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19/01/2009

Le temps du monde fini est terminé.

On connaît la devise visionnaire de la mondialisation lancée dès 1911 et qui a longtemps servi de tarte à la crème des concours de sciences politiques : "Le temps du monde fini est commencé". Elle est signée Paul Valéry et signifiait que le globe terrestre était partout défloré, sa cartographie était établie, il n'y avait plus de "terrae incognitae", l'inconnu n'était plus terrien.

Cette évolution a abouti à la globalisation, ce monde qui se connaît à tort et à travers est désormais bardé d'articulations et de connexions, il palpite en temps réel partout à la fois.

La globalisation contient l'idée de vases indéfiniment communicants : ce qui est perdu ici est gagné là et réciproquement, ce qui est fait ici agit là, le monde globalisé est pris dans le noeud gordien de l'interaction, sur lequel pèse d'ailleurs l'épée de Damoclès de l'effet papillon, qui veut qu'un insecte qui tousse en Indonésie peut provoquer un ouragan en Scandinavie, sorte de projection fantasmatique, emphatique et quasi-paranoïaque de l'idée d'interaction.

De quoi trembler, j'en ai des sueurs froides.

Pour compléter le tableau de ce monde de finitude, on nous rappelle l'idée sortie des travaux d'un penseur d'un autre âge, selon laquelle la croissance économique "capitaliste" court forcément à l'abîme, parce qu'elle tend vers l'infini, alors que sa nourriture, la matière, est finie. Le "temps du monde fini" est celui où l'on découvre la quantité de matière encore disponible pour fabriquer de la croissance économique, et, en creux, celui qui dessine l'horizon de la fin, celui du monde qui est non seulement fini, mais terminé. Game over. "À partir d'un certain âge, le temps qui passe, ça devient le temps qui reste", fait dire la cinéaste Danièle Thompson au personnage joué par Pierre Alexandre Claude Brasseur dans son dernier film en 2006. Le temps qui reste.

Et voilà.

This is the end.

Acta est fabula.

Rideau.

On a tout bouffé.

Mais non, voyons, il y a une faute de raisonnement terrible dans tout ça : ce qui fait la croissance de l'économie et de la richesse de l'espèce humaine, ce n'est pas la quantité de matière, mais l'intelligence qui exploite la matière. La valeur n'est qu'un leurre, ce qui compte, c'est l'usage.

Que l'on songe à un étang du Moyen Âge : on s'y baigne, il est fermé par une digue sur laquelle sont posés un chemin et un ou plusieurs moulins, et de temps à autre, on vide l'étang et on y ramasse le poisson et parfois même la boue qui va enrichir la terre. L'eau, c'est peu de chose, mais voici deux usages essentiels à l'alimentation humaine : la mouture du grain et la pêche des poissons, et peut-être l'engrais.

Le recyclage n'a pas d'autre idée : avec une même matière de départ, faire une chaîne d'usages successifs.

Or si la matière est finie, l'intelligence humaine, elle, est infinie. Comme le disait Jules Verne : "Tout ce qu'un homme a imaginé, un autre homme peut le réaliser" (ça marche avec "une femme" aussi). L'intelligence humaine est ce qui transforme le monde fini et global en infini, sorte de révélation, puisqu'on sait qu'à l'intérieur de la matière apparente, il n'y a jamais que ... de l'infini.

Alors voilà une leçon d'espoir, mais je dois dire que je suis un peu angoissé à l'idée d'avoir taillé involontairement une croupière à Paul Valéry. Aïe. Il faut que je m'abrite aussitôt sous l'aile d'un plus puissant que moi, Brassens, qui s'est le premier attaqué à son illustre compatriote sétois :

 

"Déférence gardée envers Paul Valéry,

Moi l'humble troubadour sur lui je renchéris,

Le bon maître me le pardonne.

Et qu'au moins si ses vers valent mieux que les miens,

Mon cimetière soit plus marin que le sien

Et n'en déplaise aux autochtones !"

 

Cimetière ? Brrrr, on n'est pas pressé !

21/12/2008

A propos des quotas de boursiers dans les grandes écoles.

