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17/07/2007

Société mécaniste, société humaniste.

Si l’on compare Balzac à Zola, on rencontre vite la différence qui sépare leur analyse de la société humaine. Qu’on ne s’y trompe pas : Balzac et Zola partagent une vision pessimiste des choses ; pour l’un, le moteur de l’activité humaine est l’intérêt, parfois corrigé par la passion ; pour l’autre, il ne s’agit plus de l’intérêt, notion intellectualisée et raisonnable, en tout cas du domaine de l’esprit, mais bien plus de l’appétit, notion parfaitement organique, dictée par la loi de la chair et de son fonctionnement.

Quand Zola évoque le « ventre » de Paris, c’est bien à cet appétit parfaitement physiologique qu’il songe.

Victor Hugo anthropomorphisait les vertus, les vagues de l’océan, conférait une âme aux choses dont il faisait des gens, tout événement devenait destin, résultat d’une intention métaphysique ; Zola, lui, rappelle que tout obéit à la logique de l’organe, qui est la face non point inerte mais sans âme de la vie. La société devient ainsi le corps social, un ensemble d’organes qui forment autant de rouages d’une véritable mécanique. Un mouvement collectif, inexorable, sans intention motrice.

La conséquence de cette vision (qui est celle des marxistes in fine) est que l’individu se définit par sa position dans un diagramme, il participe à une digestion collective du présent au service d’un futur qui obéit aux lois des organismes vivants : l’expansion du groupe, la conquête, l’édification de la fourmilière, de la ruche, le bourdonnement, le tentacule agressif de la ronce qui va marcotter, du pommier qui va drageonner, du palétuvier dans la mangrove ou du figuier dans la prairie. Le fruit de l’arbre n’est qu’un instrument de l’expansion de l’espèce.

Dès lors, gouverné par une loi immense, l’individu n’est plus libre, sa vie n’est qu’un pion d’une stratégie colossale qui, du protozoaire aux colonies d’insectes, vise toujours à un progrès qui n’a rien ni de noble ni d’idéal, mais seulement une logique de pouvoir d’une fraction de la matière sur le tout.

Ces théories mécanistes ont irrigué le Vingtième siècle ; elles ont apporté parfois des innovations fructueuses, notamment dans l’étude de l’Histoire : l’école des Annales en est un bon exemple, qui a permis de comprendre par des flux de long terme et des mouvements de profondeur certains aspects de l’aventure humaine qui échappaient jusque-là à l’intelligence.

Elles ont en revanche eu le grave inconvénient de réduire l’être humain à ses fonctions organiques (production quantitative, consommation) et elles ont inspiré toutes sortes de fonctionnalismes minimalistes qui ont abouti à l’oppression de l’individu par son environnement matériel (sans parler bien sûr des dérives totalitaires).

Oublier la liberté de l’individu est le premier des chemins qui mènent aux sottises racistes et xénophobes. Considérer la personne comme branche indistincte d’un arbre gouverné par la logique de son tronc aboutit à Auschwitz.

C’est pourquoi le retour de la liberté de l’individu, que nous avons cru constater pendant les deux ou trois dernières décennies, avait d’infinies qualités et portait d’inestimables espoirs.

Hélas, la voici de nouveau combattue avec efficacité par deux ennemis aussi redoutables l’un que l’autre.

Le premier de ces adversaires est le productivisme : toujours plus, joint au plus vieux défaut de l’homme en société : l’instinct léonin du contrôle des masses au service d’un oligopole économique. Je pense, en écrivant ces mots, à la dernière campagne présidentielle, à la crétinisation militante qui s’y est déployée, à la régression (voire à la répression) de l’idéal de circulation de l’information et du savoir né de la Révolution française. Le libéralisme des échanges, la logique du marché, ce sont des notions parfaitement humaines, obéissant à des impulsions spirituelles autant que matérielles, c’est la vie ; mais le dérèglement du marché par des outils manipulatoires et politiques revient à une vision purement mécaniste et quantitative de l’être humain. D’ailleurs, et pour invoquer un autre slogan de la récente élection présidentielle, dire « travailler plus pour gagner plus », c’est invoquer une logique de bête de somme, où la valeur du travail est sa quantité, alors que tout l’effort de notre civilisation consiste à accorder plus de valeur ajoutée à la qualité du travail qu’à sa quantité. La conception mécaniste produit donc une régression historique.

L’autre adversaire de l’humanisme est rigoureusement symétrique du premier : c’est celui qui vise à incarner partout, autant que possible, une nature sans être humain, l’humain étant par essence contraire à la nature ; or cette dernière proposition est fausse : opposer nature à culture fut même la plus dangereuse erreur du rousseauisme, celle qui a produit les effets les plus meurtriers des totalitarismes.

Ce conflit nature/culture revient paradoxalement à une vision organique et donc mécaniste de la nature donc de l’être humain, vision mécaniste dont je crois avoir démontré les risques profonds.

La création d’espaces naturels côtiers me semble ainsi excessif. Il y a un moyen terme entre les barres de béton telles qu’on en voit à La Baule par exemple, et la pointe du Raz, ici, en Bretagne, où l’on a été jusqu’à raser un hôtel modeste et vétéran pour restituer enfin une mythique nature sans intrusion humaine, l’humain étant ici, comme dans la religion, l’impur absolu.

Au fond, ces espaces dévitalisés ne sont rien d’autre que la résurrection du patrimoine de l’Église nationalisé en 1789 : une aire « tabou », vouée à l’expiation et à l’humilité, qui ne doit pas être exploitée, ni même utilisée. Créer de la richesse, vivre, c’est mal, c’est fautif. Une conception punitive irrigue certes (et trop) tout le programme des Verts, mais là, on atteint un sommet, qui révèle le substrat religieux de leur doctrine.

On n’y trouve certes pas l’hypothétique Dieu judéo-chrétien, mais on y distingue parfaitement l’ancestrale « mère-nature », la castratrice conservatrice selon laquelle toute innovation est par nature, ontologiquement, mauvaise, pernicieuse, la mère-nature dont il faut respecter le tranquille sommeil.

Sans aller jusqu’à psychanalyser cet avatar de la défense de la nature (qui s’y prête pourtant), j’ai voulu, pour conclure, rappeler que l’humanisme est mon horizon politique, toute activité humaine fait partie des effets de la nature ; domestiquer la nature n’est pas mal en soi, c’est fécond autant pour la nature que pour l’humain, pourvu que l’humain en soit justement l’horizon, en protégeant le vivant ; la même phrase peut être construite en remplaçant domestiquer la nature par produire.
Une idée comme ça, au début de l’été, en considérant l’actualité inquiétante avec un peu de recul. 

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16/07/2007

La patrie européenne.

Belle promesse, le passage des oldats des 27 sur les Champs-Élysées.

Double promesse d'ailleurs : la France ne boude plus et, désormais, l'armée se pense à 27, y compris pour les projets de développement militaro-industriel.

Cette promesse sera-t-elle tenue ? L'avenir le dira. 

13/07/2007

Le mécano constitutionnel et la Vie république.



Sarkozy l’ubique s’est déplacé sur les terres du président du Sénat pour lancer sa réforme de la constitution.

La pantomime ridicule à laquelle s’est livré le Parti Socialiste en préambule de cette initiative en a renforcé l’impact et lui a conféré une dimension très solennelle et transpartisane : en critiquant le débauchage d’un constitutionnaliste de gauche par la droite, les éléphantômes en ont fait une tentative réelle de transcendance des courants. Leurs cris d’orfraie auraient mieux fait de s’adresser à la politique économique du gouvernement, qui est un événement bien plus redoutable et important pour les Français que l’éventuelle participation d’un vieil éléphant à un aréopage destiné à amuser la galerie.

Car comme d’habitude, les jeux sont faits d’avance pour le futur comité constitutionnel : Sarkozy lui a rédigé une feuille de route sans grand espace de négociation, d’autant moins que c’est Édouard Balladur qui est supposé en prendre la présidence. On peut d’ailleurs s’étonner au passage qu’il faille toujours trouver des comités constitutionnels pour caser les gloires déchues ; c’était la logique du siège automatique et perpétuel des anciens présidents de la république au Conseil constitutionnel (Vincent Auriol et René Coty en 1958), c’était encore le pupitre de Valéry Giscard d’Estaing pour la rédaction du traité constitutionnel européen, c’est enfin le sépulcre de l’homme qui a augmenté l’endettement extérieur de la France de vingt-cinq pour cent en deux ans entre 1993 et 1995 : Balladur.

Sarkozy a prôné la rupture durant sa campagne ; rupture, on ne savait pas bien avec quoi. Avec Chirac en tout cas. Avec de nombreuses habitudes peut-être. Avec la Ve république ? Cet aspect de son programme m’avait échappé, même si j’avais du mal à y trouver des traces de gaullisme.

En vérité, si l’accentuation de la présidentialisation du régime est l’une des deux possibilités qui se présentaient. Elle n’était pas étrangère à la façon dont Bayrou lui-même envisageait le rééquilibrage des institutions pouvant conduire à une Vie république.

