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20/08/2008

L'engrenage.

Le cas afghan démontre parfaitement le mécanisme d'engrenage dans lequel l'atlantisme béat de la majorité entraîne la France. Faire tomber le régime taliban avait un sens dès lors qu'il y avait un Masoud pour prendre la relève. Après la mort de Masoud, il ne reste qu'une situation d'impasse dans laquelle les Russes, entre autres, rendent aux occidentaux la monnaie de la pièce qu'ils ont reçue dans le même pays voici plus de vingt ans. L'absence de réflexion qui caractérise la diplomatie américaine depuis 2001 (avant même l'effondrement des tours) y trouve son application la plus patente. La France a pris le commandement par roulement de la force armée occidentale. Le président y trouve l'occasion de s'y donner des airs martiaux. Gageons que le premier ministre lui emboîtera le pas. Pendant ce temps-là, l'Histoire marche, ailleurs.

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12/08/2008

La boîte de Pandore.

Lorsque les États-Unis, sans l'aval de l'ONU, ont attaqué l'Irak conjointement avec une coalition de certains états occidentaux, nous avons analysé que cette stratégie folle ouvrait une boîte de Pandore. Voici que l'Ossétie est le premier maléfice sorti de cette boîte. Les Russes ont beau jeu de renvoyer les États-Unis dans leurs cordes lorsque ceux-ci leur reprochent de n'avoir pas respecté la légalité internationale.

Désormais, lorsqu'un État utilisera sa position dominante et préférera la force du fait à celle du droit, il pourra dire "l'exemple est venu d'en haut", des Étas-Unis, première puissance mondiale. C'est bien pourquoi j'ai écrit récemment à propos d'Obama et de la perspective de son élection à la présidence des USA, que, lorsqu'on est le plus fort, on doit aussi être le plus juste.

Voici donc ouverte la boîte de Pandore dans la poudrière du Caucase. J'emploie à dessein l'expression de "poudrière", qui renvoie à "la poudrière des Balkans" : il y a bien une deuxième poudrière, celle du Caucase. Le Nouvel Ordre Mondial dont l'établissement motivait l'intervention en Irak, n'est rien d'autre qu'un épouvantable chaos mondial.

Et comme on a détaché le Kosovo de la Serbie, la Russie réclame de détacher l'Ossétie du Sud de la Géorgie, non pas pour en faire un État indépendant (ce serait trop beau) mais pour la rattacher à l'autre Ossétie et, ainsi, à la fédération de Russie. Et qui va pouvoir refuser un référendum d'autodétermination aux Ossètes quand celui-ci a été accordé aux Kosovars ? Le Nouveau Chaos Mondial est une formidable puissance de désintégration. Il faudra bien que l'Europe joue à cet égard son rôle de stabilisation du monde par le recours systémtique à la légalité internationale. Pour ce faire, Tony Blair, l'un des auteurs de l'erreur irakienne, et candidat aujourd'hui au poste diplomatique européen, est le plus mal placé. Il faudra quelqu'un d'autre et que, pour le trouver, soient particulièrement vigilants nos futurs député européens, notamment ceux de la nouvelle génération.

10/08/2008

Géorgie : l'autre question européenne.

La guerre menace au bord de la Mer Noire : Ukraine, Russie, Géorgie, petits peuples du Caucase aussi comme les Ossètes et les Abkhazes, voici le vrai danger contre la paix en Europe.

Europe ?

On a vu le présidenr géorgien tenir sa conférence de presse avec, derrière lui, outre les croix du drapeau géorgien, les étoiles du drapeau européen. Dans le même instant, on entendait que la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) prévoyait de se réunir pour débattre de la question géorgienne.

Notons d'abord la menace d'escalade guerrière qui fait penser au déclenchement de la Première Guerre Mondiale : les Géorgiens interviennent contre les Ossètes, qui sont en principe leurs nationaux. Les Russes interviennent contre les Géorgiens. Les Ukrainiens menacent d'empêcher les vaisseaux de guerre russes de rentrer à leur port en Mer Noire, ce qui revient à une menace d'intervention armée. Et ainsi de suite.

Que la raison l'emporte.

Pour nous aider dans cet effort de raison, raccrochons-nous à l'autre aspect de l'affaire : la frontière de l'Europe.

La Géorgie est située à l'extrême-est de la Turquie, tout près de la Caspienne, et on pourrait imaginer qu'il s'agisse d'une république asiatique, c'est ce que suggère une étude sommaire de la géographie. En l'incluant dans l'univers européen, on décide que l'Europe va jusqu'aux portes du monde arabe.

Voilà qui renvoie évidemment à la question turque.

D'une manière plus générale, disons que l'Europe, pour son extension future, a le choix entre deux frontières à l'est : avec ou sans la Mer Noire. Autrement dit, soit on considère qu'à l'est, rien ne peut devenir européen qui soit plus à l'est que l'Ukraine, et rien plus au sud-est que le Bosphore, soit au contraire on considère que toute la Mer Noire est européenne et on y inclut la Géorgie, l'Arménie, et surtout la Turquie.

De mon point de vue, la seconde option conduira nécessairement à inclure dans l'aire économique et culturelle de l'Europe le monde arabe, Machrek et Maghreb, mais cela n'est que mon opinion.

Quoi qu'il en soit, on voit bien que les États-Unis incluent toute la Mer Noire dans leur vision de l'Europe.

Et nous ?

05/06/2008

Obama - McCain : la politique étrangère américaine ne sera pas libre.

Chacun a vu à quel point la politique étrangère américaine était partiale, sous l'administration Bush, et cette partialité a beaucoup nui à la paix au Proche-Orient, à la justice, et l'influence des États-Unis, notamment.
 
En se rendant à l'invitation d'un lobby pro-israélien hier et en y exprimant son engagement pour que Jérusalem soit une ville entièrement israélienne, Barack Obama m'a déçu, car il a choisi l'efficacité contre la justice. C'était évidemment la condition mise pour le retrait de Billary Clinton, mais de fait, c'est la fin du rêve Obama en matière de politique étrangère.
 
