22/11/2009
Paris - Jean Bouin : Delanoë récuse mal le favoritisme.
Je pensais n'avoir plus à écrire sur le stade Jean Bouin, situé à Paris XVIe, mon quartier, ce n'est pas le centre du monde, et je crois que les intéressés disposent des arguments juridiques suffisants pour faire capoter le projet grotesque soutenu par Bertrand Delanoë, maire de Paris.
Mais il se trouve que celui-ci devrait être bientôt mis en examen pour abus de biens sociaux, prise illégale d'intérêt, en somme favoritisme. C'est donc l'occasion de récapituler les différents aspects de l'affaire et de réagir aux récents propos en défense tenus par Delanoë au micro de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1.
L'historique
Le stade Jean Bouin a été construit dans la foulée des Jeux Olympiques de Paris qui avaient eu lieu en 1924 sur l'ancien glacis des fortifications de l'ouest parisien. Jean Bouin avait été avant 1914 un athlète du CASG Paris, club qui, dès l'origine en 1925, fut concessionnaire de l'équipement qui portait le nom de son athlète. Le CASG était à l'origine une émanation de la Société Générale (Club Athlétique de la Société Générale, avant d'être rebaptisé en 1919 Club Athlétique des Sports Généraux) et la Société Générale fut le sponsor du club jusqu'au début des années 2000, soit pendant un siècle. Le groupe Lagardère remplaça alors la Société Générale "à la tête du club" comme le formule très justement la notice Wikipedia.
La tribune édifiée en 1925 le fut par un grand architecte de l'époque, Lucien Pollet, le même qui construira ensuite la piscine Molitor voisine. On y trouve avec logique les anneaux olympiques dans la structure même de l'édifice qui se place dans le projet général des utopies urbaines et qui est une œuvre rare qui mériterait d'être classée monument historique en lien avec la piscine Molitor.
Autour du stade, le quartier est homogène des années 1920-1930, comptant de nombreux logements qui appartiennent à la Ville de Paris, à vocation sociale, articulés autour de deux lycées et de deux écoles primaires, le tout formant un ensemble cohérent. Il y avait à l'origine quatre autres stades utilisables par le quartier : Roland Garros, le parc des Princes, le fond des Princes, et Géo André, site originel du Stade Français. Ce dernier a été fortement écorné par le creusement du boulevard périphérique, qui a conduit à la construction d'un vaste bâtiment où se coudoient bureaux, commerces et gymnases du Stade Français. Le Parc des Princes originel a lui aussi été démoli à la fin des années 1960 pour laisser place à la construction actuelle, une structure de béton qui n'est pas sans poser de problèmes de solidité.
Jusqu'aux années 1980 le stade Jean Bouin vit sa vie avec son club résident. Ses sections sont le hockey sur gazon, le rugby, le tennis et bien sûr l'athlétisme. Il s'agit donc de ce qu'on nomme un "club omnisport".
Mais à la suite du bétonnage de Géo André et du Parc des Princes, la pression des promoteurs commença à s'exercer dès la fin des années 1970. On vit circuler dans les années 1980 un projet qui visait à remplacer le stade Jean Bouin et la piscine Molitor par un complexe immobilier de très grande ampleur, à deux pas de Roland Garros et du champ de course d'Auteuil, donc avec beaucoup d'argent à la clef. Les élus et les habitants de cette partie de Paris résistèrent alors rudement aux appétits de la municipalité parisienne de droite, et obtinrent en 1990 l'inscription partielle de la piscine Molitor à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. De ce fait, le projet immobilier était caduc. Jean Bouin pouvait respirer. Pas pour longtemps.
Le tournant de 1992 : l'arrivée de Max Guazzini
La section rugby du CASG crut pouvoir se lancer dans le haut niveau, sous l'impulsion de son président de l'époque. Ce fut un échec terrible qui entraîna la CASG dans la déconfiture financière, au point de mettre son avenir en danger. Jean Bouin redevenait vulnérable. C'est alors qu'apparut Max Guazzini, cofondateur de la radio et du groupe NRJ. Seuls les connaisseurs savaient qu'il avait été le collaborateur de Bertrand Delanoë et que ce dernier avait ensuite été le "commissaire politique" du Parti Socialiste dans le groupe NRJ, les liens entre eux n'étaient pas seulement amicaux, mais de véritables liens d'intérêt.
