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19/01/2007

Fausse récréation : la génération de 1830

Tout commence en 1817.

Cette année-là, le nouveau régime prend de l'assurance, on ne croit plus que Napoléon puisse revenir de Sainte-Hélène, la Restauration trouve ses marques, Paris se donne de nouvelles couleurs et cherche sa nouvelle atmosphère littéraire.

Dans un contexte international troublé, alors que beaucoup d'ex-émigrés commencent déjà à se souvenir avec une forme de nostalgie des années qu'ils ont passées en Allemagne, en Amérique ou en Angleterre, un éditeur a l'idée de publier la traduction d'un ténébreux jeune poète maudit anglais : Byron. Succès immédiat.

La vie littéraire parisienne suit cependant son cours ronronnant gavé d'emphase et de périphrases. Un autre éditeur se dit : puisque Byron, auteur mort, a si bien réussi, pourquoi ne pas trouver un poète maudit, français celui-là ? Or André Chénier, guillotiné en 1794, fait très bien l'affaire dans le Paris de la Restauration. En 1819, Chénier triomphe donc.

L'année suivante, on s'enhardit encore : pourquoi le poète devrait-il nécessairement être mort ? Voici donc en 1820 Lamartine, premier poète vivant du nouveau style, premier succès. Les romantiques sont nés. En 1821 et 1822, Hugo et Vigny, puis tous les autres. Hugo décrira plus tard cette transition de l'une de ses formules géniales : "Chénier, le plus romantique des classiques ; Lamartine, le plus classique des romantiques".

Sous la férule de l'écrivain adepte du fantastique Charles Nodier, la troupe romantique se développe et prend forme dans les années 1820. Elle s'empare du pouvoir en février 1830 avec la bataille d'Hernani qui sonne les trois coups du lever de rideau de la révolution de juillet 1830.

Parmi les romantiques, quatre têtes émergent : Hugo, Balzac, Dumas et Lamartine. Hugo et Dumas, tous deux fils de généraux de la Révolution, sont les républicains, Dumas surtout. Son père a même quitté l'armée au moment où Bonaparte est devenu Napoléon. Hugo commence à droite et finit tout près des Communards. Balzac est proche des légitimistes, mais il est féministe comme on peut l'être alors, il veut émanciper la femme. Lamartine, poète par hasard plus que par vocation, est surtout un homme politique, j'en ai déjà parlé.

Concentrons-nous un instant sur Hugo et Balzac. Pourquoi eux ? D'abord, parce qu'ils ont fondé la Société des Gens de Lettres. Ils ont par là voulu permettre aux écrivains de défendre les droits d'auteur, surtout les écrivains les plus fragiles face aux éditeurs, alors tout-puissants.

Mais aussi parce qu'ils ont tracé deux lignes parallèles pour servir de perspective à tous ceux qui veulent écrire : Hugo dit pourquoi et Balzac dit comment.

Hugo pourrait dire aussi comment : son style est éblouissant et sa construction rigoureuse. Mais il est tellement atypique et personnel qu'on ne peut pas s'en inspirer, on ne peut que le pasticher. En revanche, sur la mission du texte et de l'auteur, il montre un chemin, le plus grand.

Balzac, en revanche, emploie les mots de tout le monde et s'exprime avec une élégance simple, sans autre effet de style que la construction même de l'intrigue et des portraits. Il met le lecteur sous une pression excitante.

Pourquoi et comment écrire. Si j'ai sonné cette fausse récréation, c'est pour qu'on se rappelle la double leçon que mes contemporains ont trop souvent oubliée.

Il faut le dire : il est plus commode et beaucoup moins dérangeant d'écrire et de publier des livres inconsistants. Ca arrange tout le monde. Tout le monde sauf le lecteur, la vérité et la liberté.

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18/01/2007

libre, internet ?

Dans un article (sur un site de débat politique, Agoravox) qui fit vibrer la toile, la talentueuse Quitterie Delmas, que Bayrou ferait bien d'utiliser plus et dont j'ai placé le site (politique lui aussi) en référence à lire, lançait un débat très houleux sur le rôle d'internet dans le débat contemporain. "Finis, les verrous", disait-elle en substance, finies les fourches caudines médiatiques : internet remplaçait désormais les médias et permettait aux vérités de circuler en liberté.

Or elle a dû déchanter en partie et sa déception ne s'applique pas qu'à la politique.