Les États-Unis doivent savoir : quand on est le plus fort, il faut être aussi le plus juste.
 
Souhaitons quand même qu'Obama soit élu président, pour la promotion de l'égalité dans ce pays, mais avec tout de même un grand regret. 

22/04/2008

Connaître Haïti suite et fin.

Haïti dispose de peu de ressources naturelles : des entreprises américaines ont longtemps extrait de la bauxite d'une montagne, mais cette exploitation est terminée depuis longtemps aussi. Le tourisme a connu un timide essor dans la deuxième moitié des années 1970, le Club Méditerranée s'est même fortement implanté, mais hélas, au début des années 1980, le SIDA est apparu aux États-Unis, projetant une mauvaise aura sur Haïti, puisque outre les homosexuels, les Haïtiens vivant aux États-Unis apparaissaient comme une population "à risque". Exit donc le tourisme. L'agriculture, elle, a subi le sort de toutes les productions de pays pauvres : une déstabilisation profonde. Une épidémie de peste porcine africaine, dans les années 1980, a achevé le travail de ruine fourni par le départ des touristes, car les porcs, qu'on ne nourrit pas et qui se nourrissent eux-mêmes (et qui ont par ailleurs l'avantage d'éliminer bien des déchets) constituaient la base de l'élevage. Quant à la production vivrière, celle du riz a été démolie totalement dans les années 1980, lorsque le riz importé des États-Unis, hypersubventionné, est arrivé sur le marché haïtien à un prix inférieur au coût de revient local.
 
Il reste cependant de très nombreux petits producteurs, ailleurs que dans les plaines et aux abords des villes. Il faut monter dans la montagne.
 
En 1804, après l'indépendance, les grandes exploitations agricoles ont été partagées et distribuées aux anciens esclaves. Chacun n'eut que quelques hectares (quelques carreaux) de terre, mais il eut son bien à lui. Progressivement, depuis ce temps, de grandes propriétés se sont reconstituées et les villes ont dévoré la plaine. En revanche, dans la montagne, les petits producteurs restent les rois. Ils font de tout : du café (qui a longtemps eu une très grande réputation et qui pousse là-bas comme n'importe quelle plante de jardin), des fruits et des légumes parfois délicieux.
 
On peut acheter, dans la rue, des avocats locaux, énormes, moelleux, ou des mangues, ou d'autres denrées. Mais c'est là haut que l'on verra le spectacle incroyable de certaines cultures.
 
Vers le haut des montagnes du sud, la terre est rouge et la pente absolument abrupte. Les paysans qui ont reçu ces terres-là dans la distribution générale, en 1804, ont dû faire la grimace. Mais ils se sont mis au travail et, depuis sans doute cette époque, on cultive à flanc de montagne en escalier. Des marches étroites, dessinées par des murets de pierres sèches, pouvant contenir un rang, au maximum deux, de légumes, souvent pas plus de vingt centimètres de large, des centaines de marches sur des dizaines de mètres de hauteur. Sur cette terre ocre rouge, il faut imaginer en particulier une espèce de petits poireaux tendres dont les feuilles ressemblent à une grande ciboulette. Parfois, une brise passe sur ces franges vertes qui ondulent en se découpant sur le cuivre du sol le long des lignes gris pâle des murets, sur des kilomètres de pentes inaccessibles que baignent à la fois le soleil et la brume, c'est d'une beauté suffocante et on pense à certains paysages chinois restitués par des peintures anciennes. Le temps s'est arrêté.
 
Sur les chemins, le long de ces champs qui n'en sont pas, la terre rouge est foulée parfois par de très petits boeufs qui ne mangent guère que l'herbe du bord de la route. Je n'ai jamais mangé de viande aussi bonne.
 
Il faut aussi goûter le cabri rissolé, un véritable confit, un délice. 
 
Mais hélas, ce n'est pas avec cela qu'on fera d'Haïti un pays prospère ou seulement vivable.
 
Car pour le moment, le seul gisement inépuisable du pays, ce sont ses bras, sa main d'oeuvre. il paraît que la population continue sa croissance à un rythme démentiel, qu'elle a dépassé les dix millions d'habitants.
 
Que peut-on faire ?
 
Le pays vit un peu de son agriculture, beaucoup de ses exportations de main d'oeuvre souvent clandestine et des invisibles que celle-ci lui envoie, de trafics en tous genres et un peu de la pingre charité mondiale.
 
Il y a cependant des produits phares comme le rhum, une certaine herbe dont le nom m'échappe et dont Haïti produit 40% de la consommation mondiale, le sucre de canne (qui n'est malheureusement pas en pénurie) et diverses autres denrées, peu de l'industrie.
 
Le commerce équitable semble avoir permis à la production de café de retrouver un peu de couleur et d'efficacité.
 
Lorsque je me trouvais en Haïti, en 2002, les banquiers s'intéressaient de très près au microcrédit, qui leur paraissait porteur de grande fécondité de développement et dont ils tiraient déjà leurs plus fortes marges de croissance. Mais j'ignore si cette tendance s'est confirmée.
 
La disette actuelle, provoquée par la hausse du prix des produits agricoles, réclame en tout cas des solutions à court terme.
 
Pour le long terme, il faut reconnaître que l'isolement de Cuba, île immédiatement voisine d'Haïti, est un handicap, car c'est vers Cuba que pourrait se tourner le plus naturellement le commerce de cabotage, bien plus que vers la République Dominicaine qu'on ne peut atteindre que par d'étroits chemins.
 
Peut-être les premiers changements à Cuba, perceptibles ces jours-ci, sont-ils donc porteurs d'espoir, non seulement pour Cuba, mais aussi pour Haïti... 

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21/04/2008

Connaître Haïti, suite 2.

On ne peut pas imaginer ce qu'est la vraie misère avant de l'avoir vue soi-même. C'est indescriptible.
 