J'ai été frappé de l'abondant silence qui a entouré l'exigence faite par le présicrate de recruter un tiers de boursiers dans les grandes écoles. Sur le papier, l'idée paraît généreuse, mais en fait, elle s'attaque au problème de la formation et de la sélection des élites par le mauvais côté. Feu Bourdieu, voici déjà une bonne quinzaine d'années, a mis le doigt dans son ouvrage "la noblesse d'état" sur le réel problème des grandes écoles : leur recrutement est désormais pour une forte proportion composé d'enfants d'anciens élèves des mêmes écoles.

Et comme la seconde population nombreuse dans les grandes écoles, ce sont les enfants de prof, la proposition présidémentielle aboutit à découper le recrutement en trois tiers : un tiers d'enfants d'anciens élèves, un tiers d'enfants de prof, un tiers de boursiers, et rien pour les autres. La situation n'en est que faussement améliorée, puisqu'on remplace le tiers méritocratique des classes moyennes par un tiers "ascenseur social" dont les capacités ne sont pas le premier critère (sinon, il suffirait d'augmenter la dotation en bourses et le système roulerait de lui-même). Résultat : on affaiblit la sélection sans améliorer les performances du système, au contraire.

N'y a-t-il pas quelque chose d'authentiquement démagogique et dangereux, et ne vaudrait-il pas mieux redonner du poids (et des bourses) à l'université qui, elle, a prouvé sa capacité à promouvoir l'égalité ?

09/12/2008

Pourquoi la politique est-elle si décevante ?

Le traumatisme de la présidentielle de 2002 a été profond. Je lisais récemment des comptes-rendus de prof des années 2003 et 2004 expliquant à quel point, depuis le séisme honteux que représentait la présence de Le Pen au deuxème tour en 2002, les élèves du lycée s'étaient mis à parler de politique. L'émotion les y avait poussés.

Cette émotion a duré jusqu'en 2007. Je me souviens de Quitterie Delmas réagissant à l'arrivée de certains commentateurs sur son blog durant la campagne présidentielle et leur disant "je vous attendais depuis 2002", elle croyait que c'étaient de dynamiques lepénistes, alors que de dynamiques lepénistes il n'y avait plus comme le score l'a démontré, mais peu importe : il s'agissait forcément de ça, elle était à l'UDF pour ça, contre eux, contre l'infâme.

C'est sans doute sur ce terreau que s'est développé le phénomène de la présidentielle 2007, avec sa participation-fleuve et ses affluences-fleuves aux meetings des principaux candidats.

L'autre facteur de ces mobilisations, ce fut sans doute la technique marketing employée, qui repose sur une sorte de locution déclinée en plusieurs slogans : "la libération par le changement unanimiste" est la locution, et les slogans, "Yes we can", "Ensemble tout devient possible", "la réconciliation nationale", etc, trouvés chez divers candidats. Les ingrédients sont partout les mêmes. À l'arrivée, une participation exceptionnelle à la présidentielle, ici comme là.

Mais aussi, à l'arrivée, la déception, forcément, puisqu'on a pousé le lyrisme à un point authentiquement déraisonnable.

Bayrou, n'ayant pas le pouvoir, incarne parfaitement cette séquence illusion-désillusion, mais la désaffection dont souffre Sarkozy dans l'opinion vient aussi de là.

La politique est décevante parce qu'elle ne vaut pas mieux que la vie, qui est dure pour ceux à qui il arrive de placer le plus d'espoir dans leur vote, et parce que ceux qui devraient être les meilleurs, les plus capables, les plus dévoués, les plus intelligents, les plus humains, ne sont pas ceux qui réussissent en politique, du moins en général. Et donc comme citoyens, au moment du vote, nous sommes forcés de prendre parti, et d'être nécessairement déçus.

De plus près, la politique est décevante pour d'autres raisons.

D'abord, parce qu'elle tripote.

Je connais la phrase dite en privé par une présidente de Conseil Général qui a été longtemps UDF (elle habitait dans le XVIe, près du jardin du Ranelagh), une maire d'une ville moyenne sur la Manche, qui disait "mais percevoir une commission sur les marchés publics, c'est normal". C'est normal pour les partis politiques, et je n'ai pas besoin d'en dire plus, sinon que la rumeur veut que le parti le moins cher pour les entrepreneurs soit celui où les intermédiaires individuels ne touchent rien, mais laissent tout l'argent à leur parti.