On a appris depuis que certains partis politiques disposant de moyens humains et matériels énormes avaient entrepris de "miner" la toile, d'y poser des mines pour leur candidat, de piéger les débats pour en fausser la sincérité. On a alors pu découvrir un cas d'école des nouveaux instruments de désinformation auxquels internet nous expose et contre lesquels il faudra réagir.

Pour le fait littéraire, pour la liberté de création et d'expression, pour la liberté de rencontre entre l'auteur et le lecteur, la question de la gratuité des accès se pose la première. BlogSpirit, qui possède Hautetfort sur lequel je m'exprime gratuitement (gratis pour moi et pour mes lecteurs dont le nombre augmente, vous qui me lisez du fond de votre lit, toi, lecteur ou lectrice), BlogSpirit, donc, a annoncé la réduction de sa vitrine gratuite. On lui a reproché de s'aligner sur Typepad de Loïc Le Meur (l'ex-gourou internet d'un candidat). Bref, sans entrer dans les détails, il y a là une première question : va-t-on vers une sélection du débat par l'argent ? Y aura-t-il une forme de censure ?

D'autre part, la sélection par l'argent existe déjà pour les lecteurs, puisqu'il faut un fournisseur d'accès pour venir lire sur la toile.

Viennent ensuite les interrogations sur les téléchargements gratuits d'oeuvres et sur la protection du droit d'auteur. On sait la stratégie agressive de certains opérateurs dans ce domaine. Personnellement, je suis persuadé que le droit commun du droit d'auteur finira par s'imposer sur internet, mais on voit là que c'est aux États-Unis que la question va se régler pour le monde entier, ce qui relance un débat plus politique sur le futur gouvernement mondial : avec un seul chef américain ou pluraliste et collégial-plurilatéral ?

Et que deviendra la pluralité des langues ?

Je pourrais aussi évoquer comme hier l'omniprésence des principaux sites de vente en ligne et les hypothèques sur l'avenir de la librairie, sur l'indépendance des acteurs modestes.

Pour ne pas terminer par une note trop négative, deux remarques : la première est que les sites des éditeurs (j'en ai placé quelques-uns en lien, grands et petits) sont en général très bons et très vivants. Ils méritent qu'on les visite, notamment pour se tenir au courant des publications. À la longue, l'information s'y diversifiera et on y trouvera occasion de loisir intelligent qui communiquera du savoir. En ce domaine plus qu'en autre, ceux qui vivent de leur clientèle se rappellent que l'on doit savoir donner pour recevoir.

Enfin, pour terminer et pour donner raison à la belle Quitterie Delmas, internet est un lieu d'information qui permet de contourner les censures médiatiques : désormais, si un artiste est "tricard" à la télévision ou dans la presse, on peut le retrouver directement sur son site et y communiquer avec lui. De même, si l'on lit une info qui paraît douteuse, on peut aller la vérifier à la source. Il y a vingt ans, quand on a dit qu'Adjani avait le Sida, elle est allée démentir sur TF1. Aujourd'hui, elle le ferait sur internet. Vive la liberté.

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17/01/2007

Libre, l'économie du livre ?

Dans un article de "Marianne" de la semaine dernière (p 71), on trouve un court compte-rendu d'un débat à distance entre deux livres, le premier ("Lire et penser ensemble ; Sur l'avenir de l'édition indépendante et la publicité de la pensée critique" de Jérôme Vidal, éditions Amsterdam) refusant le pessimisme, l'autre ("L'édition sans éditeurs", d'André Schiffrin, éditions La Fabrique) énonçant toutes les raisons de se lamenter et de trembler.

En vérité, les faits sont connus : les gros éditeurs mangent les petits et les libraires font ce qu'ils peuvent. Les Espaces culturels de Leclerc, les Fnac, les Virgin, les simples rayons "Livres" des hypermarchés sont autant d'aspirateurs qui drainent la clientèle vers les géants en oubliant le destin des libraires de quartier. J'en connais un en Bretagne à qui on a retiré son label "Maison de la Presse" et qui ne survit qu'en vendant du tabac en plus des livres. Eh oui, j'oubliais les "maisons de la presse", d'Hachette, souvent très bien organisées et animées par de vrais libraires. Mais malgré tout, elles sont tributaires de leur réseau-mère, le même que l'acteur majoritaire de l'édition.

On pourrait croire qu'Internet puisse changer les choses, mais là, tout n'est pas joué et les gros acteurs de la vente habituelle se retrouvent dans la vente en ligne.

Les petits libraires souffrent, les petits éditeurs ont subi de plein fouet une évolution voulue par les puissants acteurs de la vente : celle des marchés publics. Mon éditeur, par exemple, a toujours fait entre 8% et 10% de chiffre d'affaires avec les bibliothèques publiques. Traitant en direct, il leur vendait à taux plein. Or depuis au moins 18 mois, on impose aux acteurs publics du secteur de respecter la règle des marchés publics en considérant la globalité de leurs commandes annuelles de livres comme un seul marché (dès lors qu'elles atteignent un certain seuil).

Cet intermédiaire, c'est la règle, prend ce qu'on nomme une "remise" sur les livres, soit autour de 30% par tradition, parfois un peu plus ou moins. Donc sur 8% ou 10%, voici entre 2,5% et 3% qui s'évaporent. Le livre est un secteur où la marge nette est faible. Ôter 2,5% à 3% de chiffre d'affaires est fragiliser encore des acteurs modestes. Quand c'est pour sauver un libraire lui-même chancelant, cela peut se comprendre, mais on remarque de plus en plus que des officines lointaines désignées par des sigles prennent ces marchés publics et que la part des libraires locaux y diminue.

Alors il faut le dire : dans un pays où le prix du livre est sérieusement encadré (justement pour protéger les petits contre les grands), la règle des marchés publics est absurde pour les livres. Elle ne profite en rien au contribuable, sauf à violer la loi sur le prix des livres. Elle ne sauve aucun libraire fragile. Elle pénalise des éditeurs fragiles aussi.

Remarquons encore une fois que la règle des marchés publics empêche en pratique tous les acteurs publics d'acheter directement aux éditeurs. Les intermédiaires seuls en profitent. C'est un scandale.

Voilà une petite pierre dans l'édifice de la libération de l'idée : rééquilibrons les lois du livre.

Je vais parler des livres eux-mêmes. Des livres pour vivre libre.

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16/01/2007

Vive le Gallimard libre ?

Gallimard est la plus prestigieuse des maisons d'éditions francophones. À côté du mastodonte Hachette ramifié en tant de labels dont Grasset est le plus connu, la vieille maison de Gide fait figure de résistant.

On ne vit plus, aujourd'hui, sur un catalogue : les éditeurs tournent comme des toupies au rythme des saisons avec des livres estampillés StarAc qu'on achète pour dormir et des prix littéraires qu'on achète pour offrir ; le livre jaillit sur des étalages devenus des tapis roulants. Vite, le livre tombe. Il disparaît. Et qui va lire un mois plus tard les confidences intimes (écrites de main mercenaire) de ces personnages de romans photos que l'on propose comme modèles aux jeunes et aux moins jeunes pour qu'ils oublient de regarder leur propre vie en face ? Le livre est à notre époque ce qu'était le 45 tours aux années 1960 et 1970 : un jouet sans importance.

Pourquoi pas, d'ailleurs, s'il ne s'agit là que d'une partie d'une production globale ? Il faut bien que tout le monde vive.

Seulement voilà, ce livre couvert de néons est devenu un instrument contre l'intelligence. Et l'intelligence est (re)devenue l'ennemie des puissants. Le livre crétin prend donc de plus en plus de place. Il va falloir organiser la résistance.

Gallimard pourrait vivre sur son catalogue : il est phénoménal. On se réjouira que cette bonne maison ne se contente pas de cette rente et continue à innover. Bien sûr, elle cède parfois aux contingences de l'époque. Il lui arrive aussi de rencontrer des aubaines comme Harry Potter dans sa collection destinée aux plus jeunes. Personne ne peut le lui reprocher, car pour le reste, les efforts continuent. En somme, si l'on cherchait de la résistance, on en trouverait là un peu au moins. Délibérée ou non.

Continuons à prospecter, les mots retrouveront la liberté. Comme disait Victor Hugo, "La tâche est rude,mais elle est grande".

Je vais proposer quelques lignes directrices pour une résistance de l'idée.

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"Truands" au second degré

Je passe sur les mondanités (Elsa Zylberstein, qui ne joue pas dans le film, portait une tunique écarlate à dos nu, un rêve !).

Les méchants sont méchants et s'entretuent entre eux ; quand je serai grand, je ne veux pas faire truand, je préfère pompier. Ca, c'est le premier degré.