En 1982, il y avait un vaste bidonville à l'entrée de Port-au-Prince, au nord de la ville, sans doute déjà Cité Soleil dont j'ai parlé plus haut. Il était fait de planches, de piquets, de tôles, de tout ce qu'on pouvait trouver. Lorsque j'ai quitté le pays, en août 1982, j'ai vu, en survolant la capitale, un grand panache de fumée noire : c'était un incendie qui dévastait ce bidonville. Il a fait trois cents morts et même pas une dépêche d'agence ; c'est au moins un effet utile de la mondialisation que ce genre de drames ne reste plus ignoré.
 
Quoiqu'il en soit, en dehors du bidonville, la ville ressemblait à une ville.
 
Vingt ans plus tard, ce n'était plus le cas : la ville était dévorée par le bidonville et celui-ci changeait d'aspect, voire de nature. On construisait désormais en dur, en parpaings, plus souvent dérobés qu'achetés d'ailleurs. Une marée de ciment se répandait par capillarité tout autour de la ville. Une sorte de casbah faite de ces cases cimentées. Des ruelles très étroites irriguent cet espace clos sur lui-même. Pas d'eau courante, pas d'électricité, pas d'égout, pas de... Rien. Rien que des gens qui choisissent un coin de terre, ne se préoccupent pas d'un éventuel titre de propriété, se munissent de matériaux et, résolument, bâtissent quelques mètres carrés dans lesquels vont s'entasser les membres de la famille. On cuisine plus souvent devant que dedans, quand on cuisine.
 
Et ces gens sans rien, qui s'inventaient un périmètre, se créaient aussi un commerce. Des flots de gens quasi-nues se promènent dans la ville, à pied, portant des objets ou des denrées à vendre. Les femmes en particulier, à l'africaine, portent des monceaux de choses posées sur le haut du crâne, avec un courage et une détermination admirables.
 
Des billets de banque crasseux passaient ainsi de main en main.
 
Le pouvoir politique encourageait l'appropriation des terres pour les bidonvilles. À vrai dire, encouragée ou non, cette activité n'aurait pu connaître ni frein ni remords : c'était organique.
 
Le pouvoir politique en question était le président Jean-Bertrand Aristide, qui a été bien vu du pouvoir en France sous Mitterrand en raison d'un quiproquo.
 
Cet homme avait d'abord été un prêtre catholique d'une congrégation particulière, les salésiens (du nom de François de Sales). Sous l'ère Duvalier, son église avait plusieurs fois été mitraillée, tuant des fidèles, mais lui en était toujours sorti vivant et même indemne, ce qui lui conférait une aura un peu magique dans un pays imprégné du vaudou. Il passait, formule bien connue, pour un "curé des bidonvilles". Quand Duvalier tomba, il apparut assez vite comme l'homme capable d'instaurer un régime plus juste que celui de la bourgeoisie jugée très conservatrice dans ce pays très inégalitaire et pauvre.
 
Il parvint à prendre le pouvoir par l'élection et c'est l'époque où il se rendit sympathique. Puis il fut renversé par l'armée, ce qui le rendit encore plus sympathique. Il se réfugia aux États-Unis. Il fut rétabli par ces mêmes États-Unis peu d'années plus tard. Hélas, l'homme avait changé.
 
D'une part, il s'était marié, ce qui avait tout naturellement conduit à le défroquer. Cela en soi n'était pas un mal, mais il y avait le reste.
 
On l'accusait de fortes corruptions. Et surtout, cet ancien prêtre prônait la violence sociale. Il disait à la télévision "J'aime l'odeur du père Lebrun". Le père Lebrun en question est le principal marchand de pneus d'Haïti et son odeur, c'était celle des pneus qu'on faisait brûler autour de gens vivants qui mouraient ainsi dans d'atroces souffrances, sans jugement, sans autre justification que le lynchage. C'était ignoble.
 
On disait aussi qu'il s'était acoquiné avec les traficants de drogue qui utilisaient beaucoup la proximité d'Haïti avec le territoire américain.
 
Bref, il ne développait guère son pays et les gens commencèrent à montrer leur lassitude : quelques mois avant mon arrivée, eut lieu l'élection présidentielle. Aristide obtint 90 % des voix. Un triomphe. Sauf que ... il n'y avait eu que ... 5 % (cinq pour cent) de participation. Il était temps que les choses se terminassent pour lui.
 
À la même époque, il commit d'ailleurs une erreur colossale (en vérité un crime) en séchant les maigres économies de la toute petite classe moyenne naissante, qui ne put ainsi pas envoyer ses enfants à l'école (qui est devenue payante après la chute de Duvalier). Il s'agissait d'une magouille absolument mafieuse qu'il avait encouragée sans vergogne. Les gens ne le lui pardonnèrent pas.
 
Dans l'été 2002, on en était là : l'impopularité d'Aristide devenait manifeste.
 
Il faut reconnaître à Dominique de Villepin d'avoir joué la juste partition dans cette affaire puisque quelques mois plus tard, c'est à l'initiative de la France qu'un drame fut évité, Aristide exfiltré et expédié en Afrique du Sud où Mandela daigna l'accueillir, et qu'une force de l'ONU fut déployée dans le pays, comprenant notamment des gendarmes français, les premiers soldats français à remettre les pieds en Haïti depuis l'indépendance, tout juste deux cents ans plus tôt.
 
Depuis cette époque, l'insécurité a d'abord beaucoup progressé, puis elle a décru, sous l'impulsion notamment de l'armée brésilienne qui sut intervenir avec tact contre les gangs.
 
Le pouvoir installé par l'ONU a fait ce qu'il a pu pour instaurer un semblant de gestion publique, mais les États qui s'étaient engagés à verser des aides nombreuses se sont fait tirer l'oreille pour tenir leurs promesses et, sans argent, le gouvernement n'a pas tenu.
 
La dernière élection présidentielle, débarrassée de l'ombre d'Aristide, a soulevé beaucoup d'espoir dans la population. L'élu est issu du parti fondé par Aristide lui-même : Lavalas ("L'avalanche"). Populaire, réputé intègre (son entourage un peu moins), il a su incarner une époque nouvelle.
 