Guazzini, très talentueux, expansif, avait décidé d'accélérer le passage du rugby français au professionnalisme. Il assuma cette tâche en prenant le contrôle d'une nouvelle structure commune au CASG et au Stade Français, qui jouerait au stade Jean Bouin. En apparence, Jean Bouin était sauvé, mais c'était en ayant perdu une part de son indépendance. Se sentant menacé par l'impérialisme du Stade Français, le CASG rapprocha alors ses autres sections de celles du Racing Club de France (RCF) pour faire contre-poids au Stade Français, ces deux clubs étant opposés par une rivalité quasi-ancestrale.
Dès son arrivée à Jean Bouin, Guazzini s'y sentit à l'étroit. Il demanda plusieurs fois la suppression de la piste d'athlétisme qui enserre le terrain de rugby. Lorsque j'étais adjoint au maire en charge des sports, je me suis opposé à cette annexion, la piste d'athlétisme étant indispensable aux très nombreux scolaires de l'enseignement public qui fréquentent le stade. Il obtint aussi de jouer plusieurs matchs par an au Parc des Princes tout voisin. Il fit bituminer un terrain jusque-là dévolu au volley des scolaires pour un parking, et une allée sableuse qui longe la fameuse tribune Pollet.
Les choses en étaient là lorsque j'ai quitté les fonctions d'adjoint au maire du XVIe chargé des sports en 2001.
L'arrivée de Lagardère
Il m'a été donné de rencontrer Arnaud Lagardère une fois lorsque j'étais adjoint au maire : son fils apprenait le karaté dans un club du quartier, j'avais l'habitude d'assister à la fête de fin d'année du club, au stade Pierre de Coubertin, et cette année-là, Lagardère était là avec sa femme (une jolie ex-mannequin des années 1980), voulant faire la fête pour son fils qui était heureux de la fête de son club. Jean-Luc Lagardère était encore vivant, Arnaud n'était que l'héritier. C'est moi qui ai passé la médaille du club au cou de l'enfant, Arnaud Lagardère rigolait chaleureusement et me glissa, en montrant sa caméra vidéo : "Je vous ai dans la boîte".
L'arrivée de Lagardère à Jean Bouin coïncide à peu près avec la mort de son père (victime d'une opération à la clinique du sport dont les responsables viennent d'ailleurs d'être lourdement condamnés pour leurs déficiences) et avec sa prise des rênes du groupe Lagardère, en 2003. C'était aussi le temps de la préparation de la candidature de Paris aux Jeux Olympiques (JO) de 2012. Arnaud Lagardère se montrait l'un des soutiens les plus solides de cette candidature, comme il soutenait Delanoë, devenu maire de Paris en 2001. En devenant le sponsor du club, il en devenait le patron de fait. Et d'ailleurs, c'est après cette époque qu'ont été implantés les affreux Algéco qui défigurent le stade et qui portent le fanion "Team Lagardère".
La candidature pour les JO de 2012 avait rouvert la boîte de Pandore de l'avenir de Jean Bouin. On y trouvait un projet de modernisation du stade qui ouvrait des incertitudes mais qui, en aucun cas, n'aboutissait à la démolition de la tribune historique ni à l'expulsion définitive des scolaires. Le renouvellement de la concession du stade Jean Bouin s'est fait pendant la procédure de candidature, et on peut légitimement se demander si l'arrivée de Lagardère à Jean Bouin n'a pas été une forme de contrepartie que Delanoë lui aurait donnée pour le soutien de la candidature de la Ville aux JO, ce qui correspondrait en effet à une logique de favoritisme.
Après l'échec de la candidature, Lagardère entreprit de développer un projet absolument faramineux pour le stade qui lui était dévolu : il s'agissait d'une sorte de dôme géant, un POPB (Palais Omnisport de Paris-Bercy) dédié au tennis, à l'ouest de Paris, comme le POPB est à l'est. La réaction des riverains et des élus fut extrêmement virulente, le projet tomba, mais le mal était fait : désormais, l'avenir du stade Jean Bouin devenait incertain.
Le projet actuel et ses péripéties
On revint donc à l'hypothèse d'une modernisation du stade de rugby actuel, qui protégeait à la fois les éléments architecturaux et l'usage scolaire. La nomination de Bernard Laporte au gouvernement, à l'automne 2007, changea encore une fois la donne : Laporte était le patron sportif historique du Stade Français sous Guazzini, c'est lui qui avait réussi à reformer à Paris la ligne mythique du pack de Bègles qui avait propulsé le Stade dans l'élite. Proche de Guazzini qui était plus qu'un ami pour Delanoë, Laporte se retrouvait parmi les favoris de Sarkozy. Le pont entre la droite et la gauche naissait à leur profit, commun à Guazzini et à Lagardère.
