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04/09/2009

"No pasaran" et le stade Jean Bouin.

Soirée thénatique, c'et imparable : de 7 à 9 à la mairie du XVIe arrondissement pour débattre de l'avenir du stade Jean Bouin (et accessoirement de l'hippodrome d'Auteuil, dans le Bois de Boulogne). De 10 heures à minuit aux Champs-Élysées devant le film "No pasaran". Deux points communs pour cette soirée thématique : le rugby, et l'apparition d'un supposé progrès dans un paysage calme.

L'histoire du stade Jean Bouin

Je ne vous infligerai pas le calvaire d'un historique remontant aux calendes celtiques, mais tout de même : la paroisse primitive englobant Boulogne, le Bois, Auteuil et Passy, se nommait, au temps de Clovis et un peu après, "Nemetum". Est-ce un mot franc, un mot romain ? Non, c'est un mot gaulois : le nemeton est le bois sacré des temps druidiques. Ce Bois était tellement sacré que, deux mille ans plus tard, il en reste un grand bout, irréductibe, le Bois de Boulogne.

Dans les années 1850, Napoléon III, l'empereur bling-bling, écouta l'idée de génie d'un de ses conseillers qui voulut faire un nouveau quartier, ultra-snob, qui serait pris sur le Bois de Boulogne. Ce quartier s'appellerait (on se croirait dans Astérix),  non pas le Domaine des Dieux, mais le quartier des Princes. De ce quartier est né le Parc des Princes, par exemple, qui a succédé à un autre stade qui avait une vocation fort différente. Dans ce quartier des Princes, selon le décret bling-bling, on ne pouvait faire commerce, et on devait faire du sport. Là furent implantées les Serres d'Auteuil dont je vous recommande la visite florale, et progressivement une série d'équipements sportifs implantés notamment sur l'espace gagné par la démolition des anciennes fortifications de Paris. Il y eut le Parc des Princes, le stade du Fond des Princes, et puis deux fleurons : Roland Garros et Jean Bouin, dont le dispositif fut complété par une piscine d'architecture très inspirée pour son époque (les années 1920) : la piscine Molitor. Je pourrais d'ailleurs y ajouter Géo André, stade originel du Stade Français (club omnisport dont le rugby est la vitrine), et même le stade Pierre de Coubertin, qui est en fait un monument regroupant des gymnases, célèbre pour l'escrime et le judo.

Jean Bouin a encore sa tribune d'honneur datée de 1925, une rareté que les projets de la municipalité parisienne promettent aux dents d'acier des bulldozers, alors qu'on devrait la classer.

Jean Bouin a eu son heure de gloire, il y a très longtemps. Puis progressivement, au même rythme que d'un côté le vieux Parc des Princes dédié au cyclisme subissait l'éclatante métamorphose qui l'a changé et temple de béton, et que de l'autre côté Roland Garros devenait l'une des références mondiales du tennis à grand spectacle (dévorant même le stade du Fond des Princes), la piscine Molitor s'assoupissait comme une Belle au Bois (de Boulogne) Dormant, et Jean Bouin se ramollissait en stade de quartier, oublié entre les deux géants.

Dans les années 1980, il était même si assoupi qu'un promoteur eut l'idée de raser lui et la piscine, et de bâtir des immeubles de quinze étages. Les druides ont dû se retourner dans leur tombe. La démolition de la piscine Molitor était imminente lorsque Jack Lang, par pure malice, pour casser les pieds de Chirac alors maire de Paris, eut la bonne idée de faire classer une partie de la piscine par son ministère de la Culture. La piscine était sauvée, mais depuis, elle est au piquet, l'administration municipale de Paris lui en veut. L'ancien directeur des Sports de la Ville m'a dit en 1995 : "Moi vivant, jamais la piscine Molitor ne sera restaurée". Elle n'a pas bougé depuis malgré les promesses de Delanoë.

De son côté, Jean Bouin a traversé une période de turbulence au début des années 1990 : un entrepreneur voyait grand pour l'équipe de rugby du Club Athlétique des Sports Généraux (CASG), la structure associative alors résidente du stade. Il fit beaucoup, mais récolta un désastre financier, qui mit l'existence même du CASG (et donc de Jean Bouin) en péril. C'est alors qu'apparut un chevalier blanc : Max Guazzini, cofondateur de la radio NRJ et propriétaire de 5 % du groupe, ce qui alors devait faire quelques centaines de millions de Francs. Guazzini proposait d'absorber la section rugby du CASG et son gouffre financier dans une nouvelle structure, paritaire avec le Stade Français. L'équipe s'appellerait Stade Français - CASG, elle jouerait à Jean Bouin. Guazzini injectait 15 millions de son argent et apportait son savoir-faire.

L'histoire est connue : en trois saisons, l'équipe atteignit l'élite, sous l'impulsion notamment de son entraîneur Bernard Laporte (dont l'image n'était pas aussi sulfureuse alors qu'elle l'est aujourd'hui). Puis ce fut le sommet, les boucliers de Brennus (encore un Gaulois) en chapelet, puis les calendriers érotiques et le maillot rose de meilleurs grimpeurs du rugby mondial, par la face Nord.

Lorsque j'étais élu chargé des sports dans ce quartier, l'aventure de Guazzini m'était sympathique, j'allais souvent à Jean Bouin soutenir l'équipe. J'y croisais des journalistes sportifs, des gens des médias, du fric, et Pascal Nègre. Je n'ai jamais réussi à y faire venir Bayrou pour un match Paris-Pau.

Dès ce temps, Guazzini se trouvait à l'étroit dans son terrain herbeux, il rêvait de plus grands espaces, débordait sur le Parc des Princes, et louchait sur les parties du stade qui ne lui étaient pas dévolues.

Il faut dire que, comme stade de quartier, Jean Bouin est crucial : il y a un stade purement municipal (pour le moment) juste à côté, et les deux doivent suffire à environ 6000 élèves du secondaire public, plus les centaines d'adhérents des sections athlétisme, football, basket, hand, et hockey sur gazon (très nombreuse à Jean Bouin, l'un des rares stades parisiens à pratiquer encore ce sport). Cette situation incontournable a retenu longtemps la municipalité parisienne de succomber aux instances du grand Max.

Fin 2006, on m'a parlé d'un projet dit "Paris 2012", dans le cadre de la candidature de Paris aux Jeux Olypiques (JO) de 2012. Il s'agissait de construire une tribune nouvelle, ou de surélever celle qui existait du côté de Boulogne (l'une des rues qui bordent le stade est frontalière de la ville de Boulogne-Billancourt). Mouais. c'était encore du béton, mais de toutes façons, il va bien falloir moderniser un peu Jean Bouin qui, il est vrai, est vétuste. En contre-partie, on proposait d'ouvrir enfin l'espace central de l'hippodrome d'Auteuil pour y implanter des terrains de sport. La contrepartie était valable. Quand on me demanda mon opinion, j'indiquai qu'on pouvait voter le projet, ce qu'ont fait, je crois, les élus UDF (ou la plupart d'entre eux, même Bariani concerné de près) en février 2007.

Apparemment, dès la fin 2007, le loup était sorti de la bergerie, et le projet actuel commençait à circuler. Il faut dire qu'entre-temps, Laporte, proche de Guazzini, avait été nommé au gouvernement... Guazzini parvenait à mettre en synergie, à son profit, la droite et la gauche.

Sur le papier, c'est séduisant : un stade hi-tech, éclairé grâce à des panneaux solaires, utilisant l'eau de pluie pour arroser le gazon, et construit avec des matériaux peu carbonés. Seulement voilà : ce stade "fait" 20000 places. À côté du Parc des Princes, c'est comme une réplique en miniature de l'épouvante. Et surtout : exit les scolaires, place aux vrais sportis, ceux qui sont là pour éclabousser l'écran d'une gifle de paillettes et pour faire du fric, du vrai. Et bien entendu, revoilà notre promoteur, un peu plus modeste, qui veut implanter des tas de boutiques dans le nouveau stade, petit colosse.

En somme, on dépense au moins 150 millions d'Euros (trois fois le montant nécessaire à la restauration de la piscine Molitor, 150 ou 200 fois de quoi construire une crèche dans le XIIIe ou dans le XIXe) pour évacuer du sport scolaire et associatif et le remplacer par du sport bling-bling.

Et tout ça, par une municipalité de gauche.

Un cauchemar.

Anne Hidalgo et son adjoint aux sports ont mal défendu, ce soir, un dossier qui n'est pas défendable autrement qu'en exprimant ce qu'ils ont fait : la haine des gens du XVIe, une haine stupide et aveugle, qui ignore complètement la réalité sociologique de l'arrondissement, notamment du sud. Certes, je ne dirai pas que le XVIe soit un quartier déshérité, mais si l'on y voit une population d'environ 150000 habitants, dont environ 20 % votent à gauche, on ne sera pas loin de considérer que les 6000 gamins du secondaire public sont ceux dont les parents votent pour Delanoë, et qui n'ont pas de solution de rechange à la disparition d'un équipement de quartier comme Jean Bouin.

Et d'ailleurs, les prof d'EPS (j'ai cru d'abord qu'ils étaient prof de PS et je ne comprenais pas) étaient là, ce soir, fous de rage, véhéments : personne ne les a consultés, ni eux ni les chefs d'établissements. "Nous travaillons avec  le rectorat, seul compétent, puisque c'est lui qui attribue les créneaux horaires dans les stades", plaidait Hidalgo. "C'est faux ! hurlaient les prof d'EPS, personne n'est consulté ! Il n'y a rien au rectorat !"

La seule compensation proposée est gorgée d'arrière-pensées politiques honteuses : si les terrains de sport (qui doivent accueillir les activités devenues impossibles à Jean Bouin) ne se font pas à l'hippodrome d'Auteuil, ce sera la-faute-à-la-droite, puisque c'est la droite qui gouverne et que l'hippodrome est à l'État. Certes, c'est politiquement satisfaisant, de pouvoir dire c'est-la-faute-à-l'autre, mais en attendant, qu'est-ce qu'on fait des 6000 gamins qui n'ont pas de stade ?

6000 gamins qu'on va promener en autocar, pendant au moins 3 ans, dans des stades du XVe (l'arrondissement qu'Hidalgo n'a pas gagné en refusant de s'allier avec le MoDem) ou peut-être du XVIIe. À raison de 35 jeunes par autocar, ça fait environ 170 rotations par semaine, 170 allers et 170 retours, dans les embouteillages, dans la pollution, et produisant de la pollution. Une réussite. Et si le champ de courses traîne, ce sera pour des années, des années, des années... des années... des années... 170 allers, 170 retours par semaine, 700 par mois.

Depuis vingt ans que la piscine Molitor a fermé, les enfants des écoles primaires publiques du XVIe n'ont plus que 40 % des créneaux horaires de piscine nécessaires. Des générations entières ne sont jamais allées à la piscine de toute leur scolarité primaire. Tout ça parce que des connards de politique trouvent ça marrant de pouvoir dire c'est-la-faute-à-l'autre. Et j'invite ceux qui croient que les écoles publiques du XVIe sont des annexes du Jockey-Club à faire la sortie des écoles, pour comprendre la sottise de leurs préjugés.

Or concernant le champ de course supposé servir d'espace sportif de rechange, on a des raisons d'être sceptique : les procédures de décision sont infiniment lourdes le concernant, parce qu'il appartient à l'État, qu'il implique quatre ministères différents (chacun avec son esprit de clocher), que la Ville de Paris en est en partie concessionnaire (ou l'était jusqu'en 1999), que le concessionnaire (France Galop) ne pense qu'au fric, et que tout cela a fait que, de 1999 à 2006, l'exploitation des champs de course du Bois de Boulogne n'avait plus aucun support juridique : de 1999 à 2001, le gouvernement de gauche ne voulait pas s'entendre avec la Ville de Paris de droite. De 2001 à 2002, c'était trop court, et de 2002 à 2006, c'était le gouvernement de droite qui ne voulait plus s'entendre avec la Ville de Paris de gauche, la roue avait tourné. Ubu roi. Kafka. Enfin, il a fallu toute la savante diplomatie de Rothschild, nouveau patron de France Galop, pour parvenir à faire sortir les champs de courses de la gestion de fait dans laquelle ils traînaient depuis des années parce que nanana la droite ne travaille jamais avec la gauche et réciproquement, car c'est beaucoup plus satisfaisant de pouvoir dire que c'est-la-faute-à-l'autre.

Donc, en résumé, on a un stade un peu vétuste qui mériterait un toilettage (pour pas cher), on a un président de club sportif qui veut faire dépenser au moins 150 millions d'Euros (d'aucuns disent 200 millions) à la Ville de Paris pour un stade où son équipe jouera ... huit ou dix fois par an ... Hein ? 200 millions d'Euros, les scolaires à la rue, pour un stade où on va jouer huit ou dix fois par an ?????

Pincez-moi. On a une municipalité de gauche, à Paris ?

Et qu'ont-ils de génial à dire pour leur défense, les politiques promoteurs de ce projet génial ? C'est que dans tout le XIXe arrondissement, il y a en tout et pour tout 3 grands terrains de sport. Trois. Diable, c'est vrai, ce n'est pas beaucoup, c'est un chiffre honteux, on voit qu'ils sont au pouvoir depuis huit ans et qu'ils ont massivement investi pour que l'Est parisien rattrape son retard sur l'Ouest... Hum. Donc, pan dans la gueule, vilains petits bourgeois du XVIe (je crois avoir assez démontré que ce n'étaient pas les bourgeois du XVIe qui allaient trinquer, mais les autres), vous qui avez plus de terrains que les autres, on vous les sucre et on les donne à n'importe qui qui va y faire du pognon. En somme, il ne s'agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul, mais de déshabiller Pierre pour n'habiller personne. De déshabiller Pierre pour déshabiller Pierre.

Du temps où je m'en occupais, la création d'un terrain de football coûtait environ 1,5 million de Francs, soit 230000 Euros. J'ai cessé en 2001, mettons que les prix aient fortement augmenté depuis, allez, disons 400000 Euros. 200 millions d'Euros, ce sont 500 terrains de football que la municipalité pourrait créer dans les quartiers qui en manquent. 500 terrains de football. Mais non, il est plus urgent de punir les nantis du XVIe (qui votent si mal) en leur ôtant les terrains qu'ils ont. Na.

C'est bête à pleurer, à manger du foin.

Enfin, cerise sur le gâteau, Mme Hidalgo a failli nous faire pleurer (d'émotion et d'attendrissement, cette fois-là), en nous expliquant que la construction de ce nouveau stade allait créer des centaines d'emplois dans le bâtiment.

C'est là qu'on rejoint la seconde partie de notre soirée thématique :

"No pasaran"

L'histoire de "No pasaran", vous la connaissez, nous la connaissons, nous l'avons vue à la télé, lue dans la presse, quand nous regardions encore la télé et lisions encore la presse. C'est celle des Pyrénées, de la Vallée d'Aspe, des constructions d'autoroutes et de la réintroduction des ours.

Voici un paysan pyrénéen, 40 ans, toujours puceau (comme dit un autre film), mais un artiste du jambon (mmh j'ai eu une furieuse envie de dévorer un jambon de montagne en sortant du cinéma). Son député-maire est tout fier d'annoncer que sa belle vallée va accueillir le progrès, une autoroute, l'axe européen E38. Fini le bon air. Mais il ne va pas se laisser faire, notre jambonneur, il va faire appel à une éco-terroriste (Rossy de Palma échappée de la grande époque d'Almodovar, une virtuose du coup de poing au service de l'environnement, fort critique contre les écologistes qu'elle accuse d'être plus attachés à leurs éco qu'à autre chose) et, bref, le film est très drôle, quelques clichés, beaucoup d'idées tout à fait idiotes et délectables.

Et l'argument est connu : l'autoroute, c'est le progrès. Mais est-ce le seul progrès possible ?

Et en apparence, la construction du nouveau stade, ce sont des emplois, c'est le progrès, le sport de haut niveau, à Jean Bouin, c'est le progrès, ce beau stade tout bardé de certificats de développement durable, c'est le progrès. Ouais, sauf que, en fait, on pourrait s'en passer, on n'en a pas besoin, il y a déjà deux grands stades sous-utilisés en Île de France : le Stade de France et Charléty (à Paris XIIIe). Pourquoi construire un stade de plus quand on n'utilise pas ceux qu'on a ?

Et pourquoi cette autoroute saloperait-elle la Vallée d'Aspe quand on pourrait faire autrement, développer d'autres moyens de transport ? Alors, "no pasaran", le cri des communistes espagnols d'autrefois, traduction du fin mot des poilus de Verdun : "Ils ne passeront pas".

03/09/2009

"Non ma fille, tu n'iras pas danser", Breizh atao contre Hadopi.

Connaissez-vous le lac de Guerlédan ? C'est l'un des sites les plus spectaculaires de Bretagne, dans les sommets de ce pays peu montagneux. J'ai participé à un chantier de fouilles archéologiques durant deux morceaux d'été, il y a vingt-cinq ans, non loin du lac, plus haut. Nous examinions ce qu'on appelle couramment un dolmen, en fait une sépulture néolithique à entrée latérale, avec hublot. L'endroit était charmant, l'équipe bigarrée et joyeuse, et il y avait une jolie fille. Bref, un bon moment.

Nous dormions dans l'école désaffectée de la petite commune de Caurel, au bord d'une voie romaine devenue la Nationale 164, la route du centre, la route des crêtes, en Bretagne. En contre-bas, à plusieurs dizaines de mètres, s'étendait le long et silencieux lac de Guerlédan. En vérité, ce n'est pas un lac. Ce fut d'abord un tronçon du canal reliant Nantes à Brest décidé par Napoléon, dont la création a occupé toute la première moitié du XIXe siècle. Après la première guerre mondiale, la fonction du canal a perdu son importance et un ingénieur a eu l'idée d'un barrage hydroélectrique, le lac de Guerlédan est la retenue d'eau de ce barrage.

En face de Caurel se dresse l'un des sommets véritables de la Bretagne : la colline Sainte-Tréphine, au sommet de laquelle Tréphine, l'épouse du roi Cheval, Marc Conomor (un personnage attribué au VIe siècle et supposé l'oeil des Mérovingiens en Armorique), aurait été assassinée par son mari. Elle ressuscita comme Sainte Quitterie, c'est une époque où les femmes maltraitées bénéficiaient de l'indulgence divine... Bref, celle colline Sainte-Tréphine est un site formidable de l'âge du bronze, un piton abrupt de trois côtés, auquel on accède par le quatrième, une pente également rude. Le camp fortifié du sommet est protégé par une triple rangée de rocher sphériques énormes. Dès qu'un assaillant s'essayait à escalader la pente, les défenseurs se jetaient sur les rochers avec des leviers et faisaient dévaler la pente à ces énormes boules de bowling qui devaient écraser les guerriers adverses à qui mieux-mieux.

Du haut de Sainte-Tréphine, par un à-pic, on domine le lac de Guerlédan de plus de cent mètres. Avant le lac, le sommet culminait à cent cinquante ou deux cents mètres au-dessus du fond du val.

La dernière enquête de la célèbre capitaine de police de Quimper Mary Lester, personnage du romancier Jean Failler, se déroule au bord du lac de Guerlédan.

Et toute la première heure du film s'y passe aussi, dans un manoir au bord du lac quand celui-ci n'est encore que le canal, tout près d'une écluse. À vrai dire, on fait aussi une escapade près du lac de Brennilis, on passe d'une centrale hydroélectrique à la première centrale nucléaire pionnière de l'énergie atomique...

C'est pour la bonne cause : une scène de conte qui rassemble une foule de costumes folkloriques de toutes les parties de la Bretagne pour une danse traditionnelle, une scène de toute beauté, formidablement filmée.

Chiara Mastroianni impériale

Le personnage central du film est une femme qui a passé la trentaine, une rebelle qui n'ose pas aller au bout de sa rébellion, une femme habitée par le mal-être, le mal de vivre, qui n'a pas supporté l'adultère dont elle est victime. Son divorce réveille le mal-être qui s'était estompé en elle, elle plaque tout et rejette tout avec une évidente souffrance.

La dépression est d'ailleurs l'un des thèmes récurrents de l'oeuvre de Christophe Honoré, on la trouve en particulier dans son film Dans Paris, en 2006, où Romain Duris fait une grosse déprime dans un film triste.

L'autre sujet récurrent, c'est la pulsion freudienne. Elle était très à vif dans "Ma mère", en 2004, l'un des films les plus malsains et désagréables que j'aie vus, malgré la peau soyeuse d'Emma de Caunes.

Logiquement, la cible de l'agressivité que lui donne sa dépression est la famille qui entroure le personnage interprété avec une grande sincérité par Chiara Mastronianni. Ils ont tous tort, tout le temps. Ils la jugent, ils interviennent dans sa vie, ils font tout à sa place. Elle étouffe, en quête de paix et de liberté.

Et ils sont tous parfaits dans leur rôle, très justes de bour en bout, la mère Marie-Christine Barrault, la soeur Marina Foïs, le frère Julien Honoré, dans cette belle Bretagne filmée sans manière, avec la simplicité du regard familier.

Pour elle, et c'est vrai, personne ne peut vivre sa vie à sa place, et si elle ne peut pas se satisfaire du confort tiède de la vie bourgeoise, ils doivent accepter qu'elle soit en perpétuelle recherche d'autre chose, en fait une inquiétude liée à sa souffrance, plus qu'une vraie envie de liberté consciente et raisonnée.

Engagés contre Hadopi

Le film est un véritable nid d'anti-Hadopi : Christophe Honoré, Chiara Mastronianni, Louis Garrel, ont signé au printemps le manifeste qui rejetait l'Hadopi et appelait à une réflexion sur la rémunération des auteurs.

Espérons que le public aimera leur beau film sur la vie, sur la Bretagne, sur la famille, sur les racines, et sur les contes de bonnes femmes.

28/08/2009

"Un prophète" devient caïd en son pays.

La vraie politique ne s'apprend pas à Sciences-Po. Le pouvoir est affaire d'instinct. Ce qu'on apprend à Sciences-Po, ce sont les mots et les phrases réclamées par le milieu. Comme disait Balzac, la société se paie avec ce qu'elle donne : des apparences.

Ce qui rend intéressant le nouveau film de Jacques Audiard, sorti mercredi, "Un prophète", c'est justement qu'il donne une leçon de pouvoir, en même temps qu'il montre comme les circonstances sont souvent plus décisives que les calculs, même si les calculs doivent relayer les commandements de l'instinct. Celui qui prend le pouvoir est en définitive toujours celui qui, au moment le plus déraisonnable, empoigne ses flingues et se jette dans la mêlée, et en ressort victorieux. C'est Napoléon à Arcole.

Les règles de conquête du pouvoir sont universelles, quelle que soit la forme du régime, l'époque, la couleur, la religion, le pays : d'abord, on s'appuie sur plus puissant que soi, de préférence un premier couteau. Puis, au moment où on le voit en situation plus faible, on l'élimine et on le remplace.

La prison dans laquelle l'histoire du film se déroule est une société en miniature, avec son administration, son autorité apparente et son pouvoir occulte. Les mafieux corses en ont le contrôle parce que leur organisation s'étend au-delà des murs et que, de là, elle leur permet de tirer les ficelles de ce milieu sans droit, sans foi ni loi, qu'est la prison, via les matons, qui comme toute police, sont d'abord les instruments du pouvoir le plus friqué.

Les cultures sont à vif : dans cette prison française, les détenus se parlent en langue corse ou en arabe. Niels Arestrup, qui joue ici le parrain corse toutes mâchoires dehors, m'a fait penser à ce que Claude Goasguen racontait des grands jours de Jacques Dominati, alors premier adjoint corse au maire corse de Paris (Tiberi) : quand Dominati était en colère (souvent) il s'emportait et menaçait ses interlocuteurs en langue corse de les "pendre par les couilles à la grille de l'Hôtel de Ville". Les yeux furieux, les dents hérissées, la violence à fleur de visage, une forte puissance, Arestrup incarne un parrain très loin du folklorisme cher à feu Audiard père, on n'est pas dans les Tontons flingueurs, et même pas dans le cinéma noir des années 1950, loin de "Touchez pas au grisby". On est plus près de Scorsese, avec moins de jouissance dans la brutalité.

Et d'ailleurs, la mosquée que l'on traverse furtivement ressemble trait pour trait aux églises qui servent de points d'appui contraints aux mafieux italo-américains, et les affrontements des Irlandais, des Italiens, des Porto-Ricains et des autres mafieux d'Amérique sont présentés là-bas comme le fait Audiard de la confrontation dans la prison.

Hélas, le réflexe culturel est en définitive toujours gagnant.

Communautarisme et réseau

La gamin qui débarque dans cette prison centrale a 19 ans, ne connaît personne, n'a pas de famille, pas d'amis, ne sait pas lire, parle le français et l'arabe, mais sans le savoir. Il ne se sait aucune culture et, de ce fait, n'a pas de réseau naturel, ce qui le fait récupérer par les Corses. On va voir défiler un jour devant l'appel des matons Santucci, Graziani, Neri et ... Bendjenaa, effet comique garanti. Bendjenaa n'est pas avec les autres Arabes, il est avec les Corses, et quand le parrain corse lui demande d'aller parmi les Arabes, il répond qu'ils le croient corse.

Qu'est-ce qui fait qu'en définitive, le lien culturel l'emporte ? Pourquoi un Arabe (si l'on peut continuer à parler comme ça) est-il plus déplacé parmi des Corses que parmi d'autres Arabes ? Pourquoi cette force d'évidence qu'il y a des choses qu'on fait à un gadjo et non à un gitan quand on est gitan ? Pourquoi, à l'inverse, si un Corse veut tuer un autre Corse, demandera-t-il plus volontiers à un Arabe qu'à un Corse de faire le travail qui sort du cadre et de la ligne jaune ? Voilà un des mystères que l'universalisme des Lumières n'a pu vaincre encore.

C'est que l'être humain a besoin de réseaux et que le clan et ses avatars sont la formule la plus confortable et la plus naturelle du réseau.

Les Bretons qui débarquaient fauchés de leur cambrousse, en 1900, descendaient des wagons de bois de la 3e classe à la gare Montparnasse. Égarés, héberlués, parlant parfois un français limité à une poignée de mots, ils sortaient de la gare et cherchaient quelque chose de familier à quoi se raccrocher. Le besoin créant le marché, et le marché le bistro, il y avait en ce temps-là une foule d'estaminets plus ou moins borgnes qui fleurissaient le long des rues de leurs hermines, tout autour de la gare. De préférence, le patron indiquait son coin d'origine en vitrine : Guingamp ou Carhaix, la langue bretonne varie fort d'un canton à un autre. Allez voir : il reste une escouade de crêperies à Montparnasse.

Car si l'on ne connaît personne à Paris, on connaît au moins un Breton, quand on est breton, qui ne vous refusera pas un conseil, un lit de paille et une adresse ou embaucher. C'est comme ça.

Le réseau est ce qui fait que des gens qui ne se connaissent pas se sentent en familiarité. Il y a des réseaux ethniques, donc, mais aussi politiques, religieux, économiques, ou par affinités de collectionneur, d'anciens élèves de lycées, de franc-maçonnerie, de rotary, de grands clubs sportifs (Racing ou Stade Français, pour l'ouest parisien bourgeois), de clubs tout court ou de cercles (le Polo, l'Interallié, le Jockey), il y a des réseaux pour tout, sur tout, tout le temps, partout, à tout propos et hors de propos. Il y en a même qui prétendent que les réseaux vont remplacer les autres formes d'organisation sociale...

Mais le réseau n'est pas toujours la panacée.

Le réseau et la pyramide

La communauté, réseau naturel, dès lors qu'elle prodigue ses bienfaits à ses protégés, en fait ses obligés. Ceux qui dirigent la communauté réclament alors l'allégeance. En apparence, c'est tout le réseau qui fait pression sur l'individu. En fait, c'est le chef qui actionne le réseau. La communauté devient une structure féodale basée sur la mise en danger de l'individu qui le contraint à se trouver une protection. Cette structure féodale se nomme la pyramide et, par certains côtés, les brigands corses ressemblent à ce qu'ont dû être les guerriers rançonneurs juchés sur leurs tours de bois aux heures les plus sombres du Moyen Âge. Tout cela apparaît nettement dans le regard porté par Audiard sur son sujet.

La question est donc : si le réseau dérive en pyramide, comment peut-il être supposé libérer l'individu ? Question pas mince pour moi, étant donné l'appétit de notre chère Quitterie pour les logiques de réseau.

Question d'actualité aussi, puisque Daniel Cohn-Bendit propose de réorganiser l'opposition selon une formule innovante, sans tête ni hiérarchie, fondée sur une logique de réseau, horizontale et arborescente.

Pour ce qui est de ce dernier sujet, il faut dire tout de même que celui qui propose une formule est aussi celui qui veut être la clef de voûte de cette formule, c'est comme ça, il crie "Ralliez-vous à mon panache blanc", c'est la contradiction interne, irréductible, de la proposition de DCB. L'entité nébuleuse qui se nomme Europe Écologie est d'ailleurs un hybride où se côtoient de pures ambitions politiciennes et l'appétit civique pour les responsabilités publiques. On y retrouve le talent longtemps réservé à la gauche d'entrer en symbiose avec le monde associatif (et que la gauche maîtrise mieux à l'échelle locale), qui donne à l'élan récent d'EE la force de régénérescence que beaucoup d'électeurs de Bayrou de 2007 pensaient qu'il pourrait être pour la gauche. Un ancrage dans les milieux de la réalité active, les organisations de terrain, est évidemment crucial. Mais on verra bientôt les interrogations sur les éventuels conflits d'intérêts des ONG financées sur fonds publics, qui entrent dans les sphères dirigeantes des collectivités qui les subventionnent. L'endogamie est-elle toujours saine ?

Et puis, réseau de l'opposition, naturel à ceux qui se sentent en conflit avec le pouvoir français actuel sans vouloir s'encarter dans un fan-club, c'est bien, mais il ne faudrait pas que la bergerie se transforme en garde-manger pour les loups qui sommeillent dans quelques agneaux...

Car s'il y a opposition, c'est qu'il y a pouvoir, et volonté de remplacer les dirigeants du pays par d'autres. Et lesquels ? Et comment les loups ne dévoreraient-ils pas les agneaux ? Comment la logique pyramidale ne triompherait-elle pas nécessairement dans le réseau, par le fait que l'armée doit s'adapter à son adversaire ?

Ce sont les enjeux de l'époque et ce n'est pas un hasard si le film d'Audiard paraît si fort, si impérieux : c'est qu'il parle de notre temps, et que la nouvelle génération, dont il montre la prise de pouvoir sur la société carcérale, c'est aussi celle qui pousse tout autour de nous pour imposer sa façon d'être, qui réclame une vie sans sujétions, sans logiques hiérarchiques. On peut lui trouver des accents rousseauistes, être parfois effrayé par son appétit d'utopie, mais, comme le film le montre, les logiques naturelles sont toujours celles qui triomphent. N'est-ce pas, Quitterie ?

02:11 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : culture, cinéma, politique, audiard, arestrup, prison | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

29/06/2009

"Jeux de pouvoir" : à ne pas manquer pendant le faîte du cinéma.

Comment transformer une série télé britannique en un très bon film américain (regorgeant d'ailleurs d'acteurs britanniques, et avec l'argent français de Studiocanal).

Russell Crowe est ici journaliste, un journaliste autour de la quarantaine, victime comme ses confrères de la grave crise que traverse la presse écrite et confronté aux méthodes de la jeune génération qui fait prospérer l'info sur Internet (la jolie Rachel McAdams parfois vêtue exactement comme Quitterie l'an dernier). Un journaliste aux convictions philosophiques affirmées, puisqu'il a chez lui un mug orné de motifs maçonniques.

Sa patronne (Helen Mirren, grande actrice britannique qui a tout joué depuis trente ou quarante ans) mise sur cette nouvelle génération et se réjouit de voir la plateforme Internet et blogante de son journal renflouer le support papier en perte de vitesse.

Il a un ami, jeune politicien engagé dans une lutte intrépide et salutaire contre l'exploitation de la guerre par des intérêts privés qui s'en truffent les poches jusqu'à un point que je dois qualifier d'effarant. Ce film est à montrer à tous ceux qui pensent que les privatisations sont une bonne chose, il les en guérira.

Autour d'assassinats et de machinations, de fantômes du Watergate, de politiciens hantés par la bigoterie, c'est évidemment l'Amérique de Bush qui est dénoncée par Russell Crowe dont le mot d'ordre est clair : "Yes we can !".

Une occasion aussi de réconcilier la presse écrite avec Internet et, dans une intrigue au dénouement subtil, de mesurer à quel point le rôle de chacun, selon sa conscience et sa perception des événements, est crucial pour le salut de l'ensemble.

08/05/2009

"Commis d'office" : "aux soutiers du pénal".

La profession d'avocat devrait être réservée aux rentiers, à ceux qui n'ont pas besoin de travailler pour vivre. Cela éviterait aux petits besogneux de s'y abîmer et aux plus gros de s'y perdre en cédant aux nombreuses tentations qui s'y présentent.

Les avocats commis d'office sont la piétaille des avocats. Au mieux, on est commis d'office en début de carrière, quand il faut se faire la main, se faire connaître, avant de se faire une clientèle ou, de plus en plus, d'intégrer un grand cabinet où l'on est d'abord salarié, puis éventuellement associé. Au pire, on y végète, et c'est un métier très dur et peu rémunérateur. Il y a déjà fort longtemps que Paris compte un bien trop grand nombre d'avocats pour que tous puissent en vivre dignement, et la fusion des professions d'avocats et de conseillers juridiques, voici une bonne quinzaine d'années, n'a rien arrangé. Il faut pourtant se souvenir que la paupérisation des métiers judiciaires est l'un des moteurs de la Révolution française.

Rappelons que la commission d'office est la conséquence du droit qu'a toute personne à un procès équitable, donc à être défendue : si elle ne peut se payer un avocat, la société lui en offre un (pour pas cher : 300 Euros, le contribuable est fauché).

Pour certains avocats, les causes d'office sont cependant une garantie de revenu minimal, une planche de salut. Tel est le cas pour Antoine Lahoud (Roschdy Zem), avocat d'office depuis plus de dix ans, cantonné aux cages du palais de justice et aux causes minables de gamins qui ont dealé une barette de shit, aux putes nigérianes que l'on va renvoyer dans leur pays malgré le risque qu'elles y soient lapidées, aux paumés de toutes les tailles, de toutes les couleurs et de tous les pays.

Portrait là d'un sacerdoce que, comme le dit un avocat bien plus installé, "il faut laisser aux jeunes et aux femmes".

Cette partie documentaire mérite d'être vue, réellement. Ensuite s'enclenche l'engrenage d'une intrigue bien menée, assez convaincante, où l'abattage de Roschdy Zem et de Jean-Philippe Écoffey fait merveille.

La conclusion a une fin très dans l'esprit des avocats. La blague qui circule depuis des lustres sur ceux-ci est la suivante : un jeune avocat vient de plaider sa première cause. Il la gagne. Tout content, il envoie un mail (dans la blague antédiluvienne, c'est un télégramme) à son vieux maître : "le bon droit a triomphé". Le vieux maître répond par un mail laconique : "faites appel", qui signifie que la question n'est pas de savoir si le droit a triomphé, mais si l'avocat a gagné le procès.

On est loin, au fond, du serment par lequel les avocats s'engagent à exercer leur métier avec "dignité, conscience, indépendance, probité et humanité".

En somme, un bon moment, très instructif, écrit et réalisé par une avocate qui a dû se faire de solides ennemis à cette occasion, et, espérons-le pour elle, de nombreux amis parmi les défenseurs de la justice pour tous.

19:17 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : culture, cinéma, roschdy zem, avocat, écoffey | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

07/05/2009

"Good morning England" : cinq gus dans un bateau.

La similitude avec l'époque actuelle est flagrante : une génération nouvelle ne se reconnaît plus dans la façon dont les institutions et le système perpétuent l'image, les pratiques et la musique d'un monde enfermé dans des schémas périmés. Pour la génération des années 1960 au Royaume-Uni, la liberté est synonyme de rock'n roll et de musique pop. Des dingues de ces musiques s'installent sur un cargo poubelle, en mer, et, tels des pirates, diffusent la musique libre vers l'île de Grande-Bretagne. Dans le film, ils créent une radio indépendante, "Radio rock", qui pourrait aussi bien s'appeler "Radio cock" vu la chaleur de l'ambiance à bord. Le principe des radios pirates a vu le jour. Le gouvernement britannique, incarné jusqu'à la caricature par un Kenneth Branagh déchaîné, va mener une guerre juridique jusqu'à étouffer leur initiative, qui s'éteint dans l'été 1967...

Un film vital et irrévérencieux à lire en se torchant avec le texte du projet Hadopi.

24/04/2009

"17 ans encore" : si c'était à refaire...

Ned est le roi des pirates : il a inventé LE logiciel qui permet de stopper le piratage et... LE logiciel qui permet de tout pirater. Le voici donc riche, ce qui va lui permettre d'aider son meilleur ami depuis le lycée à... choisir sa vie.

Double effet dans ce film : le jeune comédien Zac Efron (qui fait se pâmer les jeunes filles mais qui à mon avis n'est pas de ce côté-là, tant pis pour lui, et tant mieux pour les autres, qui auront les filles...), et la crise des trente-cinq ans de ceux qui, à l'âge de dix-sept ans, regardaient la série "Friends" à la télé et qui, quinze et quelques années plus tard, s'interrogent sur leur vie, sur leur réussite, sur leurs rêves de jeunesse. Matthew Perry est marié dans le film à une sorte de sosie de l'actrice dont le nom m'échappe et qui était à la fois sa partenaire et sa conjointe dans "Friends". Mon commentaire sur ce film sera une citation de Vigny : "Le bonheur, c'est un rêve que l'on fait dans l'adolescence et que l'on réalise dans l'âge adulte".

Pour le reste, la salle était bien emplie de jeunes filles qui ont gloussé et rigolé à souhait. Le film est fait pour elles, et atteint visiblement son but. Seul bémol : il est un peu paternaliste et macho, les gamins de seize ans sont valorisés parce qu'ils ont une copine, mais les gamines de dix-sept ans sont des putes si elles ont un copain. Tsss.

22/04/2009

"Celle que j'aime" : maman aime un nouvel homme.

Élie Chouraqui est un cinéaste très à part dans sa profession. Il a débuté par hasard comme assistant de Claude Lellouch et a fait des films très divers, parfois ambitieux, souvent réussis, très souvent critiqués, dont j'ai aimé quelques-uns, en particulier "Les marmottes" (1993), coécrit avec la cinéaste Danièle Thompson, un délicieux film choral rythmé par un jazz très velouté.

Son film suivant "Les menteurs" (1995) était peut-être un peu trop ambitieux, il s'attaquait à un tabou du cinéma français : l'assassinat du producteur Lebovici en 1982, lequel Lebovici est supposé avoir entretenu des rapports d'argent et de blanchiment avec des mafieux. Ce producteur est alors interprété merveillseusement par Samy Frey. La narration est complexe, mêlant plusieurs niveaux qui s'entremêlent, et c'est une occasion de voir la belle actrice Julie Gayet au meilleur de son talent.

Ayant fait un break après ce film, Chouraqui est revenu, a fait des comédies musicales de succès inégal, et réalisé "Ô Jérusalem" que j'avoue n'avoir pas vu. En 2008, alors même qu'on osait attaquer Jean-Christophe Fromantin au nom d'un supposé antisémitisme, Chouraqui (dont les racines juives sont un sujet central) figurait sur sa liste pour les élections municipales de Neuilly-sur-Seine, en plein Sarkoland. Et c'est ainsi qu'Élie Chouraqui, après avoir été basketteur dans l'équipe de France, cinéaste et metteur en scène de comédies musicales, est devenu conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine...

Le voici avec son nouveau film : "Celle que j'aime", avec Marc Lavoine, Barbara Schultz et Gérard Darmon.

Comme souvent chez Chouraqui, il y est question d'un amour excessif d'un fils pour sa mère. Mais cette fois-ci, le sujet central est différent : Maman aime un nouvel homme. Le jeune Achille va-t-il tolérer cet intrus dans le lit de sa mère et dans leur vie ?

C'est un film réussi, Barbara Schultz y est impeccable et dans toute la beauté de la femme, Lavoine parfait, Darmon aussi, bref, un vrai bon moment de cinéma par l'un des meilleurs réalisateurs français vivants.

19/04/2009

"Dans la brume électrique" (Tavernier) : soigné, mais conventionnel.

Bertrand Tavernier a fait quelques grands films. "La vie et rien d'autre", "Le juge et l'assassin", par exemple, sont des brûlots puissants. Dans le premier, Tavernier s'attaque au redoutable comité des forges. Dans le deuxième, il dénonce une justice de classe et fait l'apologie implicite de la Commune de Paris. Il a fait des portraits très réalistes de policiers et de prof, de militaires et de commerçants. Ses films n'ont pas un discours moral à vendre, mais souvent un propos politique et militant à exposer.

Son nouveau film obéit à la logique première : pas d'exposé moral, juste un portrait collectif, très soigné, sobre, sans grande psychologie non plus. Mais alors qu'il a bien vu que le sujet de la Louisiane d'aujourd'hui, c'est les suites de l'ouragan Katrina, il fait un film sur l'Amérique du sud profond des années 1960, il fait le portrait de la société d'il y a quarante ans, et Katrina n'est que le prétexte de quelques détails du scénario.

Et aucun regard, donc, sur la société américaine d'aujourd'hui, juste un polard assez banal, soigné, mais conventionnel. Tavernier a vielli. Son aversion contre Hadopi serait-elle due à ce vieillissement ?

16/04/2009

"Let's make money !" ou l'organisation perverse de l'argent mondial.

Du flouze, de l'artiche, de l'oseille, de l'osier, des picaillons, des sous, de la fraîche, du pognon, de la monnaie, du pèse, c'est fou ce qu'il existe de noms pour désigner l'argent en français... Le film "let's make money" s'adresse à ceux à qui leur banquier a déclaré, d'un air gourmand : "il faut que votre argent travaille".

Ah oui ? il faut qu'il travaille ?

Le film montre des systèmes de prédation et de captation de l'argent produit pas les pays pauvres, au profit des spéculateurs (et des fonds de pension) des pays développés, mais ce n'est pas sa partie la plus fouillée. En revanche, l'explication d'un ministre du Burkina Faso est beaucoup plus explicite : son pays cultive énormément (trop pour la terre, apparemment) de coton. Ce coton, cueilli et nettoyé par la main, est de grande qualité. Mais il n'est pas compétitif, en raison des subventions des États-Unis à leurs propres producteurs, il est donc vendu à bas prix sur le marché international. Donc le Burkina a besoin de prêts des organisations internationales pour subsister. Autrement dit, alors que si les subventions américaines étaient supprimées, le pays "gagnerait" environ 80 milliards de Francs CFA (je pense que c'est environ 120 millions d'Euros), il en emprunte 20 milliards par an, qui viennent grossir sa dette. Le système est destiné à l'affaiblissement et à l'asservissement des pays pauvres. Let's make money ? Mais gardons surtout le pouvoir.

On voit aussi l'extravagante bulle immobilière espagnole, des projets immobiliers pharaoniques destinés seulement à lever des fonds sur les marchés financiers, et qui laissent des montagnes de béton vide.

On voit un personnage qui se présente lui-même comme un "chacal" et c'est tellement énorme qu'on hésite à croire que ce soit un vrai. Ce qu'il dit est l'exposé très exact de la théorie du complot, sauf que c'est un acteur direct et cynique qui l'expose, et on se dit que c'est tellement énorme, vraiment, que ce ne peut être un vrai. De ce fait, le film prend une autre dimension, et on se demande si ce n'est pas une fiction plutôt qu'on reportage à la manière de "Nous resterons sur terre".

Et ça se termine sur les paradis fiscaux, îles anglo-normandes en tête.

On comprend bien que le système aboutit à concentrer toujours plus les richesses mondiales.

On comprend aussi qu'il y a des gens en embuscade, ceux qui ont des liquidités en réserve, et qui, en prédateurs, attendent le moment où les États auront épongé les dettes des grands groupes industriels et financiers mondiaux, et où les actions de ces groupes seront encore à un cours bas, pour les racheter massivement et faire une culbute monstrueuse... Y parviendront-ils ? Espérons que non.

En tout cas, je suis content d'avoir ouvert le nouveau compte de ma société au Crédit Coopératif, une banque qui n'est pas cotée en bourse, qui d'ailleurs n'investit pas en bourse, et qui d'ailleurs n'investit que dans des projets solidaires, responsables et durables.

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10/04/2009

Hadopi : la liste du cinéma qui s'y oppose s'allonge.

À la suite d'un article se réjouissant du rejet de l'Hadopi par l'Assemblée Nationale, on trouve une seconde liste de signataires actuers, producteurs et réalisateurs de cinéma qui s'y opposent. Voici la liste complète, prise sur le site "Pour le cinéma", hier :

Victoria Abril (actrice)

Chantal Akerman (réalisatrice)

Agathe Berman (productrice)

Paulo Branco (producteur)

Catherine Deneuve (actrice)

Louis Garrel (acteur)

Yann Gonzalez (comédien)

Clotilde Hesme (actrice)

Christophe Honoré (réalisateur)

JP Limosin (acteur)

Chiara Mastroianni (actrice)

Zina Modiano (réalisatrice)

Gael Morel (réalisateur)

 

Eva Truffaut (artiste cinéaste, ayant-droit de François Truffaut)

Brigitte Rouan (réalisatrice)

Françoise Romand (réalisateur)

Laurence Ferreira Barbosa (réalisateur)

Santiago Amigorena (réalisateur)

Jeanne Balibar (actrice)

Luc Wouters (SRF)

Jean Sainati (ex délégué de l'ALPA général de 88 à 2002)

Pierre Cattan (producteur)

Gilles Sandoz (producteur

Pascal Verroust (ADR productions)

Timothy Duquesne (auteur)

Agnès de Cayeux (azuteur

Nathalie Chéron (directrice de casting)

Gisčle Rapp-Meichler (cinéaste)

Sylvain Monod (producteur, cinéaste)

11:29 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : médias, culture, cinéma, hadopi | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

"Katyn" : le monde en morceaux.

À la fin de l'année, nous célébrerons le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Avant cette chute, il y a eu des lézardes qui, peu à peu, ont démoli tout l'édifice soviétique dans les années 1988 et 1989, d'aucuns diront depuis la "glasnost" et la "perestroïka" gorbatchéviennes en 1986. La fin de la domination de l'Union Soviétique sur l'Est européen semblait l'aboutissement d'une lutte d'une décennie dont quelques noms étaient les symboles : Solidarnosc, mouvement civique et syndicat, Lech Walesa l'ouvrier syndicaliste, Bronislaw Geremek l'intellectuel, et Andrzej Wajda le cinéaste. "L'homme de fer" était le film emblématique de cette époque (celle où le Canard Enchaîné titrait "l'ordre règne à Varsoviet" pour résumer le coup de force de Varsovie). Wajda vint ensuite tourner en France un "Danton" très inspiré et continua à incarner la résistance à l'ordre extrême et totalitaire.

Le voici, vétéran, ayant dépassé les quatre-vingts ans (pour être honnête, je le croyais mort), sortant de son vieux chapeau un film terrible et autobiographique sur la déchirure, la blessure, à la fois intime et historique, qu'il partage avec son pays, la Pologne. Le titre de ce film est déjà sinistre : "Katyn".

Bronislaw Geremek, le regretté sage et libéral député polonais au parlement européen, vétéran de Solidarnosc comme je l'ai dit, a eu l'occasion de venir parler en France devant la commission pour le livre blanc sur la défense. Il aimait la France d'instinct, parlait un Français parfait et rendait hommage à Napoléon qui (on l'oublie trop souvent) a ressuscité la Pologne pour un bref instant de quelques années. En 2005, lorsqu'il est venu participer à des meetings pour l'adoption du référendum européen, il disait, navré : "Évidemment, il y a Napoléon, et puis il y a les Français d'aujourd'hui..." Bref, pour en revenir à ce qu'il a dit devant la commission sur la défense, ses mots étaient nets :

- Bien sûr, il y a eu Auschwitz (ndht : en fait, Auschwitz est la ville polonaise d'Oswiecin). Bien sûr, il y a eu Auschwitz, mais il y a eu Katyn.

Disant cela, il ne cherchait en rien à minimiser la shoah, ni à évacuer Auschwitz, mais il illustrait une pierre d'angle de l'approche diplomatique et géostratégique de la Pologne : on ne peut pas faire l'impasse sur le fait que les soviétiques ont commis l'affreux crime de guerre au printemps 1940 d'assassiner froidement 12 000 officiers de l'armée polonaise qu'ils détenaient prisonniers.

Et le film de Wajda, sombre, froid, terrible, nous explique pourquoi, bien au-delà encore du crime de guerre, l'atrocité de Katyn est un crime contre l'esprit humain : c'est parce que les soviétiques ont bâti une épouvantable mise en scène pour faire endosser le massacre par l'armée nazie. Plus terrible encore que le crime, il y a la négation du crime, et le fait que l'on ait fait enseigner à des générations d'écoliers que ce crime avait été commis par d'autres, travestissement de la réalité historique.

Et c'est aussi le symbole de ceux qui, survivants en 1945, ont choisi de plier le genou devant le pouvoir soviétique. Le monde était en morceaux, il fallait choisir un camp.

Le retour de la Pologne à la liberté, c'est aussi de pouvoir clamer enfin cette vérité. Pour Wajda, né en 1926, c'est un témoignage très personnel : son père a été tué à Katyn. La jeune femme qu'il montre, c'est en quelque sorte sa mère.

C'est donc un film à voir si l'on trouve une salle qui le passe.

J'en profite pour signaler que la Pologne est un très grand pays qui n'a pas eu de chance. Son aire culturelle s'étend sur plusieurs États actuels : Slovaquie, Lithuanie, tout l'ouest de l'Ukraine. Son retour dans l'Europe a été un moment important de l'histoire de l'Europe. On ne comprendra rien à l'état d'esprit de ses dirigeants si l'on ne voit pas que, pour eux, la Russie garde au talon quelques traces du sang de Katyn. C'est ce qu'a voulu dire Geremek, c'est ce que dit Wajda.

04/04/2009

"Nulle part terre promise" : nulle part sans ailleurs.

Voici en quelques semaines le troisième film que je vois sur le même sujet : l'odyssée des clandestins venus d'Asie tenter leur chance en Europe. Le premier, volontairement décalé, était celui du vétéran Costa-Gavras, "Eden à l'ouest". Le deuxième, triste à mourir, et qui a fait heureusement couler de l'encre, était le remarquable "Welcome" de Philippe Lioret. Le troisième est plus discret, sorti dans quelques salles seulement : "Nulle part terre promise", d'Emmanuel Finkiel, avec en particulier Elsa Amiel qui sous certains angles a un faux air entêtant de Sandrine Kiberlain.

"Eden à l'ouest" voyait l'immigration clandestine sous l'angle des parasites et d'une société européenne réduite à ses propres apparences et à ses propres mensonges. "Welcome" s'attachait à ceux qui aident les fugitifs et à ceux qui les dénoncent. "Nulle part terre promise" est encore plus radical dans son approche cinématographique : peu de dialogue, un tournage en numérique s'attardant longuement sur des situations hyperréalistes, effrayantes. C'est notre humanité.

L'angle d'approche est à la fois plus large et plus serré encore, focalisée sur trois parcours : celui d'une étudiante (Elsa Amiel), celui d'un émigré accompagné de son fils, et celui d'un "col blanc" français envoyé par sa boîte, d'abord délocaliser son usine en France (quasi-émeute des ouvriers, très en écho de la réalité actuelle) puis la relocaliser en Hongrie, Hongrie où l'étudiante circule avec une caméra DV constamment allumée et braquée sur le visage des gens. Le père et son fils, eux, passent de soute en camion, traversent les frontières sans être vus, et finissent au bord de la Manche, là où se termine le film de Lioret, face à l'Angleterre.

Plus serré, donc, sur ces échantillons humains souvent muets, très mobilisés par un but chacun à la fois. Plus large, l'angle, aussi, parce que le sujet réel du film est la mondialisation : des ouvriers d'Asie Mineure viennent clandestinement travailler en Europe de l'ouest pendant que les entreprises françaises transfèrent le travail en Europe de l'est. L'étudiante est en Hongrie et son voyage doit se poursuivre à Londres, où elle pourra se rendre facilement bien qu'on lui vole son sac, cependant que les clandestins vont tenter d'y aller en parcourant le tunnel sous la Manche à pied.

C'est notre époque, celle en tout cas d'avant la crise. Sur quoi va-t-elle déboucher ?

Sur rien. Sur la même chose qu'avant, sur des gens qui cherchent ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas chez eux et qui, pour la plupart, ne finissent nulle part, un nulle part sans ailleurs.

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30/03/2009

Avant Hadopi : la vraie crise du cinéma.

Après un bon début d'année, le nombre des places vendues dans les cinémas, stable en moyenne, baisse énormément dans les régions et dans les cinémas indépendants. Dans le même temps, pour la première fois depuis très longtemps, il n'y a qu'un seul film français parmi les 10 premiers du classement des films sortis dans les douze derniers mois. Et d'ailleurs, il n'y a qu'un film (américain), dans le même classement, à avoir passé la barre des 5 millions d'entrées.

Il y a donc une série de films plus modestes qui ont obtenu des résultats commerciaux satisfaisants, sans plus.

Or il se trouve que, du point de vue des petites salles, une vraie locomotive rapporte bien plus que dix petits succès, et ce, pour une raison simple : ces salles ne passent qu'un film à la fois, tandis que les multiplexes en passent plusieurs. Paradoxalement, la "longue traîne" des films est nuisible à la "longue traîne" des salles.

Quoiqu'il en soit, l'Internet redevient le bouc-émissaire facile de ce trou d'air du cinéma. Et au lieu de se demander si les goûts du public n'auraient pas changé et si les moyens financiers du public n'auraient pas souffert, il est facile d'accuser l'hydre Internet et ses millions de têtes de pirates.

La vérité est que les films français n'intéressent guère le public français : en 2008, sorti du succès combiné des deux principaux succès (les Ch'tis et Astérix, 27 millions d'entrées à eux deux), les chiffres sont plutôt moyens, et cette tendance ne fait que s'accentuer en 2009, crise aidant. Pourquoi se forcer à aller voir des films qui ne sont pas intéressants ? Autant attendre qu'ils passent à la télé.

Ah au fait, à propos de la télé, le MIP (mais non, pas MIP MIP, mais le Marché International de Cannes) s'ouvre et quel est son sujet central ? La migration de la télé vers Internet. Tiens, tiens, en plein débat sur Hadopi, quelle coïncidence !

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21/03/2009

"L'enquête" : "qui contrôle la dette contrôle tout".

Au moment où le système bancaire mondial implose et où la dette crève tous les plafonds partout, le nouveau film de Tom Tykwer a une résonance particulière.

C'est un curieux film, un scénario taillé à la serpe, une mise en scène au bazooka, emphatique, brouillonne, des personnages secs. La distribution est aussi internationale que l'intrigue : le film commence à Berlin et nous promène à Milan, à Lyon (siège d'Interpol), à Luxembourg (sulfureuse banque luxembourgeoise qui a des côtés Clearstream qui n'est cependant pas une banque), à New-York et à Istanbul.

Le sujet est simple et, paraît-il, tiré d'un fait divers réel : une banque luxembourgeoise veut acheter des systèmes de guidage pour des missiles qu'elle veut vendre à l'Iran et à la Syrie. Un piège est tendu, mais le piège se referme sur les agents d'Interpol.

On découvre alors le "système". Qu'est-ce que le système ? On comprend que c'est quelque chose d'informe où tout le monde a à la fois un bâton merdeux et un fer au feu. Et comme il est utile à tout et à tous ceux qui ont besoin de faire des affaires louches en douce (les États, la CIA, l'Iran, les terroristes, les mafias, etc.), il est absolument intouchable. Il est également impitoyable.

La démonstration de ces idées serait fructueuse, malheureusement la mise en scène pataude est plus à l'aise dans le rendu d'un décor que dans l'exposé de la complexité d'une situation. Elle verse dans la caricature, qui nuit à la crédibilité du propos du film.

Dommage, car on y trouve d'utiles rappels, notamment que les banques raffolent de s'octroyer du contrôle sur les États et sur la société en créant des dépendances grâce à des facilités de crédit. Toute ressemblance avec des faits réels, etc...

 

21:12 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : culture, cinéma, clive owen, naomi watts | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

13/03/2009

Quitterie : "la loi Hadopi ne sauvera pas l'industrie du disque ou du cinéma".

Interrogée hier par les Inrockuptibles Quitterie a expliqué avec beaucoup de clarté pourquoi le projet "Hadopi" est inutile et nuisible, et comment on pourrait réfléchir à une remise à plat de la rémunération des droits d'auteurs.

L'interview par Pierre Siankowski :

Quitterie Delmas, du blog "Des jeunes libres de s'engager", revient sur la loi Hadopi pour la protection des droits sur internet - et donc contre le téléchargement illégal.

La Loi Hadopi, qui prône le respect du droit d'auteur, est complètement en contradiction avec la philosophie du net, plutôt basée sur le partage culturel...

Je n'ai pas la solution, mais ce qui est sûr, c'est qu'il va falloir inventer. Car Hadopi n'est pas la solution, c'est simplement un moyen de protéger les acquis de majors qui se sont fait beaucoup d'argent jusqu'ici - argent dont je ne suis pas sûr que les artistes soient les premiers bénéficiaires. Hadopi est une mauvaise loi pour les gens qui aiment la culture. Et ce n'est surtout pas une loi qui va sauver l'industrie du disque ou du cinéma. On a vu que de nombreux artistes ont utilisé internet pour se faire connaître. Bien sûr après il faut voir comment on paye, réfléchir à l'idée des micro-revenus. Le meilleur exemple, c'est Radiohead. Bien sûr tout le monde ne s'appelle pas Radiohead, et ça ne va pas fonctionner comme ça immédiatement pour tout le monde. Mais si ils l'ont fait, ça veut dire que c'est possible.

 

Pour beaucoup d'associations de défense des consommateurs, le texte de la loi Hadopi est un texte qui bafoue la présomption d'innocence ?

Vue le dispositif qui est mis en place - c'est-à-dire l'intervention d'une autorité qui n'est pas la justice traditionnelle - oui ça pose un sérieux problème. En Angleterre des gens ont été accusés à tort, et je pense qu'on va être confronté au même problème en France.

La suite .

"Welcome" de Philippe Lioret : la réalité. Triste.

Je n'ai guère envie de parler du film de Philippe Lioret. Il est profondément triste. Réussi comme oeuvre, triste comme moment de vie.

C'est un peu le "Jean qui pleure" dont le "Jean qui rit" serait "Eden à l'Ouest" de Costa-Gavras que j'ai commenté il n'y a pas si longtemps.

Tristes les efforts de ces gens venus de très loin pour traverser la Manche. Triste la Mer du Nord. Tristes Sangatte, Calais, l'errance des candidats à la traversée, le rejet qu'ils subissent chez les commerçants, à la piscine, pour pouvoir acheter de quoi manger, se laver, vivre au moins. Tristes les repas donnés par les bénévoles dans le froid de la nuit, que les policiers dispersent avec des lacrymogènes.

Triste les dénonciateurs dont on travaille la silhouette et le regard pour les faire ressembler à ceux qui dénonçaient, pendant la guerre, les gens qui cachaient des juifs fugitifs.

Triste le regard de Vincent Lindon, de plus en plus humain à chaque film, cette fois en maître nageur ancien champion de natation.

Triste son histoire d'amour qui se termine et qu'il n'a pas su sauver. Triste celle du jeune Kurde, mais il ne faut pas en dire plus.

C'est un film bien triste, dans une grande salle bien vide, que j'ai vu. Dommage pour la qualité du document sur l'existence des réfugiés de Calais et d'autour.

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09/03/2009

"La Vague" : un film nihiliste ?

Si vous avez l'intention de voir ce film, il vaut mieux lire ma note après seulement.

Et avant d'en venir au fond, je signale que ce film est précédé d'un long texte en allemand qui doit aller à l'encontre de ce que nous défendons, car il se termine par la référence à un site Internet dont l'intitulé se termine par anti-piraterie (en allemand dans le texte).

C'est assez paradoxal, car, venant d'un film dont l'ambition est avant tout pédagogique, on s'attendrait plutôt à un encouragement à sa diffusion partout et par tous les moyens.

En fait, cette ambiguïté initiale se prolonge tout au long du film et l'irrigue au point qu'on pourrait facilement le croire nihiliste : toutes les solutions qu'il explore aboutissent à des catastrophes, rien n'ouvre la moindre fenêtre sur le moindre espoir.

Si l'on cherche dans la démocratie représentative, on trouvera une criritique cinglante de la corruption et de l'inconséquence du personnel politique, et cependant, on ne peut pas se laisser aller à dénoncer ces travers, car la méfiance contre les politiciens est l'une des armes des apprentis-dicateurs. Si l'on cherche dans l'anarchie, on verra les anar agressifs et intolérants, voire violents. Si l'on se replie sur les réseaux, on découvrira qu'ils portent en germe, par leur propension naturelle à l'expansion, le fanatisme et l'oppression interne et externe. Si l'on se borne à la solidarité, on s'aperçoit qu'elle porte elle aussi en germe les travers de l'esprit de groupe. Si l'on pratique la décision par vote d'un petit groupe, les choses n'avancent pas. Et si l'un du groupe hausse le ton et fait preuve d'autorité, les choses redémarrent mais sur la pente de l'autoritarisme.

Le mécanisme qui sert d'argument au film a été assez bien expliqué dans sa phase de promotion : un prof, à qui son lycée demande de faire de la propagande active pour le jeu démocratique traditionnel en développant un atelier sur l'autocratie pendant une semaine, entraîne ses élèves vers le fanatisme et l'autocratie.

Le point de départ est explicitement de défendre la démocratie représentative. Et de fait, alors que le prof, dans l'histoire, se voit plutôt en anarchiste, la dénonciation très virulente qu'il fait de la démocratie actuelle lorsqu'il coiffue son chapeau d'autocrate, à la fin, renvoie plutôt à conforter le jeu actuel. Cependant, les arguments qu'il emploie sonnent si juste et sont si virulents, qu'on hésite à conclure en faveur de la démocratie.

Les étapes pour amener un groupe de jeunes élèves (de terminale) du statut de jeunes un peu blasés à celui de zélés membres de leur clan commun sont tout en douceur : d'abord on vote pour désigner un chef, c'est le prof, puis on adopte un uniforme, un emblème, un geste de reconnaissance... Dans une certaine mesure, les méthodes employées sont celles de la formation du contingent lors du service militaire.

Les jeunes, très individualistes, découvrent les charmes de la solidarité, de l'unanimisme, de l'uniformité, du don de soi à ce qui, peu à peu, apparaît comme une cause supérieure.

L'esprit d'équipe, a priori, c'est plutôt sympathique. Mais lorsqu'il se change en chauvinisme et lorsqu'il fait sombrer un match de water-polo dans le pugilat, ça ne va plus du tout.

Le sens du réseau, a priori, c'est bien, mais lorsque le réseau se met à exercer des pressions sur ceux qui n'en sont pas membres et à pratiquer l'exclusion, cela ne va plus du tout.

Et puis, le chemin intérieur parcouru par les élèves va révéler leurs fragilités, flatter leurs penchants les plus troubles, ce qui aboutit au drame.

Personnellement, j'aurais trouvé le film meilleur s'il s'était arrêté juste après la scène de la piscine, juste après le match qui tourne en bagarre et où le sang est versé. Alors, la dénonciation aurait été le fanatisme et le spectateur se serait senti interpellé personnellement contre le fanatisme.

Seulement il y a, d'une part, l'anecdote authentique qui sert de trame au film et, d'autre part, le fichu impératif pédagogique qui ramène vers la démonstration qu'après tout, la démocratie est (comme disait Churchill qui n'est cependant pas cité dans le film) "le pire de tous les système à l'exception de tous les autres".

Alors, après la scène de la piscine, l'attention est ramenée vers le professeur : au fond, c'est lui le seul responsable, les élèves n'ont eté que ses jouets, rendormez-vous braves gens, ce sont vos prof et vos dirigeants qui sont seuls responsables de votre situation. Bien sûr, le fait que les prof soient ainsi interpellés sur leur responsabilité non seulement pédagogique, mais finalement politique, n'est pas mauvais, mais la portée du film en souffre et perd en envergure. Les élèves ne sont donc que des jouets, jouets de leurs penchants, de leurs prof, des situations... ils ne sont pas considérés comme des être libres (et pourtant beaucoup sont majeurs) et donc le spectateur non plus.

De même, la scène finale et le suicide, au bout du pathos cathartique, est assez lourde et, en offrant un bouc-émissaire, une victime expiatoire, au drame qui s'est joué, aboutit à en effacer la dimension collective pour en concentrer les débordements sur la divagation d'un esprit que l'on sait dérangé. Là encore, l'histoire se termine mais, au fond, on n'a pas avancé. Tout ce qui a été démontré, c'est que le retour d'une dictature est possible mais puisque toutes les autres solutions explorées mènent au drame ou à l'impasse, quelle autre solution peut-on proposer ?

Silence du film.

Un mot n'est pas prononcé, et c'est dommage, puisqu'il est en fait la clef de l'ensemble. Ce mot, c'est "conscience".

15:36 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : culture, cinéma, la vague | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

03/03/2009

"Slumdog millionaire" : Gavroche chez Jean-Pierre Foucault.

Le film multioscarisé méritait-il l'engouement qu'il a suscité ? Je ne trouve pas. Car ceux qui ont cru faire une sorte de bonne action compassionnelle envers l'effrayante misère indienne se sont laissés avoir par un tour de passe-passe télévisuel.

Bien sûr, on voit dans "Slumdog millionaire" les océans d'immondices sur lesquels des dizaines de millions d'enfants de toutes les parties pauvres du monde vivent. J'en ai vu en Haïti, c'est indescriptible, cela valait mieux en tout cas que la carte postale fournie par Danny Boyle qui n'effleure qu'à peine son sujet.

Bien sûr aussi, on voit et on découvre dans ce film l'Inde nouvelle, celle qui se développe et qui, à l'emplacement de ses gigantesques bidonvilles, édifie (avec de l'argent douteux) des gratte-ciel. Ainsi Bombay devient-il Mumbai comme s'il suffisait de changer le nom des choses pour les changer tout à fait.

Une Inde qui se souvient du temps où ses gamins miséreux, misérables, (ont-ils subitement cessé de le faire ?) mendiaient dans les rues et chapardaient dans les couloirs.

Mais ce qu'on découvre surtout, c'est la télévision. Que le pivot du film soit l'émission mondialement connue "Qui veut gagner des millions ?" en dit assez long sur l'imposture. Et quand on voit, vers la fin, dans un superbe effet de manche, que dans le moindre bistrot, sur le moindre tas d'ordures, au coin de la moindre rue, tous les pauvres sont tournés vers leur écran de télévision où l'un d'entre eux, subitement, va passer de l'autre côté, et devenir millionaire, et quand on voit toute leur joie, comme si l'entrée de l'un, un sur des millions, dans le camp de ceux qui peuvent se payer des millions de gens, on se dit "Voilà où il nous a menés : il nous a montré la misère mais ouf, c'est fini, tout rentre dans l'ordre, ce n'était qu'un mauvais rêve, le pauvre devient riche et les pauvres sont contents, dormez en paix, braves gens, vive les riches".

Eh bien non.

Non, je ne peux pas plus me faire avoir par cette émission de télévision en Inde qu'ailleurs. Tout ceci est un odieux mensonge, et il faudrait brûler ce film.

Sauf que...

Sauf qu'il y a cette extraordinaire histoire d'amour, éperdue, incontrôlable, sublime.

Et on sort ivre d'amour, en se disant "si vous aimez une femme, n'abandonnez jamais, avancez toujours".

Il faudra que je raconte tout ça à Quitterie.

01/03/2009

"Lol".

Après "Le code a changé", voici la rubrique suivante de ma catégorie "anciens condisciples". La cinéaste Lisa Azuelos était en 1ère puis terminale B3 au lycée Janson, à Paris, lorsque j'y étais en 1ère puis terminale B1. Nous avions la même équipe de professeurs (bigup pour eux) et nous nous succédions dans les mêmes salles de classe, nous partagions certaines options et certaines animations. Ainsi lorsque notre prof d'économie invita Jacques Attali (ancien élève du même lycée) à expliquer deux ou trois choses sur l'économie de l'époque (on était en 1981), les deux classes étaient mêlées.

Lisa Azuelos était assez discrètement la fille de Marie Laforêt, qui lui a transmis l'ossature de son visage, mais elle est plus brune de teint, plus méditerranéenne. Voici presque trente ans, c'était une fille mince, plutôt grande. Je ne peux pas dire que j'étais amoureux d'elle, mais elle me plaisait. Elle avait de grands cheveux bouclés, entre châtain et auburn, et un regard très farouche, je ne suis pas sûr d'avoir jamais entendu le son de sa voix à l'époque.

Elle apparaît dans son dernier film sous les traits de la psy et je ne veux pas être mal élevé au point de dire que c'est en voyant le visage de mes anciennes camarades de classe que je réalise l'âge que j'ai. Enfin, peu importe, ce qui compte, c'est qu'avec son premier film "Comme t'y es belle", elle avait ouvert sur un univers quasi-commnautaire dont elle avait fait ressortir savoureusement les travers et les qualités. Avec "Lol", une salle de jeunes filles en fleur a beaucoup ri autour de moi, cet après-midi, et s'est régalée d'un film dont on m'avait dit qu'il était "La Boum" trente ans plus tard (référence à Sophie Marceau), mais c'est plutôt la bande délurée de "La Boum 2" que celle du premier opus, que l'on trouve ici.

Et que dire ?

Comme il est difficile d'arriver jusqu'à la première fois.