Hélas, une fois de plus, sans argent, il ne sait pas faire face à la hausse des prix et à la recrudescence de misère qui en résulte.
 
Je donnerai demain, dans une dernière note, quelques perspectives sur l'économie haïtienne, nourries de ce que j'ai vu en 2002. 

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20/04/2008

Connaître Haïti, suite.

La citadelle du roi Christophe est un monument étonnant, classé patrimoine mondial de l'UNESCO. Il faut imaginer une forteresse anguleuse, lisse comme un tombeau, énorme, avec une proue comme un vaisseau, posée sur un pic en altitude. Des blocs de pierre énorme ont été acheminés jusque-là à dos d'hommes. C'est une sorte de pyramide du XIXe siècle, qui a coûté la vie à plus d'un ouvrier. Césaire en a donné une description ample dans sa "Tragédie du roi Christophe".
 
On y accède par un raidillon malcommode, à dos de mulet ou à pied : aucun autre moyen de transport n'est envisageable, s'auf l'hélicoptère - et il n'y avait aucun hélicoptère en Haïti en 1982. Nous avons donc enfourché les mulets et, sous un soleil cuisant (c'était l'été) sommes montés découvrir ce site exceptionnel.
 
Il a été bâti pour dissuader un retour éventuel de la France dans les années 1820. D'énormes canons de bronze y sont donc braqués vers la côte nord et ces canons ... portent les emblèmes de Bonaparte. Ce sont les canons laissés par l'armée française dans sa débâcle en 1803. Ils mesurent huit mètres de long et pèsent onze tonnes chacun.
 
En redescendant, on peut (on pouvait, en tout cas) s'arrêter au palais de Sans-Souci, réplique d'un palais européen homonyme. En fait, il reste les façades majestueuses et classiques d'un bel édifice qui a dû avoir fière allure.
 
Il n'y avait pas un touriste quand j'y fus, l'été n'est évidemment pas la saison où les gens se précipitent au soleil.
 
Nous sommes allés au sud, à Jacmel, une ville elle aussi d'aspect traditionnel, mais souriante et vivante, puis tout au fond de la péninsule sud de la République, près d'une petite ville nommée Les Cayes, sur une plage qui porte un nom de fromage (Port-Salut) mais qui vaut mieux que ça, car le sable y est d'une blondeur brûlante et la mer d'un turquoise très pâle. Là encore, personne, et nous passâmes un moment véritablement paradisiaque, seuls dans ce décor prodigieux.
 
Beaucoup de gens de la bourgeoisie possédaient des villas pieds dans l'eau dans la baie de Port-au-Prince. Nous avons passé là d'autres week-ends, noyés sous de gros moustiques noirs et sous un flot de bavardages en tous genres, mangeant les plats locaux comme le "riz dion-dion" (le dion-dion est un champignon noir) et buvant des jus plus ou moins alcoolisés et glacés.
 
Vingt ans plus tard, en 2002, je suis revenu en Haïti.
 
Changement complet d'atmosphère.
 
Tout d'abord, en 1982, l'avion était peu rempli pour le trajet entre Pointe-à-Pitre et Port-au-Prince, car on n'y trouvait que des gens aisés ou des touristes. En 2002, il regorgeait de gens de toutes conditions éparpillés aux quatre coins du monde et rentrant chez eux.
 
De 1982 à 2002, en vingt ans, la population avait pratiquement doublé, atteignant les huit millions d'habitants, augmentés d'une diaspora pléthorique. On estimait qu'un quart du PIB était constitué des rentrées d'invisibles procurés par cette diaspora qui envoyait de l'argent chez soi. On débattait pour savoir si elle comptait deux millions, trois millions ou quatre millions d'individus !
 
Il y a désormais des Haïtiens partout dans les Caraïbes, jusqu'en Guyane, mais aussi en Guadeloupe où leur dynamisme sans papiers crée des tensions, et bien sûr aux États-Unis, sans doute le deuxième contingent après la toute voisine République dominicaine. Il y a à Miami un quartier pauvre dénommé "Little Haiti".
 
Autre changement notable : l'insécurité. Dans l'avion, je lisais le bilan annuel du "Monde", pays par pays, une excellente publication traditionnelle. La fiche d'Haïti commençait par ces mots : "L'insécurité est devenue telle en Haïti que même les cartels colombiens s'en sont retirés".
 
Même les cartels colombiens...
 
Je dus pâlir en lisant cette phrase.
 
Je demandai à l'hôtesse si elle avait un parachute pour moi et si on pouvait ouvrir une porte un instant pour que je saute en vol. Il n'y a pas de marche arrière, sur un Airbus. Elle rit et m'indiqua que le film allait bientôt commencer, un dessin animé, "L'âge de glace", et que j'allais trouver ça très drôle.
 
Hahaha...
 
Mais tout de même...
 
Là où, en 1982, l'aéroport était pratiquement désert, il était envahi d'un flot de monde en 2002, des gens attendant des avions venus d'un peu partout.
 
Et nous ne prîmes pas la même route que vingt ans plus tôt pour gagner la montagne. On en avait fait une nouvelle et j'eus du mal à retrouver mes marques.
 
Ma soeur habitait le même quartier, mais une maison plus grande.
 
En 1982, Pétionville était une bourgade d'aspect maridional, avec un mail planté de platanes, des façades blanches ornées de balcons en fer forgé, personne dans les rues et beaucoup d'indolence bourgeoise.
 
Vingt ans plus tard, cette ville qui était en quelque sorte la banlieue chic de Port-au-Prince, était envahie de marchands en tous genres  qui campaient sur les trottoirs. Des tas d'immondices (qu'on appelle "fatras") jonchaient les chaussées, poussés vers la mer par les grosses pluies d'orage qui dévalent souvent de la montagne.
 
Il faut imaginer un craquement énorme et une pluie torrentielle, des gouttes invraisemblables, puis des flots qui descendent la pente à toute allure, s'engouffrent dans les rues, heurtent les monticules de déchets, les poussent, les décharnent, puis les renourrissent avec d'autres détritus ramassés plus haut, et ainsi de suite, de marche en marche, les mènent jusqu'au niveau de la mer, à Port-au-Prince, d'où, sans contrôle, ils finissent par s'envaser dans l'eau désormais crasseuse de la baie. C'est impensable.
 
De la même façon, entre 1982 et 2002, les chaussées avaient pratiquement disparu. Une rue est une succession de nids de poules, sauf quand les riverains se cotisent pour faire poser un macadam (ou un béton). Pas d'enlèvement des poubelles, pas de routes, pas de police, il n'y avait en fait plus d'État, plus de pouvoirs publics, en Haïti. Plus rien.
 
Dès lors, les deux articles qui s'y vendaient bien étaient le 4x4 et le fusil à pompe.
 
Essayez de vous représenter entrant dans votre supérette favorite sous l'oeil torve de deux gardes avachis sur leurs fusils à pompe, puis vous ouvrez des congélateurs pleins de viande crue et, là encore, des gardes promènent leurs fusils sous votre nez. On est à peine surpris que les patrons de la supérette soient ... libanais. Je suis allé au Liban en 1986, l'année des voitures piégées, boum, on s'y sentait presque plus en sécurité qu'en Haïti en 2002.
 
"Même les cartels colombiens..."
 
Il faut dire que les gens sont d'une telle pauvreté et d'un tel nombre que tout verrou a sauté.
 
Il n'était plus question d'aller au Cap-Haïtien en 2002 : trop dangereux.
 
Nous allâmes passer un week-end à la mer, entre Port-au-Prince et la ville remuante des Gonaïves. Pour nous y rendre, nous prîmes la route du nord, mais avec un détour pour éviter le vaste faubourg de "Cité Soleil" qui est une sorte de "cour des miracles" tenue par les gangs.
 
On nomme les brigands haïtiens (souvent des expulsés des prisons américaines où ils ont adopté la culture de la violence la plus effrayante) du mot poétique de "Zinglindo". "Attention aux Zinglindo" pourrait passer pour une citation de "Star Trek", mais pas du tout, c'est un avertissement contre une menace terrible.
 
Car on enlève les gens bien plus en Haïti que dans les années 1970 en Sicile. J'ai vu un jour un médecin dont le visage ressemblait à un picasso, le nez plus du tout au milieu du visage, les yeux dissymétriques, les oreilles travers, et des balafres dans tous les sens : un jour, des Zinglindo, venus de nulle part, sont apparus chez, lui, l'ont découpé à coups de machettes, lui ont dérobé ce qu'ils ont trouvé et sont repartis, le laissant pour mort. Il a survécu, mais dans quelles conditions.
 
À vrai dire, le brigandage est tel qu'il a aussi ses pieds-nickelés. Le beau-frère de ma soeur est médecin. Des gens sont venus l'enlever à son cabinet et ont réclamé une rançon. Ma soeur et la femme de cet homme se sont chargés des pourparlers. Elles ont dit placidement (en créole) : "bof, vous pouvez le garder". Panique chez les ravisseurs : que faire si les gens se foutent de ceux qu'on enlève ? En définitive, ils l'ont relâché contre un dédommagement très symbolique.
 
Dans Port-au-Prince même, le quartier de la librairie dont ma soeur a conservé les locaux n'est pratiquement plus accessible. Les rues n'y ressemblent plus à rien, envahies par des gens, des marchands, qui campent n'importe où, des immondices, des ruisseaux nauséabonds, et on voit des gens dans cette bauge, vêtus non plus du coton traditionnel, mais de maillots d'équipes de football (de préférence brésiliennes) en divers matériaux synthétiques, et de véritable guenilles sans forme ni couleur. Ceux que j'avais vus pauvres et miséreux en 1982 avaient trouvé le moyen de paraître encore plus pauvres, à la limite du néant.
 
La suite demain 

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19/04/2008

Connaître Haïti.

Haïti ne fait pas souvent parler de soi. C'est un petit État qui occupe un peu plus du tiers de l'iîle de Saint-Domingue (que l'on apppelle parfois Haïti aussi), l'autre partie étant occupée par la République dominicaine. Son étendue est à peu près celle de la Belgique, et sa population est à peu près celle de la Belgique aussi. Mais son PIB est l'un des cinq plus faibles du monde depuis des décennies.
 
Ce fut une colonie française de la fin du XVIIe siècle au début du XIXe, la plus riche de toutes, une fortune énorme : quand la République d'Haïti décida de dédommager les colons dépossédés, en 1825, elle versa à l'État français, chargé de répartir la somme entre les intéressés, non moins de 25 millions de Francs-or, soit un montant très supérieur à celui théoriquement fixé pour l'achat de la Louisiane par les États-Unis.
 
Ce dédommagement était d'autant plus énorme qu'en fait, depuis l'invention du sucre de betterave, la richesse d'Haïti, le sucre de canne, était condamnée. Le XIXe siècle fut d'ailleurs une véritable descente aux enfers pour ce pays. Il suffit de lire un texte assez extraordinaire de Philippe Soupault, "Le nègre", pour le comprendre.
 
En 1915, comme les Allemands devenaient un peu trop nombreux en Haïti, menaçant de faire basculer ce pays dans la Première Guerre mondiale, les États-Unis (alors neutres) intervinrent et s'assurèrent le contrôle d'Haïti jusqu'à leur entrée dans la Seconde Guerre Mondiale, en 1941, où ils lui rendirent sa liberté.
 
On l'ignore mais c'est à la République d'Haïti, toute fière de son indépendance retrouvée et toute douloureuse de vingt-cinq ans d'occupation américaine, que l'on doit le bilinguisme de travail de l'Organisation des Nations Unies. En effet, en 1944, lors de la conférence de San Francisco, il avait d'abord été admis que l'ONU parlerait anglais. Mais au moment où cette décision allait être entérinée, un homme se leva : c'était l'ambassadeur d'Haïti. Il dit :
 
- Ahem... excusez-moi, chers messieurs, mais ... voilà ... il se trouve que je ne parle pas l'anglais.
 