C'est sans doute ainsi qu'est née l'idée de dépecer définitivement le stade Jean Bouin.
En effet, le projet actuel coupe le stade en deux moitiés : au sud, le rugby dans un stade privatif ; au nord, des courts de tennis et un gymnase, dévolus officiellement à Paris - Jean Bouin, et officieusement au Team Lagardère. Le stade Jean Bouin était victime d'un Yalta, victimes devenaient le hockey, l'athlétisme, et surtout des milliers de scolaires pour lesquels on imaginait un très vague et lointain déplacement dans des terrains qui seraient créés au milieu du champ de course d'Auteuil (à pied, c'est très loin, alors que Jean Bouin est au pied de deux des trois lycées concernés), alors même que le champ de courses n'appartient pas à la Ville, mais à l'État.
On ne sait pas bien pourquoi, à ce yalta sportif qui est une bérésina scolaire, s'ajoutent 7500 mètres carrés de commerces, qui n'ont aucun rapport avec l'ensemble.
Le tout atteint le budget minimal de 150 millions d'Euros, mais les spécialistes parlent de 200 millions, voire de 300 millions, ce qui, dans un contexte de pénurie fiscale et de suppression de la Taxe Professionnelle, semble encore plus absurde.
Fin 2008, il devint évident que la concession de Jean Bouin allait poser des problèmes juridiques, et la municipalité parisienne préféra la casser unilatéralement au cours d'un vote épique du conseil de Paris. Trop tard : le tribunal administratif de Paris l'annulait en mars suivant au motif de l'absence d'appel d'offres, et cette annulation ouvrait automatiquement la procédure pénale de favoritisme. Delanoë fut convoqué discrètement par la Brigade financière en juillet, et on apprend qu'il est de nouveau convoqué pour le 2 décembre prochain, dans la perspective d'être mis en examen.
Entre-temps, 7000 personnes ont défilé à Jean Bouin pour protester contre la démolition du stade, où l'on remarquait les représentants des municipalités du XVIe arrondissement et de Boulogne-Billancourt, des deux fédérations de parents d'élèves (PEEP et FCPE pourtant réputée proche de la gauche), des syndicats d'enseignants d'EPS, de la fédération française de hockey sur gazon, et de plusieurs partis politiques, parfois même membres de la majorité municipale : UMP, Nouveau Centre, MoDem, Verts. La section du PCF du XIVe arrondissement s'est même prononcée officiellement pour que le stade Charléty devienne le stade de référence du rugby parisien, et non Jean Bouin.
Les derniers arguments de Delanoë
Lors de l'interview d'aujourd'hui, Delanoë a développé une défense en plusieurs aspects.
- il n'y a pas eu de favoritisme.
arguments :
1) la concession du stade Jean Bouin de gré à gré a été votée à l'unanimité en 2004. Si Delanoë a su trouver les arguments pour convaincre tout le monde à l'époque, on voit mal en quoi cela l'exonérerait d'un favoritisme. Il faut se rappeler que, lorsqu'il a aidé Lagardère à prendre le contrôle du RCF à la Croix-Catelan, c'est au moyen d'un appel d'offres qu'il l'a fait. Dès lors, si l'appel d'offres a permis l'arrivée de Lagardère ici et si l'absence d'appel d'offres a permis son arrivée là, on est en droit de s'interroger sur la sincérité des procédures employées, et donc sur l'éventualité d'un favoritisme.
2) la concession a fait l'objet du contrôle de légalité par le préfet. L'inefficacité du contrôle de légalité est l'un des points faibles de la décentralisation depuis 1982, ce contrôle n'empêche pas l'annulation d'un très grand nombre d'actes publics chaque année, ni l'ouverture de procédures judiciaires annexes.
3) la chambré régionale des comptes a avalisé la concession. Est-elle chargée d'un contrôle de légalité ? Non : c'est le préfet. Il lui arrive de soulever des lièvres, mais ce n'est pas systématique. Son métier est la comptabilité publique.
- la Ville a besoin d'un stade entièrement consacré au rugby et n'a pas d'alternative
Delanoë explique au passage qu'"un de ses prédécesseurs" a construit à Charléty non pas un stade de rugby, mais un stade d'athlétisme. Le prédécesseur en question, c'est Chirac. Et non, il n'a pas construit un stade d'athlétisme : il a construit un stade pour le Paris Université Club (PUC), qui est un club omnisport comme Jean Bouin et qui, à l'époque, jouait dans l'élite du rugby...