Les gens qui sont dans les affaires savent cela, ils ne sont pas les seuls, puisque la société tout entière est peuplée de petits cadeaux de fournisseurs, proportionnels aux retours attendus.

On n'aime pas plus son maire véreux que le directeur des achats de la boîte où on travaille et qui pratique le "tombé du camion". Heureusement, ce n'est pas universel, mais...

Maintenant, ne nous emballons pas, je n'ai pas dit que Bayrou, en perdant la présidence du Conseil Général des Pyrénées-Atlantiques, avait perdu une source de financement occulte. Je ne l'ai pas dit et je ne vois pas ce qui m'aurait permis de le dire. Si c'était le cas, on se demande ce qu'il ferait de l'argent.

La politique est décevante, aussi, parce que les gens y font carrière et que, là encore, le carriérisme, ce n'est pas passionnant.

La politique est décevante enfin parce qu'elle est gouvernée par des principes laids, qui sont ceux de la conquête du pouvoir : élimination, infiltration, jeu contre son camp.

Tenez, par exemple, Simone Veil est persuadée que François Bayrou, qui était son directeur de campagne, a torpillé sa campagne européenne en juin 1989 et que le prix de cette trahison a été sa désignation au secrétariat général de l'UDF en 1991.

Or les faits sont les suivants : en 1989, Méhaignerie, président du CDS, lance sous la pression de la base une liste centriste autonome pour les élections européennes. Mais curieusement, au lieu de prendre lui-même la tête de cette liste, il la confie à Simone Veil, qui n'était pas CDS. Lors du congrès de Lille, à cette époque, Jean Lecanuet est copieusement sifflé parce qu'il s'élève contre cette liste qu'il juge bizarre et contreproductive.

En face, Chirac choisit Giscard pour conduire une liste commune au RPR et aux autres composantes de l'UDF (de facto l'UDF n'existait plus,puisqu'elle était incapable d'endiguer sa division en deux listes, c'était encore l'ancienne UDF, avec ses composantes dont le CDS).

L'élection se passe, le score est décevant (8,4 %).

Deux ans plus tard, Lecanuet, qui avait critiqué la liste, quitte la présidence de l'UDF dont il n'avait pu empêcher la division et la laisse... à Giscard (composante PR libérale), à qui il désigne un secrétaire général CDS (composante centriste) ... François Bayrou. Le directeur de campagne d'une liste se retrouve dès lors principal collaborateur de la tête de l'autre liste. En football, quand on voit ce genre de transferts, on sait bien ce que cela veut dire.

En 1993, quand on commença de parler du futur congrès pour la présidence du CDS, la proximité de Bayrou avec Giscard lui était reprochée : Giscard se sert de lui, disait-on. Mais ses proches rétorquaient : non, c'est lui qui se sert de Giscard. Et la seconde version était plus vraie que la première, parce que Bayrou est un malin.

En taillant son chemin à la machette, il finit donc ministre de l'Éducation, puis président du CDS, etc.

Et voilà, ce chemin fait de déloyautés supposées est-il joli ? Non. Permet-il de s'enthousiasmer sur un personnage ? Non.

Et y a-t-il mieux ailleurs ? Non. Car les règles du pouvoir sont les mêmes partout, quelle que soit la forme sociale et politique concernée, qu'il s'agisse d'une ONG ou d'un État, d'une république démocratique ou d'une monarchie autoritaire, les règles sont les mêmes. C'est la loi humaine, qui rend dérisoires les exhortations de la petite voix de Quitterie Delmas, qui d'ailleurs n'est pas si dupe qu'elle le prétend.

Voilà, j'ai assez soliloqué pour cet après-midi. Merci à ceux qui ont le courage de lire cette note d'un qui va s'en retourner vers sa vie civile.

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08/12/2008

La générosité.

Je crois que la générosité est vraiment le trait de caractère que je préfère chez les gens. Un personnage politique qui ne serait pas généreux ne pourrait recueillir mon suffrage que par défaut. C'est une vertu universelle, ou qui devrait l'être, et qui résoudrait bien des conflits et permettrait bien des équités.

Pourquoi j'en parle ? Parce que j'ai envie de dire un mot d'autres vertus, celles de la chevalerie, celles des chevaliers, celles qu'on leur donnait en modèles. Sans entrer dans trop de débats ni de détails, je vois quatre vertus chevaleresques :

- la prouesse, on dirait aujourd'hui l'excellence, l'aspiration à être le meilleur. Autrefois, c'était à la bataille (preux chevalier), aujourd'hui, ce pourrait être la faculté d'assumer les honneurs et les charges inhérents à la recherche de l'excellence. Assumer la gloire sans la rechercher, mais se vouer à l'excellence. La prouesse est en effet corrigée par la tempérance, qu'on verra plus loin.

- la prodigalité, qui va de la protection matérielle de la veuve et de l'orphelin à l'équité du partage d'un butin, en passant par le rejet de toute mesquinerie, la juste rétribution de l'effort, la convivialité, le mécénat, et le mépris de la valeur matérielle suprême : l'argent.

- la tempérance, qui est la plus belle des vertus chevaleresques : la frugalité, l'équanimité, la justice.

- la loyauté, qui permet de savoir à qui l'on s'adresse, et qui n'est pas que la fidélité à un supérieur ou à un modèle, mais qui est aussi le sens de l'engagement personnel, la bonne foi dans le contrat, la parole donnée.

Sur les quatre, deux supposent de faire : la prouesse et la prodigalité. Les deux autres sont basées sur l'abstinence, ne pas se montrer glouton ni injuste, ne pas être fourbe : la tempérance et la loyauté.

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07/12/2008

Le césarisme est en marche.

Eh bien oui : il paraît que les hôpitaux français abusent des césariennes ;-p

Au fait, savez-vous que dans le nom du fondateur de l'empire romain, César est un surnom ? Son nom s'articulait en effet en trois mots : Caius (prénom) Iulius (nom de famille) Caesar (surnom lié au fait qu'il était né par césarienne, sur le participe caesus qui veut dire coupé si ma mémoire est bonne).

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24/11/2008

L'entreprise citoyenne.

Dans les années 1990, l'expression "entreprise citoyenne" a fleuri. Ce fut non pas une tarte à la crème, mais un sujet récurrent. L'idée centrale du concept est d'associer l'entreprise et l'éthique. Il s'agit d'éthique sociale comme d'éthique environnementale. Ce concept assez large survit et s'épanouit, jusqu'à fonctionner par antiphrase.

Pourtant, il existe une vraie catégorie d'entreprises responsables qui combinent les diverses éthiques que l'on peut rattacher à l'entreprise citoyenne : celles de l'économie sociale et solidaire dont il est question dans l'excellente note d'hier soir de Quitterie Delmas.

18/11/2008

L'envahissement de la vie par la fonction élective.

À la suite des notes de Quitterie, de Guillaume, de l'Hérétique, de Quitterie encore, je voudrais préciser un point.

J'ai rebondi sur le facteur psychologique évoqué par Quitterie dans sa première note, celle d'hier soir, parce qu'elle avait raison de souligner l'extravagante pression qu'exerce la politique sur ses acteurs. Il ne s'agit pas d'excuser un individu qui semble avoir agi dans un état de démence (mais adhérer à l'UMP n'est-il pas déjà un signe de démence ? OK je blague). Il a perdu la tête (Ira furor brevis est) et sa folie a fait une victime morte et aux moins deux vivantes : les enfants de la morte.

J'ai rebondi sur le rappel fait par Quitterie de la pression psychologique, parce qu'on n'en parle jamais et que c'est un fait très fort, très présent. Ségolène Royal, dans le livre post-présidentielle, rappelait qu'en 1974, il a fallu près d'un an à François Mitterrand pour pouvoir de nouveau s'exprimer en public. En 1988, ce fut Chirac qui, durant des mois, tituba, groggy par sa défaite, cherchant une rampe où s'appuyer. Et chacun a constaté que François Bayrou a été sonné pendant plusieurs mois après le brutal sevrage qu'a constitué son arrêt au premier tour.

Un ex-conseiller de Paris UDF (devenu MoDem), que je connais bien, m'a confié, dans le courant du printemps 2008, après les municipales, qu'il éprouvait ce sentiment de vide depuis quelques semaines qu'il n'était plus élu au conseil de Paris. Il était pourtant encore conseiller régional...

Il y a donc bien un facteur psychologique négligé. Sans doute cet homme avait-il une prédisposition à commettre les actes qu'il a commis, mais d'autres l'ont aussi, qui ne les commettent pas. La situation crée peut-être l'ouverture, le passage, qui projette l'homme encore sain dans la démence.

Je suis désolé de dire que, de mon point de vue, sous réserve d'info supplémentaire, cet homme n'est pas coupable. Il ne suffit pas qu'il y ait une victime pour qu'il y ait un coupable.

Cela étant, on aurait sans doute pu épargner à la victime la minute solennelle de silence, qui ressemble un peu à une autoabsolution du monde politique. Larmes de crocodile.

08/10/2008

Le retour des services publics.

La logique de privatisation qui prévalait depuis 20 à 30 ans était fondée sur l'idée que la création des grands services publics, dans l'après-guerre, avait été subie par l'occident pour résister à la pression du modèle soviétique sur nos peuples. On va redécouvrir que la création de la SNCF, la modernisation de la poste, l'invention des organismes de sécurité sociale, tout cela avait matérialisé la conclusion tirée par les penseurs des causes de la crise de 1929 et des remèdes à y apporter.

En d'autres termes, l'existence des services publics n'est pas un facteur dogmatique, mais une nécessité pour le bon fonctionnement de l'économie de marché.

Dans ces conditions, il fauit d'urgence réclamer un moratoire sur les privatisations en Europe.

23/09/2008

Le monde en quête d'un modèle global.

La France a eu un modèle : jacobin (c'est-à-dire centraliste), autoritaire, colbertiste. Ce modèle ne résiste pas à la construction européenne, qui chemine vers un hybride à base de modèle fédéral allemand. Aujourd'hui, cependant, cemodèle n'est pas mort : c'est la Chine qui l'incarne et qui le défend. J'entends d'ici les hurlements de mes lecteurs effarés : "Comment, la Chine !? cette odieuse tyrannie !" C'est que le modèle français n'est pas que démocratique.

Quoi qu'il en soit, le fait que ce soit la Chine qui défende cet aspect de la tradition française n'est pas étranger à la pénétration de ce grand pays sur les terres africaines : il y retrouve des références connues.

Plusieurs leaders historiques de la révolution chinoise de l'époque maoïste avaient fait leurs études en France, ou y avaient séjourné longtemps dans leur jeunesse. C'était le cas en particulier de Tchou-en-Laï, ministre des Affaires Étrangères de Mao. Leur imprégnation parisienne rejaillissait sur leur conception institutionnelle et quelque chose en survit qui fait que le modèle français (dont on connaît la capacité à procurer de la stabilité et de la paix civile) se prolonge paradoxalement dans le modèle chinois.

C'était d'ailleurs aussi le cas dans l'Union Soviétique. Que l'on ne croie pas que j'en sois nostalgique, puisqu'il s'agissait d'un régime authnetiquement liberticide, mais on doit reconnaître que certains principes éminemment français, tels que la laïcité, ont profondément régressé depuis la chute du Mur.

Face au modèle français, il y a toujours eu le modèle britannique. Aujourd'hui, c'est le modèle américain. Il sert de modèle global.

En effet ce monde de violence, de terrorisme endémique, de cruauté, d'inégalité croissante, de bigoterie vénale, c'est l'Amérique, ce sont les défauts de l'Amérique dilatés à l'échelle de l'espèce humaine.

Il a d'autres avantages, reconnaissons-le, notamment en matière de liberté individuelle, de liberté d'expression, mais ces avantages sont chaque jour battus en brêche par une idéologie sécuritaire de plus en plus dangereuse, qui se répand des États-Unis au reste du monde, même à l'Europe.

Entre ces deux modèles, emplis de défauts mais riches de qualités, d'autres émergent, qui peut-être permettront de trouver des synthèses de paix civile, de laïcité, d'équité. On peut rêver.

24/06/2008

Sommes-nous capables de vivre ensemble ?

Tout le monde développé est habité de la même hantise : le monde d'en bas, le monde des pauvres, veut venir chez lui, veut habiter avec lui. Le deuxième monde, celui qu'on a longtemps qualifié de tiers, veut vivre avec le premier, ensemble.
 
Et nous, le premier, les gens d'en haut, confortables apparemment, nous ne cessons de bâtir et rebâtir des frontières illusoires sur le Rio Grande ou sur les rives de la Méditerranée.
 
Pourtant, lorsqu'il s'agit d'exploiter les richesses du sous-sol d'en bas, nous sommes pour l'ouverture des frontières à tous les vents. Mais dès que les gens d'en bas veulent prendre leur part de notre expansion, dès qu'ils veulent à leur tour exploiter notre richesse, nous fermons les volets. Attention à vos doigts. Aïe.
 
"Directive de la honte", "camps de rétention" (rien que ce mot de "camps" est insoutenable) sont l'écho des miradors, des milices, des murs de barbelés, qui hérissent la frontière sud des États-Unis. Nous sommes assis sur le même magot. Na. Chacun chez soi.
 
Alors dans ce monde triste, pas d'espoir ?
 
Mais si.
 
Il y a notre volonté, celle des citoyens, celle des associations comme RESF, tout cela qui édifie en ce moment un monde nouveau, tout cela qui chuchote dans le dos des acariâtres et des cruels : "Ne vous en faites pas : on va le faire, on va vivre ensemble" dans ce monde nouveau.
 
Et alors, la vie est plus belle. 

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17/07/2007

Société mécaniste, société humaniste.

Si l’on compare Balzac à Zola, on rencontre vite la différence qui sépare leur analyse de la société humaine. Qu’on ne s’y trompe pas : Balzac et Zola partagent une vision pessimiste des choses ; pour l’un, le moteur de l’activité humaine est l’intérêt, parfois corrigé par la passion ; pour l’autre, il ne s’agit plus de l’intérêt, notion intellectualisée et raisonnable, en tout cas du domaine de l’esprit, mais bien plus de l’appétit, notion parfaitement organique, dictée par la loi de la chair et de son fonctionnement.

Quand Zola évoque le « ventre » de Paris, c’est bien à cet appétit parfaitement physiologique qu’il songe.

Victor Hugo anthropomorphisait les vertus, les vagues de l’océan, conférait une âme aux choses dont il faisait des gens, tout événement devenait destin, résultat d’une intention métaphysique ; Zola, lui, rappelle que tout obéit à la logique de l’organe, qui est la face non point inerte mais sans âme de la vie. La société devient ainsi le corps social, un ensemble d’organes qui forment autant de rouages d’une véritable mécanique. Un mouvement collectif, inexorable, sans intention motrice.

La conséquence de cette vision (qui est celle des marxistes in fine) est que l’individu se définit par sa position dans un diagramme, il participe à une digestion collective du présent au service d’un futur qui obéit aux lois des organismes vivants : l’expansion du groupe, la conquête, l’édification de la fourmilière, de la ruche, le bourdonnement, le tentacule agressif de la ronce qui va marcotter, du pommier qui va drageonner, du palétuvier dans la mangrove ou du figuier dans la prairie. Le fruit de l’arbre n’est qu’un instrument de l’expansion de l’espèce.

Dès lors, gouverné par une loi immense, l’individu n’est plus libre, sa vie n’est qu’un pion d’une stratégie colossale qui, du protozoaire aux colonies d’insectes, vise toujours à un progrès qui n’a rien ni de noble ni d’idéal, mais seulement une logique de pouvoir d’une fraction de la matière sur le tout.

Ces théories mécanistes ont irrigué le Vingtième siècle ; elles ont apporté parfois des innovations fructueuses, notamment dans l’étude de l’Histoire : l’école des Annales en est un bon exemple, qui a permis de comprendre par des flux de long terme et des mouvements de profondeur certains aspects de l’aventure humaine qui échappaient jusque-là à l’intelligence.