Il y eut un silence. Puis, par acclamation, il fut décidé que, bien entendu, le français, langue traditionnelle de la diplomatie, serait également la langue de travail des Nations Unies.
 
Mon premier séjour là-bas date de l'été 1982. Je venais d'obtenir mon bac et j'allai chez ma soeur, passer cinq semaines.
 
On habitait à flanc de montagne, au-dessus de la ville bourgeoise de Pétionville, et on descendait chaque jour travailler (enfin les autres, parce que moi, j'étais en vacances) dans les locaux de la plus ancienne librairie d'Haïti que ma soeur avait achetée : la "Caravelle" (en référence à Christophe Colomb qui a découvert l'île).
 
Les rues étaient à cette époque curieusement ornées d'immenses panneaux sur lesquels trônaient des phrases interminables et pontifiantes du jeune président à vie, Jean-Claude Duvalier. Celui-ci avait succédé à son père en 1971, à l'âge de dix-huit ans et c'était en fait sa mère qui gouvernait à sa place, solidement appuyée sur le réseau encore fort (quoique déclinant) des "Tontons Macoutes". En septembre 1982, il y aurait vingt-cinq ans que François Duvalier (surnommé "Papa Doc" parce qu'il était médecin) avait pris le pouvoir.
 
Le règne de Papa Doc s'était caractérisé par une terreur profonde. L'élite intellectuelle subit la mort ou parfois l'exil. On arrêtait les gens au petit matin, à la mode argentine (mais quinze ans avant cette pratique de la dictature), et on ne les revoyait jamais. Une ville entière, celle d'où partaient tous les mouvements culturels, Jérémie, fut décimée.
 
Parallèlement, le territoire fut mis en coupe réglée. La déforestation était très avancée dès l'époque coloniale, elle fut achevée par Papa Doc à son seul profit, notamment des forêts d'acajou très renommées qui couvraient des montagnes et dont l'abattage entraîna un ruissellement qui peu à peu, depuis, décharne et assèche les reliefs du pays.
 
Bébé Doc ayant succédé à son père, la nature du régime changea progressivement : au lieu d'une dictature populiste, il évolua vers un pouvoir autoritaire appuyé sur la bourgeoisie et sur les milieux économiques. Mais la liberté n'augmentait pas : quand on sortait chez des gens, ma soeur n'oubliait jamais de me rappeler de ne pas parler de politique. On ne savait jamais à qui l'on parlait...
 
Pour le reste, le séjour était agréable. La ville de Port-au-Prince est assez vaste, et a gardé dans son centre la trace de son plan colonial : larges avenues en plan orthogonal, beaucoup de végétation, et tout cela bien entretenu alors. Dans la rue, des gens très pauvres, mais gentils. Scandalisant un peu ma soeur, je me promenais à pied, un choix que je fais toujours depuis cette époque pour découvrir une ville et qui a failli donner une attaque à ma pauvre soeur quand je l'ai réitéré à Miami en 2002 (aux États-Unis, ça ne se fait pas du tout, c'est plus que louche). Il m'arrivait de me perdre et je demandais mon chemin à qui se trouvait là, n'oubliant jamais de remercier de l'info avec un billet d'un dollar comme on me l'avait conseillé. Un dollar permettait à une famille de vivre durant toute une semaine.
 
Car il faut le dire, dès cette époque, la pauvreté du pays était souvent insoutenable. Les gens très dignes, correctement habillés, chemises repassées, robes de coton soigneusement lavées dans le lit des cours d'eau, plis impeccables aux pantalons. Mais la misère, une misère à laquelle on ne s'habitue pas.
 
On est allé passer plusieurs week-ends en province : vers le nord, au Cap-Haïtien (l'ex-Cap-Français où se déroule une partie de mon roman), ou vers le sud à Jacmel et aux Cayes.
 
La route du nord est également un vestige de l'époque coloniale, bituminé depuis heureusement.
 
C'est là que, en traversant les petites villes, mon beau-frère préparait toujours quelques billets de 5 dollars, au cas où on aurait été "contrôlé" par la police, qui prélevait ainsi une sorte de douane occulte. Mon beau-frère (qui est haïtien) me disait aussi que, s'il arrivait qu'on écrasât un chien sur la route, il fallait surtout ne pas s'arrêter, pour ne pas risquer l'émeute, mais aller déclarer le fait au bureau de police suivant. Depuis cette époque, j'ai réfléchi à cette phrase et je pense que ce n'est pas seulement de chiens, qu'il parlait d'écraser accidentellement... Il faut dire que les gens ont tendance à marcher un peu n'importe où et n'importe comment.
 
Le Cap-Français ressemblait fort à ce qu'il avait dû être au temps de la colonie française, bien qu'il ait été incendié plusieurs fois dans les dix années qui ont précédé l'indépendance. Nous étions dans un hôtel qui évoquait les films des années 1930, avec une hélice au plafond pour brasser l'air, des fauteuils club fatigués, quatre ou cinq mètres sous plafond, un bar en acajou sombre et luisant, du whisky ordinaire, et un calme pesant. Les rues étaient désertes et poussiéreuses, le sol fait d'une matière grise et cendreuse, en fait un sable volcanique qui couvre la plupart des plages.
 
Assez vite, nous avons dû quitter le centre-ville pour monter dans la montagne (il y a des montagnes presque partout) vers un autre hôtel, beaucoup plus moderne, tout blanc, avec une piscine.
 
Sur la route du Cap se trouve LE site à visiter : la citadelle du roi Christophe et le palais de Sans-Souci...
 
La suite de ma carte postale demain... 

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30/03/2008

Maritain sur le Liban : la suite et fin.

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Au Vatican, on attache une grande importance aux relations ainsi nouées avec le Liban, et on compte sur la situation exceptionnelle de ce pays, seul pays chrétien parmi les pays arabes, pour permettre au Saint-Siège d'exercer indirectement une influence protectrice à l'égard des chrétiens de Syrie et du Levant. C'est ce que m'a dit Monseigneur Tardini, et ce que le pape n'a pas manqué de souligner devant M. Frangié quand il l'a reçu. L'échange de lettres a été précédé d'assurances verbales données par M. Frangié, après des discussions assez chaudes avec Monseigneur Tardini, quant à l'exercice du culte au Liban, au respect des oeuvres et des écoles catholiques, à la liberté d'action des évêques ; il paraît probable que dans le document écrit ces assurances ont été mentionnées dans une formule assez vague pour ne pas mettre le gouvernement libanais dans l'embarras vis à vis des musulmans.
 
Les considérations que je viens d'indiquer font que le Vatican, tout en déclarant qu'il n'est jamais pressé, a une certaine hâte de profiter des circonstances et d'arriver à l'établissement de relations diplomatiques. Monseigneur Tardini insiste beaucoup sur l'intérêt que nous-mêmes avons de notre côté à établir sans tarder des relations diplomatiques normales avec l'État libanais. "Vous me demandez d'aller lentement", me disait-il après m'avoir assuré qu'on ne nous devancerait pas, "et moi je vous demande d'aller vite".
 
Ni Monseigneur Tardini ni le pape, auquel j'avais déjà parlé de la question il y a quelques semaines, ne mettent en doute le lien étroit qui unit au Liban les intérêts de la France et ceux du christianisme. Ils tiennent beaucoup au maintien et au développement de nos positions culturelles. Je suis persuadé que si nous savons prendre les devants, et recourir à des initiatives nouvelles, en particulier dans l'ordre de l'enseignement (d'une part enseignement technique, d'autre part culture supérieure) surtout si ces initiatives sont catholiques, et seulement aidées et facilitées par le gouvernement français, la politique culturelle que vous indiquez dans votre lettre pourra nous faire regagner dans un autre ordre ce que nous avons perdu, et au-delà ; il est clair d'autre part que l'appui du Saint-Siège serait acquis à une telle politique culturelle.
 
C'est sur cette importance essentielle de l'action culturelle française et la nouvelle réalisation qu'elle permettra de notre mission traditionnelle de protection de la chértienté au Levant que je compte insister dans l'entretien que j'aurai prochainement avec le pape. Je serai heureux de savoir si à votre avis il conviendrait plus tard comme je le crois, de presser l'argumentation appuyée sur des principes jusqu'à demander que nous soyons consultés lorsqu'il s'agira de désigner un nonce. Il ne semble guère que celui-ci puisse être un Français, mais ce serait une raison de plus pour avoir voix au chapitre.
 
Je pense comme vous que le Saint-Siège profitera des circonstances pour asseoir de plus en plus fermement son autorité sur les rites orientaux. C'est aussi l'opinion du cardinal Tappouni et le cardinal Tisserant semble aller nettement dans ce sens.
 
Le cardinal Tappouni sera retenu à Rome jusque vers la moitié ou la fin de juin par ses travaux à la Congrégation orientale (codification du droit canonique oriental). Je lui ai fait part de votre suggestion et il sera heureux d'aller à Paris, sans doute au début de juillet. Il est visible que l'idée de ce voyage lui fait grand plaisir. Il voudrait ensuite s'embarquer à Marseille pour Beyrouth. Et il n'est pas difficile de comprendre que si le gouvernement français mettait à sa disposition un bâtiment de guerre pour le retour comme il l'a fait pour l'aller, le cardinal en concevrait beaucoup de joie. Ce serait d'ailleurs d'excellente politique. Un navire de guerre français ramenant le cardinal au Liban produirait là-bas, me semble-t-il, une impression utile et profonde.
 
Veuillez agréer, mon cher ambassadeur et ami, l'expression de mes sentiments cordialement et fidèlement dévoués.
 
Jacques Maritain 

29/03/2008

Maritain sur le Liban : la suite

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Le cardinal Tappouni, que l'évolution générale de notre politique avait déçu, a été satisfait des derniers événements et considère que ce qui s'est passé à Rome a répondu de ce qu'on pouvait attendre de mieux. Il y a été personnellement pour beaucoup, a manoeuvré fort habilement et a gardé un contact constant d'une part avec M. Frangié, qui lui rendait compte de ses visites au Vatican, d'autre part avec cette ambassade. Il est toujours convaincu que la situation intérieure du Liban ne fera que se troubler davantage, et qu'en même temps on nous reviendra beaucoup plus rapidement qu'on n'aurait pu croire. Déjà, d'après les informations que j'ai reçues, notre position morale s'est considérablement fortifiée et des éléments nombreux appellent de nouveau notre influence.
 
Le cardinal Tappouni n'est pas sans éprouver quelque mélancolie ; une situation à laquelle il était accoutumé et qu'il aimait va être profondément modifiée. Il estime néanmoins que l'accord franco-libanais et les dispositions prises par le Saint-Siège clarifient les choses et doivent faciliter le travail positif dont dépend le maintien de la culture française et du christianisme au Liban. Il importe, pense-t-il, de continuer à temporiser et de ne céder, si possible, aucune des prérogatives que son protectorat religieux valait à la France, dans l'attente de changements qui peuvent créer une situation plus favorable à nos intérêts.
 
Le texte des lettres échangées entre le Vatican et le gouvernement libanais ne pourra nous être communiqué qu'après leur ratification par le gouvernement libanais. Je suppose du reste que celui-ci se hâtera de le publier. On m'assure, il est vrai, qu'il est démissionnaire, je ne sais au moment où je vous écris s'il a ratifié l'accord avant sa démission.
 
J'ai reçu à dîner à cette ambassade M. Frangié et Monseigneur Maroun avec le cardinal Tappouni, le cardinal Tisserant et d'autres notabilités. Les deux Libanais se sont montrés particulièrement cordiaux, ils semblaient très contents de leur séjour à Paris et n'ont pas tari de protestations d'amitié pour la France. On a remarqué à Rome que M. Frangié, tout en éprouvant une profonde satisfaction du succès personnel qu'il a remporté dans ces négociations, et dont il a fait aussitôt part à la radio de Beyrouth, a eu ici une attitude de modestie qui a été appréciée, et qui était due peut-être à l'imminence de sa démission. Sa première visite en arrivant à Rome a été pour le cardinal Tappouni, la seconde étant réservée au cardinal Agagianian... (la fin demain).