Le deuxième degré, c'est ce monde où la seule loi est la force et l'intérêt immédiat. C'est le monde qui veut sans cesse s'imposer à nous, le monde sans puissance publique, qu'on nous promet. Les flics font un passage très fugace dans le monde de "Truands". Tout le reste, ce sont les bandits entre eux, des tatoués, des hommes, pour qui les femmes sont encore des instruments. Des gens pour qui la brutalité est la norme. C'est le monde de la provocation, de la rétorsion, le monde des engrenages de violence, des spirales de meurtre et finalement de guerre. C'est un monde de conflit permanent. Le film, très ancré dans la vérité, très factuel, nous met de plain-pied avec cette dimension métaphorique.

Oui, ce n'est pas tellement la morale contre le crime, qu'il faut aller y voir, mais la morale pour la paix.

Il faudra supporter une ou deux scènes insoutenables et beaucoup de coups de feu avec giclée de sang, mais c'est du vrai cinéma, hors des normes lénifiantes actuelles. Beaucoup de chair, beaucoup de douleur, beaucoup de notre monde, tel qu'il est et tel qu'il ne doit pas devenir.

01:20 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

15/01/2007

Regardons la vie en face : "Truands"

Je pars dans un instant voir le film "Truands" de Frédéric Schoendoerffer en avant-première. Je sais d'avance que c'est du cinéma expert, un film noir, très noir, qui pourrait passer pour réac si on le prenait au premier degré. Je le conduirai donc jusqu'à son second degré. À voir de toutes façons, j'en reparle en rentrant.

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14/01/2007

Punir le peuple ?

C'est dimanche, parlons de politique.

Il règne une atmosphère de 1788 dans la politique française : la gauche se donne une candidate qui se nomme Royal et la droite se choisit un aristocrate à la porte de Versailles (signalons au passage que le dernier aristocrate d'origine hongroise à avoir fait parler de lui dans l'histoire de France s'appelait Esterhazy, l'homme qui a fait accuser Dreyfus).

L'un Royal, l'autre à la porte de Versailles, autant dire aux pieds du roi, il y a vraiment quelque chose de fin d'Ancien Régime, dans tout ça. Et pour faire bonne mesure, on étrangle la liberté de la presse à coup de matraquage et on cherche tous les moyens de punir le peuple de voter si mal depuis déjà quelques années, en empêchant les candidats modestes de se présenter à l'élection présidentielle, ce qui constituerait sûrement un crime de lèse-majesté.

Il est donc utile de relire "L'histoire des Girondins" de Lamartine. On peut la télécharger gratuitement avec les Oeuvres complètes de Lamartine sur gallica.bnf.fr.

Lamartine est notre plus grand écrivain politique du XIXe siècle, un rationnaliste peut-être un peu chrétien, militant des libertés politiques et du romantisme en mouvement. Son Histoire des Girondins est un chef d'oeuvre littéraire : un style éblouissant d'élégance et de clarté, une intuition phénoménale. Lamartine a toujours affirmé par la suite qu'il avait empêché par ce texte (paru en 1846) la révolution de 1848 de tourner à l'aigre, et qu'il avait plutôt éteint la mèche qu'attisé le feu ; c'est tout à fait faux, ou alors il ne s'est pas relu.

Rappelons que les Girondins, sous la Révolution de 1789, sont les plus à droite des révolutionnaires, oscillant entre la monarchie constitutionnelle et la République. Ils veulent tous les libertés politiques et la démocratie. C'est déjà ça et on y verrait presque un progrès aujourd'hui.

Une fois digéré le pavé lamartinien, on pourra toujours approfondir la question en piochant dans Victor Hugo ou dans les textes les plus républicains d'Alexandre Dumas.

Et n'oublions pas qu'en matière politique, la punition est toujours un boomerang.

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13/01/2007

Portrait d'Anne Goscinny

Anne Goscinny est un paradoxe. Pour tous ceux qui ne la connaissent pas, elle est surtout la fille de son père et les simples syllabes go-si-ni éveillent si spontanément le sourire et la joie, réchauffent tellement le coeur, que tous ceux qui la rencontrent ont envie de se jeter sur elle pour remercier son père.

Or ce père, elle l'a peu connu. J'ai perdu le mien lorsque j'avais dix-sept ans et je peux témoigner que le puzzle est très incomplet, il y a mille choses que j'ignore et deux mille que j'aurais aimé entendre. Anne avait neuf ans et demi lorsque son père est mort.

Elle est donc dans la situation paradoxale de se voir constamment sollicitée pour un témoignage qu'elle a dû reconstruire.

Lorsque je l'ai rencontrée, au printemps 2004, elle sortait son deuxième roman chez Grasset, "Le Voleur de Mère", un livre sur sa mère, sur toutes les mères, sur toutes les filles aimant éperdument leur mère. Un livre aussi sur le cancer, ou plutôt contre le cancer. Un livre qui devrait être remboursé par la Sécu. Un texte bouleversant construit pour être dit à voix haute. J'ai eu le privilège d'assister à une lecture organisée par elle et nous étions tous au moins au bord des larmes.

Il faut dire qu'Anne cherche l'émotion. Pour elle, un mot ne sert à rien s'il n'exprime pas une émotion.

Son troisième roman, "Le père éternel", s'attaque à la figure paternelle. Il est aussi complexe qu'on peut l'imaginer. Il atteint un grand degré de qualité : bien écrit, bien construit, vivant, clair, émouvant, empli de détours et de tombeaux-gigognes. Et bien sûr, en le lisant, on se demande sans cesse ce qu'elle y a inclus de ses relations avec son père.

Nous avons sympathisé, elle et moi, sur un goût littéraire et sur quelques valeurs intimes. Elle me parlait de l'engagement de son grand-père paternel dans les mouvements qui ont préparé la création d'Israël en Palestine. Or je n'ai pas indiqué dans mes repères biographiques qu'élevé dans une famille de tradition catholique et partiellement pratiquante, je m'étais toujours vu dire que si un jour je voulais me convertir au judaïsme, j'y avais une faculté naturelle, puisque la mère de la mère de la mère de ma mère l'était (il s'agit d'une dénommée Rebecca Suhami, sépharade et londonienne, mariée à un manufacturier de plumes d'autruches, Joseph da Costa Andrade, dont la fille s'était convertie à l'anglicanisme après avoir épousé James Davis, un ashkénaze circoncis sous le nom d'Itzhak HaLevi et bien connu à Londres en 1900 comme librettiste d'opérettes sous le pseudo d'Owen Hall, bref...). Je suis demeuré comme j'étais, c'est-à-dire sceptique du fait religieux, mais j'ai toujours milité contre l'antisémitisme et pour le droit d'Israël à vivre en paix avec ses voisins et pour une paix des braves entre Israéliens et Palestiniens malgré les boutefeux des deux camps. Anne m'expliquait les oeuvres sociales pour lesquelles elle s'investissait et investissait et tout ceci suscitait beaucoup de respect.

Nous avons fait le chemin de l'amitié. Je l'ai découverte franche, directe, non conformiste, généreuse, espiègle, curieuse, bonne mère de deux gamins sautillants et bonne épouse (d'Aymar éditeur fort sympathique du "Petit Nicolas", voir www.petitnicolas.net).

Aujourd'hui, ses amis, dont je suis, sont inquiets de l'avoir vue tant maigrir. Elle en devient impressionnante et frêle.

Elle vient sans doute de refermer un cycle avec son "Père éternel". Peut-être pourrait-elle réfléchir à une corde à ajouter à son arc. Elle hésite à se frotter à la silhouette puissante de son père, mais comme elle est volontiers caustique et mordante sans méchanceté, avec juste le ton de la drôlerie, elle pourrait envisager (j'écris avec prudence pour qu'elle ne me fasse pas les gros yeux) de développer une part de son talent qu'elle avait montrée un peu dans son premier roman, "Le bureau des solitudes" : l'humour. Elle n'est pas obligée de se lancer dans le burlesque, mais elle y gagnerait un degré de plaisir d'écrire, à mon avis, et c'est déjà beaucoup.

Son "père éternel" est en tout cas une bien profonde et jolie musique.medium_Anne_.jpg

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12/01/2007

www.grasset.fr

Je suis passé aujourd'hui chez Grasset.

Longtemps, l'accueil était au premier étage. Le guichet était coincé entre deux planches comme un bocal encadré. Tout était envahi par les manuscrits déposés ou refusés. Il y avait, à l'ancienne, des présentoirs marqués du nom des gens de la maison, pour leur courrier.

Cet étage n'a guère changé. Florent Massot, qui s'était installé dans le bureau de Fasquelle, se décale non loin, rue de Buci me dit-on. Sans doute le succès de Patrick Sébastien l'a-t-il regonflé depuis son éviction par Fixot.

Les couloirs sont entre beige et gris, entre velours et poussière. Les attachées de presse sont évidemment les reines de la maison pour le profane. On croise par chance le sourire affable de Carcassonne ou la longue silhouette toujours fragile de Nora. Les souvenirs des anciennes générations s'effacent déjà.

J'ai beaucoup aimé le court livre de Christophe Bataille, cet automne, autour de Bernard Grasset, fondateur de la maison. Bataille n'aime pas ce que j'écris. J'avais bien aimé son premier roman chez Arléa (www.arlea.fr) ("Annam", prix du premier roman, épuisé je crois), moins son premier chez Grasset, que je trouvais écrit à reculon et comme sous la torture. Je peux dire du bien du dernier, donc.

Il s'agit d'une sorte de rêverie autour de Grasset, personnage excentrique gagné par la folie, folie de son décor, folie de son métier. Le livre est noté comme commencé voici déjà plusieurs années, tout près d'"Annam". C'est sans doute pourquoi je l'aime bien : il ressemble plus à la première manière de Bataille.

Après Grasset, il y a eu beaucoup de hautes figures, entre ces murs. On pense en particulier à Yves Berger, l'homme des réseaux, l'ami incurable d'une Amérique des mythes. On pense surtout à Françoise Verny, qui a fini si péniblement après avoir vécu si fiévreusement et avoir inspiré tant de bons écrivains. On pense bien entendu à Fasquelle, qui vient d'achever de s'éloigner, et à ses deux épouses successives, la seconde Nicky ayant passé la main du Magazine Littéraire depuis déjà plusieurs années à Jean-Louis Hue qui lui imprime sa marque.

L'accueil actuel, pour y revenir, est au rez-de-chaussée, clair et pimpant. Mais de plus en plus, les manuscrits refusés l'envahissent comme une muraille de Chine.

Mon auteur Grasset préféré, on le sait, est Anne Goscinny. J'en parlerai dès demain.

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11/01/2007

Libérons les mots

On a sans doute compris que je me situais dans la ligne des écrivains engagés dans la cité.

Il ne peut y avoir de neutralité. Tout appelle à l'intervention, au cri. En traversant certaines rues d'Haïti, il y a peu d'années, au milieu d'une misère inimaginable, je n'avais qu'une seule phrase en tête : "Que le malheur s'arrête, qu'il fasse une pause". On ne peut pas rester froid devant la souffrance et le dénuement.

On ne peut pas rester froid non plus devant l'injustice, la brutalité, la sottise arrogante.

Et cependant, on ne peut se laisser sans cesse envahir par l'obsession du malheur d'autrui : il faut vivre avec, ou plutôt "faire avec" comme disait Bécaud dans sa dernière chanson. Et plus encore, vivre tout court, jouir, savourer, découvrir, agir. L'équilibre entre ce qu'on fait pour soi et ce qu'on fait pour améliorer le monde relève de la conscience personnelle et, de toutes façons, on ne sait pas si dans un instant de plaisir que l'on croit égoïste, il n'y a pas une lueur qui peut sauver un monde.

Promis, je ne citerai pas trop souvent Victor Hugo, mais le revoici, pour nous rappeler à la fois que "la nature, qui met sur l'invisible le masque du visible, est une apparence corrigée par une transparence", et que "le destin est sévère, soyons lui indulgent : ce qui est noir n'est peut-être qu'obscur", ce qui pousse à la prudence de Sioux dans les bons et les mauvais élans.

Donc nous vivons. Et ouf ! nous lisons. Conscients et prudents parfois, ou bien tout simplement émus, instruits, pensifs, curieux, rieurs, abasourdis, étonnés, réjouis, émoustillés, bouleversés, nous lisons.

Je commenterai sur ce blog tous les livres que m'adresseront des éditeurs et tous les manuscrits que m'adresseront des auteurs. On n'y verra que mon opinion, qui n'engage que moi. Je serai toujours bienveillant pour l'auteur et attentif au texte.

Véritablement, je trouve que l'abdication des milieux littéraires actuels devant l'appauvrissement supposé des capacités de lecture des gens est effarant. Il est grand temps de libérer les mots d'un carcan de crétinisme.

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10/01/2007

"Agrandir les esprits, amoindrir les misères"

Il est temps de me présenter et de dire ce que je vais faire dans ce blog.

Je m'appelle Hervé Torchet, ce n'est pas un pseudo. Mon nom vient du nord de la Champagne, un petit terroir qu'on appelle le Porcien, coincé entre le Vermandois et la Champagne elle-même, tout près du Hainaut. On trouve le mot torchet utilisé dans son sens réel, celui d'une petite torche qui servait au Moyen Âge à l'éclairage public, jusqu'à Liège, aux confins de la francophonie.

Mon prénom, lui, est breton, et mes attaches culturelles sont très bretonnes, du fond de la Bretagne, la Cornouaille, au sud de Quimper, au bord de l'Odet, une rivière soulevée par le jusant et bordée de bois de châtaigniers, de hêtres, de chênes. Jusqu'en 1987, on y voyait surtout du pin, vert l'hiver comme l'été, de longs fûts tout droits, très grumeleux. L'ouragan d'octobre 1987 a tout balayé. Il n'en reste presque plus rien. La forêt actuelle a été largement replantée ou a cru d'elle-même, sauf les chênes que rien ne peut déraciner comme on le sait depuis La Fontaine.

Mon année de naissance, 1964, n'a pas laissé de grandes traces dans l'histoire du monde : de Gaulle présidait la France, la Nouvelle Vague régnait sur le cinéma, le Nouveau Roman sur la littérature, on donnait une 2e chaîne de télévision (en couleur) aux Français ébahis, Kennedy était déjà mort, Johnson enfonçait son pays dans la tragédie vietnamienne, bref, je suis né dans la morosité et j'ai 42 ans.

J'ai grandi à Paris dans une atmosphère cosmopolite. Ma grand-mère, qui a veillé sur ma petite enfance, était née belge au Pérou en 1903. Elle avait ensuite séjourné en Bulgarie vers 1905, puis dans l'Iran qu'on appelait encore la Perse, puis de 1913 à 1921 au Japon. Le soir, pour m'endormir, elle ouvrait Peter Rabbit (version anglaise) qu'elle traduisait en français, mais ses histoires les plus amusantes étaient surtout, un peu plus tard dans ma vie, quand elle expliquait comment elle avait rencontré Pierre de Coubertin à Cuba en 1921, comment elle avait déjeuné à la table de l'inventeur de la coupe Davis (un Mr Davis, forcément), qui recevait chez lui en toute simplicité dans de la vaisselle d'or, comment elle avait souvent joué aux cartes vers 1925 avec Pou-Yi (le Dernier Empereur de Bertolucci), qui ne buvait jamais que du chocolat parce que, disait-il, on ne pouvait empoisonner le chocolat sans lui donner un goût... Bref, tout était féérique.

Mes études m'ont conduit de l'école communale de la rue des Bauches (ni les Boches, ni la Débauche, ouvrez le dictionnaire de Jacques Hillairet sur Paris et vous saurez tout sur le nom de cette rue) dans le 16e arrondissement jusqu'au prestigieux lycée Janson (Janson de Sailly pour ceux qui ne savent pas), une bonne boîte où j'ai connu de très jolies filles dont quelques-unes que je n'oublierai jamais.

Nous avons d'ailleurs organisé un dîner de jeunes quadragénaires ayant suivi les mêmes classes de la 6e à la 3e, l'été dernier, et il faut dire que c'était spectaculaire de se retrouver à une vingtaine sur 37 (nombreux effectif) : sur 37, deux sont déjà morts (l'un du Sida, l'autre d'un accident de voiture), trois sont psy (dont la ravissante psychanalyste Caroline Thompson, fille de la cinéaste Danièle Thompson, elle-même fille du génial maître du burlesque français, Gérard Oury), la moitié en tout ont étudié le droit mais trois ou quatre seulement le pratiquent professionnellement. L'un siège au cabinet du président du sénat après avoir relevé celui du premier ministre Raffarin. Une autre est éditrice de documents sous son nom marital de Mathilde Aycard, une personne très droite. Une troisième décore le cinéma, non pas de sa présence (elle n'apparaît pas à l'écran) mais de ses accessoires. Un quatrième est agent de coiffeurs-maquilleurs pour des défilés de mode, mais ne nous a pas encore invités backstage, ce qui pourrait avoir un certain charme. Bref, je reparlerai de tout ça le cas échéant.

J'ai étudié le droit pendant 5 ans dans une fac très marquée à droite, Paris 2-Assas, où je figurais parmi les centristes.

On m'a choisi pour figurer parmi les élus du 16e arrondissement de 1995 à 2001. Comme j'étais à la fois le plus jeune et le moins sportif, on m'a confié la jeunesse et les sports. J'aurai l'occasion de dévoiler quelques secrets de tout ça et de raconter par le menu le plus spectaculaire mariage que j'ai célébré, celui du footballeur Emmanuel Petit et de la jolie actrice Agathe de la Fontaine en juin 2000, tout juste le lendemain de la victoire de l'équipe de France au championnat d'Europe. En 2001, j'ai plongé pour les livres. Vive la liberté.

Il faut avouer que je suis célibataire. Les candidates ont le droit de m'envoyer leurs photos.

Parisien jusqu'au bout des ongles que je ne ronge pas, je réside toujours à l'ouest de la vieille capitale, dans ce qu'on appelait autrefois les "beaux quartiers", le long d'un jardin adossé au bois de Boulogne. De mes fenêtres, je n'aperçois que la cime des arbres, ce qui est un privilège inusable.

Je publie depuis 2001 un document exceptionnel, la Réformation des Fouages de 1426, le plus ancien recensement à grande échelle d'Europe, qui n'a concerné que la Bretagne. J'ai déjà produit trois pavés de deux kilos et demi chacun (le deuxième préfacé d'un texte scientifique de Michel Pastoureau, le troisième d'un mot élogieux de Patrick Poivre d'Arvor), il en reste six à suivre. En 2005, je me suis diversifié d'un plus court opus sur les prémices de la Révolution, toujours en Bretagne.

Il faut dire que je suis préoccupé de l'état du pays (la France, cette fois-ci). L'atmosphère y est délétère et, avec des élites déboussolées et désenchantées, nous nous trouvons dans un état moral proche de celui des années 1780. Rien ne dit que la situation doive déboucher sur une crise majeure, mais j'approuve l'idée de Bayrou de remettre les choses à plat : elles en ont besoin.

Un dernier mot : je vais bientôt passer au roman, ne fût-ce que pour botter les fesses de l'édition francophone qui me semble un peu sclérosée elle aussi. J'aimerais pouvoir faire miens ces vers de Victor Hugo :

"Et sur l'Académie, aïeule et douairière,
Serrant sous ses jupons les tropes effarés,
Je fis souffler un vent révolutionnaire"...

La révolution étant ici au second degré. Mais je fais mien ses autres vers qui sonnent comme une devise, celle que devrait adopter tout homme qui détient un pouvoir et un savoir :

"Agrandir les esprits, amoindrir les misères".

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09/01/2007

C'est le début

Voici la première page de mon blog.

Comme dans un appartement tout neuf, ça sent le plâtre, les bibelots sont encore dans les cartons, rien n'est en place, sauf les murs tout nus. Seulement, quand on vient rendre visite à quelqu'un qui s'installe, on est rarement aussi nu que les murs ; or vous, si vous me lisez, vous êtes peut-être tout(e) nu(e) aussi. C'est ça, la force d'internet et du monde blogosphérique : voir sans être vu, savoir sans être su. Vous voyez tout de moi et moi, je ne vois rien de vous.

J'ai longtemps hésité à créer ce blog parce que je trouvais qu'avec tous ces égos déployés sur la toile, internet ressemblait à un champ de narcisses. Or comme on dit narcisse (la fleur, cette fois) tchernobyl en ukrainien, j'avais l'impression d'un tchernobyl permanent de la pensée et du verbe.

Mais voilà, à force de cultiver les narcisses des autres, j'ai voulu avoir les miennes, ou plutôt le mien, exposé(es).

Bon, dès demain, je vais créer une page qui ressemble à quelque chose. Si vous avez des suggestions de présentation, n'hésitez pas. On pourrait faire la première construction de page blog interactive.

Enfin, en vérité, comme je débute, à mon avis je parle tout seul et il va falloir quelques jours pour que je sois lu un peu au moins. Sans parler de lire des réponses : il paraît que les gens sont très timides.

ALORS N'HÉSITEZ PAS !! ÉCRIVEZ ICI !! SI VOUS PASSEZ, RESTEZ DONC UN MOMENT À BAVARDER !!

Voilà tout pour ce premier message "Vox clamans in deserto".

Dès demain, je dirai à ce désert qui je suis. Et qui sait ? peut-être y poussera-t-il des fleurs... Des narcisses ?

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