Mais dans le projet Bayrou, il n’existait plus d’article 49-3.

Commençons donc par le commencement : faut-il supprimer le premier ministre ? Si l’on n’évacue pas la responsabilité de l’exécutif, il faut conserver le premier ministre : difficile d’imaginer que le président, élu par le peuple, puisse être renvoyé par le parlement. Donc le premier ministre reste. Mais, le président ayant vocation à s’exprimer une fois par an (comme la reine d’Angleterre et, à l’imitation de celle-ci, le président des Etats-Unis) devant le parlement pour un discours programme, l’aura du premier ministre devrait s’estomper.

Signalons au passage le retour du chef de l’État devant le parlement : ce serait la fin d’un tabou qui date de la IIIe république. Après l’utilisation du référendum pour un plébiscite, pratiquée depuis 1958, ce serait le dernier des piliers de la république militante qui tomberait : depuis 1875, le président n’a pas le droit d’entrer au parlement, bannissement supposé protéger l’indépendance de celui-ci.

Le mythe de l’indépendance du parlement ayant disparu depuis longtemps, il n’y a rien là que de tristement logique et significatif de la réalité des institutions ; sous couvert de réhabilitation du parlement, c’est encore une preuve écrasante de son abaissement.

Une dose de proportionnelle dans chacune des chambres du parlement sera utile surtout à la justice et à la diversité de la représentation nationale, pourvu qu’il s’agisse de proportionnelle dans un cadre régional, interrégional ou national et non dans le cadre départemental qui maintiendrait la prédominance de la bipolarisation.

En revanche, l’implication plus directe du président dans le fait majoritaire et parlementaire est la fin pure et simple de la conception gaullienne de la fonction présidentielle. De surcroît, elle risque d’aboutir à la pérennisation de la bipolarisation encore, en renforçant l’argument utilisé contre Bayrou lors de la récente campagne présidentielle : avec qui gouvernerait-il ?

Eh oui, s’il doit traiter avec le parlement, qui acceptera de travailler avec lui ? C’est en fait modifier la nature de l’élection présidentielle, cette rencontre d’un homme et d’un peuple comme aime à le dire Bayrou, et remettre définitivement le président entre les mains des appareils politiques, qui est à proprement parler ce que de Gaulle lui-même appelait la « république des partis ».

Pour le reste, on avait déjà les apparences du despotisme le plus explicite avec la façon dont Sarkozy affirmait son pouvoir gouverné par l’opportunité, la subjectivité et, disons-le, le caprice, voici que l’on commence à constater ce que l’on nomme des effets de cours dans sa gestion (par ailleurs le seul défaut de la structure centrale du MoDem aussi) : il est plus important et légitime d’être secrétaire général de l’Élysée ou épouse du président de la république que d’être ministre, investi par le parlement, pour négocier publiquement avec les chefs d’États étrangers. Bravo…

Bientôt, le chauffeur du président de la république aura plus de pouvoir que le premier ministre, il n’y aura plus qu’à réinstaller Sarkozy à Versailles (sa femme est déjà à la Lanterne, sur le chemin) et le tour sera joué.

Décidément non, tout ça ne ressemble pas à la Vie république, mais plutôt à une seconde restauration ou à un troisième empire… un empire – en pire !

Si au moins tout cela portait une vertu comptable et financière, on pardonnerait tout ; mais étant donné ce qu’on voit, on ne pardonne rien.

Alors, traçons notre sillon MoDem, il en sortira une bonne récolte un jour ou l’autre. Vive la liberté.

12/07/2007

Lit-on encore « 1984 » d’Orwell ?

Atteindre et traverser l’année 1984 fut pour ceux qui avaient auparavant lu le livre de George Orwell « 1984 » un soulagement : il semblait que les horribles prédictions de l’auteur anglais s’éloignassent et que leur idée même fût éradiquée d’un monde occidental où la liberté individuelle définissait la différence même de ce « monde libre » et du monde manifestement captif que constituait le bloc de l’Est.

« 1984 », c’était le monde soviétique ; nous, nous nagions dans la liberté et nous étions à jamais vaccinés contre les tentations totalitaires gouvernant l’intimité la plus étroite de nos vies par des flots d’images interactives. Qui plus est, le libertarisme instinctif de la génération de mai 1968 semblait un gardien vigilant et jaloux contre toutes les divagations de nos appareils de police et de pouvoir.

Or nous y voici.

« 1984 », c’est aujourd’hui, ou plutôt demain matin : multiplication des caméras dans les rues et dans les bureaux, contrôle accru d’Internet d’ailleurs noyauté par des mécanismes infiniment subreptices : le scannage pluriquotidien d’Internet permet d’y réinjecter du venin sous une forme particulièrement insidieuse comme l’a démontré avec grande efficacité la récente campagne présidentielle française, bref, avec les téléphones portables repérables à tout instant, le wifi qui fait qu’aucun ordinateur équipé d’une carte Airport ou équivalente n’est plus jamais vraiment déconnecté de la toile, la télévision qui devient de plus en plus télévicieuse et érige l’indiscrétion en idéal d’existence et l’exhibitionnisme en instrument de gloire, il est évident que « 1984 » est juste devant nous.

À ma génération, on le lisait à l’école, au collège. Que font aujourd’hui les plus jeunes ? On leur en souhaite autant.

Sinon, il ne leur reste plus qu’à revoir le DVD « V pour Vendetta », redoutable antidote.

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11/07/2007

L’Euro a besoin du MoDem.

Placer un fabiusien (Didier Migaud) à la tête de la commission des finances de l’Assemblée Nationale, on s’en aperçoit, n’avait rien d’anodin pour Sarkozy : c’est une syllabe supplémentaire de son double langage européen.

En effet, Sarkozy l’Européen, qui invite les troupes des vingt-sept États membres de l’Union européenne à défiler le 14 juillet sur les Champs-Élysées, est aussi celui qui, par sa folle politique budgétaire, met l’Euro en péril à la plus grande satisfaction de Migaud et des amis de Fabius.

Or s’il est vrai que le cours stratosphérique de l’Euro pénalise à court terme les exportations l’Union européenne, il est vrai aussi que la ligne de conduite de la Banque centrale européenne (BCE) est conforme au traité de Maestricht ; en fait, l’Euro fort, progressivement, prend sa place comme monnaie de référence et tel était le but de sa création : inventer une monnaie capable de rivaliser avec le dollar comme unité de réserve.

Les échos que j’ai de voyageurs de l’Orient extrême attestent que la grande régularité de la monnaie européenne, sa solidité et sa prévisibilité, qui font d’elle un véritable Franc Suisse ou, disons-le, un véritable Deutschemark, poussent d’année en année les banques lointaines et les entreprises tournées vers la thésaurisation à accumuler de l’Euro, de préférence sous forme de gros billets.

C’est ainsi que, peu à peu, l’économie mondiale des devises s’organise conformément à l’adage des historiens de la monnaie qui veut que « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». La mauvaise monnaie, celle qui circule, pleine de fausses coupures, grevée d’une politique publique opportuniste, c’est le dollar ; la bonne monnaie, celle que l’on aime voir dormir dans les coffres-forts, c’est l’Euro.

Bien sûr, je force le trait : on adore partout entasser des dollars. Mais, jour après jour, le respect de l’Euro augmente et rogne l’image que l’on a du dollar.

Par conséquent, il ne fait aucun doute qu’à terme, la ligne de l’Euro fort sera féconde.

En attendant, elle ne pénalise que les économies qui manquent de rigueur. La vertueuse économie allemande n’est pas handicapée par l’Euro fort ; et pourtant, elle vit au moins autant que la nôtre de ses exportations hors d’Europe.

Est-il vrai qu’Airbus soit grevé par la force de l’Euro ? Moins que Sarkozy ne le prétend. Et on voit bien que ses amitiés sont là plus atlantistes qu’européennes. Le fait que Dassault soit partie prenante dans le nouveau Boeing pèse sans doute plus que la part de Lagardère dans Airbus. Sarkozy hiérarchise ses sympathies.

Du reste, l’Euro, Airbus, il commence à accumuler les points de contentieux avec l’Allemagne.

Ne soyons donc pas dupes de ses mielleuses rodomontades européennes : il ne vit que par l’esbroufe. Le jour où la réalité le rattrapera, l’Euro aura deux fois plus besoin encore de nous, le MoDem.

10/07/2007

En relisant « L’argent » de Zola.

En relisant « l’argent », l’un des épisodes de la saga des « Rougon-Macquart », deux ou trois idées me frappent.

Tout d’abord, ce roman de la vie financière et de ses implications politiques de toutes natures est celui de l’illusion que la financiarisation de l’économie puisse faire émerger la rémunération au mérite, soit travailler plus (ou mieux) pour gagner plus.