La Ville pourrait très bien faire jouer en alternance au Parc des Princes football et rugby. On m'a parlé d'une solution technique très satisfaisante employée au stade de Cardiff au Pays de Galles, qui permet de refaire entièrement le terrain à chaque occasion, et qui n'est pas plus coûteuse que l'entretien normal.
Par ailleurs, si Delanoë acceptait de considérer que Paris, ce n'est pas seulement la ville réfugiée derrière son périph, mais bien l'agglomération parisienne, l'alternative existerait immédiatement. Il faut souligner qu'il existe déjà deux grands stades sous-utilisés en Île de France : le Stade de France, et Charléty.
- le stade Jean Bouin n'a plus de concessionnaire, il y aura appel d'offres pour sa prochaine attribution
Mais ça, c'est une forme d'aveu.
Et il faudrait le dire aux gens qui soutiennent le projet de reconstruction du stade et Guazzini : car il est évident que celui-ci n'a aucune garantie de poursuivre là ses activités...
J'irais même jusqu'à dire qu'il est évident que Guazzini ne sera pas le prochain bénéficiaire de la concession du stade Jean Bouin, non plus que Lagardère qui a pourtant dopé (si j'ose dire - c'est un mot qu'on ne prononce jamais dans les tribunes d'honneur des clubs, on se demande pourquoi...) l'équipe du RCF pour la propulser dans l'élite.
Comme je l'ai souligné dans l'une des vidéos que j'ai consacrées à ce sujet, celui qui va évidemment tirer les marrons du feu à Jean Bouin, c'est Colony Capital, concessionnaire du Parc des Princes, et dont le métier est justement l'immobilier, et en particulier l'immobilier commercial ! Voici cette vidéo et le lien avec mes précédents articles et vidéos sur ce sujet : là surtout, et là et là.
La destruction de la tribune historique du stade Jean Bouin serait une grande perte pour nos monuments historiques, et la mise à l'écart de milliers d'élèves qu'on se propose de transbahuter en autocar dans les embouteillages parisiens pendant un nombre d'années indéterminé serait un signal extrêmement funeste donné à notre avenir : le sacrifice des scolaires au sport fric (où la triche est la règle comme Henry l'a montré) serait tout simplement un scandale.
Le Collectif Jean Bouin appelle à un nouveau rassemblement sur place le 2 décembre à 19 heures.
16:10 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, sports, paris 16e, delanoë, chirac, paris jean bouin, piscine molitor, goasguen, colony capital, psg, eps | | del.icio.us | | Digg | Facebook
30/10/2009
Affaires de "suicides" et autres fantômes judiciaires surgis du passé.
EDIT : vous pouvez aller prolonger le débat sur cet article sur AgoraVox.
Le renvoi de Jacques Chirac en correctionnelle, hier, n'est pas un événement mineur, c'est peut-être le deuxième grand moment de la carrière de l'ancien président de la république. Comme cela a très justement été noté, seuls deux autres chefs de l'État français ont été jugés avant lui (les deux ont d'ailleurs été condamnés) : Louis XVI et le maréchal Pétain. Louis XVI, en aidant les États-Unis d'Amérique à s'affranchir de la tutelle coloniale britannique, avait pourtant donné un coup de pouce décisif à la libération du monde (avant que les États-Unis n'inversent le miroir). Pétain, lui, était le symbole de ce que la IIIe répubique avait fait de mieux : la dissolution des empires germaniques et la victoire de 1918, le maréchal lui-même ayant eu la solide réputation de prêter une attention maniaque et humaniste au sort de ses soldats.
Le procès de Louis XVI signifia la mort de la monarchie absolue, celui de Pétain emporta la fin de la IIIe république, il n'y aurait pas de retour au statu quo ante 1940, la Libération se voulait révolution. Fins de régime, procès des chefs, le renvoi de Chirac en correctionnelle sonne donc comme le glas de la Ve république.
Comment naissent et meurent les républiques
La IIIe république est née en plusieurs temps, après 1870, sur un ciment : reprendre l'Alsace et la Moselle à l'Allemagne, effacer la tache de la défaite de 1870, laver la France de l'échec militaire en prouvant qu'il appartenait au régime et non à la Nation. Après la victoire de 1918 (une victoire française, puisque la France avait conduit les alliés à la victoire, grâce aux généralissimes français et à la stratégie française), la IIIe république aurait pu s'arrêter, mission accomplie, et passer la main à une suivante. Mais sa victoire elle-même ne rendait pas sa fin logique, alors que sa victoire était en fait sa fin dans tous les sens de ce terme. Après 1918, la IIIe république s'est donc survécu, jusqu'à sa fin tragique en 1940, il faut savoir partir au bon moment, sinon...
La mission de la IVe république fut de traduire en lois et en autres dispositifs publics les principes élaborés dans et par la Résistance. L'ensemble des forces politiques résistantes, même des pétainistes repentis, avait participé à cette élaboration dans la clandestinité, long travail de régénérescence de la république française entrepris par des politiques, des philosophes, des théoriciens et des praticiens, gens de bonne volonté, venus de toutes les strates de la société. L'ensemble des principes fut mis en pratique tôt après la guerre, la IVe république fut encore chargée de la reconstruction, qu'elle fit dans un tourbillon politique qui étourdit à peu près tout le monde. Mais la Résistance n'avait pas posé la question coloniale et la question coloniale ne cessa de se poser à la IVe république, jusqu'à la tuer. L'autre question qui n'avait pas été posée par la Résistance était celle d'un monde où la France ne participerait plus au concert des puissances de premier rang, ce qui n'avait jamais été vu depuis près de mille ans. Cette question se posa en 1956, lorsque l'Union Soviétique menaça d'employer l'arme nucléaire pour interrompre l'opération franco-britannique sur le canal de Suez en Égypte, et lorsque les États-Unis refusèrent d'accorder la protection de leur "parapluie nucléaire" aux Français et aux Britanniques contre les Soviétiques. Pour la première fois depuis le traité de Verdun en 843, la France n'était plus maîtresse de son destin. Ce fut donc à la Ve république de régler le double problème des colonies et de la place de la France dans le monde nouveau.
Elle fit tout cela, dans des conditions d'ailleurs difficiles, les Américains ne considérèrent par exemple l'arme nucléaire française comme "un fait" qu'après la mort du général de Gaulle.
Et la république se survécut, puisqu'elle avait atteint ses objectifs. Et puis, soudain, sans qu'on s'en rende compte, une nuit d'octobre, en 1979, la Ve république est morte.
L'affaire Boulin et les sales manies et manières de la Ve république
Remettons-nous dans le contexte : en 1979, Valéry Giscard d'Estaing est président de la république depuis cinq ans. C'est un surdoué : député à trente ans, secrétaire d'État à trente-trois, ministre des finances à trente-cinq, d'ailleurs inamovible (ou presque) aux finances pendant plus de dix ans, fait inouï, et réel co-créateur de la gestion publique made in Ve république, et finalement président de cette république à quarante-huit ans.
VGE a été élu en 1974 avec le socle électoral des centristes réformateurs de Jean Lecanuet et Jean-Jacques Servan-Schreiber, avec aussi l'aide de Jacques Chirac (alors ministre de l'Intérieur, une position décisive puisque c'est lui qui a établi les résultats définitifs de l'élection et travaillé à celle-ci avec les Renseignements généraux), et d'une partie de l'entourage du défunt président Pompidou (Garaud et Juillet). Son adversaire à droite avait été Jacques Chaban-Delmas, l'homme de la Nouvelle Société, porteur de la part gaulliste des idéaux de la Résistance, honni par les pompidoliens les plus conservateurs. En 1976, Chirac avait rompu avec son allié devenu président, puis s'était emparé du parti gaulliste, l'UDR, qu'il avait rebaptisé RPR en référence au premier parti gaulliste, le RPF. Depuis ce temps, le RPR et l'UDF giscardienne étaient en guerre sourde mais permanente.
En juin 1979, Giscard avait remporté une éclatante victoire sur Chirac aux élections européennes. Si l'on suit la thèse développée par les proches de Robert Boulin, une partie des gaullistes historiques avait alors entrepris (sous la houlette sans doute de Chaban, président de l'Assemblée Nationale) de se rapprocher de Giscard : Robert Boulin pourrait devenir premier ministre de celui-ci, le RPR éclaterait, les gaullistes de l'idéal reprendraient leur liberté et ce serait la fin du chemin pour Chirac.
C'est alors qu'à l'initiative certainement des réseaux chiraquiens, le "Canard Enchaîné" reçut des documents qui mettaient Boulin en cause dans une sombre affaire immobilière à Ramatuelle, et les publia, ce qui était son devoir, après avoir vérifié leur contenu selon les principes journalistiques. La tempête se leva sur Boulin, qui parut y faire face, sa défense est d'ailleurs assez limpide dans la vidéo rappelée par l'excellent dossier que Bakchich a rassemblé sur cette affaire.
La mort de la Ve république... en 1979
Soudain, coup de tonnerre : Boulin était retrouvé suicidé au petit matin, le 29 octobre 1979, dans un étang. Il faut écouter l'une des vidéos rassemblées par Bakchich, celle où Chaban-Delmas réagit à la mort de Boulin devant les députés : quand il prononce le mot "ASSASSINAT", on voit bien ce qui est en filigrane, la certitude qu'il a que Robert Boulin a été assassiné.
Depuis cette époque, le doute n'a cessé de s'amonceler sur la version officielle, qui ne tient plus guère la route. Selon des échos que j'en ai eus ailleurs que dans la presse, la famille de Boulin est certaine de l'assassinat, propose un modus operandi et indique volontiers des noms de maîtres d'œuvre de l'affaire, qui, selon elle, auraient été "couverts" par Chirac. C'est d'ailleurs ce que suggère l'une des interviews de la fille de Boulin. L'un de ces maîtres d'œuvre aurait alors été lui-même député de la république.
Peu importe alors que le coupable s'appelle Roland ou Charles, peu importe que Boulin ait ou non reçu un coup de pelle en travers de la face, ce qui ressort, c'est que ceux qui ont su la réalité des faits ne peuvent en avoir été intacts. Quand on disait en 1986 que Chaban (de nouveau président de l'Assemblée Nationale) était "un ami personnel" de Mitterrand (qui d'ailleurs s'appuyait fort sur Delors, ancien collaborateur de Chaban), et quand en 1987, Raymond Barre, dans l'intimité du huis-clos avec le bureau national des jeunes centristes (JDS) nous glissa que la "mise en coupe réglée de l'État" était "pire" par le RPR que par le PS, on peut voir ce qu'ils suggéraient, au-delà de la simple vendetta personnelle. D'ailleurs, après le premier adjoint de Boulin, ce fut le fils de Mitterrand qui devint maire de Libourne, en 1989. Il est vrai qu'alors, ni Grossouvre ni Bérégovoy n'étaient morts, et qu'aucun doute de cette sorte ne planait sur le président Mitterrand.
D'autres hypothèses que politique courent parmi ceux qui penchent pour l'assassinat de Boulin. On a aussi parlé d'affaires plus crapuleuses, peut-être par contre-feu. De toutes façons, l'ombre du Service d'Action Civique (le SAC, barbouzage gaulliste mêlé d'histoires mafieuses et corses, né contre l'OAS) planait.
Et le fait qu'on ait pu tuer d'une manière aussi sauvage un important ministre de la république, et qu'on ait pu le faire en toute impunité, est ce qui, probablement, a emporté la fin de l'élan de la Ve république, puisque le ver s'y lovait à l'intérieur même du fruit, dans le mouvement-père de la république, parmi les gaullistes*.
C'est d'ailleurs ce qui est flagrant : la plupart des affaires judiciaires qui sont sorties, de celles qui sont allées en justice, jusqu'au prétoire, ont concerné de ces gaullistes, ou plutôt pompidoliens, de mauvaises mœurs, qu'il s'agisse de Pasqua ou de Chirac ou de leurs proches. Pourtant, on dit qu'en son temps, feu Michel Poniatowski (giscardien du premier cercle) était surnommé "le flingueur" (en raison d'un fort taux de mortalité, notamment parmi les ministres et anciens ministres de l'entourage giscardien, à son époque, les gens sont si mauvaise langue), et on ne sait pas bien quoi dire concernant des personnalités du PS comme Gaston Defferre, si longtemps maire de Marseille, avec lequel Mendès avait eu la funeste idée de s'allier pour la présidentielle de 1969.
Que dire de Chirac aujourd'hui ?
Dans notre combat pour écarter les principes politiques incarnés par Sarkozy du pouvoir, nous avons pris l'habitude de considérer que le passé de Chirac comptait moins que la victoire contre notre adversaire commun. Il faut dire que si la vérité sur l'affaire Boulin se faisait jour, on serait plus facilement enclin à fermer les yeux sur une stratégie de conquête du pouvoir qui a, selon le mot juste de Barre, mis l'État en "coupe réglée" pendant des décennies.
Du temps de Chirac, dans les années 1980 et jusqu'au début des années 1990, la Ville de Paris présentait un budget excédentaire d'un milliard de Francs par an. Un milliard. C'était un milliard d'argent de poche pour le maire Chirac, et comme celui-ci est d'un naturel empathique, il n'hésitait pas à en faire profiter des quantités de gens : électeurs de Corrèze, journalistes, réseaux divers, barbouzes de tous échelons, communautés, fils de, cadres sportifs, trouvaient des emplois pas toujours douteux auprès de la Ville.
Le tas d'or de la taxe professionnelle permettait à la Ville de jeter l'argent par les fenêtres, mais au fond, en dehors des prébendes, la Ville n'était pas mal gérée, le ratio dépenses/actions était bon, grâce à l'ingéniosité de Juppé. On peut discuter en revanche de la multiplication effarante des programmes immobiliers et regretter le très mauvais goût (ou plutôt l'absence de goût) de Chirac dans ce domaine. Il y a d'autres points faibles dans la gestion chiraquienne (le retard d'équipements en crèches, par exemple), et évidemment l'étrangeté des relations de la Ville avec de très nombreux fournisseurs et maîtres d'œuvres ne peut que frapper. Qu'on se souvienne d'ailleurs des marchés truqués d'Île de France, dont l'Hôtel de Ville de Paris était l'épicentre et qui ont éclaboussé l'ensemble des partis politiques alors actifs.
Il faudrait en fait, pour examiner le cas Chirac, faire une balance des qualités de sa gestion et des moyens qu'il a employés pour conquérir et conserver ses responsabilités publiques. C'est ainsi que raisonne Victor Hugo dans sa dernière œuvre-clef, "Quatre-Vingt-Treize", lorsqu'il fait dire à Danton, en 1793 : "c'est vrai, j'ai vendu mon ventre, mais j'ai sauvé la France".
Chirac a-t-il sauvé la France ? Il a au moins sauvé notre honneur en 2003, en commanditant ou endossant le refus opposé par Villepin aux pressions anglo-américaines pour l'invasion de l'Irak.
Et pour le reste ? Le condamner lui sans condamner les autres fait-il de lui un bouc-émissaire ? C'est vrai, mais est-ce suffisant pour l'exempter de ses responsabilités propres ?
Disons les choses carrément : il est vrai que sa relaxe prouverait définitivement qu'en politique, tout est permis, seul le résultat compte, mais condamner un ancien président rejaillit forcément sur ceux qui l'ont élu. Nous l'avons élu et réélu. Sommes-nous donc moins coupables que lui, alors que nous savions ?
Se passer des politiques
La vraie solution est simple : pour n'avoir pas à douter des politiques, faire en sorte de ne pas lier son sort au leur, suivre son chemin, prendre soi-même sa vie en charge. C'est désormais la vraie façon de résister.
* EDIT : j'ajoute ici un lien pour approfondir la compréhension de l'affaire Boulin.
22:27 | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : politique, justice, rpr, chirac, boulin, bérégovoy, grossouvre, mairie de paris, pasqua, gaullisme, résistance, chaban-delmas | | del.icio.us | | Digg | Facebook
17/02/2009
On ne fera pas de campagne en 2012.
Il faut être cohérent : ce que j'écrivais hier signifie clairement que je ne ferai pas de campagne présidentielle en 2012.
J'ai fait quatre campagnes présidentielles.
Pour la première, en 1988, j'ai été très actif lors de la précampagne, d'abord dans l'équipe qui, au printemps 1986, en trois semaines, a rempli un train de mille jeunes pour mener Barre s'incliner sur la tombe de Robert Schuman dont on célébrait le centenaire de la naissance, près de Metz, et lui faire rencontrer Helmut Kohl venu spécialement. Puis comme délégué national des jeunes du CDS (les JDS), j'ai organisé notamment dans l'été 1987 l'Université d'Été où Barre est venu déclarer sa candidature : "J'aurai besoin de vous", avait-il lancé devant les 1500 convives du déjeuner de clôture, majoritairement des jeunes. J'ai fait la sortie de la gare Saint-Lazare à huit heures du matin, les dîners-débats onéreux et barbants, les relances téléphoniques, les autocollants sur les parcmètres, les parebrisages à une heure du matin... Les collages d'affiches poursuivis par les gros bras qui collaient à la fois pour Chirac et pour Le Pen et qui frappaient le capot de notre voiture avec un marteau.
Pour la deuxième, en 1995, je n'ai fait que du terrain, de novembre 1994 à mai 1995, pendant six mois, une station de métro à huit heures du matin, un marché de dix heures à midi, une autre station de métro de cinq à sept. Tous les jours, sans aucune exception, pendant six mois, sauf les vacances de Noël. Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige, quels que soient les quolibets au départ et la cruauté de la température. C'était pour Chirac. Cette fois-là, j'ai gagné. J'ai même, dans la foulée, été élu adjoint au maire du XVIe arrrondissement de Paris comme je l'ai expliqué plusieurs fois.
Pour la troisième, en 2002, j'ai fait ce que j'ai pu, un peu au siège, beaucoup sur le terrain, des marchés, des stations de métro, des gens, toujours des gens qui nous regardaient en demandant parfois qui était François Bayrou, ou qui levaient les yeux au ciel. Et je me souviens de la soirée des résultats du premier tour, à une heure du matin, il ne restait presque plus personne, on avait mis de la musique dans la salle du bas du bâtiment qui est (rue de l'Université) devant le siège, qui venait d'être acheté. Nous étions encore une quinzaine, dont deux vieilles dames de mon arrondissement, rescapées du Centre Démocrate des années 1960, qui entraînaient un Bayrou très gêné dans un rock totalement ridicule et burlesque, cruellement burlesque.
Pour la quatrième, en 2007, avec Quitterie Delmas, pour Bayrou encore, on a occupé la Toile, elle surtout, moi comme j'ai pu. On a tout donné, des journées jusqu'à des heures impossibles, elle a tant sacrifié d'instants personnels. Et pour quel résultat ? Pour quel effet sur les gens dont la vie est difficile ? Pour quelle amélioration pour la planète qui crève ?
Quel temps perdu...
Quel temps gâché...
C'est décidé, la prochaine fois, on ne fera pas de campagne, on a mieux à faire.
23:02 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : politique, présidentielle, 2012, quitterie, bayrou, raymond barre, helmut kohl, robert schuman, chirac, le pen | | del.icio.us | | Digg | Facebook
17/10/2008
Cinq observations sur la crise économique et financière.
1 ) Merci Chirac, merci Villepin
À partir de 2003 et du refus de la guerre d'Irak, les grands groupes français se sont retrouvés "tricards" aux États-Unis. De là sans doute le fait qu'ils sont moins en première ligne que d'autres, même s'ils s'apprêtent à subir la crise par ricochet.
2 ) La crise est-elle déjà plus profonde en France qu'on ne nous le dit ?
À quoi peut bien correspondre le montant de 360 milliards d'Euros, alors que jusqu'ici, nos institutions financières se sont bornées à annoncer quelques milliards de pertes chacune, très absorbables par leurs fonds propres, et très loin du total de 360 milliards ?
3 ) La tentation cannibale
On rerpoche aux banques de ne pas prêter aux entreprises et de ne pas se faire confiance entre elles, mais il est évident que les lignes de crédit extraordinaires ouvertes par les autorités étatiques ont un effet d'aubaine, et que certaines banques thésaurisent sur les prêts qui leur sont consentis, et qu'elles le font certes pour faire face à de nouvelles dépréciations d'actifs qui seraient consécutives à l'approfondissement de la crise économique, mais aussi pour profiter de la faiblesse d'autres banques pour les racheter, avec la logique de vautours qui oublient que la chair putréfiée devient toxique si l'organisme qu'ils visent est mort empoisonné, empoisonné par des subprimes par exemple.
4 ) L'impact de la dépression et la distribution des cartes
Les chutes actuelles des bourses mondiales sont dues aux anticipations de la récession de l'économie réelle, récession aux États-Unis et impact de cette récession particulière sur le reste du monde. L'un des enjeux de la période qui s'ouvre est de savoir le poids respectif des bassins économiques. Jusqu'ici, une récession américaine suffisait à elle seule à plonger le reste du monde en récession. Sera-ce toujours le cas ?
5 ) Le nouveau statut de l'Euro
L'effondrement du cours des matières premières en dollars ne fait pas plonger l'Euro. Autrement dit, pour acheter à l'Europe, les pays rentiers du pétrole vont devoir puiser plus dans leurs réserves. Cela va-t-il les inciter à tenter dans l'avenir de minimiser le risque de change en demandant à être payés partie en dollars et partie en Euros ?
10:05 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : économie, crise financière, états-unis, euroe, france, euro, chirac | | del.icio.us | | Digg | Facebook
15/06/2008
Retour de flam à la Ville de Paris.
11:20 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, paris, delanoë, mireille flam, gilbert flam, marchés publics, chirac | | del.icio.us | | Digg | Facebook
27/02/2008
Chirac, au Salon de l'Agriculture, s'oppose à Sarkozy.
12:30 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : politique, chirac, sarkozy | | del.icio.us | | Digg | Facebook
14/02/2008
Municipales parisiennes : quelques vérités.
16:45 | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : politique, municipales, Paris, Sarnez, Delanoë, Chirac, Tibéri | | del.icio.us | | Digg | Facebook