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28/03/2008

Bockel "libéré", l'arche de Zoé l'est aussi.

L'éviction de Jean-Marie Bockel a-t-elle été la condition posée par le président Déby à la grâce des "humanitaires" de l'Arche de Zoé ? La disparition de la dernière condition officielle posée jusqu'ici par le président tchadien pour la grâce des pieds-nckelés du sauvetage d'enfants, peu de jours après la mutation-sanction de Bockel, donne à penser que les deux éléments peuvent avoir un lien. C'est en tout cas à l'affaire tchadienne que Claude Goasguen (connaisseur des affaires africaines depuis les temps chiraquiens), sur I-Télé, cette semaine, a rattaché la sanction subie par le maire d'"ouverture" alsacien. 

16/08/2007

France/USA : je t’aime, moi non plus ?

« Le voyage de M. Perrichont » semble fournir une explication toute prête à la difficulté des relations qu’entretiennent la France et les Etats-Unis d’Amérique depuis plus de deux cents ans : nous adorons toujours les gens à qui nous avons rendu service, parce que nous y trouvons occasion de vanité et d’autosatisfaction, tandis que nous ne pardonnons jamais à ceux qui nous ont aidé et dont la simple idée réveille la détresse que l’on a subie avant leur secours et l’humiliation que représente la situation de secouru.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les Français sont partagés entre un réflexe d’ingratitude et une admiration envieuse quand ils pensent à l’Amérique. Sardou chante « Si les Ricains n’étaient pas là, vous seriez tous en Germanie » cependant qu’on entend partout décrier l’arrogance et l’hégémonisme américains. On chante Lafayette, on déplore qu’il n’ait pas accepté l’offre qui lui était faite de l’adoption du français comme langue officielle des Etats-Unis naissants, et pourtant on regrette que Napoléon ait vendu la Louisiane. On s’inquiète de l’invasion de nos anciennes colonies africaines par les intérêts américains, cependant qu’on trouve plus chic de jargonner dans un sabir d’anglais qui n’est même pas le langage bizarre qu’utilisent les institutions internationales en guise de langue de Shakespeare. Bref, la France marche à côté de ses chaussures dès qu’il est question de l’Amérique, à peu près de la même façon qu’autrefois de l’Angleterre.

Au milieu de ces contradictions, quelques moments se détachent. Parmi ceux-ci, la séance du Conseil de Sécurité des Nations-Unies où, en 2003, la France opposa son véto à l’emploi de la force internationale pour achever le régime moribond du vieux dictateur Saddam Hussein.

Ce fut l’heure de gloire de Dominique de Villepin, son quart d’heure de célébrité. Et la France quasi-unanime approuva le choix qu’il exprima alors au nom du président Chirac : nous savions que les arguments employés par l’administration Bush pour justifier l’intervention en Irak n’étaient que des mensonges, comme cela fut avoué depuis lors par plusieurs des intéressés américains eux-mêmes.

J’ai moi-même approuvé la décision de refuser la collaboration au mensonge.

Pourtant, une erreur capitale a été commise par notre ministre des Affaires étrangères ce jour-là : il n’a pas tenté de s’adresser au peuple américain, ou plutôt, il a donné l’impression que le peuple français était désormais hostile au peuple américain, en n’employant aucune des nuances indispensables pour dissocier la nation américaine de ses dirigeants.

Cette faute n’est pas apparue à beaucoup. Pourtant, dans les conversations privées, on entendait presque toujours ce distinguo.

Or c’est cette erreur qui a occasionné les réflexes anti-français aux Etats-Unis à l’époque.

On voit bien que c’est pour remédier à cet inconvénient la stratégie du président Sarkozy, ces derniers jours, a plus visé l’opinion publique américaine que les autorités actuelles des Etats-Unis. Bien sûr, il a aussi remercié ses commanditaires, mais il a véritablement fait un effort pour rappeler en France les supposées hordes de touristes américains capables de consommer nos illustres produits de toutes natures ; et, outre-Atlantique même, d’encourager le retour aux produits français. En somme, le but est de contribuer pour quelques fractions de point supplémentaires à la croissance du PIB français.

Pourquoi pas, après tout ? Peut-on critiquer un effort qui semble louable ?

Oui.

Oui, car il a trente ans de retard. Encourager la consommation américaine de productions françaises comme si l’affaire de 2003 était seule cause de son ralentissement est une erreur : dès avant le 11 septembre 2001, les Américains venaient moins nombreux en France et notre part de marché en Amérique même se comprimait. Pour une cause politique ? Pas du tout : parce que l’Amérique évolue, que ses priorités changent, certes (ce qui pourrait se corriger), mais aussi et surtout parce que les Etats-Unis, tout puissants qu’ils demeurent, ne sont pas un pays en bonne santé. La croissance économique y est, depuis près d’une décennie, artificielle.

Par conséquent, jouer les VRP de luxe en Nouvelle-Angleterre est une erreur d’analyse. Certes, il n’est pas mauvais de rappeler que les Français n’ont jamais détesté collectivement les citoyens américains, mais outre que c’est au prix du rapprochement avec une administration discréditée dans sa propre population, c’est surtout un formidable coup d’épée dans l’eau : ce n’est pas comme ça que l’on pourra relancer la production française.

L’enfer est pavé de bonnes intentions. On croyait que jamais le nom de Sarkozy ne pourrait rejoindre le nombre de celles-ci. Eh bien, tout arrive…

Voici donc que s’éloigne la perspective d’un point supplémentaire de croissance pour notre pays. Le chiffre très faible annoncé mardi pour la croissance du PIB au deuxième trimestre fait douter qu’il y ait jamais eu d’effet Sarkozy sur le moral des ménages et sur le dynamisme de l’économie. Demain, à cet égard, ressemblera fort à hier. Avis de tempête pour l’UMP et ses valets.