L’idée est simple : la création des consortiums, des grands groupes qui euthanasient peu à peu les petits, aboutit à une logique de « syndicats » d’intérêts. Coalitions égalitaires d’entreprises moyennes, ces syndicats reposent sur une logique de répartition des gains. On pense évidemment aux coopératives ou aux Groupements d’Intérêt économique (GIE), mais il faut aussi songer aux oligopoles, qui en forment la face sombre éludée par Zola. Car il oublie que l’hyperconcentration de l’économie peut aboutir à de nouvelles formes de verticalité absolument identiques aux anciennes, comme le montre notre époque.

Zola énonce en fait le rêve d’une mutualisation de l’économie et, selon son idée, la dépersonnalisation de l’autorité de production à laquelle aboutit la financiarisation est un chemin efficace vers un monde où la totalité du revenu de l’entreprise est affecté soit à l’investissement productif, soit à la rémunération du travail « en proportion des efforts de chacun », soit une salarisation en fonction de la quantité de travail fournie (avec évidemment l’éternelle question de la prise en compte de la qualité autant que de la quantité).

Ensuite, seconde idée, le lien que Zola établit avec la création, alors récente, de « l’association internationale des travailleurs », mieux connue sous le raccourci d’« Internationale », conduit nécessairement à un transfert de pouvoirs des rentiers (les adversaires qu’il combat) vers les associations de travailleurs, qu’on a dénommées en d’autres époques les corporations.

Et c’est bien là, dès ce XIXe siècle sans doute, qu’il faut rechercher la tendance corporatiste de la gauche travailliste française, dans l’énoncé même de ses principes fondateurs tels que Zola les retranscrit.

En fait, il mélange le principe syndical de représentation des travailleurs dans les négociations sociales et le principe politique d’organisation de la production. Encore une fois, il y a là un trait caractéristique central de la gauche historique française.

Seulement, on voit bien que le concept d’associations de travailleurs pour la production et la commercialisation, s’il contient l’idée des mutuelles, plutôt efficaces en matière d’assurances, porte aussi l’inconvénient de toutes les formes de corporations : le conservatisme et l’oppression de l’individu par le groupe.

Le conservatisme est le défaut patent du syndicalisme à la Française. Et on voit bien pourquoi : il ne fait que reproduire le mécanisme des corporations d’Ancien Régime contre lesquelles entre autres s’est faite la Révolution française : toute innovation remet en cause un  équilibre et donc un pouvoir.

L’oppression de l’individu par le groupe est si évidente parfois que je ne m’étends pas sur ce sujet. N’oublions pas que le vrai ennemi, en matière économique comme en matière politique, est le réflexe léonin.

Quoiqu’il en soit, au milieu d’une époque charnière pour la société économique mondiale, à un moment où il apparaît que la financiarisation gagne toutes les structures de production avec de lourds inconvénients pour le tissu humain, il faut relire d’urgence « L’argent » pour comprendre d’où les erreurs sont parties, quels étaient les objectifs généreux poursuivis, pour comparer ces idées avec celles de Victor Hugo et se rappeler qu’un mot manque absolument au vocabulaire de Zola alors qu’il irrigue toute l’œuvre d’Hugo : le mot « liberté ».


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07/07/2007

L’inépuisable affaire “Clearstream“.

Il faut ici rappeler la scandaleuse persécution que subit le journaliste Denis Robert, initiateur de l’appel de Genève qui a lancé une campagne solennelle de juges européens contre les systèmes mafieux et contre la corruption.

L’incroyable acharnement qu’il subit de la part de certaines administrations laisse profondément perplexe sur les liens que l’on accuse parfois une partie de nos dirigeants politiques et administratifs d’entretenir avec des réseaux criminels.

Quoiqu’il en soit, c’est bien Denis Robert qui a le premier formulé l’hypothèse que Clearstream, un organisme luxembourgeois de compensation entre établissements bancaires, pourrait couvrir sciemment le blanchiment d’argent frauduleux auquel ses mécanismes financiers seraient employés.

Passons sur l’éventualité que cette même méthode puisse servir aussi aux services secrets de tous bords, ce qui expliquerait une partie de l’animosité de nos hautes sphères, et concentrons-nous sur l’invraisemblable feuilleton politique qu’évoque le nom de Clearstream.

La première période est un Feydeau : accusations mensongères, cris d’orfraie de l’accusé qui a préparé sa contre-attaque à une machination puérile qu’il a éventée dès son origine, portes qui claquent, beaucoup de vent dans les médias, coups de théâtre minuscules indéfiniment montés en épingle, le tout sur fond d’un document qui, dès le premier regard, s’avère un faux grossier.

Le comble du ridicule et de la honte pour notre pays est le moment où les deux principaux membres du gouvernement sont sur le point de se traîner mutuellement en justice et où personne, jamais, ne démissionne, où le parlement, inutile comme d’habitude, se contente de rester spectateur d’une bataille de chiffonniers dégradante.

Puis l’accusation tombant d’elle-même, ne reste que le processus de l’arroseur arrosé : dans la course à l’élection présidentielle de 2007, Dominique de Villepin est accusé d’avoir fomenté de toutes pièces la calomnie contre l’actuel président Sarkozy, alors son compétiteur.

Alors commence une phase plus souterraine, non moins redoutable, où la justice s’acharne contre l’équipe de Villepin, espions distraits, faussaires maladroits, entrepreneurs mythomanes, bref, une sorte de parodie burlesque et grinçante, quelque chose entre Arsène Lupin et Fantômas, jouée par les Branquignols.

Puis, dans la période récente, d’autres perquisitions spectaculaires, au “Canard enchaîné“ notamment (où l’on ne peut s’empêcher de trouver étrange l’obstination de la justice à mettre la main sur les fichiers incriminés de Clearstream), et enfin chez Villepin encore, contraint d’interrompre ses vacances pour venir assister aux investigations des enquêteurs parce qu’on a trouvé chez l’invraisemblable général Rondot de nouvelles preuves mystérieusement gravées dans le disque dur de son ordinateur.

C’est ainsi que l’on voit un Chirac très tendu se présenter à l’église non loin de Nicolas Sarkozy pour s’incliner sur la dépouille mortelle de Claude Pompidou.

06/07/2007

Bretagne : le centre à reconstruire.


Longtemps, le centre fut incarné en Bretagne par Pierre Méhaignerie, le maire de Vitré.

C’était alors, pour le centre, le temps des héritiers : Méhaignerie fils et successeur de son père, Barrot fils et successeur de son père, Bosson fils et successeur de son père, Baudis fils et successeur de son père, et combien d’autres.

Tous ces héritiers sont depuis lors passés à l’UMP.

Méhaignerie, lorsqu’il dirigeait la formation centriste (CDS) dans l’UDF, s’employait à noyauter la Bretagne. Le résultat de ses efforts fut … la disparition progressive du centre de la carte électorale bretonne, sauf dans son propre département, l’Ille-et-Vilaine où, au contraire, ce furent les gaullistes qui perdirent sans cesse du terrain.

Au moment où Méhaignerie quitta le centre pour passer à droite, le centre était majoritaire à lui seul en Ille-et-Vilaine.

Mais l’addition de ce centre et de la droite dans l’UMP fait qu’aujourd’hui, le département est … à gauche.

Il y a donc beaucoup à reconstruire et une vraie place pour le MoDem.

En vérité, ce qui a perdu Méhaignerie, c’est probablement l’argent, l’affaire de la construction du pont de l’île de Ré quand il était ministre de l’Équipement, et plus encore les curieux flux financiers qu’il a organisés avec l’argent de son parti, qui lui ont valu condamnation par la justice, une condamnation amnistiée avant même son prononcé.

Le côté sympathique du personnage résidait dans son rêve d’inventer une formation politique rien que pour la Bretagne. Il voulait en effet un parti régional, dans la logique agro-catho des héritiers du MRP, sans affiliation à une formation parisienne.

Il n’est pas parvenu à ce résultat, mais a désormais la haute main sur l’UMP bretonne.

Aujourd’hui, il ne reste plus qu’une poignée de députés de cette formation. Deux en Ille-et-Vilaine sont d’anciens centristes : lui-même et le maire de Saint-Malo, René Couanau. Un aussi dans le Morbihan est le vétéran de l’Assemblée Nationale, non le plus ancien mais le plus vieux : Loïc Bouvard, un ancien d’Air France père de six enfants (on dit qu’il ne s’est fait réélire que pour transmettre sa circonscription à un plus jeune UMP plus à droite). Dans le Finistère, les deux députés UMP restants sont plus à droite aussi, comme les autres du Morbihan. Il n’y en a aucun dans les Côtes d’Armor.

En Loire-Atlantique, département de la Bretagne historique, on se rappelle que Michel Hunault vient de passer au Nouveau Centre.

Les résultats électoraux du MoDem ont déçu en général après le beau score réalisé par François Bayrou dans la région. Douze ou treize pour cent ont été ici des scores courants pour des candidats du MoDem. Quelques-uns ont fait moins, comme Isabelle Le Bal à Quimper, d’autres ont brillé plus, comme Michel Canévet, maire et conseiller général, qui atteignait déjà dix-huit et demi lorsque Bayrou culminait à six virgule huit, et qui s’est haussé jusqu’à dix-neuf et demi. Bien entendu, mention spéciale pour Thierry Benoît, l’unique député métropolitain du MoDem hors des Pyérénées-Atlantiques.

Pour les municipales, il faudra trouver de bons candidats mais le terrain est prometteur : nombreuses sont les petites communes où Bayrou est arrivé en tête au premier tour de la présidentielle.

Dans les principales villes, l’électorat du MoDem sera décisif et tout le jeu pour les candidats consistera à coller au plus près de ces électeurs. L’effort ne sera pas toujours faible, en particulier pour une partie des anciens cadres de l’UDF habitués à vivoter comme force d’appoint de l’UMP : ils devront jouer leur carte jusqu’au bout sans tabou et ce sera pour eux une révolution culturelle qu’on leur souhaite de pouvoir assumer.

Il faudra donc leur fournir un outil programmatique simple et puissant, des valeurs fortes à défendre et à incarner.

Nantis de ces calculs et de leur score, ils devraient faire monter une génération nouvelle dans les conseils municipaux et produire un ou deux sénateurs en complément de Philippe Nogrix, à moins que Sarkozy ne réforme l’élection du Sénat d’ici là, mais comme on dit, ceci est une autre histoire.

05/07/2007

Vu de Bretagne.

Vue de Bretagne, l’actualité parisienne est lointaine.

Ici, l’offensive du pouvoir contre les gendarmes prend un tour très local : on ferme deux gendarmeries au motif de leur vétusté.

Bien entendu, le tissu social en souffre : encore des services publics qui désertent la campagne, ces deux postes de gendarmes se trouvaient dans les dernières parties vraiment rurales du Finistère.

On commente aussi le choix du rectorat pour l’implantation de l’IUFM : ce sera Brest et non Quimper. Le grand port militaire n’en finit plus de profiter de la présidence du département pour déshabiller le chef-lieu rival.

Le grand sujet qui a fait la une est surtout la création du parc régional maritime au large des côtes, autour des îles d’Ouessant et de Sein. Repoussée jusqu’après les élections pour ne pas effaroucher une population que l’on croit hostile au projet, cette initiative satisfait les amis de la nature maritime et inquiète tous les autres en menaçant le prix des terrains, une réalité à laquelle on est très sensible sur les côtes où les tarifs commencent à devenir intéressants.

Voilà donc quelques nouvelles d’ici.
 
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04/07/2007

Lefebvre Utile (LU) et parlement inutile (PI).

L’annonce de la vente des biscuiteries LU à un géant américain le jour même du discours d’investiture de François Fillon rappelle que Nicolas Sarkozy a de nombreux cadeaux à faire à ses commanditaires américains.

Il arrive que certains hommes de pouvoir vendent leur âme au diable pour leur carrière mais l’âme que Sarkozy a vendue, c’est la nôtre, celle de la France.

Quoiqu’il en soit, on est forcé de reconnaître que Fillon ne déçoit pas : il est aussi ennuyeux que prévu.

Sa phrase sur le couple présidentiel doit pratiquement être prise au premier degré. D’une part, parce que Fillon a été introduit en politique par Joël Le Theulle, homosexuel très explicite, mais aussi parce que c’est à une véritable démonstration par l’exemple de toutes les théories psychologiques que les deux hommes (Sarkozy et lui) se livrent depuis le 6 mai : tout masochiste cherche son sadique, tout sadique cherche son masochiste et les deux se sont incontestablement trouvés, Fillon le masochiste et Sarkozy le sadique.

En témoigne d’ailleurs la facétie qui a consisté à envoyer Fillon faire sa première visite officielle en compagnie du député Christian Vanneste qui a été condamné pour propos homophobes.

Après Sarkozy et Cécilia, Royal et Hollande, voici donc le troisième couple diabolique de l’année : Sarkozy et Fillon. Astiquez vos cuirs et vos latex.

Au milieu de cette danse des sept voiles, François Bayrou, le pouce gauche toujours dans le plâtre, a paru s’ennuyer ferme lors de la séance du vote d’investiture. La couverture de sa présence par la télévision a été sans surprise non plus : nulle.

Qu’a-t-il fait ? Qu’a-t-il voté ? Pas un mot. Ses sept millions d’électeurs jugeront.

On a en revanche revu l’inénarrable Maurice Leroy, toujours aussi inspiré, expliquer avec son aplomb habituel que le premier ministre a été désigné pour appliquer la politique pour laquelle sa majorité a été élue.

Il ne cherche pas à être bien noté par le petit président de la république inspirateur universel de toutes les politiques, celui-là. Sans doute pour tenter de garder notre sympathie mais c’est curieux, quand il parle, je n’ai plus envie de rire, c’est comme pour Santini, quelque chose ne passe pas.

Hollande, lui, m’a piqué mon mot : omniprésident. J’aurais dû le déposer à l’INPI.

Oh, je les plains, les députés. Ils n’ont jamais été aussi factices, jamais aussi réduits à leur fonction de super-élu local. Le parlement est élu pour obéir, ils le savent. Peut-on monter au calvaire sans pleurer ?

Les grands groupes financiers, eux, se frottent les mains : ils s’apprêtent à traire le PI. La France est bien leur vache à lait.

La préparation de la naissance du MoDem devrait nous consoler. Espérons.

01/07/2007

Jean-Luc Moudenc : comment ne pas perdre la mairie de Toulouse.

Jean-Luc Moudenc est issu d’un milieu modeste. Lorsque j’ai fait sa connaissance, en 1986, il résidait à Toulouse, chemin de Ramelet-Moundi, Les Toulousains jugeront.

Il a adhéré au Centre des Démocrates Sociaux en 1977. Il était alors âgé de seize ou dix-sept ans.

Ce parti avait été créé l’année précédente par la réunion du Centre Démocrate de Jean Lecanuet et du Centre Démocratie et Progrès (CDP) de Jacques Duhamel. Le CDP était issu d’une fraction du Centre Démocrate (essentiellement des parlementaires) qui, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1969, avait rejoint le camp de Georges Pompidou contre le propre candidat du Centre Démocrate, Alain Poher.

Lecanuet, qui avait entre-temps tenté l’aventure du Mouvement Réformateur avec les Radicaux de Jean-Jacques Servan Schreiber, avait pris en 1976 la présidence du nouveau parti et prendrait celle du nouveau conglomérat englobant aussi les Radicaux, les Sociaux-Démocrates et les Républicains Indépendants, l’année suivante : ce serait l’Union pour la Démocratie Française (UDF).

Lorsque j’ai fait sa connaissance, dans l’été 1986 donc, en Ardèche lors d’une Université d’Été, Jean-Luc Moudenc était déjà silencieux et compassé comme un cardinal. Il adoptait le ton qui fait qu’on le croit toujours à mi-voix. Ce qui frappait en lui était son nez.

On pouvait croire que Rostand avait écrit sa pièce Cyrano pour lui. Son appendice nasal le précédait partout de très loin.

Nanti de cette excroissance, Moudenc promenait son sourire sénatorial et sa silhouette calme au milieu d’une escouade de ses jeunes, dans une atmosphère très gaie et plutôt folle.

Doué pour les conquêtes de structure, il s’était constitué un réseau d’amis et d’affidés en prenant le contrôle de la mutuelle toulousaine des étudiants de droite et du centre. Il s’agissait du système SME-, concurrent minoritaire de la puissante MNEF.

Les SME, contrairement à la MNEF, formaient un réseau d’entités indépendantes regroupées selon un principe confédéral : le vrai pouvoir y était local. Je me souviens de la SMEREP, la mienne, celle des étudiants parisiens, mais on connaissait aussi la SMEBA, la SMESO etc.

À travers sa SME, il bénéficiait donc d’une logistique et d’une hiérarchie capable de détecter et de fidéliser des militants.

En 1984, Moudenc avait rencontré un jeune chirurgien, Philippe Douste-Blazy, qui faisait partie des talents prometteurs du jeune centre toulousain.

La ville était tenue par le vieux Pierre Baudis. Lorsque je notais que c’était un centriste presque historique, puisqu’il gouvernait sous cette étiquette dans les années 1960, Jean-Luc me corrigeait : Baudis roulait pour le centre républicain, et non pour le centre démocrate, et cette nuance changeait tout, car sous-entendu dans démocrate, il fallait lire démocrate-chrétien. Jean-Luc Moudenc s’épanouissait dans un milieu démocrate-chrétien, forcément minoritaire dans une ville longtemps marquée par le radicalisme.

En 1986, au congrès de Metz, nous élûmes notre bureau national des jeunes centristes (JDS). Deux listes se confrontaient : l’une, conduite par Éric Azière qui aujourd’hui gère les investitures pour Bayrou, l’autre menée par un autre Toulousain, Jean-Luc Forget, celui-là même qui vient de se présenter  sous l’étiquette MoDem contre Moudenc aux législatives toulousaines.

Sans figurer sur la liste d’Azière, j’y étais affilié, car il avait été prévu que je prendrais les fonctions du permanent de la structure sous la casquette de Délégué général national.

Il devint assez vite évident que nous allions gagner. Que non seulement nous allions gagner, mais que notre victoire serait écrasante (elle l’a été : 83%).

C’est alors que l’unique député jeune du parti, un certain François Bayrou, est intervenu auprès de nous : il ne supportait pas que, alors que nous militions tous dans le même mouvement, défendant les mêmes idées, nous puissions en venir à l’affrontement du suffrage. Il voulait DÉJÀ faire travailler ensemble des gens qui s’opposaient les uns aux autres.

Il demandait donc que nous fusionnassions les deux listes en une seule.

Le nombre de candidats était fixe et le scrutin prévoyait la victoire entière d’une liste bloquée. Autrement dit, Bayrou voyait juste : si nous voulions intégrer les autres à nos travaux, il fallait le faire avant le vote car après, ce serait trop tard.

Seulement le nombre de candidats sur chaque liste était limité et pour faire entrer l’un d’eux, il fallait aussi que l’un des nôtres s’effaçât. Et logiquement, puisque la tête de l’autre liste était toulousaine, il fallait que ce fût notre Toulousain qui lui cédât la place.

Jean-Luc Moudenc se retrouvait donc sur la sellette.

Les amis d’Azière se réunirent, votèrent, et décidèrent de maintenir leur liste telle quelle, de rester solidaire et d’aller au vote. C’était un signe d’amitié pour Moudenc.

Et c’est ainsi que j’ai fait partie de la même équipe de jeunes que lui pendant plusieurs années.

Lorsqu’Éric Azière, atteint par la limite d’âge, dut se retirer en 1991, je participai à diverses réunions qui précédèrent la candidature de Jean-Luc à la présidence des jeunes centristes, sans d’ailleurs m’y impliquer trop ouvertement en raison de la situation interne de la fédération de Paris : le candidat adverse de Moudenc n’était autre que Jean-Manuel Hue, aujourd’hui adjoint au maire du XVe arrondissement de Paris et alors président des jeunes centristes parisiens (j’étais son vice-président).

Jean-Luc Moudenc fut élu et cette position lui permit d’affermir ses bases toulousaines : il devint conseiller général, l’un des adjoints en vue de Baudis.

Il se présentait comme un conseiller très proche de celui-ci. Lors de la campagne européenne de 1994, Baudis codirigeait la liste d’union UDF-RPR avec Hélène Carrère d’Encausse.

Un hasard m’a amené à postuler pour rendre service à l’équipe de campagne et Jean-Luc, qui était le collaborateur politique attitré de Baudis, ne manqua pas l’occasion de me renvoyer l’ascenseur du soutien que je lui avais exprimé trois ans plus tôt.

Je devins ainsi le chef ( !) de l’équipe qui répondait au courrier reçu par les candidats.

C’était un poste politique, assez en vue, un geste élégant de sa part.

J’avais d’ailleurs une bonne image de Baudis, dont la belle-sœur et assistante parlementaire avait été une de mes chaleureuses relations à l’époque où j’avais moi-même été assistant.

Je m’engageai donc à fond dans cette campagne en oubliant qu’elle souffrait de la proximité avec la prochaine présidentielle. Et je fus reconnaissant envers Jean-Luc, dont je n’oublie pas la fidélité.

Quoiqu’il en fût, je mesurais tout ce qu’il faisait pour Baudis.

Il avait aussi contribué à l’élection de son ami Douste-Blazy à la mairie de Lourdes. L’un des jeunes toulousains, Thierry Dupuis, s’était même retrouvé chef de cabinet de Douste. Au moment d’une sombre affaire de parking et de pots de vin, Thierry Dupuis, que je connaissais bien et qui, c’est vrai, avait toujours été sujet à des états d’âme, fut retrouvé mort, et l’enquête conclut qu’il s’était suicidé d’un coup de fusil de chasse.

On sait quelles ont été les autres raisons qui ont poussé Douste à quitter Lourdes pour revenir à Toulouse ; la première de celles-ci était le départ de Baudis, empêtré dans une sombre histoire par des accusations lancées par une prostituée, histoire à laquelle j’avoue n’avoir pas cru un instant étant donné d’autres échos que j’avais sur Baudis.

Bref, Baudis partant, il lui fallait un remplaçant, Douste ne se sentait plus bien à Lourdes, ville d’ailleurs petite pour ses vastes appétits, et hantée par un personnage dérangé dont l’obsession consistait à lui planter un poignard entre les omoplates pour une raison qu’on a toujours ignorée.

Douste se voyait bien à Toulouse et Moudenc fut l’artisan de l’opération.

Il y gagna encore en influence locale.

Et quand Douste-Blazy, ministre, dut démissionner, Moudenc devint maire.

Je l’ai croisé pendant la récente campagne présidentielle, sur le point de rencontrer Bayrou. Il m’a paru figé, imprégné par la solennité, le copain s’effaçait derrière le magistrat municipal. Il est devenu une personnalité et se conduit comme tel. La fonction fait l’homme.

Il me confia alors le bonheur que représentait pour lui l’exercice de ce mandat de maire, pour lui, l’enfant d’une famille modeste.

Il ajouta que, désormais, son plus grand rêve, c’était de “continuer“.

Mais sur son blog, durant la campagne législative, j’ai lu que lorsqu’un de ses administrés l’interrogeait pour savoir si “en se rasant le matin“ il songeait à devenir ministre, Jean-Luc laissait clairement paraître son désir d’escalader cette marche-là.

Encore aurait-il fallu qu’il devînt député.

Or dans cette ville, Toulouse, Toulouse qui a longtemps voté à gauche aux présidentielles et qui tolérait que Baudis se fût rapproché de la droite parce que c’était Baudis, dans cette ville, donc, la gauche est redevenue majoritaire.

Jean-Luc Moudenc semble ne l’avoir pas compris.

Sa fidélité à l’UMP qu’il a rejointe en abandonnant ses amis centristes est devenue contreproductive.

Il aurait sans doute dû le comprendre avant l’élection. Mais il était si absorbé par l’idée d’empêcher Douste de revenir, qu’il ne l’a pas vu.

Il en sort évidemment affaibli.

On dit même que Baudis voudrait reprendre sa mairie.

Alors ? Quelle autre solution avait-il, Jean-Luc ?

Sans doute se rapprocher de Bayrou. Jouer l’option centriste pour endiguer les deux tentations. Or il n’est pas allé aussi loin.

Résultat : il risque perdre sa ville. Mauvaise pioche. Ce serait dommage pour lui.

29/06/2007

Devedjian traite Comparini de "salope".

Pris par le temps, je glisse seulement le lien avec le blog de Guy Birenbaum qui évoque cette affaire images à l'appui :

http://birenbaum.blog.20minutes.fr/

28/06/2007

Faut-il partir en vacances ?

Le calendrier est parfois un ennemi intraitable.
 
Pour le parlement, l'automne est essentiellement consacré à la discussion budgétaire. La mise en application de la LOLF ne change rien sur ce point. Et après les vacances de Noël éclatera le tonnerre de la campagne municipale qui, comme une pluie drue, s'abattra sur toutes les parties du territoire avec au moins autant d'intensité que l'élection présidentielle ; il n'y a que deux personnes importantes en France : le maire et le président de la république.
 
Donc pour enclencher des réformes, étant donné que la fin du printemps a été mangée par les inutiles élections législatives, il ne reste que l'été.
 
Là comme ailleurs, on peut écrire "Bayrou l'a rêvé, Sarkozy l'a fait" : Bayrou avait annoncé qu'il infligerait un été laborieux aux parlementaires pour lancer les nouveautés. Sarkozy a suivi ce conseil.
 
Pourtant, l'été est la plus mauvaise période pour adopter des réformes importantes : le parlement légifère dans l'indifférence, voire l'ignorance, au lieu de s'appuyer sur l'opinion publique pour réléchir et consulter. Et quand les réformes douloureuses réveillent les rhumatismes du peuple, à l'automne, la grogne est terrible contre ceux qui sont aussitôt accusés d'avoir statué en catimini et à la dérobée.
 
Oui, on ne fait pas de bonnes réformes impopulaires l'été.
 
Et il peut paraître léger que ceux qui font profession de vigilance contre ces décisions désertent leur poste pour s'éloigner qui vers le soleil, qui vers la campagne, qui vers l'horizon : en l'absence des citoyens ordinaires, les veilleurs de la société civile et des partis politiques deviennent de véritables surveillants, des matons ou des officiers de quart, astreints à tour de garde. L'abandon de poste est puni du peloton d'exécution en temps de guerre.
 
Mais voilà : l'année a été longue et rude et la saison prochaine sera chargée. On n'est pas d'acier. Il faut savoir se reposer.
 