Elles ont en revanche eu le grave inconvénient de réduire l’être humain à ses fonctions organiques (production quantitative, consommation) et elles ont inspiré toutes sortes de fonctionnalismes minimalistes qui ont abouti à l’oppression de l’individu par son environnement matériel (sans parler bien sûr des dérives totalitaires).

Oublier la liberté de l’individu est le premier des chemins qui mènent aux sottises racistes et xénophobes. Considérer la personne comme branche indistincte d’un arbre gouverné par la logique de son tronc aboutit à Auschwitz.

C’est pourquoi le retour de la liberté de l’individu, que nous avons cru constater pendant les deux ou trois dernières décennies, avait d’infinies qualités et portait d’inestimables espoirs.

Hélas, la voici de nouveau combattue avec efficacité par deux ennemis aussi redoutables l’un que l’autre.

Le premier de ces adversaires est le productivisme : toujours plus, joint au plus vieux défaut de l’homme en société : l’instinct léonin du contrôle des masses au service d’un oligopole économique. Je pense, en écrivant ces mots, à la dernière campagne présidentielle, à la crétinisation militante qui s’y est déployée, à la régression (voire à la répression) de l’idéal de circulation de l’information et du savoir né de la Révolution française. Le libéralisme des échanges, la logique du marché, ce sont des notions parfaitement humaines, obéissant à des impulsions spirituelles autant que matérielles, c’est la vie ; mais le dérèglement du marché par des outils manipulatoires et politiques revient à une vision purement mécaniste et quantitative de l’être humain. D’ailleurs, et pour invoquer un autre slogan de la récente élection présidentielle, dire « travailler plus pour gagner plus », c’est invoquer une logique de bête de somme, où la valeur du travail est sa quantité, alors que tout l’effort de notre civilisation consiste à accorder plus de valeur ajoutée à la qualité du travail qu’à sa quantité. La conception mécaniste produit donc une régression historique.

L’autre adversaire de l’humanisme est rigoureusement symétrique du premier : c’est celui qui vise à incarner partout, autant que possible, une nature sans être humain, l’humain étant par essence contraire à la nature ; or cette dernière proposition est fausse : opposer nature à culture fut même la plus dangereuse erreur du rousseauisme, celle qui a produit les effets les plus meurtriers des totalitarismes.

Ce conflit nature/culture revient paradoxalement à une vision organique et donc mécaniste de la nature donc de l’être humain, vision mécaniste dont je crois avoir démontré les risques profonds.

La création d’espaces naturels côtiers me semble ainsi excessif. Il y a un moyen terme entre les barres de béton telles qu’on en voit à La Baule par exemple, et la pointe du Raz, ici, en Bretagne, où l’on a été jusqu’à raser un hôtel modeste et vétéran pour restituer enfin une mythique nature sans intrusion humaine, l’humain étant ici, comme dans la religion, l’impur absolu.

Au fond, ces espaces dévitalisés ne sont rien d’autre que la résurrection du patrimoine de l’Église nationalisé en 1789 : une aire « tabou », vouée à l’expiation et à l’humilité, qui ne doit pas être exploitée, ni même utilisée. Créer de la richesse, vivre, c’est mal, c’est fautif. Une conception punitive irrigue certes (et trop) tout le programme des Verts, mais là, on atteint un sommet, qui révèle le substrat religieux de leur doctrine.

On n’y trouve certes pas l’hypothétique Dieu judéo-chrétien, mais on y distingue parfaitement l’ancestrale « mère-nature », la castratrice conservatrice selon laquelle toute innovation est par nature, ontologiquement, mauvaise, pernicieuse, la mère-nature dont il faut respecter le tranquille sommeil.

Sans aller jusqu’à psychanalyser cet avatar de la défense de la nature (qui s’y prête pourtant), j’ai voulu, pour conclure, rappeler que l’humanisme est mon horizon politique, toute activité humaine fait partie des effets de la nature ; domestiquer la nature n’est pas mal en soi, c’est fécond autant pour la nature que pour l’humain, pourvu que l’humain en soit justement l’horizon, en protégeant le vivant ; la même phrase peut être construite en remplaçant domestiquer la nature par produire.
Une idée comme ça, au début de l’été, en considérant l’actualité inquiétante avec un peu de recul. 

17:45 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : politique, littérature, société, écologie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook