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08/03/2007

L'intarissable George Sand.

Il y a des écrivains inépuisables au XIXe : Dumas (qui, il est vrai, pratique la littérature collaborative), Balzac (qui aurait bien aimé), Eugène Sue (qui n'avait plus rien d'autre à faire depuis son exil alpestre), Verne, et quelques autres moins connus.

George Sand écrit avec une régularité métronomique. Baudelaire a d'ailleurs raillé la fluidité tiède de son style. Elle pond ses quinze ou vingt feuillets par jour, même par gros temps, même quand elle s'est battue avec Musset, même quand Chopin compose en faisant résonner les notes de son piano, toujours, partout, elle écrit.

Invraisemblable robinet perpétuel.

Et à vrai dire, le résultat de cette invariable activité est inégal. Il y a un peu de bon et beaucoup de déchet.

Pourquoi lui a-t-on toujours pardonné cette faible proportion de bon ?

Parce que c'est une femme exceptionnelle. Amante froide, cherchant beaucoup chez l'homme et y trouvant peu, elle a vécu en toute liberté durant sa vie entière. On ne contrôle pas George Sand, on ne la lie pas, on ne la mène pas : on la suit.

Elle marche d'un pas ferme, toise avec calme, s'assied avec lenteur. George Sand aime prouver qu'elle égale tous les hommes.

Et elle cherche l'égalité de tous les hommes.

Voilà deux qualités.

Aujourd'hui, jour des femmes, j'aurais pu évoquer Beauvoir ou (on me l'a suggéré) Marie de France, mais j'ai préféré George Sand et je reparlerai d'elle.

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07/03/2007

Le plaideur Racine.

Racine est le plus jeune du quintette littéraire du Grand Siècle : Corneille (1606), Molière (1621 sans doute), La Fontaine (1621 aussi), Boileau (1636) et lui-même (1639).

Il boxe dans la catégorie "orphelins de mère", assez fréquentée par les écrivains français.

Ce deuil qu'il n'a pas subi (il avait trois ans) le propulse à Paris, en plein nid de jansénistes et aux portes de la Cour : à l'abbaye de Port-Royal, où il est élevé.

Habile à la flatterie et poussé par ses amis, il est rapidement pensionné par le roi, dès l'âge de vingt ans.

Ah, les écrivains pensionnés ! Quel dommage.

Il faut tout de même dire qu'il a l'un des plus jolis styles de toute la littérature française : plein de fluidité et de limpidité. On n'est pas surpris de découvrir qu'il fait partie du club très fermé, lui, des écrivains français hellénistes. Très fermé : il ne contient pratiquement que lui et Chénier. Ce sont les deux vrais experts du grec ancien et le sens de la mélodie que l'on retrouve chez l'un comme chez l'autre peut bien venir de là.

L'autre source de Racine, c'est le barreau, une véhémente plaidoirie. Un personnage de Racine est toujours trahi par quelqu'un ou par les circonstances, et cette indubitable félonie lui permet de s'écrier, le dos de la main posé sur le front : "Comment, moi qui ai fait...." (interminable liste des sacrifices concédés ou des exploits accomplis). "Comment, moi qui jour après jour...." (interminable autre liste).

Voilà l'éloquence selon Racine : l'injustice subie, la révolte légitime mais avortée, et bien sûr l'inexorable stupidité qu'on va commettre pour arriver à ce que la pièce se termine mal.

Public en larmes, sentiments à flots. Vive Racine !

Bon, évidemment, le revers de la médaille, ce ne sont pas ses rivalités de métier, mais son ingratitude prudente envers les jansénistes (ceux-ci ne sont d'ailleurs guère plus sympathiques que lui) et l'accusation qu'il essuie d'avoir empoisonné la célèbre actrice Du Parc.

Il faut bien un peu de mesquinerie et un peu de soufre pour donner du relief à une biographie.

En vérité, sous ses dehors souples et son talent courtisan, c'était sans doute tout simplement un homme libre.

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06/03/2007

Théophile Gautier fumait la moquette.

Théophile Gautier est l'un des romantiques les plus libres et les plus baroques.

Né en 1811 (à Tarbes), il est le vrai benjamin de la bataille d'Hernani en février 1830. Il connaît alors Victor Hugo depuis un peu plus de six mois.

On ne rappellera jamais assez à quel point cette aventure fut aussi celle de la jeunesse.

On dit que lors de la fameuse soirée où les têtes chevelues ont fait danser les perruques, le jeune Gautier arborait un gilet rouge. On imagine une soie carmin, une écarlate, mais l'examen a révélé que le rouge tirait plutôt sur la couleur crevette.

Dans la foulée, tout auréolé du succès auquel il a contribué avec ses nombreux amis jeunes peintres échappés de tous les ateliers de Paris, il décide de publier son premier recueil de poèmes. Il n'a pas de chance : l'ouvrage paraît le 28 juillet 1830, au beau milieu des Trois Glorieuses de la révolution qui renverse le vieux Charles X : le livre passe absolument inaperçu.

Il ne se décourage cependant pas et c'est plutôt dans le roman qu'il va se faire un nom.

On connaît encore l'expression "Jeunes France", mais on ignore que c'est le titre de l'une de ses oeuvres. On a parfois encore "Mademoiselle de Maupin" dans l'oreille, et c'est aussi de lui (un vrai scandale à l'époque, d'ailleurs). Bien sûr, on se régale rien qu'au titre du "Capitaine Fracasse", et c'est encore de lui.

Pourtant l'homme n'est guère connu et si je n'avais pas longtemps habité une avenue Théophile Gautier, je n'y serais sans doute pas sensibilisé.

Il faut dire que, très versé en peinture, qu'il a étudiée et pratiquée, Gautier a consacré l'essentiel de son activité littéraire à la critique. Il est même devenu, en ce domaine, l'arbitre, le donneur de brevet de romantisme.

Si un peintre adopte quelques-unes des caractéristiques de l'esprit pictural romantique, Gautier l'encense. Si au contraire, il se cambre dans le classicisme, Gautier l'ignore. Il y a parfois du dogmatisme dans ses choix. Tant pis. Il continue à produire sa myriade d'articles sur la peinture.

Ayant sans doute épuisé la résistance de ses concurrents dans ce domaine et exterminé tous les peintres qui ne lui plaisaient pas par des phrases acides, il finit par obtenir la présidence de la société des Beaux-Arts, l'organe alors le plus prestigieux en ce domaine.

Voici donc un homme de pouvoir, installé, considéré.

Comme Dumas, la défaite de 1870 lui porte un coup fatal, mais il faudra près de deux ans à Gautier (il est vrai plus jeune que Dumas) pour s'éteindre, en 1872.

Ses recueils de poèmes, comme sa prose, sont des modèles de simplicité et de clarté, mais les thèmes dont il raffole sont parfois si fantastiques, que leur force se perd dans la fumée de ses rêveries.

Ah oui, parce que j'oubliais de vous dire le plus croustillant : en 1844, Théophile Gautier a fondé un club très spécialisé : le club des Haschischins, consacré à l'étude ... du cannabis. On imagine que l'étude devait être très appliquée dès qu'elle passait aux travaux pratiques...

Il ne faut donc pas s'étonner si l'oeuvre de ce romancier, poète et critique d'art, a parfois paru fumeuse.

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03/03/2007

Rues littéraires.

Il n'est pas donné à tout le monde d'habiter une rue qui porte son nom.

Victor Hugo, lui, est mort avenue Victor Hugo, à Paris, dans le 16e arrondissement. Il y a vécu les toutes dernières années de sa vie et c'est de là qu'il vint à pied, en traversant un pré, un jour de 1884, présider à la fondation du lycée Janson dont j'ai été l'élève.

Un immeuble bourgeois a remplacé la maison qu'Hugo habitait là. Ses architectes ont eu la bonne idée d'y faire sculpter, au-dessus de la porte, le visage du vieux poète qui semble veiller immobile sur son avenue.

Cette artère borde le bas d'un square, à deux cents mètres à peine vers l'ouest. Ce square est équipé d'un puits artésien branché sur des robinets que des gens viennent encore de loin presser pour emporter l'une des meilleures eaux de Paris.

Ce square porte le nom de Lamartine. Une statue de ce poète et homme politique l'orne, elle-même hélas ornée chaque jour par des pigeons qui la trouvent commode pour se poser.

En face de la fière statue, l'endroit où Lamartine est mort en 1869.

Eh oui ! Hugo et Lamartine, les deux âmes poétiques de la génération de 1830, sont morts à moins de cinq cents mètres l'un de l'autre. Seulement, lorsque Lamartine s'est éteint, Victor Hugo poursuivait son exil à Guernesey. On ignore s'il arriva ensuite à Hugo, le soir, en rentrant de ses escapades amoureuses, de rendre un bref hommage à son ami de jeunesse par un détour devant le lieu de sa mort.

Dans le même arrondissement de Paris se trouve la rue Boileau, dédiée là à ce poète parce qu'il y avait sa maison de campagne, sa résidence secondaire, dirait-on aujourd'hui en style un peu formel.

Boileau, le plus parisien de nos écrivains sans doute, venait à Auteuil, un village campagnard, et y amenait ses amis : Molière, Racine, La Fontaine et quelques autres.

On murmure (et Guitry a exploité cette rumeur) qu'il a corrigé beaucoup de textes, non seulement des trois auteurs que je viens de citer, mais aussi de Corneille.

Il recevait chez lui, rue du Vieux-Colombier, près de l'endroit où la Comédie française possède désormais sa deuxième salle et, selon la légende, il rabotait les vers des quatre génies.

Il avait un argument imparable pour le faire : il était le neveu de Malherbe, celui qui a codifié la langue française pour tout le XVIIe siècle.

Il faut se rappeler que le français est alors une langue savante, à laquelle on a donné une construction volontairement rigoureuse et des règles qui paraissent encore neuves. Molière, dit-on, est particulièrement prudent et hésitant devant des élaborations trop minutieuses, ennemies de la spontanéité. Il exprime ses vues dans le "Misanthrope". C'est donc pour lui une négociation tendue avec Boileau.

Et quand Boileau écrit "Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime", on se demande jusqu'où son humour va. Cela étant, il est probable que les rimes, elles, sont bien de Molière.

Près du croisement de la rue Boileau, la rue d'Auteuil actuelle était bordée par deux cabarets, celui de la "Croix blanche" et celui du "Mouton blanc", où la joyeuse bande s'ébattait parfois.

On aurait envie de faire ainsi la liste de toutes les rues qui tiennent leur nom d'un écrivain qui a vécu là. Et chez vous ? Y en avait-il un ?

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Il m'est même arrivé de lire Christian Jacq.

Un jour de désoeuvrement, je me suis assis près d'une bibliothèque qui contenait les quelques volumes du "Ramsès" de Christian Jacq.

N'ayant vraiment rien d'autre à faire, j'ai ouvert le premier volume de ce cycle.

Le style m'a pris. La jeune princesse aux seins nus, l'atmosphère ensoleillée de l'Égypte, la stature de Ramsés, tout cela avait de l'allure. J'ai lu le tout.

Fort content, j'ai tenté de m'attaquer à une autre histoire du même auteur. Hélas, j'ai eu l'impression de relire la première : le stéréotype avait figé son écriture.

Tout ce que j'ai pu avaler par la suite, c'est "Le moine et le vénérable", une narration courte sur le rapprochement a priori inattendu d'un franc-maçon et d'un homme d'Église pendant la Seconde guerre mondiale.

Disons tout de suite que Christian Jacq est spécialiste de la littérature maçonnique. N'étant pas initié, je perds sûrement une grande partie du sel de ce qu'il écrit. Mais une littérature réservée à ceux qui savent lire n'en est plus tout à fait une.

Il a produit une série d'études et de vulgarisations sur l'Égypte ancienne et sur les pharaons, à quoi il a ajouté des portraits de Champollion et du maître de la musique maçonnique : Mozart. Vraiment, il creuse toujours le même sillon.

Sa principale diversification réside dans la nuée de romans policiers qui a accompagné cette oeuvre polarisée. Ceux qui en ont lu ont le droit de me dire ce qu'ils en ont pensé.

Peut-être me donneront-ils envie de lire de nouveau de ses pages, une envie qui m'a passé.

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01/03/2007

Le meilleur de Dieu : Francis Jammes corrigé par Brassens.

Pour ne pas dire toujours du mal des mêmes, j'ai trouvé un moyen d'intégrer Dieu au champ des possibles. Il faut à cela deux marches : la première est le poète Francis Jammes.

C'est un Béarnais né en 1868, un gentil bucolique que l'on étudie dans les petites classes. Très attaché à son terroir, il n'en bouge guère, sauf par exemple pour visiter l'Algérie avec André Gide. Il y croise cependant d'autres poètes dont il devient parfois le guide ou le maître à lire. On pense par exemple à Saint-John Perse, le jeune Alexis Léger, élève du lycée de Pau, dont on sait qu'il a fréquenté l'entourage de Jammes.

En 1905, sans doute par esprit de contradiction, Jammes se fait catholique. Ses textes charmants y perdent de la fraîcheur, qu'ils troquent contre une rigueur plus hivernale.

Dès 1906, il donne un poème simple, parfois mou, qui évoque une prière. Brassens s'empare du tout, taille dans le mou, garde le vif, et en fait "La Prière", une chanson émouvante rythmée par les "Je vous salue Marie", tout à fait agenouillés selon la tradition.

Après tout, Zola a bien fait un roman, "Le rêve", qui n'écorche pas non plus la religion outre mesure. Et Victor Hugo, avec son Monseigneur Myriel des "Misérables", a défini le profil d'un prélat tolérable.

Mais Brassens pousse un peu plus loin la malice : il donne à sa chanson la même mélodie (ou presque, car il y a des différences tout de même) qu'à une autre : "Il n'y a pas d'amour heureux", sur des paroles d'... Aragon.

En somme, à lui tout seul, Brassens réalise le programme de "La Rose et le Réséda". Il entortille savamment celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas.

Et avec son tortillon, que fait-il ? Un cure-pipe !

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28/02/2007

Vigny quand même.

Cet Alfred n'est pas mon préféré. Je trouve beaucoup de déchet chez Vigny et des formules parfois trop plates, comme "J'ai mis sur le cimier du gentilhomme une plume qui n'est pas sans beauté". Je cite de mémoire et j'écorche, mais cette "plume qui n'est pas sans beauté" est sutout disgracieuse.

Bien sûr, c'est joli

"Jetons l'oeuvre à la mer, la mer des multitudes :
Dieu la prendra du doigt pour la conduire au port."

La mer des multitudes, on se croirait dans Homère. Le rythme est élégant.

Cela dit, Vigny est assez peu poète : il se marie par intérêt, mal d'ailleurs, car son choix tourne au fiasco, la fortune espérée s'évapore et le calcul s'avère maladroit.

Il passe au milieu de la génération de 1830 sans se déboutonner, toujours un peu protestant collet-monté, un peu militaire. Puis, quand l'étoile romantique pâlit, il fait comme les acteurs en semi-retraite aujourd'hui : il s'installe en province. On le voit alors à Paris de temps à autre. Il fait sa tournée, reçoit en son salon, pérore, publie, puis, satisfait de son accueil, repart pour sa calme province.

Vraiment, on n'a jamais réussi à me convaincre de Vigny. Et vous ?

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27/02/2007

La BNF sans murs.

J'ai évoqué il y a peu l'ancien site de la Bibliothèque nationale, rue de Richelieu. Disons quelques mots sur celui qui a remplacé les magasins et les salles de lecture consacrés aux imprimés et aux périodiques.

Le monument du quai Mauriac est bien connu, ses grands livres de verre ouverts sur le ciel changeant de Paris, aussi. Tout le monde a vu des images des arbres transplantés adultes au milieu du complexe et des escaliers de bois exotique qui se prolongent par une plateforme qui enceint et surplombe la cour arborée.

Ces lattes deviennent spongieuses et sont très glissantes par temps de pluie. N'étant pas d'un naturel très adroit, il m'est arrivé plusieurs fois de m'y retrouver allongé de tout mon long sur le dos.

Cet inconvénient a été pallié pour une partie d'entre elles par des incrustations antidérapantes.

Une fois traversé ce piège sans encombre, on atteint l'un des deux trottoirs roulants (l'un à l'est, l'autre à l'ouest, ils ne roulent d'ailleurs plus pour descendre et on les a revêtus d'un tapis antidérapant) qui mènent au premier palier de contrôle, celui où sont établies les cartes de lecteurs, celui aussi où l'on doit laisser manteau, sac, affaire diverses, pour ne conserver que le minimum enfermé dans un cartable de plastique translucide.

On franchit ensuite une borne, puis deux longs escaliers roulants nous font atterrir au fond du bâtiment, au niveau des arbres et de la cour. On montre encore patte blanche, on peut sélectionner une place si l'on a oublié de le faire, et enfin s'ouvre la lourde porte métallique qui, grâce à une coursive, donne sur le chemin de ronde vitré qui cerne la cour et qu'enceignent les différentes salles de lecture, ou plutôt les portions successives de la salle de lecture désignées chacune par une lettre majuscule. À chaque lettre correspond une spécialité. En général, je suis en L, en histoire si je ne me trompe.

La BNF a été victime de la réduction du temps de travail et se sent périodiquement menacée par des compressions budgétaires. Il se trouve que ses personnels sont souvent contractuels. Lorsqu'il a fallu appliquer la règle des trente cinq heures à cet établissement, il aurait fallu, pour maintenir le nombre de postes, augmenter le nombre d'heures travaillées, c'est logique, et donc augmenter le budget des rémunérations. Or ce n'est pas du tout la tendance. On a donc fermé certains postes, jusque dans les salles de lecture.

On trouve ainsi tout un guichet désaffecté, fermé comme par des rubans de plastique. Tel est aussi le cas de locaux de photocopies, dont le nombre a été drastiquement diminué.

Les lecteurs, eux, sont fort nombreux et il arrive souvent que je doive émigrer dans des cases exotiques.

Mes recherches passent souvent par des classiques de mon domaine. Le microfilm ou la microfiche remplacent alors les ouvrages qu'une consultation trop fréquente fatigue.

Pour les consulter, des cabines sont comme suspendues en couloirs au-dessus de la salle. On y accède par des ascenseurs. L'atmosphère y est feutrée. Si on veut, on peut y faire soi-même ses tirages sur papier, ce qui repose. Mais pas question de photographier.

D'autres de ces classiques sont particulièrement rares. On les conserve à part dans un magasin qui se nomme la Réserve. On doit obtenir une autorisation spéciale pour les consulter.

La salle de la réserve forme un autre entresol. On y monte par un seul ascenseur. La porte vitrée est verrouillée par un lecteur de carte magnétique. Un étroit guichet contrôle de nouveau la patte blanche. Juste en dessous, des casiers sont destinés aux mallettes de plastique translucide.

On demande un livre par un coupon de papier jaune. Il est apporté directement à la place qu'on vous a indiquée. Comme aux manuscrits, rue de Richelieu, il faut souvent le déposer sur des boudins de velours. On allume une lampe et la précieuse lecture commence.

La salle de la réserve ferme à dix-huit heures, le reste un peu plus tard. Quand on sort, il peut encore faire jour. Depuis quelques mois, on a alors la possibilité de traverser la Seine par deux curieuses passerelles dédiées à Sartre et Beauvoir. Si l'on part dans l'autre sens, vers le RER souterrain, on longera le luxueux et créatif complexe cinématographique implanté là.

Personnellement, je sors souvent tôt, ce qui me permet de rentrer à pied par les berges, croisant l'air étonné des touristes.

Encore une journée de travail terminée. Enfin libre.

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26/02/2007

Stendhal, l'égaré de 1830.

Stendhal est plus que le doyen de la génération de 1830 : né en 1783, il est plus proche par l'âge de Châteaubriand (1768) que de Balzac (1799) ou d'Hugo. Par son style aussi, il s'éloigne du groupe. Il donne au romantisme la sécheresse du ton et le réalisme du contenu, deux ingrédients plutôt classiques.

Plus encore que de Lamartine, peut-être est-ce de lui qu'Hugo aurait dû dire qu'il était "le plus classique des romantiques".

C'est aussi, avec Balzac, celui qui a eu les relations les plus compliquées avec les femmes : il entre en extase quand on lui confie deux jeunes demoiselles pour écouter ses bavardages, une extase telle qu'il parvient à leur dicter en trois semaines un roman haletant, mais il est incapable de savoir par quel bout prendre George Sand ou tout autre rendez-vous arrangé du Paris littéraire, fût-ce dans dans l'alcôve.

Personnage faible sans doute, inhibé, il a peu produit et sa carrière a commencé à l'âge où celle des autres se termine : son roman "Le Rouge et le Noir" est un succès en 1830 ; il a quarante-sept ans. Douze ans et une "Chartreuse de Parme" plus tard, il meurt.

Sa vie de garçon, il la partage avec Mérimée, plus jeune que lui d'une vingtaine d'années tout de même. Ensemble, ils savourent les nuits parisiennes quand Stendhal est à Paris. C'est alors la fête, la ribouldingue. On les imagine courant de maison en maison, de cabaret en souper fin.

Mérimée est consommateur de jolies femmes, il rompt avec elles quand elles se marient avec des préfets, il les goûte comme des friandises, il leur donne autant d'efforts qu'il le peut, c'est un amant honnête. Quand il voyage en province pour ses activités administratives, il déguste les spécialités locales dans les bordels. C'est un homme au fond sans états d'âme.

C'est lui qui organise l'entrevue intime de George Sand et de Stendhal. Ce dernier y vient frétillant, mais repart sur un fiasco ; on lui avait dit qu'Aurore Dupin était difficile au plaisir, il s'était vanté, il doit en rabattre.

Et finalement, quand Stendhal meurt avec les succès paradoxaux de ses romans, c'est Mérimée qui impose ceux-ci à la postérité.

Il faut dire qu'il n'a pas de chance, Mérimée : depuis 1830, il aime une jolie veuve espagnole, la comtesse de Montijo. Ils se voient sur la côte basque et partagent des moments aussi brûlants que fougueux.

Tout va d'ailleurs bien jusqu'au jour où la fille de la comtesse devient... Eugénie de Montijo, impératrice des Français, après avoir fait un chantage au mariage au petit empereur Napoléon III.

Alors, à peine relevée de sa nuit de noces, Eugénie se précipite chez l'amant de sa mère (Freud au secours), à qui elle intime l'ordre d'accepter un titre de sénateur de l'empire.

Or Mérimée est totalement (on n'ose dire fervent chez cet homme poli) républicain. Il tente de refuser. On lui dit "avec nous ou contre nous". Il capitule.

Et voilà comment le régime le plus ultra-cagot du XIXe siècle va consacrer beaucoup d'efforts à faire la promotion de l'un des auteurs les plus anti-papistes de l'époque : Stendhal.

Décidément, Henri Beyle n'aura jamais rien pu faire comme tout le monde.

Libre ?

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24/02/2007

Les murs de la Bibliothèque nationale de France.

À Paris, la BNF, je ne l'apprends à personne, n'est plus tout à fait dans ses murs : il y a plus d'une dizaine d'années qu'on l'a démultipliée et, quai François Mauriac, dans le XIIIe arrondissement, les choses sont encore plus simples : il n'y a plus de murs du tout, rien que des baies vitrées.

Le vieux bâtiment de la rue de Richelieu, de l'autre côté de la Seine, a conservé les fonds les plus savants et les plus fragiles : manuscrits occidentaux et orientaux, médailles, cartes et plans, estampes.

Aller aux cartes et plans fait faire un bond de plusieurs décennies en arrière, quand tous ces établissements n'étaient visités que par quelques visiteurs très connaisseurs chaque jour. Plusieurs tables sont environnées de rayonnages ornés de reliures prestigieuses et de traités très spécialisés. On y est plus qu'attentif au moindre chercheur égaré. On prend le temps de lui expliquer le maniement de la base numérisée. On commente avec lui les recueils bibliographiques. On se croirait chez un libraire de la rue Saint-André-des-Arts ou de la rue de Seine, rive gauche.

Aux estampes, l'atmosphère est plus studieuse, moins bibliophilique, il y a des panneaux entiers de tiroirs de fiches, des lecteurs de microfilm, la salle est éclairée de néons, on se déplace dans un labyrinthe ou plutôt un apparent désordre. Ca foisonne de meubles, de classeurs et de gens. On se croirait dans une administration. Et comme on a de la chance, les lecteurs-tireurs de microfilms marchent ! Décidément, c'est le paradis, la BNF.

Les manuscrits occidentaux sont mes préférés, mes chouchous. La salle est vaste, ordonnée, ornée de boiseries sculptées et de trésors de reliures, mêlés aux plus savants usuels qui rappellent que l'Europe pourrait être de nouveau un sanctuaire de la culture avec peu d'efforts et de moyens, rien qu'en donnant un bon miroir à son réseau de savoirs. L'Europe, patrie des humanismes.

Il faut arriver tôt : la salle de lecture dispose de moins de places que de lecteurs potentiels. À la rigueur, si on n'en trouve pas, on peut se rabattre sur quelques machines de lecture de microfilm. Ici, pas question d'imprimer soi-même : on lit seulement ; si on veut des tirages, il faut passer par le coûteux et (de moins en moins) lent service photographique.

On a toujours dû montrer patte blanche mais le système des cartes de lecteurs numériques a mis du temps à s'incarner dans des boîtiers informatiques. Longtemps, on a continué à placer les gens avec des feuilles de papier ou des cahiers.

On reçoit une plaque de plastique verte ou bleue numérotée, une clef et un bout de bristol imprimé qui sert à rentrer quand on sort un moment au milieu d'une consultation. La clef est destinée à un casier, hors de la salle, où on est prié de déposer son manteau, son sac, bref, tout ce qui n'est pas un ordinateur portable ou papier et crayons.

À l'autre extrémité de la salle de lecture, près des magasins, on échange la plaque verte ou bleue contre une orange. Ensuite, on consulte le fichier des registres numérisés pour voir si la cote avec laquelle on vient correspond à un exemplaire microfilmé ou non.

Les manuscrits microfilmés sont de plus en plus nombreux, en particulier dans les collections généalogiques où l'appétit des chercheurs de tout poil n'en est plus à fatiguer les reliures, mais à les exploser. Les registres des "Pièces originales" commencent à ne plus ressembler qu'à de vieux dossiers de notaires rapetassés avec des élastiques, presque avec du ruban adhésif. On les photographie donc avant leur ruine définitive, ainsi que les précieux papiers de Chérin et des d'Hozier.

On n'en est pas encore venu à les numériser. Dommage pour certaines pages un peu trop buvard où l'encre traverse le papier et où le microfilm en noir et blanc évoque plus une oeuvre de graphite pur qu'une page de manuscrit.

On s'assied au numéro inscrit sur la plaque orange. Les tables sont plus que centenaires, massives, de style Louis XV. Les bricoleurs astucieux de la maison ont réussi à dissimuler sous leur plateau les prises nécessaires au branchement des ordinateurs portables. On se contorsionne un peu pour trouver le sens de branchement de la prise, mais on y arrive.

Quand on a la chance de consulter l'un des dizaines (centaines) de milliers de manuscrits "in carne oribusque" si l'on peut dire, on savoure son privilège. On déchiffre. On se concentre au milieu d'un cliquetis de claviers d'ordinateurs. On se penche. Le manuscrit est posé sur un lutrin ou, au pire, sur des boudins.

L'été, il arrive que les fenêtres soient ouvertes. On tend alors l'oreille au faux silence de la cour pavée.

Si on se perd, on consulte le (la) président(e) de salle qui trône à l'ancienne au milieu des lecteurs. Il (elle) est toujours disponible et de bon conseil. On se renseigne aussi auprès des magasiniers. Il y en a que je connais depuis plus de vingt ans que je viens là. Leur style, leur "look", a évolué, le mien aussi, j'ai perdu des cheveux au sommet du crâne et, par compensation sans doute, les ai laissés pousser sur les côtés.

Quand vient la fin de la séance, la cloche sonne à un bout de la salle, il faut refermer le manuscrit, le rendre, restituer la plaque orange et recouvrer l'autre, bleue ou verte, présenter son ordinateur ouvert à la présidence de salle, recevoir un bristol blanc dûment signé, ramasser ses affaires dans son casier et enfin, récupérer sa carte de lecteur qu'on a laissée en échange de la précieuse place.

Il ne reste plus qu'à retrouver le square miteux et la pollution de la rue de Richelieu, puis se diriger vers la rue de Rivoli et, s'il fait beau, aller flâner au jardin des Tuileries au milieu des jolies touristes.

Le soir, dégrisé, on se rappellera que le pays va mal et que des gens souffrent. On aura quelques idées de remèdes. Puis on s'endormira. Libre ?

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La triste mort de Balzac.

Toute sa vie, Balzac a vécu dans des rêves de fortunes faramineuses. Et toute son oeuvre est imprégnée de son obsession de l’argent et de la réussite matérielle, par où elle rejoint d’ailleurs la synthèse de son époque.

Quand, dans "La Recherche de l’Absolu", Balzac montre un personnage qui sacrifie tout à sa quête d’une sorte d’alchimie, c’est lui-même qu’il décrit. Quand dans un roman (le "Père Goriot", je crois), il explique comment on peut amasser presque vite une grosse somme d’argent en plantant des parcelles de peupliers, arbres de pousse rapide qu’on pourra couper au bout de quelques années et qui fournissent un bois de chauffe alors très recherché, c’est l’un de ses propres projets d’enrichissement fabuleux et facile, que Balzac dévoile.

Dans sa propre vie, il a tout essayé : les mines, l’imprimerie, les serres à melons sur les coteaux de la proche banlieue parisienne. Il a tout tenté et toujours il a échoué, il est resté, comme eût dit La Fontaine (autre expert en impécuniosité), "Gros-Jean comme devant".

Alors, quand la "princesse lointaine", une richissime veuve russe, a posé ses yeux sur lui, bien sûr il a été flatté de la personnalité, sans doute aussi a-t-il été ému et heureux de l’amour qu’on lui portait, mais surtout, ses yeux se sont exorbités sur les montagnes d’or que son amante pourrait déverser pour alimenter son intarissable moulin à projets industriels, tous aussi faramineux qu’onéreux.

Prudente, la veuve lui envoie des secours sages. Il veut l’épouser. D’abord, elle refuse. Puis elle finit par céder malgré les réticences de sa propre famille à laquelle elle doit concéder des garanties patrimoniales. Il va partir, la rejoindre, ils vont se marier.

En attendant, elle lui envoie une somme énorme pour acquérir et installer l’hôtel parisien où le nouveau couple résidera.

Balzac trouve un endroit incroyable : la chambre à coucher y ouvre par une simple porte sur le balcon intérieur de l’église voisine (détail d'ailleurs d'autant plus piquant que Balzac n'est guère assidu de ce genre d'établissements et que sa promise est orthodoxe). Il y entasse un décor vertigineux : des toiles de maîtres, des meubles uniques, de la dorure, de la soie de toutes les couleurs, des froufrous, des franges, du velours, du taffetas, des tapis précieux, bref, le palais de la poupée Barbie avec cent ans d’avance.

Mais, incorrigible, voulant offrir des somptuosités encore plus phénoménales à sa fiancée, il prend tout l’argent, je crois que c’est cent cinquante mille Francs (environ cinq cents ans de salaire d’un ouvrier), il le joue en bourse et, naturellement, comme d’habitude, il le perd jusqu'au dernier centime.

Oh, ce n’est pas si grave : comme l’écrit Balzac, la Société "se paie avec ce qu’elle donne : des apparences". Il a suffi qu’on le voie jouer cette somme prodigieuse pour qu’aussitôt toutes les portes du crédit lui soient ouvertes partout dans Paris, y compris chez les plus extravagants marchands d’objets exotiques.

En somme, il a meublé sa maison pour le double du montant qu’on lui avait fixé.

Il se met en chemin dès le dernier rideau pendu. C’est une longue route, jusqu’en Russie. En 1850, on voyage encore en diligence. Il faut imaginer l’effet de milliers de kilomètres de cahots sur un organisme usé par les veilles et l’abus du café. Balzac tombe malade. Il est contraint de faire étape, se requinque, puis repart : on ne lui enlèvera pas son mariage de conte de fées.

Il parvient à bon port. La cérémonie est célébrée et les nouveaux mariés prennent le même chemin en sens inverse à travers la Russie puis l'Allemagne.

Deuxième dose de trépidations, de poussière, de fatigues, Balzac rechute. Il n’en peut plus. Quand il passe l’octroi pour entrer dans Paris, il est mourant.

Pourtant, il tient à se lever pour présenter son palais des mille-et-une nuits à son épouse, il pousse la double porte et ...

Le majordome est devenu fou, il a tout saccagé et s’est suicidé au milieu du salon (ou du vestibule).

Cette fois, c’en est trop : Balzac tombe. Il ne se relèvera plus. Son ami Victor Hugo vient le voir chaque jour durant son agonie et donne une description poignante de ce lit de mort dans ses carnets.

Au milieu de l’été, Balssa dit Balzac s’éteint. il a cinquante et un ans à peine. Son oeuvre peut commencer sa propre vie. Libre.

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22/02/2007

La triste mort de Balzac.

On m'a suggéré de faire de cette note l'histoire de la semaine. Au fond, c'est une bonne idée. Je cherchais une belle histoire d'amour, mais mes roi et reine de France, si belle qu'ait été leur histoire, ont un défaut : ils n'étaient guère républicains, et pour cause... C'était ce qui me gênait aussi, je l'avoue, et je suis le bon conseil.

Si quelqu'un connaît une belle histoire de remariage, je suis preneur !

PS : en fait, je viens de perdre l'histoire de Balzac. Donc pas d'histoire de la semaine.

17:40 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

21/02/2007

La plus jolie ?

Chacun ses critères.

Quelle est la plus jolie fille, la plus belle femme, de la littérature ?

Est-ce Jenny de Fontanin dans "les Thibault" ? Est-ce la quasi-mythique Graziella de Lamartine ? Ou Cosette des "Misérables" ? "Marianne" de Marivaux ? "La Princesse de Clèves" ? "Manon Lescaut" ?

En attendant une note plus longue, je vous livre cette question matinale qui n'a rien de futile. Vive le fantasme libre.

10:00 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

20/02/2007

Salon du livre de Paris.

Les organisateurs du salon font passer aujourd'hui leur lettre d'info sur le salon, dont les invités d'honneur étrangers seront indiens, cette année.

On axe de plus en plus les animations sur la BD.

20:20 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

18/02/2007

Françoise Verny, éditrice oubliée ?

On m'a dit un jour que c'est Françoise Verny qui avait aiguillé François Bayrou vers l'écriture de son Henri IV qui connut en son temps le triomphe. Cette info me fit plaisir, à la fois parce que j'approuve la démarche générale de Bayrou, comme je l'ai dit, et parce que j'étais enthousiaste de voir se rencontrer leurs deux talents.

Françoise Verny a été l'une des éditrices les plus créatives de sa génération ; j'ai toujours entendu vanter son intérêt pour ses auteurs, un engagement authentique que l'on croit retrouver dans ses mémoires, que j'ai cités dans une note sur J-É Hallier : "Le plus beau métier du monde".

Je ne l'ai rencontrée que dans les dernières années de sa vie, elle n'était plus regardable, il faut l'avouer, et on souffrait pour elle à l'entendre respirer. On la disait embouteillée et cette affirmation paraissait vraisemblable. Et cependant, il se dégageait d'elle beaucoup de bienveillance et de délicatesse.

Son métier change, les financiers en tiennent de plus en plus les rênes, le rendement est sollicité avec sécheresse dans un secteur où la marge est pourtant faible et où les carrières se construisent à long terme et avec patience. Là encore, on ne sait pas l'impact qu'aura Internet pour contourner les institutions et nourrir des pépinières.

En tout cas, si l'on essaie d'accroître encore la pression de la crétinisation, il n'y a que nous, ici, dans nos blogs, qui puissions incarner une vraie résistance à ce fiévreux effort. C'est notre pouvoir à nous, le "cinquième". Libre.

15:45 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

17/02/2007

Le bonheur total.

J'ai dit il y a peu à quel point mes études alors dites primaires (élémentaires, si l'on veut) avaient été facilitées par l'adéquation de ma forme d'intelligence à la façon dont on m'instruisait. Cet avantage me dispensait des inconvénients de l'autorité, que je n'aurais sans doute pas plus supporté que Quitterie Delmas, dont le blog est signalé dans ma colonne de droite et qui, au milieu de ses développements politiques, vient de faire la promotion des écoles Montessori.

À la maison, l'autorité n'existait pas ou, du moins, ne parvenait pas jusqu'à moi : tout était négociable. Si je désirais ou ne désirais pas quelque chose, on en parlait jusqu'à savoir pourquoi et, arrivé à ce stade, il devenait évident pour moi-même si j'étais dans le caprice, donc dans un déséquilibre qui ne me plaisait pas. Au bout du compte, je faisais ce qui me paraissait juste, ou adéquat, ou simplement supersympa, bref, rien ne m'était imposé manu militari.

J'ai toujours trouvé qu'il y avait là un secret d'harmonie et je ne crois pas que ça ait gâché ma vie.

Dans les couples littéraires ou artistiques (pour rester dans le cadre de ce blog-notes), cette même recherche de respect et de négociation avec la liberté de l'autre est évidente. Oh, bien sûr, tout n'est pas toujours rose, les crises existent, mais en fin de compte, elles prennent leur sens lorsqu'elles aboutissent à des solutions. Les grands écrivains ne savent pas toujours s'exprimer mieux que d'autres dans l'intimité, et leur vie affective et sensuelle traverse des périodes forcément troublées, voire débridées, où cette difficulté de dire produit les mêmes quiproquos et les mêmes refoulements que chez n'importe qui.

On pense aux couples étranges ou volcaniques, Aragon et Triolet, Sartre et Beauvoir, Dali et Gala, mais on pourrait invoquer Anatole France et sa compagne qui corrigeait ses manuscrits, ou tant d'autres.

La question la plus mystérieuse est toujours : comment ça a commencé. Y a-t-il une solidité ou une faille de départ ?

Pour Malraux et Clara, par exemple, tout débute par une extravagance d'André : il soudoie deux malfrats qui feignent de s'en prendre à Clara, il surgit alors avec un pistolet et les met en fuite. Clara tombe dans ses bras. Du roman de quai de gare. Mais c'est grâce à Clara que Malraux est sauvé des prisons coloniales au Cambodge et grâce à elle aussi qu'il est lancé dans le Paris littéraire.

De la part de Malraux, la ruse est une infraction au principe contractuel. C'est peut-être la vraie raison de l'échec final de leur couple. Peut-être une forme de bonne foi, très secrète, est-elle nécessaire à la réussite des unions.

Les écrivains sont-ils volontiers de bonne foi ? Certains, sûrement. Voilà en tout cas un sujet d'étude. Et de commentaire. Libre.

23:30 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les écrivains et l'irrationnel.

Chacun à ses lubies. Victor Hugo faisait tourner les tables.

On apprend d'ailleurs à cette occasion avec intérêt que la langue de l'au-delà est ... le français, et que le moindre personnage illustre y est miraculeusement doué du génie de ... Victor Hugo lui-même. Car tous se mettent à proférer des vérités sépulcrales en chapelets d'alexandrins sonores et hugoliens !

Alors, ça y est, la solution est toute trouvée : Hugo est un fantôme ! Voilà la clef de l'énigme... Un fantôme... Il fallait y penser.

Voilà pourquoi, à Guernesey, on le croyait doté d'ubiquité, parce que des gens pouvaient jurer l'avoir vu en des lieux et à des heures dont la compatibilité ne s'expliquait que par l'ubiquité. Normal, pour un fantôme...

Plus sérieusement, le même travers de donner ses mots aux grandes figures mortes et vivantes se retrouve chez Malraux, dont les "Antimémoires" sont bien plus "Anti" que "mémoires" et où il ment autant que Châteaubriand dans ses "Mémoires d'Outre-tombe", qui sont bien plus des antimémoires que d'outre-tombe, puisque, après avoir fait lanterner ses créanciers pendant vingt ans en leur faisant miroiter les bénéfices faramineux prévisibles lors de la parution de cette oeuvre supposée posthume, il a dû se résoudre à la publier de son vivant, de justesse d'ailleurs. Bref...

Malraux empoigne Mao et je ne sais qui, puis il leur prête ses vues, ses idées sur le vertige du monde. C'est un texte d'ailleurs magnifique, le plus beau d'André Malraux, peut-être le seul, outre ses écrits sur l'art, qui ait "résisté au temps" (j'emploie cette expression à dessein, puisque Malraux lui-même définissait l'art comme "ce qui résiste au temps"). Mao, subitement, fait du bon Malraux et on ne s'en plaint pas. Mais, au fond, ce procédé n'a rien d'irrationnel, au contraire, et ce n'est que littérature.

Hugo, lui, agrippé à sa table tournante, fait poétiser les grands esprits. Il y croit. Chacun ses lubies.

Théodore de Banville, poète désormais mineur voire oublié, c'est tout autre chose : il a peur du vendredi 13. Quelqu'un lui a dit qu'il mourrait un vendredi 13. Alors, tous les vendredis 13, il se calfeutre, se barricade, n'ouvre à personne et ne sort surtout pas de chez lui où il se sent admirablement à l'abri.

C'est donc chez lui qu'il est mort ... un vendredi 13.

Finalement, Hugo avait peut-être raison de faire tourner les tables. Croire que tout est possible, même le plus absurde, n'est-ce pas en tout cas un signe de liberté ?

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16/02/2007

Libres, les intellos ?

On voit à la une du Nouvel-Obs une question existentielle qui ressemble à "Les intellos sont-ils passés à droite ?"

Eh bien, voilà une question fort pertinente de la part d'une publication qui, il n'y a pas si longtemps, incarnait l'intelligence de gauche.

Les intellos sont passés à droite ? On le dirait bien. Par bataillons entiers.

Pourquoi ? La faute à qui ?

Comment ça, la faute à qui ?

Comme disait Steinbeck, "ne demande pas pour qui sonne le glas : il sonne toujours pour toi". Plus prosaïquement, la réponse ressemble à celle que l'on entend quand on joue aux cartes, après la question "à qui est-ce de jouer ?" : c'est toujours "à l'imbécile qui le demande".

Et voilà. Voilà donc le temple qui se demande si ses fidèles l'ont fui. Voilà le Nouvel-Obs qui s'interroge gravement : "Les intellos sont-ils passés à droite ?" C'est toujours l'imbécile qui le demande.

Se poser la question est déjà un comble. Ne pas y évaluer sa part de responsabilité en est un plus grand.

Comment le Nouvel-Obs peut-il oser se poser cette question alors que lui-même, en soutenant la crétinisation orchestrée autour de la campagne de Ségo a prouvé l'abdication des institutions autrefois les plus exigeantes devant les oukazes de la crétinitude ?

Ils ont voulu enfermer le débat, participer au verrouillage de l'intelligence, leurs troupes les ont fuis, qu'ils s'en prennent à eux-mêmes.

En revanche, j'ai déjà dit ce que je pensais de l'agenouillement scandaleux des intellectuels, notamment devant les logiques de guerre. Qu'ils aient déposé leurs plumes au pied du trône des puissants est un scandale innommable.

C'est ce qui rend l'ingénuité du Nouvel-Obs plus que honteuse : criminelle. L'histoire jugera.

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