C'est donc dans l'indifférence et la solitude que les réformes les plus cruciales seront votées.
 
Pour ma part, je quitte Paris pour la Bretagne et pour un temps indéterminé : je vais y développer le quatrième tome de la Réformation des Fouages de 1426, publication fleuve que j'ai entreprise en 2001 ; ce nouveau volume concernera l'ancien diocèse de Léon qui, de la mer à Morlaix à l'est et Landerneau au sud, englobait la place forte de Brest.
 
Je prends le train demain sans avoir l'idée d'une date de retour : le travail commande.
 
Je m'efforcerai durant l'été d'alimenter mon blog en textes politiques et littéraires (et historiques).
 
Bonnes vacances à ceux qui partent en juillet ou août.

27/06/2007

L'omniprésident fomente la révolution.

Du temps où Édouard Balladur était premier-ministre de cohabitation et Nicolas Sarkozy ministre du budget, il suffisait qu'un intérêt catégoriel se manifestât pour qu'aussitôt, les lacets de la bourse de l'État se déliassent et que la manne se déversât sur l'intérêt offusqué.
 
Au début, il s'agit d'intérêts notoires, de grandes catégories professionnelles, de métiers nombreux : marins-pêcheurs, vignerons et autres ; avec les mois, on vit montrer les dents des catégories de plus en plus anecdotiques, de plus en plus confidentielles, mais qui, à elles toutes, représentèrent une population de plus en plus nombreuse. C'est ainsi qu'en deux ans de ce gouvernement, l'endettement extérieur de l'État augmenta de vingt-cinq pour cent.
 
Voici que le même Sarkozy, devenu président de la république, rechausse ses souliers catégoriels.
 
Il a décidé de transformer ses ministres en porte-serviettes, en ornement théâtral : c'est lui, et lui seul, qui mène la négociation avec les partenaires sociaux. On l'a bien vu avec la loi sur les universités, on le reverra bientôt à tout propos et hors de propos : le style ne trompe pas, l'homme se répète.
 
Or les catégories ne s'y trompent pas : voici qu'une intersyndicale ultra-représentative des journalistes vient de demander à rencontrer le président de la république pour évoquer avec lui les atteintes croissantes à la liberté de la presse.
 
C'est en vérité inouï.
 
On comprend bien que les journalistes, dont l'info est le métier, aient très vite compris la réalité de l'organisation du pouvoir. Mais qu'ils n'aient même pas imaginé ni feint de s'adresser d'abord à un ministre ou au premier ministre, qu'ils n'aient même pas esquissé le geste d'expédier d'abord une lettre ouverte au président de la république, tout cela est le signe d'un déplacement sismique des frontières intérieures de l'État.
 
Il n'y a pas si longtemps qu'on voyait des jeunes en grève dans un collège ordinaire d'une ville comme les autres demander à rencontrer leur ministre comme s'il avait été le commissaire du coin ou le vendeur de pizzas.
 
On verra bientôt les mêmes jeunes exiger, au milieu de n'importe quel mouvement social, de rencontrer le président de la république. Forcément, puisque le président va recevoir à l'Élysée de plus en plus de représentants de catégories de plus en plus réduites.
 
Cette élévation du niveau des revendications est de nature prérévolutionnaire. Elle est l'un des mécanismes qui ont conduit des États-Généraux à la Révolution française.
 
Alors posons la question : Sarkozy est-il révolutionnaire ?
 
Si c'est le cas, ce sera comme Pétain : dans le sens d'une révolution nationale.

26/06/2007

MoDem : l'horizon municipal.

Le MoDem se cristallise peu à peu, département par département, ville par ville. Parti des intello oblige, l'effervescence programmatique est à son comble autour des fameuses "valeurs" du nouveau mouvement.
 
Plutôt des anti-valeurs, d'ailleurs, puisqu'elles ont pour point commun de situer l'être humain au-dessus de toute valeur et la vénalité comme moyen au mieux du progrès matériel qui n'est pas une fin (ni une faim) en soi.
 
Pourtant, l'horizon qui attend la nouvelle armée des démocrates n'a rien de si élevé : la bataille municipale compte plus de débats de carrefours que de métaphyisque, c'est son destin.
 
Or il ne fait aucun doute que ces élections municipales seront un rendez-vous essentiel pour les militants nouveaux : tous les chiffres, même les plus pessimistes, montrent que le MoDem pèsera sur le premier tour, qu'il aura donc la possibilité de maintenir ses listes au second, soit pour une altière solitude, soit en vue d'une fusion avec un camp ou l'autre.
 
Le signal envoyé par Françoise de Panafieu à Marielle de Sarnez aujourd'hui en marge du Conseil de Paris indique avec clarté que les deux camps sont motivés.
 
Même entre 5 et 10%, les listes MoDem auront encore la faculté de fusionner ainsi pour le second tour.
 
Il y aura donc énormément d'élus MoDem après les prochaines élections municipales.
 
À coup sûr.
 
Quoique.
 
Les électeurs du MoDem, on l'a compris, ne seront guère enthousiastes devant la tambouille politique s'ils n'y trouvent pas leur pitance de propos nobles et de renouvellement.
 
Eh oui, le renouvellement des acteurs et des pratiques, thème central de la ligne éditoriale de Quitterie Delmas. On le taxe parfois de naïf ou de puéril ; et pourtant, les dernières élections l'ont démontré : ces souhaits de renouvellement sont ceux de toute la nouvelle génération d'électeurs, ceux parmi lesquels Bayrou a recueilli 26% des suffrages.
 
Il faut donc leur donner ce qu'ils attendent à juste titre : de vraies raisons de voter. Intégrité, environnement, renouvellement, pluralisme, justice... Et bien d'autres.
 
Quitterie Delmas se prépare à partir pour ses quartiers d'été avec une malle entière de livres, tous plus savants les uns que les autres. Objectif : sa ligne éditoriale de la saison prochaine.
 
Attendons-nous à y trouver les thèmes qui permettront aux MoDem de mettre le feu aux poudres de nos villes et de nos campagnes. 

25/06/2007

Pour comprendre le pouvoir : "Les grandes familles" de Maurice Druon.

Maurice Druon n'est pas un dangereux anarchiste, c'est le moins que l'on puisse dire. Homme de droite, conservateur, cultivant l'autorité, il a régné durant de longues années sur l'Académie française qui, comme chacun sait, n'est pas le royaume des progressistes. Comme l'écrivait Victor Hugo : "Les quarante fauteuils et le trône au milieu" (c'est un alexandrin).
 
Druon a une chance paradoxale dans la vie : être le neveu de l'immense journaliste et écrivain de talent qu'a été Joseph Kessel, dont j'ai parlé ici même. C'est avec Kessel que, dans l'exil londonien de la France Libre, il rédige l'inoubliable "Chant des partisans" sur lequel Anna Marly colle une musique rythmée et martiale. "Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines, ami entends-tu le cri sourd du pays qu'on enchaîne..." sont des paroles pour tous les temps.
 
Plus tard, Druon publie quelques romans, dont "Les Rois maudits" qui ont enchanté mon adolescence après que leur adaptation télévisée eut émerveillé mon enfance.
 
On a dit qu'il ne les avait pas rédigés seul ; il a rétorqué que le travail de ses nègres était si mauvais qu'il avait dû tout récrire. Peu importe.
 
Il sort aussi un étrange et charmant livre écolo pour enfant, "Tistou les Pouces verts" dont j'ai un exemplaire qu'il m'a dédicacé lors d'une vente de charité du PEN club en 1973.
 
Outre la saga des "Rois maudits" (avec son arrière-plan symbolique lié aux Templiers), son roman le plus important est "Les grandes familles".
 
Quand on lit le titre, on entend Herriot parler des "Deux cents familles". Il s'agit par exemple des Wendel, les fonderies, liés à l'ancien patron du Medef, le baron Sellières, mais aussi à l'épouse de l'ancien président Giscard d'Estaing née Anne-Aymone de Brantes, et encore aux Missoffe, dont la trace la plus visible pour un Parisien attentif à la politique est Françoise de Panafieu, née Missoffe.
 
On est ici dans ce qu'Arletty, dans un film dialogué par Jeanson, aurait appelé "la haute". Haute finance, haute administration, grande presse instrumentalisée, manoeuvres boursières brutales, rapacités de toute nature, exploitation de tous les rouages du pouvoir à fin personnelle, culture de la manipulation, mise en coupe réglée de la société par les sociétés, usage altier de la particule.
 
La sphère du pouvoir. Le vrai pouvoir. Celui de l'argent.
 
"Les forces de l'argent"... Quand Mitterrand prononçait ces mots dans un discours, on savait qu'il avait atteint le sommet de son éloquence. Il détestait l'argent ... des autres.
 
L'argent, la vraie puissance. L'argent qui achète, corrompt, asservit, avilit tout. Je revoyais hier soir la pièce "Volpone" adaptée par Jules Romain de Ben Johnson, auteur classique anglais. La hideur de l'argent s'y étale, sa puissance sur les âmes, surtout quand elles sont faibles.
 
En ce temps où l'argent redevient légitime, où s'enrichir est de nouveau le but de l'existence humaine, en ce temps où la Sarkozye se définit comme le royaume dont le prince est l'argent, il est urgent de relire "Les grandes familles".
 
Elles sont aux commandes. 

24/06/2007

L'Europe sans le peuple.

Le principal défaut de la construction européenne est devenu patent dans les années 1990 : tout l'édifice reposait sur un ensemble de décisions parlementaires. De tous les traités constitutifs de l'Union européenne, un seul avait été adopté par référendum (et quel référendum...) : celui de Maestricht.
 
L'abstention croissante lors des élections du parlement européen manifestait le désintérêt du peuple pour la chose bruxelloise.
 
À vrai dire, cette désaffection choquait surtout en France, car les autres pays de l'Europe ont peu la pratique du référendum et s'en remettent volontiers à des solutions parlementaires.
 
Pourtant, l'idée française du besoin d'enracinement de l'Europe dans le suffrage universel faisait son chemin avec celle de la supranationalité. De toute évidence, si l'on voulait progresser dans le regroupement des souverainetés, il faudrait bien y associer les peuples.
 
On s'engagea alors dans un processus lourd de plusieurs référendums ponctuant l'adoption de l'ambitieux traité constitutionnel européen (TCE) par les parlements de certains états. Le Royaume-Uni devait fermer le bal référendaire ; l'adoption par les vingt-quatre autres états se changeait alors en couteau sous la gorge des Britanniques, sommés de se soumettre ou de se démettre, c'est-à-dire d'approuver ou de se retirer de l'Europe.
 
Ce chantage n'effrayait personne. Il échoua : le référendum français et, dans la foulée, celui des Pays-Bas, se soldèrent par deux non sonores.
 
On pourra gloser longtemps sur les raisons de ce double refus mais on se souvient qu'à l'époque, les études d'opinion montraient que les référendums suivants seraient difficiles aussi, notamment en Pologne.
 
Seul le Luxembourg sauva l'honneur, mais de justesse. Le signe devenait accablant : si un pays aussi profondément européen que le Luxembourg renâclait à ce point à approuver le nouveau texte, c'est qu'il devait avoir tous les défauts.
 
Il les avait : trop long, trop obscur, trop ambigu, trop charabia, trop dispersé, il ne pouvait être approuvé que du bout des lèvres et les adversaires de la construction européenne avaient beau jeu de lui découvrir toutes les tares car, étant donné son obscurité, personne n'était vraiment à même de les contredire, pas même le coordinateur des travaux de sa rédaction, le Français Giscard d'Estaing, qui invoquait pour toute défense un "pourquoi voulez-vous que nous ayons fait un mauvais texte ?" qui résonnait comme un aveu de faiblesse.
 
Et pourtant non, le TCE n'avait pas tous les défauts.
 
Il avait une qualité, une qualité essentielle que l'on a oubliée : il reprenait l'ensemble des traités fondateurs et les soumettait d'un coup au référendum.
 
C'était toute la construction européenne que le peuple se voyait alors invité à valider d'un coup.
 
Or il l'a rejetée. En bloc. Il a dit non à tout.
 
C'était le risque.
 
Il n'a pas été assumé.
 
Qui pis est, il est aujourd'hui nié : on se félicite de voir repris, nous dit-on, dans le nouveau traité abrégé (le "best-of" du TCE) l'essentiel des dispositions institutionnelles contenues dans le défunt traité.
 
Pourquoi pas ? Il en est de bonnes.
 
Mais on entend aussi qu'il n'est plus question de référendum et que les mêmes choix que le peuple a rejetés, le parlement du peuple va les adopter contre lui.
 
Peut-on décrire plus grand scandale politique ?
 
Alors il faut le dire : je suis pour la construction européenne, à fond. Je suis pour que nous bâtissions une grande fédération d'États nations (comme dit Delors) qui jouera un très grand rôle dans l'édification des institutions mondiales et dans l'organisation d'un monde plus équitable et plus humain.
 
Mais il ne peut être question de continuer à échafauder sans se préoccuper des fondations. Or les fondations, c'est le peuple. Le peuple doit s'exprimer.
 
Je sais bien que la récente campagne présidentielle donne l'impression que la colère du peuple est matée, que le fleuve populaire est rentré dans son lit après vingt ans de crue, que la crétinisation des esprits faibles est de retour et que son efficacité touche au zénith.
 
Je sais bien tout cela.
 
Je sais aussi que l'hyperactivité du président donne l'impression que tout va aller mieux, que les gens vont avoir envie de recommencer à travailler, à s'activer pour lui ressembler. Que par conséquent l'économie va s'éveiller de sa léthargie, d'autant plus qu'on annonce une hausse du pouvoir d'achat pour 2007 (3,2%).
 
Mais tout cela est un trompe-l'oeil. Il n'y a pas de démocratie sans le peuple et les frustrations qu'il subit dans les périodes d'effervescence économique et d'opulence, il les fait lourdement payer dans les moments de stagnation.
 
Que l'on s'en souvienne aujourd'hui pour n'être pas surpris demain. 

23/06/2007

Difficile naissance du MoDem.

La vieille UDF meurt dans la peine.
 
L'argent y manque. La campagne présidentielle a coûté plus que le remboursement de l'État, les locaux se désertifient.
 
Jeudi après-midi, rue de l'Université, le silence régnait. C'est jeudi. J'y suis. Il y règne.
 
On murmure des chiffres sur le trou béant des finances du parti. On constate le départ de salariés, comme Okan, l'un des veilleurs du site Bayrou.fr. On dit que la compression de personnel sera forte.
 
On croise cependant, ce jeudi, la bonhommie penchée de Marie-Amélie Marcq, l'experte ès médias des bayrouistes depuis plus de dix ans ; non loin d'elle (et dans la cour quand le temps le permet), la silhouette caractéristique et le front plissé d'Ophélie Rota, attentive devant son écran d'ordinateur.
 
Plus loin, on ne peut serrer la main de Stéphane Thérou, un survivant comme moi de l'équipe des jeunes centristes d'Éric Azière à la fin des années 1980, parce qu'on l'a déjà fait dans la rue devant le conservatoire municipal : il sortait bavarder avec un ami.
 
On trouve cependant le profil concentré de Stéphane Nicolas, directeur de services devenus fantomatiques, un jeune, grand, réservé mais solide. Il lève les yeux de sa page et montre sa préoccupation dans son sourire.
 
À côté de lui, la brune Karine a l'air fatigué. Une autre qui devrait être là passe désormais son temps à bavarder dans le vestibule.
 
Un peu plus loin, Pierre-Emmanuel Portheret, ex-secrétaire du groupe UDF de l'Assemblée nationale, lit un journal devant un écran d'ordinateur. 
 
Tout au fond, affectant l'air serein tout en rangeant ses dossiers avec méthode, Éric Azière souffle : pour une fois dans l'année, il passe une après-midi sans que son téléphone sonne.
 
Il classe les fiches des candidats aux législatives et des résultats.
 
En quelques mots, il me donne quelques indications sur ce qu'il sait de la situation politique interne de l'UDF devenant MoDem.
 
Il me parle des Alsaciens, de Jacqueline Gourault. Il réfléchit. Je fais état de la réunion des sénateurs. On n'en connaît pas encore le résultat complet, mais on sait que quinze sur trente-deux ont voté une motion de synthèse exprimant leur identité de droite. Ces gens sont centristes depuis trente ans et, au bout de trente ans, découvrent qu'ils sont de droite.
 
Ah, pauvres Lecanuet, Poher, Abelin, Diligent et quelques autres, comme vous devez les plaindre, vos fils et vos frères perdus.
 
Que sera l'avenir du groupe centriste du sénat autour de Michel Mercier ? Pas encore d'info.
 
En refluant vers la sortie, le crâne plissé et chauve de Didier Nicolas, le veilleur des fichiers, se présente à moi, moins souriant que d'ordinaire. L'un de mes livres est posé sur son bureau. Il me le signale amicalement.
 
Je ne monte pas au deuxième étage : depuis que Quitterie n'y est plus, je n'en fais plus l'effort.
 
En repartant, dans la cour, Dominique Le Pennec lâche pour une fois sa cigarette et son téléphone et nous échangeons une chaleureuse poignée de mains.
 
Et les autres ? Où sont-ils ?
 
Où est la ruche extraordinaire de l'élection présidentielle ? Que reste-t-il du rêve ? Où ont-ils tous disparu ?
 
Voilà ce que j'ai vu et pensé jeudi. Deux ou trois jours plus tôt, il y avait un peu plus de monde, ou plutôt quelques-uns qui n'y étaient plus jeudi quand ceux de jeudi ne s'y trouvaient pas tous à ce moment-là.
 
Ils ont mérité leurs vacances. Pour ceux qui en prennent et qui reviendront en septembre après les Assises de la Démocratie.
 
Pour les autres, bon vent. Ne vous éloignez pas trop. 

L'Europe engluée pour sept ans.

Pour son deuxième sommet institutionnel en quelques semaines (après celui du G8), la chancelière allemande Angela Merkel ne voulait pas d'échec. Il lui fallait couronner sa présidence tournante de l'Union europénne par un accord sur le mini-traité chargé de remplacer le défunt traité constitutionnel européen.
 
C'est fait.
 
Hélas.
 
De tout le dispositif, deux ou trois aspects seulement ont fait l'objet de longs commentaires, retenons-en deux : la répétition de la formule "concurrence loyale et non faussée" et la pondération des votes dans les instances intergouvernementales de l'Union.
 
Sur la "concurrence non faussée", j'avoue trouver le débat surréaliste. On trouve l'Europe trop libérale, alors qu'elle ne l'est pas assez. On fait reculer les formules qui prémunissent contre les favoritismes étatiques (donc contre la corruption) au motif qu'elles sont trop libérales, alors qu'elles ne le sont pas assez.
 
Il y a en effet deux problèmes en Europe, qui sont les deux extrémités du même bâton.
 
Le premier, c'est le libéralisme : il est érigé comme moteur de la construction. On ne l'oublie pas, pour l'inspirateur Monnet, les nations européennes ne se sont jamais fait la guerre pour autre chose que pour servir leurs intérêts ou ceux des castes économiques qui les dirigeaient.
 
Par conséquent, interpénétrer les marchés, les fusionner en un seul, faire des intérêts de plusieurs nations l'intérêt commun de plusieurs nations, tout cela était vertueux et prometteur de paix. Promesse tenue : l'ouverture du marché unique rend la paix inéluctable entre les Européens et il n'y aura pas de recul sur ce point.
 
Mais les mécanismes du libéralisme sont récupérés contre celui-ci par de grands groupes d'intérêts qui pèsent sur les institutions de l'Union comme sur celles des États membres ; détournement du lobbyisme à fin mercantile. Au lieu de combattre le libéralisme, il vaudrait donc mieux en réclamer plus, de façon à ce que les institutions de Bruxelles aient pour but prioritaire en ce domaine, une vraie "concurrence loyale et non faussée", c'est-à-dire où le petit ait autant de chance que le grand.
 
À l'autre extrémité du bâton, il y a en effet trop de libéralisme : il faut sauvegarder certaines activités monopolistiques comme services publics, c'est légitime.
 
Or sur ce point comme sur le premier, le mini-traité n'apporte pas grand chose.
 
En revanche, sur la pondération, il opère des modifications.
 
Seulement voilà : ces modifications ne seront opérationnelles qu'en 2012 et ... 2014, soit dans sept ans !
 
Depuis 2005 et l'échec des référendums, il aura donc fallu neuf ans pour sortir de l'impasse ! Neuf ans sans aucune intiative institutionnelle nouvelle.
 
Car on ne s'y trompe pas : en se fixant ce rythme de tortue asthmatique, l'Europe a pris acte d'une pause très profonde dans la dynamique de la construction européenne.
 
Dorénavant, tout est figé pour sept ans. 

22/06/2007

Liberté de l'intelligence.

Les dernières affaires relatives au contrôle des médias et le débat autour de l'entretien accordé par Daniel Carton à Quitterie Delmas renvoient à la même question : un commentateur peut-il être libre et impartial ?
 
Il doit l'être. C'est son obligation, sauf dans ce qu'on nomme la presse d'opinion.
 
Mais cette impartialité n'est-elle pas un leurre ?
 
Voilà un sujet de bac philo par excellence.
 
Rappelons-nous les termes juridiques qui peuvent nous guider dans ce domaine. Parmi les textes juridiques relatifs à l'expression de la volonté qui est la manifestation de la liberté de l'individu en société, on parle volontiers, depuis le code Napoléon, de "consentement libre et éclairé".
 
Ce consentement libre suppose par exemple que le jour d'un mariage, le fiancé ne porte aucune arme qui puisse suggérer qu'il exerce une contrainte sur la fiancée.
 
Ce consentement éclairé renvoie à deux miroirs : celui qui reçoit et celui qui émet.
 
Éclairé suppose que l'on soit d'abord éclairable. C'est au nom de cette notion que les incapables mentaux sont écartés des actes juridiques parfois les plus élémentaires (sauf d'ailleurs du vote), c'est aussi au nom de cette notion qu'une personne qui n'a pas toute sa tête au moment de commettre un forfait doit en être jugée innocente. Un amoureux passionné qui tue un rival, on le sait, a longtemps obtenu l'indulgence des jurys, même si aujourd'hui le caractère français est devenu plus prosaïque et moins perméable aux exaltations du romantisme, comme beaucoup d'illusions se sont enfuies sur l'état amoureux et ses stades.
 
Éclairé suppose aussi que l'on ait reçu la formation ou l'information nécessaire à la balance du jugement. Un marchand de voitures qui ne signalerait pas que le véhicule qu'il vend est une occasion et non une première main n'éclairerait pas son client. On note au passage que, dans les années 1990, le devoir d'informer a beaucoup augmenté pour les médecins (et surtout les chirurgiens) et les avocats, dont le rôle expose particulièrement les clients et patients.
 
Pour en revenir à nos journalistes, on voit bien que leur mission est donc d'éclairer ce qui est obscur. Ils doivent donner aux citoyens les info qui permettent à ceux-ci d'évaluer hommes et situations en connaissance de cause, les info que, d'où ils sont, les citoyens ne sont pas en mesure d'obtenir seuls, même grâce à l'outil qu'est désormais Internet.
 
Or pour donner ces info, il faut qu'ils les recueillent et pour qu'ils les recueillent, il faut qu'ils en aient l'envie et la liberté.
 
S'ils sont liés par des connivences d'intérêts au pouvoir politique, par exemple, auront-ils envie de dénicher les bonnes info ?
 
Et s'ils sont soumis au pouvoir politique ou économique, en auront-ils la liberté ?
 
Ceux qui défendent le système actuel d'endogamie entre les différents milieux de pouvoir le font presque toujours avec un argument qu'ils jugent imparable : l'impartialité, ça n'existe pas ; tout journaliste est forcément partisan, il pense et son opinion influe sur ce qu'il rapporte.
 
On a beau rétorquer que, si partisan soit-il, un bon journaliste peut s'effacer devant son sujet car le seul critère qui le guide est, lui, parfaitement objectif : qu'est-ce qui est une info et qu'est-ce qui n'en est pas ?
 
Une info, ce n'est pas discutable. Il y a des info plus ou moins importantes, plus ou moins éclairantes, mais une info, ce n'est pas subjectif, ça correspond à des critères intangibles que toutes les écoles de presse enseignent et auxquels les journalistes devraient pouvoir être toujours fidèles.
 
Dès lors, la question de l'impartialité du journaliste ne se poserait pas et il serait absurde et injuste d'avoir écarté Alain Duhamel des émissions politiques de la chaîne France 2 s'il est un bon journaliste : sa matière n'est pas subjective.
 
Malheureusement, et c'est l'enjeu du livre de Daniel Carton, la conception objectiviste de l'info a peu cours en France dans le domaine politique, on l'a d'ailleurs bien vu lors de la récente campagne présidentielle.
 
Et ce qui est intéressant dans les critiques que les internautes ont adressées à l'interview sur AgoraVox, c'est que Quitterie Delmas était mal placée pour critiquer ce système puisqu'elle en fait partie et qu'elle y est active, l'existence même de l'interview étant invoquée comme preuve de cette activité.
 
On mesure alors le vertige que donne cette mise en abîme de la critique contestée au nom de son auteure.
 
Et cependant, ce qui reste, c'est bien le résultat : la presse a peu fait écho au livre de Daniel Carton et, en le faisant connaître, Quitterie Delmas a bien accompli son devoir de citoyenne, à la fois comme actrice de la politique et comme électrice. Elle a prouvé qu'elle n'était pas prisonnière de la branche sur laquelle on l'accusait d'être assise et qu'elle désignait aux dents de la tronçonneuse.
 
Elle a donc bien joué un rôle de journaliste. Elle a même réinventé l'origine et la substance de cette notion : comme le dit Daniel Carton dans l'interview, "le journaliste a pour mission d'instruire". C'est son rôle social. Sa fonction dans la démocratie.
 
C'est l'occasion pour moi de citer une fois de plus Victor Hugo lorsqu'il dit que "quand tous ont accès aux lumières du savoir, alors est venu le temps de la démocratie".
 
Je cite ce texte en général pour dire qu'il n'y a pas de démocratie sans militantisme du savoir ; il n'y en a pas non plus sans militantisme de l'information qui est l'autre face du savoir.
 
C'est cette même et juste vision militante que défend Daniel Carton et c'est également cette même vision que Quitterie Delmas a servie par son interview sur AgoraVox qui mérite bien son titre de "média citoyen", locution qui devrait être redondante et qui, hélas, ne l'est pas. 

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