.

Ce fut en tout cas dans un cadre très officiel qu'il remporta le concours poétique de Toulouse, alors le mieux considéré, deux années de suite, en 1819 et 1820.

C'est là que lui naquit son surnom d'"enfant sublime".

Il provoqua cette exclamation parmi les vieux poètes, tous plus désuets les uns que les autres, qui composaient la vieille garde orpheline de l'abbé Delille, jadis roi de son art, mort en 1813.

À quel moment faut-il situer le terme de cette période "enfant sublime" ? On ne sait pas bien.

En vérité, le mariage très précoce d'Hugo bouleversa les cartes.

L'histoire est connue : Hugo, depuis des années, était amoureux d'Adèle Foucher, une voisine de milieu moyen bourgeois.

L'union déplaisait aux deux familles, on éloigna la jeune fille. Comme toujours indomptable et animé d'une volonté inflexible, Hugo se lança dans la bataille : il parcourut plusieurs dizaines de kilomètres par un temps cataclysmique pour la rejoindre.

Il y parvint. À bout d'arguments, le père demanda à son futur gendre d'obtenir un revenu qui lui permît d'entretenir convenablement son épouse s'il la lui donnait.

Galvanisé par cet objectif, Victor Hugo publia ses premières Odes, qui reçurent un triomphe critique. Aussitôt, les gratifications plurent sur le jeune fondateur du "Conservateur littéraire". Vaincu, Foucher permit le mariage, qui eut lieu en octobre 1822. Victor Hugo avait vingt ans.

Vierge jusqu'au soir de ses noces, le jeune poète fit retentir une rafale de neuf coups. Les anciens commentateurs veulent croire dans leur propre élégance quand ils disent qu'il "triompha neuf fois de sa nouvelle épouse". Triompher ? Diable ! quelle image...

Victor Hugo, ébloui, nommait cette nuit le "premier maillon de la chaîne des nuits".

Bientôt, l'enfant sublime serait père. Un enfant père ? C'était insensé. Du reste, il ne tarda guère à s'éloigner du régime, qui cessa de le qualifier de sublime.

Il n'était donc plus ni enfant, ni sublime.

Désormais, il devenait l'agaçant : un homme tout simplement.

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10/03/2007

C'est samedi soir, un poème coquin de Malherbe.

Pas le temps d'écrire une note complète. J'ai très peu de temps en ce moment.

Malherbe, écrivain normand, est connu pour avoir fixé les règles du français classique d'une façon spectaculaire résumée par un mot célèbre :

"Enfin Malherbe vint".

Les gourmands connaissent mieux ses textes légers, qui sont empreints d'un humour acide et d'une crudité très explicite.

En voici un pour se distraire :

"C'est un étrange cas qu'en ce monde où tout passe,
Comme on voit les torrents qui s'écoulent en bas,
Si l'homme a du plaisir, il ne lui dure pas
Et tout incontinent la nature s'en lasse.

Vous me confesserez que le foutre surpasse
Tout ce qu'on peut trouver d'agréables appâts,
Même ce qui se boit au céleste repas,
Comme fait un haut mont à une plaine basse.

Toutefois remarquez : foutons et refoutons
Puis étant délassés, aussitôt remontons
Tant que la seule mort nous en ôte l'envie.

Quand nous aurions foutu quinze lustres de vie
Nous n'aurions pas foutu six semaines en tout."

Tiens ? Il me manque un vers. Si quelqu'un le retrouve...

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09/03/2007

Le drame de Lamartine.

Lamartine a eu une enfance rousseauiste, en pleine nature, un peu sauvageonne, mêlée à celle des enfants de toutes les conditions de Milly-la-Forêt.

Il lui est resté de cette époque le sentiment que les castes ne doivent pas empêcher les êtres humains de vivre ensemble.

Sa carrière littéraire commence par la rencontre du mal du siècle : la tuberculose. Il tombe amoureux d'une veuve (ou quasi-veuve) qui meurt dans ses bras.

Il en extrait l'émotion de son premier recueil de poèmes et surtout du "Lac", dont on ne se lasse pas.

Ces poèmes, je l'ai dit ailleurs, sont lancés dans le sillage de l'édition de Chénier, en 1820, et portés par la rumeur flatteuse du faubourg Saint-Germain.

Je passe ici sur cette partie de sa vie pour en venir à 1846 : l'édition de l'Histoire des Girondins.

C'est un texte splendide, d'un style époustouflant, du Racine politique, une langue magnifique et lumineuse. C'est ausi le coup d'envoi de la Révolution de 1848.

On se souvient que Lamartine est un homme alors puissant : il a fondé le journal "Le Bien Public", il est appuyé par tous ses amis de 1830, dont Hugo malgré quelques hésitations, et en 1848, avec les Affaires étrangères, c'est de la réalité du pouvoir qu'il s'empare.

Hélas, sa politique échoue. Cavaignac prend la tête de l'État, puis Louis-Napoléon Bonaparte, qui fait son coup d'état.

Alors commence un calvaire de dix-huit ans pour Lamartine, que l'Empire va ruiner pas à pas, méthodiquement, en profitant de son extravagante prodigalité.

Au milieu des années 1860, Lamartine a épuisé les ressources de sa plume. Il a pissé la copie autant qu'il l'a pu, étirant d'interminables textes de moins en moins digestes, qui sont passés de plus en plus inaperçus. Finalement, il est au bout du rouleau.

L'empereur lui donne le coup de pied de l'âne en organisant lui-même une tombola pour le renflouer.

Lamartine s'éteint himilié, seul, oublié, comme presque tous les romantiques. C'est dur, de vieillir. Même libre.

19:35 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook